Chapitre 12
Artell acquiesça, impeccable dans son uniforme neuf. Il avait pris la peine de retirer les traces de saleté et de passer un coup de peigne dans ses cheveux grisonnants. Sa prestance militaire lui offrait une allure incontestable et c'était sans doute cela qu'Alzar jalousait.
Lyssandre se demanda s'il voyait en cet homme, pourtant bien moins influent qu'il l'était entre les murs du château, une sorte de rival. Le roi se contentait d'admirer l'aisance du général pourtant projeté loin du cadre habituel de ses fonctions, loin de la guerre. Artell ferait un excellent allié face à des ministres qui ne tarderaient plus à exprimer ouvertement leur mépris et leur réticence.
— Comme le roi l'a spécifié, je suis revenu du front ce matin avec plusieurs de mes hommes.
— Eh bien, votre retour peut-il nous laisser imaginer une victoire imminente ? se réjouit l'un des ministres, si usé par le temps qu'il paraissait avoir connu les règnes de Soann et de son prédécesseur avant lui.
— Je crains que nous, monsieur. En fait, la situation est délicate et c'est la raison de mon retour.
— Si c'est simplement pour cela, pourquoi n'avez-vous pas simplement fait quérir un messager ? Cela aurait été moins coûteux, en temps comme en moyen, que de faire déplacer la moitié d'un régiment.
Lyssandre avait d'ores et déjà le sentiment d'arbitrer un duel. Artell se dressait face à des hommes qui possédaient une vision bien personnelle de la guerre. Une considération erronée et souvent éloignée de ce que pouvait être la réalité. Le chevalier portait sur eux un regard saturé de mépris. Il les connaissait, ces pantins suffisants et pour lesquels les combats ne formaient guère plus qu'un divertissement vaguement dangereux.
C'étaient ces mêmes hommes qui les envoyaient mourir loin de chez eux.
— La moitié de ce régiment a été annihilée, messieurs, énonça Artell, avec une douceur teintée d'un reproche infime. Les hommes qui ont survécu sont ceux qui m'ont accompagné jusqu'au château. La plupart est blessée ou traumatisée. Ils ont combattu bravement durant des années au nom de Loajess. Je les ai menés jusqu'ici pour qu'ils puissent bénéficier d'une retraite hautement méritée.
— Ont-ils été de braves soldats ? demanda Lyssandre.
Sans savoir si cette question était la plus appropriée, lui qui ne connaissait pas les usages de la guerre, sa question n'était que décorative. Après avoir rencontré ces soldats hantés par la fureur des combats, Lyssandre était incapable de leur refuser ce retour dans leurs foyers. Ils avaient sacrifié des années à la violence et à la destruction d'autrui. Après avoir été confronté pour la première fois à une vraie forme de violence, physique et non morale, Lyssandre se doutait à présent qu'on ne pouvait revenir indemnes du front. Ces soldats avaient sacrifié leur jeunesse et leurs vieux jours, qui appartiendraient aux souvenirs cauchemardesques qu'ils s'étaient construits. La réponse, à compter du moment où cette pensée frôla le roi, avait tout d'une évidence.
— Oui, Sire, il s'agit de braves soldats pour lesquels je demande une retraite anticipée. Ils ont servi honnêtement et courageusement Loajess.
— Comme tout soldat se doit de le faire ! martela un homme, réanimé par le sujet de la conversation. N'est-ce pas leur rôle ? Combattre pour Loajess est un honneur et une chance leur est donnée de s'illustrer, de donner à leurs malheureuses existences un sens.
— C'est juste, confirma Artell, sans jamais hausser le ton, ses sourcils froncés sur un regard sage trahissait son mécontentement.
Le rapport que pouvait entretenir Loajess avec la guerre avait entraîné des besoins en hommes toujours plus exponentiels. Si d'abord, seuls les fils de puissantes familles citoyennes avaient été autorisés à porter l'épée et à défendre le Royaume, eux qui combattaient pour l'honneur, pour le salut d'un pays auquel ils tenaient profondément.
Au terme de plusieurs décennies, de peut-être un siècle ou deux, il avait fallu opter pour une autre stratégie et, dorénavant, chaque province de Loajess se devait de fournir un nombre préétabli de soldats à la couronne. Ce chiffre dépendait de la population de chaque territoire, celle-ci étant méticuleusement recensée et consignée sur de nombreux registres. De pauvres gens étaient envoyés à la guerre et la seule exigence était une certaine allégeance au Royaume et le fait de n'avoir jamais commis le moindre crime. Pour diriger ces soldats, Loajess dépêchait des enfants issus de nobles familles, ce qui expliquait le lien coriace qui unissait celles-ci à la guerre. Il s'agissait de bien plus que d'un vulgaire intérêt commun. Les grandes lignées voyaient leur destin accordé à celui du conflit qui opposait leur nation à Déalym. Leurs aînés combattaient durant cinq à dix ans afin de récolter trophées et reconnaissance. Ils étaient envoyés combattre jeunes et revenaient changés, pleins d'une expérience qu'on leur admirait, et étaient encouragés à fonder une famille. La guerre représentait une manière de se couvrir de prestige et la faction des vieilles lignées dirigeantes l'avait compris jusqu'à laisser une part de leur légitimité reposer là-dessus.
— Cependant, ce n'est pas parce qu'ils sont soldats que leur vie ne possède aucune valeur. Ces hommes sont en vie et pour leurs camarades morts, ils méritent un avenir décent.
— Veuillez excuser mes propos, général, mais sauf erreur de ma part, la guerre est faite ainsi. De tout temps, elle a engendré des pertes, des sacrifices, des morts. N'est-ce pas le principe même d'un conflit ? Aucune guerre ne se gagne sans cela, si je ne m'abuse. Je comprends vos revendications, mais...
— Mais il est ridicule et disproportionné d'en demander autant pour de simples soldats ! Les coffres du Royaume ne peuvent se permettre de telles largesses. Imaginez donc que chaque soldat demande ce que vous réclamez pour ceux-ci ! Le pays serait ruiné, il n'y aurait plus de guerre !
Que cela se produise serait presque préférable pour ceux qui espéraient une trêve avec le Royaume voisin. Lyssandre y songeait sans oser intervenir. Il se sentait étranger à cette discussion et s'il avait écumé moults archives à ce sujet, son inexpérience transparaissait pour mieux le trahir. Il repoussa une mèche blonde d'humeur timide qui coulait le long de sa clavicule. Les propos de ces hommes étaient d'une telle cruauté qu'il peinait à en croire un seul mot. Il savait que la guerre s'imposait à Loajess comme un art, une institution qui régissait le fonctionnement du Royaume.
Dans son dos, les poings du chevalier tremblaient. Les phalanges écrasées par la pression étaient blanchies et témoignaient de la rage brutale qui l'étreignait. La guerre, ces hommes la vivaient dans le confort et l'opulence de ce château, ils n'en connaissaient ni la peur de mourir ni la douleur.
— Pensez-vous que les hommes qui meurent là-bas approuveraient vos dires ? demanda Artell, sans la moindre provocation, mu de ce sang-froid propre aux soldats de carrière.
— Sauf votre respect, dit le même homme, dont les yeux petits et mesquins brillaient de suffisance et de satisfaction, les états d'âme des soldats ne nous préoccupent guère. Il en va de même de leur opinion, car en réalité...
— J'accepte ! le coupa Lyssandre. J'accepte vos réclamations.
Une fois de plus, il écopa de regards surpris, parfois ouvertement moqueurs, des hommes qui paraissaient mettre un point d'honneur à ignorer sa présence. Plutôt que d'étaler le mépris qu'il vouait au jeune roi, ils préféraient lui laisser entendre que sa présence n'était qu'accessoire et que le jeu subtil de la politique était, pour un môme tel que lui, inatteignable. Lyssandre vida toute l'air de ses poumons en une lente expiration.
Ce silence qui le rongeait, le sien comme celui de ces deux rangées de ministres, d'une part et de l'autre de la table, mortifiait également les autres. Il en joua comme d'une arme et, pour la première fois et bien que cela ne dura pas plus d'un instant, il vécut dans l'illusion de détenir le pouvoir de décision. Il ajouta, d'une voix qu'il espéra suffisamment ferme et convaincante :
— Des subventions seront versés aux soldats que vous avez raccompagnés, général. De même, j'accepte leur retraite anticipée et les gratifie de tout mon respect, je souhaiterais que vous le leur disiez. Quant aux morts, qu'ils soient enterrés dignement et assurez-vous que leurs familles perçoivent une somme qui leur permettra de vivre dignement.
— Bien, Sire, ce sera fait tel que vous en avez décidé.
— Enfin, Majesté, c'est... c'est inconcevable ! se regorgea l'homme dont la virulence égalait presque l'aveuglement qu'il exhibait sans honte.
Lyssandre ignora ses protestations et, malgré l'agitation qui gagnait déjà le conseil, il offrit au général de poursuivre.
— La situation à la frontière est plus grave que prétendue.
— Comment cela est-il possible ? Aux dernières nouvelles, nos positions n'avançaient plus, mais étaient loin d'être compromises.
— Elles ne le sont pas encore, nuança Artell. Les hommes qui sont chargés d'orchestrer les manœuvres, autant les offensives que les replis, n'ont pas souhaité alerter le pouvoir central. Je pense ne pas trop m'avancer en affirmant qu'ils pensaient résoudre et désamorcer la situation par eux-mêmes.
Les généraux de la couronne étaient, pour la plupart, de riches héritiers qui préféraient l'honneur à la vie humaine. Ainsi, sacrifier des centaines de soldats au prix d'une victoire compromise voire impossible leur importait peu. Lyssandre l'avait appris ces dernières heures, alors qu'il regrettait amèrement les années écoulées sans prêter attention au fléau qui pourrissait le Royaume. Il avait découvert un système non seulement corrompu, car les meilleures places revenaient aux mêmes familles qui ne les partageaient pas, mais aussi paralysé.
La guerre formait une entreprise centenaire, peut-être millénaire bien que l'Histoire incomplète de Loajess ne permettait pas de l'identifier. Les techniques et les usages étaient hérités d'une période florissante et riche en progrès technologiques : l'ère dorée, ou âge des miracles. Celle-ci s'étendait de la création de Loajess, estimée à l'an 0, à l'année 162. Tout ce qui excédait cette date, sans doute approximative, semblait ne rien avoir apporté de nouveau. Non seulement ce constat s'avérait désolant, mais Lyssandre y voyait la preuve de la profonde inutilité de cette guerre.
— Quelle la situation exacte, général ? s'enquit le jeune roi.
— Précaire. Nous avons relevé, depuis un mois, une intensification des heurts et des combats, principalement dans la région la plus atteinte : Arkal. Nous ne possédons qu'on estimation, mais plus d'une dizaine de nouvelles zones de conflit se sont ouvertes tout le long de la frontière.
— L'ennemi attaque en masse, c'est typique, commenta Alzar, non sans une touche de préoccupation. Äzmelan n'en est pas à son premier coup d'essai, il sait ce qu'il fait et il connaît nos faiblesses. Si nos effectifs sont réduits, car si le général nous épargne ce détail pour le moins contrariant, il semblerait que cela soit bel et bien le cas, l'ennemi n'a aucune raison de ne pas en profiter.
Le nom d'Äzmelan fut évocateur et pour cause, le roi du Royaume voisin avait été le plus grand ennemi de Soann. Les deux rois, rivaux dans leur charisme authentique autant que par leur génie militaire, s'étaient opposés dans une lutte sans merci. Soann avait finalement succombé à sa maladie et son adversaire de toujours voyait en son héritier un potentiel nouveau rival.
Tentait-il de tester les capacités militaires de Lyssandre ou les savait-il déjà nulles, inexistantes, aussi chimériques que la vie éternelle de son père ?
— C'est juste, admit Artell, à contrecœur.
— Comment ? s'étrangla-t-on. Comment se peut-il que nous n'en ayons pas été informés ? C'est tout à fait scandaleux ! Qu'on fasse venir d'autres soldats s'il en manque, ce n'est pas bien plus compliqué que cela.
— Ces chiens de Déalym profitent de la moindre occasion, maugréa un conseiller, dans sa barbe.
La haine que Loajess vouait à Déalym ne datait pas d'hier non plus. Les décennies écoulaient avaient renforcé la rancœur et l'ennemi était honni pour ce qu'il représentait, pour le fossé culturel qui séparait les deux États, pour tout ce qui constituait son identité. Comme en témoignait la carte dont disposait Lyssandre, Déalym jouissait d'un espace géographique plus étendu. Seulement, la partie centrale du Royaume ennemi était recouverte par un immense désert. Peu de parcelles de terre se révélaient cultivables et si Déalym s'était adapté aux contraintes climatiques et géologiques, Loajess considérait toujours ses habitants comme un peuple peu civilisé. Une population opportuniste, insensible aux notions d'honneur et d'hérédité, véritables piliers du Royaume situé au Nord du continent.
— S'ils atteignent les premières villes de Loajess, ils les pilleront pour aller exposer leurs trésors dans cette croute aride qui leur sert de Royaume.
— Veuillez laisser le général poursuivre, je vous prie, le rappela à l'ordre Lyssandre, que ces prises de parole commençaient à agacer.
— Sauf votre respect, mon roi, vous ne connaissez pas la guerre comme la connaissait votre père. Soann avait prouvé sa valeur sur les champs de bataille et c'est ce qui en avait fait un grand chef militaire.
Lyssandre déglutit. Une pareille remarque flottait dans l'air depuis de longues minutes et il aurait pu s'attendre à l'essuyer à un moment ou à un autre. Il aurait pensé que l'homme qui prendrait la peine de formuler ce reproche, cette réflexion peu délicate, prendrait de plus grande précaution. Celui qui venait de s'exprimer remplissait une tâche quelconque dans le gouvernement du roi et prouvait qu'il ne le craignait pas. Plus encore, qu'il méprisait autant son opinion que sa légitimité à se tenir là au même titre qu'eux. Lyssandre n'avait pas sa place.
— Insinueriez-vous que je ne suis pas digne de prendre part au conseil que je dirige en ma qualité de roi ?
— Non, je vous rappelle seulement que vous n'êtes pas votre père, que le prestige qu'il a amassé n'est pas héréditaire contrairement à la couronne que vous portez. Vous n'avez pas combattu, vous n'avez encore rien gagné.
Ainsi, il s'agissait d'une humiliation en règle et personne ne s'y opposait. Chacun jaugeait, se faisait l'arbitre des paroles échangées et Lyssandre sut qu'il devait se reprendre. Ces paroles douloureuses le heurtaient, mais il ne s'était jamais senti plus prompt à défendre sa légitimité qu'à présent qu'on lui refusait celle-ci. Lui-même n'y croyait pas, il ressentait le besoin de se prouver qu'il méritait de se trouver là, au milieu de nobles étranglés par la certitude de leur toute-puissance. La colère étouffait la peur, capturait l'incertitude pour lui inspirer ces mots :
— Qu'avez-vous gagné depuis votre siège ? La prétention de m'être supérieur ? L'absolue confiance en vos propres qualités ? Avez-vous combattu, vous ?
— À chacun son rôle, rétorqua l'homme, dans un reniflement peu raffiné. Le mien est de me trouver ici, celui des soldats est de mourir pour Loajess.
— Et le mien est de diriger ce conseil et de vous diriger, vous. Tâchez de ne pas l'oublier !
L'intéressé se ratatina sur son siège et Lyssandre, vibrant d'une colère saine, sembla tiré du piège qui lui avait été tendu.
— Poursuivez, ordonna-t-il, l'esprit encore imbibé par la vive émotion.
— Comme j'ai pu le relever, nous manquons d'effectif. Nous avons perdu plusieurs milliers d'hommes ces dernières semaines. Les chiffres sont encore incertains, mais les comptes s'élèvent au bas mot à une perte de plus de 2500 hommes au cours du mois écoulé. Allier à cela l'ouverture de nouveaux fronts et l'intensité des combats, nous ne serons pas en mesure de tenir nos positions bien longtemps si Äzmelan maintient ses offensives à un rythme aussi soutenu.
— Puisons dans nos réserves, il doit bien rester des hommes à mobiliser. Loajess est vaste.
— C'est exact, en convint le trésorier, d'un ton docte, mais nos ressources financières sont limitées.
— Nous sommes ruinés ? demanda Lyssandre, d'une voix blanche.
— Non, Sire, nous ne le sommes pas encore, mais il nous faut trouver une solution qui ne soit pas trop gourmande en moyens ou nous perdrons la guerre.
Cela parut soudain trop catégorique. Il n'y avait pas d'erreurs possibles dans l'exercice de ses fonctions, mais la guerre était plus exigeante que tous les autres domaines, tous intimement liés à elle.
— Avez-vous une explication à cela ? demanda encore Lyssandre. Cela doit bien répondre à une stratégie de la part du roi de Déalym, n'est-ce pas ?
— Je crains que l'ennemi ne prenne votre succession comme une opportunité de remporter cette guerre, Majesté ! exposa Artell, avec gravité.
Lyssandre parut suffoquer, comme si l'oxygène de la pièce avait soudainement disparu. Comme si on comprimait sa cage thoracique jusqu'à empêcher l'air d'y pénétrer.
Äzmelan se jouait de lui. Il le savait moins expérimenté et ces offensives avaient pour but d'humilier son rival, de le décrédibiliser avant qu'il n'ait le loisir de faire ses preuves. Le vieux loup, retranché sur la côte Ouest de son Royaume, près des dunes du désert, attendait tranquillement de voir Lyssandre céder ou s'éteindre.
— Si je comprends bien... Äzmelan profite de ma succession pour tenter de nous écraser en retournant contre nous ce qui nous fait défaut.
À savoir les moyens financiers et la présence d'un roi compétent. C'était clair aux yeux de Lyssandre, limpide même.
— De combien de temps disposons-nous avant que nos troupes cèdent ?
— Approximativement un mois, peut-être deux, si nous ne mobilisons pas davantage d'hommes et de moyens.
— Si je peux me permettre une remarque, je...
— Je vous laisse le soin de la retenir jusqu'au prochain conseil. Vous pouvez disposer, tous. Je vous ferai part de ma décision lorsqu'elle sera arrêtée.
— Majesté, se réécria-t-on. Nous n'avons pas encore...
— Il ne me semble pas avoir sollicité votre opinion quant à ma décision. Celle qui est attendue de moi réclame une réflexion que je souhaite nourrir seule. Je prendrai en compte votre avis sur la question lors de la prochaine réflexion. Pour l'heure, votre précieux éclairement est suffisant.
L'incompréhension et la confusion qui gagnèrent les rangs précédèrent un vaste mouvement vierge de protestations. Lyssandre savait que ses conseillers et ministres les réservaient pour plus tard et il s'étonnait de ne pas avoir davantage entendu le chevalier de son père. Celui-ci s'était contenté d'observer la dynamique de la réunion avec une prudence pour le moins étonnante.
Lorsque la pièce fut vide, qu'elle parut moins étroite aux yeux de Lyssandre, celui-ci se permit un soupir. Un long soupir las, désespéré. Il ne se saurait jamais cru capable de tenir un conseil et il y était parvenu malgré les déconvenues. Pourtant, il ne tirait aucune satisfaction de cette expérience, bien au contraire.
Il se massa les tempes sans parvenir à chasser la migraine qui s'y était installée. Devait-il réellement remplir ce rôle ? Il aurait pu le laisser à d'autres, plus rustres, moins sensibles, plus à même de remplir ce rôle et cette tâche de chaque jour.
— Chevalier ? demanda-t-il, au terme d'un long silence.
— Majesté ?
— J'aurais besoin de votre conseil.
— Je crains de ne pas être à même de vous le donner.
— Au contraire, j'aurais besoin de l'avis d'un soldat et non de celui de ces hommes qui connaissent la guerre autant que moi.
Des prétentieux qui méprisaient ouvertement les moins influents et qui exerçaient leur pouvoir sans rougir lorsqu'ils en dépassaient les bornes.
Dans le dos de Lyssandre, le regard du chevalier se durcissait. Ce fut la seule réaction physique, perceptible, qui lui fut arrachée.
— Ces hommes ne connaissent pas la guerre, lâcha-t-il, et ils auront sans doute le privilège de ne jamais avoir à prendre les armes. Ils ignorent ce que c'est que de combattre.
— Vous qui la connaissez, que feriez-vous ?
— Tout dépend de si vous souhaitez y mettre un terme ou si vous souhaitez lui donner un second souffle.
Le roi se retourna pour contempler le soldat. Pour peu, il aurait pu se montrer bavard. Le sujet l'inspirait, rendait l'injustice si forte, si indéniable qu'il ne pouvait s'empêcher de prendre la parole. Quitte à céder un minuscule bout de terrain et à se dévoiler, pudiquement, avec la crainte de ceux qui ne savaient plus être eux-mêmes à force de nier leur identité. Lyssandre lut, dans la complexité de son regard de lame acérée, un peu de tout cela. Il ressentait l'importance de la question indirecte qui venait de lui être posée.
Souhaitait-il se prêter au jeu sordide initié par ses ancêtres ou tenter d'y mettre un terme ?
— De cette guerre, je ne veux pas.
Le chevalier acquiesça très lentement.
Puisqu'il en était ainsi, il acceptait de devenir un peu plus qu'un rempart, une protection silencieuse, pour le roi. Il acceptait de lui céder quelques paroles, même si cela devait le trahir.
J'ai peu de choses à dire sur ce chapitre qui constitue la suite logique du précédent. Lyssandre demande l'opinion de Cassien et si ça peut paraître dérisoire, ce n'est pas rien venant d'un monarque.
Un dîner se profile donc. Nausicaa sera présente, évidemment, ainsi que son fiancé, Tybalt, et que... sa mère ! Elénaure se joindra à ce repas qui s'annonce mouvementé !
Une belle semaine à vous <3
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