Chapitre 9

Takeshi pensait avoir entendu, au cœur de la nuit, Rê l'appeler. Il aurait aimé lui répondre, mais Jimmy l'avait menacé, et son élève avait dû cesser. A l'heure qu'il était, on devait déjà être le lundi dix et le père de Ho Sang avait dû découvrir l'identité du vieil homme. Il se souvenait certainement aussi bien de son ancien Maître que ce dernier se rappelait de lui.

Le vieux Chinois pensait à ses élèves. S'ils avaient essayé de le libérer une fois, le jour de son kidnapping, ils retenteraient sûrement bientôt. Peut-être que Ho Sang réussirait à parler avec son père et à le convaincre d'arrêter ses kidnappings. Il espérait que Vulcain et Rê ne se disputeraient pas et défendraient Rachelle. Car Jigoro n'abandonnerait pas et recherchait déjà très probablement, à ce moment même, la journaliste.

Takeshi leva la tête afin de mieux écouter les pas qui se rapprochaient de la petite pièce sombre dans laquelle on l'avait enfermé. A travers l'éblouissante lumière de la porte que l'on venait d'ouvrir, il reconnut la stature de son ancien élève, Jigoro.


Rachelle s'assit sur une chaise et aperçut Ho Sang, qui dormait par terre, sur un tapis, en boule. Ses cheveux noirs lui cachaient le visage et son peignoir blanc, trop grand pour elle, trainait à moitié hors du tapis. Mais la journaliste se rendit bientôt compte qu'elle n'était pas la seule à observer la Chinoise ; du haut de son divan, Shinji guettait également les moindres mouvements de la « saleté ».

Damien révisait auprès des deux frères les cours de karaté qu'il avait appris auprès d'Horoku. Il apprenait leur état d'esprit, les deux jeunes hommes ayant été élevés comme en Chine, projetant le respect, la politesse et le courage à l'avant. Puis, Vulcain les laissa et veilla sur le sommeil de sa sœur, assis par terre. Lorsque celle-ci bougea et laissa voir ses jambes, son frère la couvrit d'une couverture bleu nuit avant d'aller cuire du riz pour nourrir leurs hôtes.


Jigoro avait défait les liens de son ancien Maître et s'était assis à côté de lui, tout en l'observant. Il n'avait guère changé ; il était simplement plus vieux. Ils avaient trente-trois ans de différence d'âges et, donc, Takeshi en avait soixante-et-onze. Mais, étant plus vieux, il était également plus rusé et, donc, un meilleur Maître que son ancien élève.

Il aurait dû menacer sa fille de faire souffrir le vieil homme mais, il ne l'aurait jamais fait. Il n'oserait jamais le blesser, il l'aimait toujours autant. C'était lui, après tout, qui lui avait tout appris. Les parents de Jigoro l'avaient eu sur le tard et il les avait perdus à tout juste douze ans. Takeshi était déjà son Maître d'arts martiaux et il avait donc recueilli le jeune orphelin. Quatre ans plus tard, grâce à lui, il avait connu Hinano, l'amour de sa vie. Elle était venue chez le Maître avec ses parents, qui étaient des amis de l'homme. Elle y avait croisé Jigoro, un jeune homme de son âge, qui l'avait tout de suite fasciné par son aptitude à se battre et son courage. Lui, avait été rendu béat par la beauté, la sympathie et l'intelligence qui émanaient de la jeune fille. Deux ans plus tard, le couple se mariait et quittait la Chine pour la Floride, entretenant des relations avec le Maître et la famille de la jeune fille, auxquels ils apprirent qu'elle était enceinte et que, fille ou garçon, ils appelleraient leur enfant Ho Sang. Puis, tout bascula dans leur vie. Il y eut les accusations, le procès, le suicide d'Hinano et la fuite de son mari avec leur fille vers New-York, symbole de liberté.

Jigoro sentit la main de son ancien Maître se poser sur son épaule, comme s'il avait lu dans ses pensées. A présent, l'ancien élève ne savait plus s'il devait relâcher Takeshi ou, au contraire, le garder afin une pression sur Ho Sang et ses « frères ».


David était passé au dojo et, n'ayant vu personne, avait pris avec lui le vieux chien de Shinji, afin qu'il le mène à lui. Il était à présent neuf heures du matin, le jeune tombait de fatigue, mais il ne parvenait pas à stopper sa course vers son ami.

Souvent, le Chinois avait raconté à David que Ho Sang était l'être le plus répugnant et le plus méchant qu'il ait rencontré durant sa vie. Le jeune homme savait à quel point la haine de son ami envers les femmes était profonde mais, avec la Chinoise, elle dépassait tous les stades imaginaires. Il la détestait à un tel point que, lorsqu'elle habitait encore au dojo, et qu'il la croisait dans un couloir, il devait se forcer pour ne pas lui sauter à la gorge. Elle le haïssait au point que son père avait dû plusieurs fois les arracher l'un à l'autre pour ne pas qu'ils s'entre-tuent. Horoku avait raconté qu'une fois, les deux ennemis avaient même fini en sang, griffés, recouverts de bleus et leurs vêtements déchirés.

David savait qu'un combat serait l'unique issue de leur éternelle haine. Mais, même si Jimmy voulait faire des paris sur le vainqueur, il n'était sûr de rien. La taille, l'intelligence et la ruse de Shinji pourrait avoir raison de la Chinoise, mais la force, la ruse et l'imagination de Ho Sang l'aideraient à vaincre le jeune homme. Malgré tout, David était certain de l'égalité de force entre les deux ennemis. Le Maître les avait formés avec la même rigueur, leur avait appris le même courage et, même si la masse des jeunes n'étaient pas la même, leur rancœur était identique.

David observa le vieux chien se diriger vers une série de bâtiments du Bronx. Il le suivit en accélérant le pas.


Ho Sang avait dormi deux ou trois heures et venait de se réveiller. Elle essaya, dans la pièce qui leur servait de salle de bain, des vêtements que lui avait prêtés Rachelle. Comme il faisait déjà vingt-six degrés Celsius, elle choisit un petit short en jean bleu indigo, un débardeur à fines bretelles et des chaussures ouvertes.

Elle sortit de la pièce et prit une serviette propre, qu'elle mouilla, avant de l'appliquer sur la blessure de Shinji. Ensuite, elle attrapa une pomme mûre dans laquelle elle mordit énergiquement. Elle proposa à ses frères de retourner discuter sur le sort du Maître avec son père. Rê lui rétorqua qu'il faudrait surtout faire quelque chose rapidement et intelligemment. Ce à quoi Vulcain répondit :

- Ça va être très dur, pour toi, de faire ça intelligemment !

- Ah oui ? Parce que tu as une idée, peut-être !, s'écria l'autre.

Voyant qu'une dispute était proche, la Chinoise se plaça entre eux et vociféra :

- N'avez-vous pas bientôt fini ? Je vous signale que le Maître est toujours en captivité !

- Ne t'en fais pas, Lóng. Je vais aller rendre une petite visite de courtoisie à ton père, lui lança Vulcain.

Avant même qu'elle ait eu le temps de réagir, il franchit la pièce et sortit du bâtiment. Rê murmura qu'on ne le changerait jamais, et qu'il serait toujours aussi têtu. Ho Sang ne broncha pas, et s'assit sur une chaise après avoir sorti le plan de New-York. Au fond d'elle-même, la jeune fille espérait que Vulcain et son père ne se croiseraient pas.


Horoku se leva lorsqu'il vit s'approcher de lui Jigoro, qui portait à moitié Takeshi sur son dos. Le premier aida son Maître à installer le vieil homme sur un sofa puis se recula pour chercher de quoi soigner le blessé. Lorsqu'il revint, Jigoro l'envoya au dojo, au cas où Ho Sang tenterait de le rejoindre. Le Japonais s'exécuta et partit. Il dût traverser tout Manhattan pour enfin parvenir au dojo. Il fut d'abord surpris de ne pas voir le vieux chien de Shinji mais trouva un mot de David à l'adresse du Maître, expliquant qu'il serait de retour pour le déjeuner. Horoku s'installa dans le jardin, persuadé que Jigoro avait voulu l'éloigner afin de parler avec le vieil homme.


David et le chien continuaient leur marche hasardeuse lorsque l'animal s'arrêta, huma l'air, et se mit à courir entre les bâtiments. Le jeune homme le suivit tant bien que mal et sa course stoppa lorsque le chien entra dans un bloc cimenté et qu'il perçut une voix familière murmurer un « Max », dont l'intonation ressemblait plus à un soulagement qu'à un cri de joie.

Le jeune homme s'approcha sur la pointe des pieds et s'aperçut que Shinji se trouvait dans un canapé. A quelques mètres de lui, debout, Ho Sang observait la scène sans trop comprendre ce qu'il se passait. Mais Rê, qui se trouvait derrière elle, avait analysé la situation et surveillait la pièce, tentant de percevoir le moindre mouvement ou le moindre bruit. Ce fut à ce moment là que David, qui reculait pour rejoindre Jigoro, dérapa. En tombant, il percuta la porte d'entrée et se retrouva à terre, sur le dos, les habitants se regardant, stupéfaits et sidérés. Seul Shinji, profitant de leur étonnement, tenta de leur fausser compagnie et réussissant à se lever et en marchant vers la sortie en s'appuyant sur le mur. Ce fut Rachelle qui s'en aperçut et hurla un « Il s'échappe », d'une voix aigüe qui faillit tous les rendre sourds.

Ho Sang, voyant sa proie partir, lui bondit dessus avec l'aisance d'un léopard, mais ils allèrent tous deux s'écraser contre le mur. En retombant, le jeune homme eut le réflexe de se placer au-dessus et plaqua la Chinoise à terre, en l'immobilisant. Mais la jeune fille contra en l'étranglant. David fut rattrapé par Rê et Damien, et perdit rapidement contre eux.

Le jeune Chinois fut réinstallé sur le canapé, tandis que son ami se trouva par terre. Rê leur attacha les mains et envoya Ho Sang avec Rachelle et Damien, qui voulaient sortir.


Vulcain se trouvait devant le dojo de Jigoro. Dans le jardin était installé un homme, dont Vulcain ignorait s'il s'agissait de Jigoro. Lorsqu'il l'aperçut, l'homme lui ordonna de leur rendre Shinji. Vulcain rétorqua qu'il ne l'échangerait uniquement que contre le Maître.

Horoku prit son téléphone et informa Jigoro de la situation. Après avoir fini sa conversation, il proposa au jeune home de les rejoindre au bâtiment où était détenu Takeshi, à une heure du matin. Vulcain ne répondit pas, mais tourna les talons et repartit.

Sur son chemin pour rentrer chez lui, il croisa sa sœur, Rachelle et Damien et les accompagna vers Battery Park, tout en leur expliquant l'échange qu'il venait d'avoir. Soudain, Damien se retourna, ayant l'air de chercher quelque chose. Les deux autres comprirent presqu'aussitôt que Ho Sang venait de leur fausser compagnie.

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