Chapitre 3

Ce fut la pluie qui me réveilla. Des grosses gouttes qui s’écrasaient contre les fenêtres. Le tonnerre qui déchirait le ciel. Une soudaine irritation contre ce temps de merde me saisit, et j’eus envie d’insulter le ciel. Le matelas était si mou, il me donnait envie de m’y enfoncer pour ne jamais émerger. Dormir. Je voulais dormir.

Quelque chose bougea à côté de mon bras. L’envie d’ignorer ce détail et de replonger dans le sommeil ne manquait pas, mais ma curiosité fut plus forte. Mes paupières se décolèrent, j’écartai des mèches de mon visage.

— Bordel de merde.

La panique me fit redresser d’un seul coup. J’étais nue. Nue. Et lui aussi, Connor Hustings, affalé sur le ventre, la gueule enfarinée. S’il y avait eu Ash à sa place, ok, j’aurais accepté, mais lui. Lui, merde. J’inspectai la chambre et m’aperçus avec horreur que je ne connaissais pas les lieux. Il y avait des fleurs, des coquelicots, un peu partout, à savoir pourquoi des fleurs. Les rideaux cachaient à moitié la fenêtre, mais pas suffisamment. Je tirai sur le drap déjà défait pour m’enrouler dedans. Connor dormait encore. Qu’il dorme. Profondément. Pour toujours. Je marchai sur la pointe des pieds jusqu’à la porte et déclenchai la poignée le plus discrètement possible. Dans le couloir, pas âme qui vive. Je n’avais absolument aucune idée d’où je me trouvais, mais j’aperçus un téléphone contre le mur. Si j’appelais Joyce, que je le suppliais de me récupérer ? Ash deviendrait furieux s’il savait comment je m’étais retrouvée chez les - je supposai- Hustings. J’aurais plus de chance de lui expliquer face à face. Oui, tu vois, j’ai fumé le crack de Connor et je me suis réveillée dans son lit le lendemain, c’était pas ma faute. Ok non, j'allais devoir réfléchir à autre chose.

Je m’apprêtais à prendre le combiné quand une voix résonna dans mon dos.

— Candice ! Déjà réveillée ?

Bella buvait un smoothie avec une paille, une chemise longue sur les épaules, cachant à peine sa culotte. J’allais qualifier ça de “grossier” quand je me souvins de ma propre tenue.

— Euh… ouais.

— Tu veux quelque chose à déjeuner ? J’ai des corn-flakes.

Ben oui, c’était le moment parfait pour manger des corn-flakes.

— Non, ça va, dis-je un peu trop précipitamment. Je… tu… tu sais ce qui s’est passé ?

La réponse me faisait peur, mais j’avais vraiment besoin de savoir. Une petite voix intérieure ricana “nue dans le lit d’un gars, devine princesse”. Mais peut-être qu’il y avait eu un autre scénario. Tout était possible.

— T’as couché avec Connor.

Raté.

Je dus blêmir, parce qu’elle éclata de rire.

— Pas la peine de faire cette tête, ton mec le saura pas si ça peut te rassurer.

— C’est… c’est pas ça le problème, dis-je, assez frustrée, en passant une main dans mes cheveux emmêlés.

— Alors c’est quoi ?

— J’ai jamais voulu coucher avec lui.

— T’as eu l’air d’apprécier, hier.

— J’étais shootée, m’énervai-je.

La porte de la chambre s’ouvrit. Connor fit son entrée, torse-nu, les sourcils froncés par le vacarme. Quand il m’aperçut, un éclat de moquerie passa dans ses iris, sûrement à cause du drap enroulé autour de mon corps.

— Salut, fit-il d’une voix marquée de sommeil.

— Je me casse, déclarai-je brusquement, pressée de quitter cette maison.

— Oh oh, me retint Bella en agrippant mon avant-bras, pas la peine d’en faire toute une scène, ok ?

Je cherchai à me dégager mais sa prise était étonnamment ferme. Connor fit fonctionner la cafetière, comme si tout ça ne le concernait pas.

— Faut que tu te détende, reprit-elle. Connor ? Passe-moi une clope s’il te plaît.

Son frère abandonna la cafetière pour aller dans le salon. J’avais juste envie de partir. Retourner chez moi, prendre une douche et m’enfouir sous les draps pour terminer ma nuit. Je n’avais aucune idée de l’heure qu’il était.

— Lâche-moi, lâchai-je d’une voix sourde.

J’aurais pu me débattre à deux mains, mais il fallait que je tienne le drap pour ne pas me retrouver nue. Connor revint avec une cigarette. Bella la plaça entre ses lèvres, son frère l’alluma pour elle. Moi qui pensais qu’elle allait en rester là, elle prit juste une inspiration et me força à en faire de même, me collant contre elle pour mieux me maintenir. J’eus envie de lui hurler de me laisser tranquille, d’arrêter de me fourrer des merdes dans les poumons, mais la fumée eut déjà l’effet attendu. Après la deuxième taffe, la panique se dissipa un peu.

— Allez, détends-toi. Si t’arrête de t’imposer tes limites, tu te rendras compte qu’il n’y a rien de terrible, et qu’au final, c’était cool.

Je ne voyais pas vraiment ce qui était “cool”, mais si elle le disait… Connor était appuyé contre un meuble de la cuisine et me contemplait sans aucune expression. Bella porta la cigarette à moi jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. Je me sentais beaucoup plus légère, plus apaisée. C’était mieux, elle avait raison. Se détendre et relativiser.

— Assieds-toi.

Elle me poussa vers le canapé où je m’installai, resserrant le drap autour de ma poitrine. Connor était resté dans la cuisine. Bella posa ses pieds sur la table basse et fumait sa propre clope.

— T’as un mec, je comprends. Tu l’aimes, ok. Mais ça t’empêche pas d’avoir du plaisir autre part. Rien ne t’en empêche.

— C’était juste pour le plaisir de Connor, là, me rebellais-je mollement. Vu comme j’étais shootée.

— Ok, et alors ? Est-ce que ça t’a traumatisée ? Non, puisque tu ne t’en rappelle plus. Tout le monde est sorti gagnant-gagnant de cette affaire.

La fumée s’échappa de ses lèvres rondes et s’éleva au-dessus de sa tête.

— Les limites de l’être humain sont passionnantes, continua-t-elle. C’est drôle de vous voir vous retenir, d’obéir à vos règles stupides. Mais ce qui est vraiment passionnant, c’est d’atteindre le summum de l’âme. Pas les “j’ai trompé mon mec”, mais les vraies limites de l’être humain, celles dont on a tous honte.

— C'est-à-dire ?

— Ce qu’on serait capable de faire si aucune barrière n’existait.

L’éclat dans ses yeux me fit presque peur. J’hésitai entre la qualifier de dérangée et d’intelligente.

— Des choses terribles, dis-je.

— Exactement.

J’aurais voulu la croire folle, terrifiante même, mais j’éprouvai plutôt de l’admiration. Je n’avais jamais pensé à tout ça, mais elle avait raison. La question qui l’obsessionait, c’était “quelle est la vraie nature de l’être humain” et je n’avais aucune réponse à ça. Personne n’en avait.

— Et comment comptes-tu le découvrir ?

Elle eut un petit sourire.

— Nous sommes nos propres expériences, Candice. Nous ne vivons que pour nous découvrir nous-même. Certains se retiennent, d’autres cherchent les extrêmes. Connor et moi faisons partie de la deuxième catégorie.

Je jetai un coup d'œil à son frère qui buvait son café en nous observant de loin. Croisant son regard, je me détournai immédiatement.

— Ça a l’air très… intéressant, avouai-je avec un raclement de gorge.

Son sourire me réconforta.

— Ravie que l’idée te plaise.

On aurait dit une sorte de “bienvenue dans le club”. Qu’elle ne se méprenne pas, je n’avais aucune intention de coucher une seconde fois avec Connor.

— J’aimerais rentrer chez moi.

— Ouais, bien sûr. J’ai posé des robes pour toi dans la salle de bain, t’as qu’à en mettre une et emporter les autres.

— Super, merci.

Je m’enfermai dans la salle de bain et inspectai les robes de Bella. Une verte aux manches bouffantes, une autre blanche à la ceinture étroite. Elles étaient magnifiques. Il y en avait même une du style années 50, magnifique avec sa jupe aux détails fleuris. Elle était un peu vieillotte, certes, mais ça me plaisait quand même. J’optai pour la blanche et me coiffai avec une brosse que je trouvai dans le meuble de l’évier. Bella m’avait laissé des sous-vêtements à elle et je récupérai les miens dans la chambre, fourrant le tout dans un sac en plastique trouvé sous un tabouret. Connor se proposa pour prendre la voiture et me ramener. J’habitais seulement à deux rues d’ici, mais il pleuvait des cordes et je n’avais pas envie de finir trempée. Sa présence me rendit nerveuse dans l'habitacle. Heureusement, il monta le volume de la radio et ne prononça pas un mot. Il s’arrêta devant mon portail.

— T’es vraiment une fille chouette, Candice, dit-il au moment où je m'apprêtais à activer la poignée. J’ai vraiment hâte de te connaître.

— Tu connais déjà mon corps, ça devrait suffir pour l’instant, répondis-je d’un ton cassant.

Je claquai la portière et aperçus son expression contrariée à travers les gouttes qui se déversaient sur la vitre. Qu’il aille se faire foutre. Si j’aimais bien la réflexion de Bella, j’étais toujours en colère contre lui. Je dus courir pour échapper à la pluie, même si le dessus de mes cheveux gonfla sous l’humidité. La télé fonctionnait quand j’entrai dans la maison, la voix de l’actrice de la pub Coca-Cola flottait jusqu’à l’entrée. Mais je n’eus pas le temps de savoir si mon père la regardait ou pas que celui-ci débarqua avec le fusil dans les mains, prêt à surgir hors de la maison pour tirer sur la voiture qui venait de me déposer.

— C’est lui, hein ? tonna-t-il.

— Non ! m’exclamai-je en m’interposant entre lui et la porte. C’est… c’est un ami avec qui j’ai passé la soirée.

Il me dévisagea à travers ses épais sourcils bruns.

— Sale petite menteuse, siffla-t-il.

— Papa, arrête à la fin ! J’ai vingt-et-un ans, merde !

— Ne me parle pas comme ça !

J’eus seulement le temps de voir la crosse du fusil s’abattre sur moi. Une douleur pénétra à l'intérieur de ma joue. Un hurlement s’échappa de ma gorge. Je me retins grâce au mur et clignai des yeux pour effacer les points noirs qui m’aveuglaient. J’allais mourir. Ce fut la seule pensée capable de traverser mon esprit.

— Si je te revois une nouvelle fois avec ce petit connard, je t’enferme dans ta chambre jusqu’à ce que je te trouve un mari riche qui saura te redresser !

“Riche”, c’était son mot préféré. Je titubai jusqu’à la cuisine, reprenant mon souffle. J’avais l’impression d’avoir un poignard enfoncé dans ma pommette. La douleur s’éparpillait jusque dans ma gorge.

— Tu veux le buter juste parce que t’as pas pu le faire avec le mec qui a emmené maman, murmurai-je en me tenant la joue.

— Qu’est-ce que tu dis ? Qu’est-ce que j’ai entendu ?

— T’as très bien entendu.

La gifle claqua sur ma joue. Je manquai de peu de me prendre l’angle du mur. Ma seule consolation fut qu’il n’avait pas visé ma pommette meurtrie. Il empoigna mes cheveux. Je hurlai pour qu’il me lâche, qu’il me foute enfin la paix. Il me traîna jusqu’à ma chambre et me jeta dedans, sans aucun ménagement.

— Tu resteras là jusqu’à nouvel ordre ! cria-t-il, le fusil toujours en main.

La porte claqua si fort que les vitres tremblèrent. Le verrou retentit. Puis il y eut le calme. J’étais certaine qu’étant majeure, m’enfermer revenait à de la séquestration. Peut-être que si je plaidais ma cause dans un tribunal, je pourrais me venger.

Je me relevai, échappant quelques jurons au passage. Mes deux joues me lancinaient, une plus que l’autre tout de même. Je n’osai même pas toucher celle atteinte par la crosse. Je ne pourrai pas dormir sur le côté pendant plusieurs jours. De rage, je m’emparai d’un livre et le jetai contre le mur. Un bouquin hérité de ma mère avant qu’elle ne nous abandonne lâchement, sept ans auparavant. J’eus envie de le brûler.

Mon père avait fermé la porte à clef, mais il avait oublié qu’on vivait dans une maison plein-pied. Ouvrir la fenêtre était beaucoup plus simple que passer par la porte d'entrée. La douleur m’obligea à m’asseoir quelques minutes, mais j’avais la ferme intention de partir avant midi. La pendule accrochée au-dessus du lit m’informa qu’il était dix heures et demi.

Un bruit sourd contre la fenêtre me fit sursauter. C’était peut-être un oiseau qui s’était pris la vitre en plein vol. Ça arrivait souvent, par ici. Une fois, il y en avait même un qui l’avait cassée, et mon père avait pesté tout ce qu’il savait contre l’espèce animale. Le choc avait tué la bête.

Simplement pour m’assurer que mon hypothèse était véridique, j’ouvris les battants. Manqué. Le visage d’Ash m’apparut aussitôt.

— Tu fous quoi ? T’avais un service à prendre à huit heures.

Gorgie pouvait bien faire son service tout seul. J’avais d’autres chats à fouetter.

— T’as quoi à la joue ?

— Chut, mon père va t’entendre.

Je vérifiai que la porte était toujours bien fermée et qu’il n’y avait aucun bruit derrière.

— Candice, t’as quoi à la joue ? insista-t-il, le front plissé.

— Je prépare mes affaires et je te rejoins.

— Joyce est devant avec sa Cadillac.

Ses paroles me congelèrent.

— Oh, merde.

Mon père le remarquerait, il gueulerait aussitôt et, qui savait, peut-être qu’au lieu de la crosse, il me frapperait avec le canon et viserait en même temps. Je n’avais pas le temps de préparer quoi que ce soit. Je pris juste les robes de Bella, deux tee-shirts, un short et un maillot que je fourrai dans les bras d’Ash avant de sauter par dessus la fenêtre.

Après seulement deux pas, je dus revenir pour reprendre des culottes et mon rouge à lèvres fétiche, même si Ash me pressait de me bouger le cul parce que la pluie était en train de le tremper. Moi je ne pensais pas à la pluie, plutôt à l’homme qui était capable de le tuer lui et de me séquestrer à vie. On se mit à courir jusqu’à la Cadillac, et étrangement, ce fut le plus beau moment de mon existence. Les cheveux se plaquant peu à peu sur mon crâne, la nécessité absolue de courir pour sauver ma peau et celui de mon copain. L’adrénaline de la vie. Nous sommes nos propres expériences, Candice, avait dit Bella. Je compris tout à coup ce qu’elle voulait dire. Le sens de sa philosophie, son envie profonde de vivre cette adrénaline éternellement. Certains se retiennent, d’autres cherchent les extrêmes.

La porte d’entrée s’ouvrit à la volée quand je m’engouffrai dans le véhicule.

— Démarre, vite ! m’écriai-je à Joyce.

Celui-ci devint blême quand il aperçut dans son rétroviseur ce que mon père avait dans les mains.

— Non mais c’est un cinglé ! s’étrangla-t-il en appuyant sur l’accélérateur.

Les pneus patinèrent sur le goudron humide. Un énorme “pam” cogna la carrosserie de la voiture tandis qu’on démarrait au quart de tour.

— Ma Cadillac putain ! cria-t-il. Il a tiré sur ma Cadillac !

Il y eut un deuxième tir qui fusa l’air, mais rien ne nous percuta. Puis on fut assez loin pour se sentir sains et saufs. Joyce avait le souffle saccadé, jetant un coup d’oeil dans les rétroviseurs toutes les cinq secondes. Je m’affalai contre le dossier, tout à coup épuisée. Ash avait laissé mes vêtements sur le siège du milieu.

— Je lui ferai payer la peinture, tiens, pesta Joyce.

— Il t’enverra chier, fis-je en tournant ma tête vers le paysage.

L'océan était gris, sous la tempête. La pluie floutait la vue. Le doigt d’Ash toucha mon menton et m’obligea à le regarder. Il passa son index sur ma pommette.

— La crosse du fusil, confessai-je.

Joyce échappa un rire nerveux, se demandant sûrement si on vivait dans le même monde. J’aurais aimé avoir des parents comme lui qui me lanceraient du fric tous les mois et m’offriraient des voyages à l’autre bout du monde, tout en m’appelant “chérie” cent fois par jour. Mais dans ma réalité, mon père m’appelait “salope” et me frappait avec une batte de baseball. Au fond, c’était juste une question d’habitude. Si je changeais de famille, j’étais certaine que la violence finirait par me manquer.

— Ça te fait mal ?

— Non, c’est super agréable, raillai-je.

Joyce ne prononça pas un seul mot jusqu’à notre arrivée devant le bar de Gorgie. Celui-ci me jeta un regard noir, mais il s’adoucit aussitôt quand il inspecta mon visage. Heureusement que j’avais pris la crosse dans la face ou j’aurais essuyé une belle engueulade.

Luke s’était occupé du service en mon absence et parlait avec Jacky. Je me demandais quel pouvait bien être le sujet de conversation de Jacky, mais bon, au final, il n’y avait que Luke pour pouvoir communiquer avec lui. Je passai le reste de la journée à aider Luke dans son service, espérant toucher la même solde que lui. Ma pommette me lançait toujours autant, un mal de tête s’immisça sous mon crâne mais je tins bon. L’officier Eytler passa récupérer son café Americano, il y eut plusieurs clients ce qui m’occupa l’esprit. À la fin de la journée, j’étais épuisée et préoccupée par mon problème actuel - où allais-je bien pouvoir vivre à présent.

Joyce était resté à l’arrière boutique. Quand je m’installai à côté de lui sur le canapé, il me tendit une liasse entière de billets.

— Pour t’acheter des fringues. Je suppose que tu ne retourneras pas chez toi.

— Merci, soupirai-je de soulagement en l’embrassant sur la joue.

Ash était assis par terre, une bière dans la main. À côté de lui s’amoncelaient mes robes.

— Qui t’a donné tout ça ? demanda-t-il.

— Bella.

— Et quand est-ce que tu les as récupéré ?

Je sentai la merde venir depuis des kilomètres. Il se posait des questions. J’allais devoir être maligne. Lui raconter la vérité était exclu à présent, j’avais trop peur qu’il se fâche et me laisse nul part où me réfugier.

— Je suis passée chez les Hustings ce matin. C’est quand je suis rentrée que mon père a pété un plomb, il a cru que c’était toi qui m’avait déposé.

— C’était qui ?

— Connor.

J’avais l’impression de subir un interrogatoire à la Eytler.

— C’est Connor aussi qui a insisté pour te ramener, retorqua-t-il avec un air sombre. T’étais trop shootée pour te rendre compte de quoi que ce soit. Ton père aurait pété les plombs bien avant ce matin. Alors ne me prends pas pour un con, Candice.

Mon cœur se mit à frapper plus fort. Ash était trop intelligent pour ce genre de mensonge.

— Où t’a emmené Connor hier soir ? insista-t-il, ses phalanges devenues blanches autour de la bouteille.

J’avais du mal à respirer. Les larmes montèrent et je détestais pleurer. Mais c’était beaucoup en une journée et je sentais ma poitrine gonfler, gonfler, menaçant d’éclater à tout moment.

— Candice.

— Attends, tu vois pas qu’elle est pas bien là ? l’interrompit Joyce.

— Elle est pas bien parce qu’elle me ment, grinça-t-il. Alors ?

— Je ne m’en souviens plus, confessai-je, la gorge étroite. Tout ce que je sais c’est que… je… je me suis réveillée nue dans le lit de Connor, ce matin.

La bouteille s’éclata contre le mur. J’aurais voulu mourir, m’enfoncer sous terre, me creuser ma propre tombe. Quelle journée de merde. Ash était debout à présent, imposant dans sa fureur avec des yeux qui semblaient vouloir m’assassiner.

— Je n’ai jamais voulu ça, enchaînai-je pour bien lui faire comprendre ma situation. Et j’ai de suite voulu partir, je suis toujours en colère contre lui et…

— En colère contre lui ? s’écria-t-il, les poings serrés. C’est tout ? Putain Candice, moi j’ai carrément envie de le buter là.

— C’est avec quoi que tu t’es shootée ? demanda doucement Joyce qui avait sa main sur mon dos.

— C’est pas moi. C’est lui qui m’a donné du crack.

J’étais peut-être une balance, mais j’avais pas envie de perdre Ash à cause de cette histoire dont je n’étais même pas coupable. Mes mains tremblaient. Je ne m'en étais pas aperçu avant.

— Il a violé ma copine, murmurait Ash, ses mains sur sa tête. Il a violé ma copine, je vais le buter.

Le mot “violer” me faisait peur, je préférais ne pas l’employer. Alors je me levai et posai mes deux mains sur son torse. Il aurait pu réagir violemment et me faire du mal, Ash avait parfois des tendances agressives quand il était stressé, mais il se retint à temps et posa juste ses mains sur mes hanches.

— Pourquoi tu ne m’as rien dit, hein ?

— J’avais peur que tu le prennes mal.

Il enroula sa main autour de ma taille et réfugia sa tête dans le creux de mon épaule.

— Tu es à moi, Candice, étouffa-t-il contre ma peau. Je ne laisserai plus personne te toucher.

Et je réalisai soudainement combien Bella avait été intelligente. Comment elle avait commencé son expérience avec nous. Connor avait couché avec moi, et elle savait pertinemment que j’allais tout balancer. Elle voulait observer les conséquences. Les analyser. Voir jusqu’à quel point Ash deviendrait possessif, jaloux, se dirigerait droit vers les extrêmes qu’elle adulait tant. Nous étions ses rats de laboratoire, et le produit venait tout juste d’être administré.

Je ne sais pas si ça relève de l’idiotie ou juste de la curiosité, mais sans vouloir me l’avouer à moi-même, je voulais moi aussi savoir où tout ça nous conduirait. Jusqu’où l’être humain était capable d’aller pour sauvegarder son intégrité et celle des personnes qu’il aimait. Alors je ne dévoilai rien à Ash de notre conversation, je le laissai se noyer dans sa rage. Je me sentis plus proche de Bella, proche également d’une vérité que personne n’avait découvert jusque-là.

C’était une connerie, une belle grosse connerie, mais à ce moment-là, je ne le savais pas encore.

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