Chapitre 6

Vulcain en était sûr à présent, on avait bien kidnappé le Maître. Et le seul à avoir pu le faire était Jigoro Yoshikawa, car Ho Sang venait de se rendre compte qu'elle avait perdu sa photographie. Vulcain savait qu'en réalité c'était son père qui le lui avait prise. Peut-être pour récupérer Rachelle et pouvoir, ainsi, la tuer. Mais, s'il l'assassinait, il devrait battre les deux jeunes hommes, Damien, et voir sa fille les rejoindre. Qu'avait-il donc à cacher au monde ? Un passé de tueur en série ? Non, il ne le pensait pas. Plutôt celui d'un homme heureux, cassé par quelqu'un ou quelque chose. Mais Ho Sang, malgré tout l'amour qu'elle portait à son père, avait dû avoir une bonne raison pour le quitter. Et lui, l'avait certainement recherchée durant plusieurs années, avant qu'elle ne réapparaisse.

Il se tourna vers Rê, qui pensait au Maître. Il espérait également que Ho Sang, qui était partie voir son père, obtiendrait de celui-ci qu'il relâche Takeshi. Elle venait de les quitter quelques minutes auparavant pour trouver le Chinois et discuter avec lui. Mais, le convaincre ne serait pas facile, même pour elle. Pour une raison inconnue, il voulait se débarrasser de Rachelle et les jeunes hommes ne pouvaient l'en empêcher qu'en restant ensemble. Car, ils le savaient et l'avaient dit, la jeune Chinoise n'arriverait pas à faire libérer Takeshi.


Jigoro et Shinji étaient rentrés au dojo pour faire travailler une trentaine de jeunes au karaté et une cinquantaine au judo. Ils s'étaient donc dirigés vers leurs chambres pour revêtir leurs kimonos. Lorsqu'ils revinrent, quelqu'un les attendait, vêtue de son éternelle combinaison, assis en tailleur sur un tatami. Le Maître passa devant Shinji et se dirigea vers l'individu, qui se dressa sur son mètre cinquante-sept et le regarda de ses yeux ébènes.

Shinji regardait, de loin, Ho Sang et son père. Ils se tenaient face à face, à environ un mètre d'écart, sans bouger, les yeux dans les yeux. L'homme, avec son kimono blanc bien repassé, sa natte soyeuse et son mètre quatre-vingts paraissait beaucoup plus fort et soigné que la Chinoise, avec sa crinière emmêlée et son vêtement chiffonné.

Le Maître décortiqua des yeux sa fille, avant de lui demander :

- Depuis combien de temps n'as-tu pas repassé tes habits ?

Sa question fit sourire Ho Sang, d'un rictus ironique et moqueur, qui répondit :

- Longtemps. Et maintenant, à moi de te poser une question : pourquoi as-tu kidnappé le Maître, père ?

- Pour récupérer la journaliste, ma gosse.

- Mais pourquoi la tuer ? Elle n'avait rien découvert, mais maintenant elle chercher ton passé, notre passé !, s'énerva-t-elle.

Son père avait mis son bras autour de son cou et l'entraînait hors du dojo, dans le jardin. Elle demanda à son père :

- Où se trouve le Maître, que j'aille le chercher ?

- Tu tiens tellement à lui, et aux deux Noirs ?

- Oui, ce sont mes amis, ma famille. Tout comme toi ou Rachelle Brown. Je les aime. Peut-être moins fort que toi, mais autant, répondit-elle, d'une voix tremblante.

- Je ne peux pas, soupira-t-il, après quelques secondes d'hésitation. Je ne dois pas les laisser vivre. Pense à notre passé, notre présent, notre avenir !

- Mais penses-y, toi-aussi !, rétorqua-t-elle en levant le ton. Si tu promets de ne plus rien faire à la journaliste et de la dédommager, je peux essayer de lui faire comprendre qu'elle doit se taire et cesser ses recherches ! Il faudrait que nous ayons, enfin, une vie normale ! Tu es comme tous les hommes, tu es bon naturellement !

Jigoro ne reconnaissait plus sa fille. Elle avait vieilli, ce n'était plus l'innocente enfant pensant que la société était bonne, mais une jeune fille mûre, presqu'adulte par la pensée, étant certaine que la vie et la mort se valaient, dont les cris étaient « Amour » et « Liberté », et qui réfléchissait d'après les essais de philosophie et par la haine. Comme lui. Comme il était devenu après la mort d'Hinano. Et comme il aurait espéré que sa fille ne devienne jamais.

La jeune fille, comprenant que son père ne céderait jamais, s'éloigna lentement. Aussitôt, son père la rattrapa et lui saisit le bras. Elle se retourna lentement et le regarda dans les yeux avant de soupirer tristement, d'une voix qui n'était pas la sienne, douce, résignée :

- Laisse-moi, père. C'est parce que je t'aime que je veux partir.

- Ce n'est pas une preuve d'amour, Ho Sang.

- Si, père. C'est pour ne pas un jour risquer de te haïr que je m'éloigne de toi. Tu retiens le Maître, alors attends-toi à recevoir la visite de ses élèves. Pars pendant que tu le peux, dit-elle, d'un ton plus sévère. Je ne veux pas que tu sois blessé.

- Tu sais très bien que je ne partirai jamais.

Ho Sang ne répondit pas et il lâcha son bras. Elle repartit vers le dojo, croisa Shinji qu'elle regarda fièrement, froidement, et sortit. Elle ne savait que faire...


Horoku se retourna et vit entrer Shinji, qui alla s'asseoir dans un coin du dojo, en tailleur, les yeux dans le néant. Sans doute maudissait-il Ho Sang d'être née. Horoku n'avait jamais eu de préférence entre les deux enfants. Shinji avait été un garçon maltraité et avant connu la souffrance, autant que la haine, avant son arrivée au dojo. Il était devenu un jeune homme fort, musclé, impressionnant, aux yeux gris métal et au sourire satanique, comme Jigoro. Il avait tout de suite voulu ressembler au Maître. Ce dernier l'impressionnait, tant par sa force que par son soin. Shinji pouvait être à la fois méchant que sympathique. Avec Horoku ou les autres élèves, il ne craignait rien, il les avait tous battus. Le Maître, il ne cherchait pas à le dominer, il le respectait trop pour cela, lui devant tout. L'homme le considérait comme son fils, au même titre que Ho Sang. Lóng. Elle était un véritable problème. Une enfant qui avait toujours vécu avec son père et avait détesté Shinji dès son arrivée. Il est vrai que le jeune homme haïssait les femmes mais la jeune fille, elle, veillait jalousement sur son père. De plus, aucun des deux n'avait jamais réussi à vaincre l'autre, ce qui avait donné un effet compétitif à leur relation agressive.

Ho Sang avait découvert que son père avait tué lorsqu'elle avait neuf ans. Cela lui avait fait un choc, ce que Shinji n'avait jamais eu car, étant plus vieux, il l'avait su avant elle, Jigoro le lui ayant expliqué. La fillette ne leur avait jamais pardonné ce qu'elle considérait comme un manque de confiance de la part de son père. Horoku avait bien tenté de la faire revenir, mais un homme l'avait aidée et il avait perdu contact avec elle. Et maintenant, après neuf ans d'absence, elle réapparaissait mystérieusement, avec des réflexions philosophiques, une haine contre certaines personnes, le même amour pour son père et le mot « Liberté » à la bouche.

Lorsqu'Horoku cessa sa réflexion, les élèves combattaient toujours et il les arrêta, avant de les envoyer se changer et de les regarder partir. Il sentit soudain un souffle chaud et moite derrière lui. Il se retourna à temps pour voir passer Shinji, qui retira sa veste de kimono pour s'entraîner avec David, son seul ami, élève de Jigoro.


Takeshi sentit un filin de sang couler le long de sa joue. Quelle brute, cet Horoku. L'avoir frappé avec un point américain parce qu'il ne voulait pas dire son nom puis l'abandonner, encore une fois, dans le noir, c'était là une preuve de son manque d'éducation. Mais, cela ne l'étonnait pas, il connaissait trop le caractère de Jigoro. Il avait bien connu ce dernier. Il avait vécu auprès de lui pendant des années, en Chine, jusqu'à ce que l'homme et Hinano ne partent pour les Etats-Unis. Ils avaient trouvé, lors de leur voyage de noces, ce continent merveilleux et avaient donc décidé de s'installer en Floride. Déjà presque vingt ans que Jigoro était en Amérique. Takeshi, lui, s'y était installé six mois après, et ils avaient toujours eu de bonnes relations. Jusqu'à l'arrestation d'Hinano. Cette si fragile Hinano...


Rachelle faisait du thé lorsque son frère rentra au bâtiment et apprit aux deux frères qu'il n'avait pas réussi à trouver Takeshi, mais qu'il était presque sûr que lui aussi se trouvait au Bronx.

- Pourquoi dis-tu cela ?, demanda Rê.

- J'ai entendu Shinji parler à Horoku d'un bâtiment dans le Bronx.

Ho Sang arriva à ce moment précis. Elle fit signe à ses frères de venir vers elle, un peu à l'écart des deux autres, et leur fit un compte-rendu de la discussion avec son père. Vulcain lui demanda aussitôt si elle savait où pouvait se trouver Takeshi. La jeune fille, après quelques minutes de silence, répondit que son père avait vécu dans de vieux hangars abandonnés du Bronx. Les trois jeunes gens se saisirent d'un plan de la ville, qu'ils étalèrent sur la table. La jeune fille leur montra où se trouvaient ces bâtiments, en réalité relativement proches de celui dans lequel ils logeaient. Damien approcha, leur annonçant que lui aussi serait de la partie, bientôt suivi par sa sœur. Rê commença à voir germer un plan dans son esprit...

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