4.1 Fabriquer sa propre chance - Cassie
Les mains tremblantes, je détaille le contenu de mon porte-monnaie. J'en ai le cœur serré. Une profonde colère contre moi-même gronde à l'intérieur. On est mal. Vraiment mal. Et je n'ai encore trouvé aucun plan B. Je n'aurais jamais cru que mes économies s'épuiseraient aussi vite. À ce rythme, je serai à sec d'ici un ou deux jours. Toute ma paie de septembre y est passée et la prochaine n'arrivera que dans vingt-cinq jours. Je n'ai plus d'autres choix que de régler ce problème une bonne fois pour toutes, quitte à employer la force. Je détaille la petite trousse à outils que j'ai achetée à la quincaillerie du coin ainsi que la perceuse sans fil qui m'a coûté un rein. J'espère que ce sera suffisant.
Un bruit en provenance de la salle de bain me fait sursauter. Je referme en vitesse ma petite besace et planque le tout dans mon sac de cours. Jake ne va pas tarder à sortir. La dernière chose dont j'ai envie ce matin, c'est d'alerter mon petit frère sur la situation merdique dans laquelle nous nous trouvons. Je lui ai assuré que le problème était en voie de résolution, ce qui est totalement faux. Assise sur le matelas ultra dur de notre chambre d'hôtel bas de gamme, je plonge mon visage entre mes mains, puis je pousse un long soupir. C'est mon rôle d'aînée de veiller à sa sécurité et à son confort... et j'ai complètement foiré.
Je dois absolument réussir à déverrouiller cette porte aujourd'hui. Je suis retournée à l'appartement de ma grand-mère tous les jours et il y avait constamment quelqu'un à l'intérieur. J'espère avoir plus de chance aujourd'hui. Abuelita, du temps où elle se souvenait encore de moi, répétait souvent qu'on fabrique notre propre chance. C'est exactement ce que je m'apprête à faire. Je vais prendre le taureau par les cornes et lui botter le cul.
— Tu te souviens que tu as rendez-vous avec Bill à 8h précise ? demandé-je à Jake à travers la porte de la salle de bain.
— Ouais c'est bon. Je gère, grommelle-t-il.
— La dernière fois que tu m'as sorti cette phrase, tu es arrivé en retard. Je dois sortir pour régler un truc. Je ne suis pas sûre d'être à l'heure à ton entraînement.
Mon frère entrouvre la porte et sort sa tête encore humide par l'interstice. Un nuage de vapeur s'échappe de la pièce par la même occasion, il agite sa main pour le dissiper.
— Il n'est que 7h30 du mat, tu vas où ?
— Je vais tenter de réparer la... la fuite d'eau. On ne peut pas rester à l'hôtel indéfiniment. Imagine qu'ils se mettent à nous facturer le temps que tu passes sous la douche ? On serait ruiné.
Je lui adresse un sourire détendu pour essayer de paraître sereine, mais ce n'est pas gagné. J'ai l'espoir, un court instant, que ma petite blague a fait mouche et le regard lourd qu'il me jette me fait comprendre que c'est mort. Jake n'est pas dupe. Il pousse la porte d'un coup de pied, son jogging en guise de seul vêtement.
— Putain, Cassie, je n'ai plus dix ans. Ton histoire de dégâts des eaux ça fonctionne peut-être avec les autres, mais pas avec moi. Les mecs de Desvasco sont toujours chez nous ?
— J'espère que non.
Jake remue la tête, énervé.
— Je te jure que si Diego se pointe une nouvelle fois à la patinoire, je le démolis.
— Tu ne démoliras personne, tu m'entends ? Tu pourrais te faire renvoyer si une bagarre éclate et on n'a pas besoin d'emmerdes supplémentaires. Je peux t'assurer qu'on dormira chez nous, ce soir. Avec ou sans l'aide de Diego. Tout ce que tu as à faire, c'est te concentrer sur le hockey... et surtout être à l'heure. Tu peux le faire ?
Il soupire, essuie les gouttes d'eau qui tombent de ses cheveux bruns, coupés courts.
— Tu m'as réveillé une heure à l'avance, ça devrait aller, réplique-t-il avec ironie. C'est Bill qui ne va pas en croire ses yeux.
À l'entendre prononcer le nom de son parrain, je grimace.
— Si tu pouvais éviter d'être à la bourre tous les jours, ça m'arrangerait. Bill semble ravi de me reprocher chacun de tes gestes de travers.
— Pourquoi t'es autant sur tes gardes avec lui ? C'est un mec sympa et posé. L'opposé de Diego.
La comparaison m'arrache un rire narquois. Ils n'ont absolument rien en commun. Autant comparer l'eau et le feu. Les marshmallows et les tacos épicés. La droiture personnifiée avec le danger.
— Raison de plus pour se méfier. Les gens calmes comme lui sont les plus dangereux. Quand leur colère explose, plus rien ne peut les arrêter.
— Peut-être que si tu arrêtais de le chercher, il se montrerait plus agréable avec toi.
— C'est lui qui trouve toujours quelque chose à redire.
— S'il te plaît, Cassie, fais un effort. Arrête de te prendre la tête avec lui, ça ne fait même pas une semaine que je le vois et tu te l'es déjà mis à dos.
— Je vais essayer.
— C'est une promesse ? Je tiens à ce parrainage.
— Une promesse de Rodriguez, soupiré-je, à contrecœur.
Je m'apprête à riposter que c'est Bill qui est toujours sur la défensive, mais je me retiens de le faire, au risque de nous lancer dans un débat sans fin. Au lieu de ça, je me dirige vers le minuscule placard qui nous sert de coin cuisine.
— Et n'oublie pas que tu enchaînes avec l'entraînement des Huskies juste après. T'as déjeuné quelque chose au moins ?
Je dépose un paquet de gâteau ainsi qu'un fruit sur la table sans attendre sa réponse, puis je récupère mon sac qui pèse une tonne.
— Bon, j'y vais. On se retrouve tout à l'heure.
— Tu ne vas pas cours, ce matin ?
— Même quand je ne suis pas présente en amphi, je rends toujours mes devoirs à l'heure. Question de principe, répliqué-je d'un simple haussement d'épaules. Tu devrais prendre exemple sur moi.
Lorsque je passe la porte d'entrée, mes pensées sont rivées sur un tout autre problème que mes études. J'ai tellement hâte d'en finir que je rejoins la rue en quelques pas. Mon téléphone à la main, je remonte l'avenue sans réussir à chasser l'angoisse qui m'enserre la gorge en découvrant le nombre d'appels en absence. Diego a encore essayé de me joindre une bonne dizaine de fois durant la nuit. Son comportement commence sérieusement à me peser. Il m'avait prévenue, il ne me lâchera pas. De toute façon, je refuse de lui adresser la parole. Je ne veux pas lui être redevable une nouvelle fois, ce serait bien trop dangereux. Après tout, si j'ai été chassée de chez moi, c'est à cause de cet enfoiré.
J'aurais préféré ne jamais croiser la route de Diego.
Un frisson recouvre ma peau en y repensant. À fricoter avec des mecs de son genre, on finit par se retrouver avec des inconnus qui squattent notre salon. Des inconnus qui ont un différend avec Diego. Ils ont débarqué par surprise chez moi un beau matin et m'ont jeté dehors pendant que Jake était en cours. Je pensais que cette histoire ne durerait qu'un ou deux jours, le temps que Diego règle ses comptes... mais tant que je ne lui règle pas notre propre dette, il ne lèvera pas le petit doigt. Au fond, j'ai toujours su que je ne pouvais compter que sur moi-même.
On ne peut faire confiance à personne dans ce monde. C'est un peu l'histoire du serpent qui se mord la queue. C'est un cercle infernal d'emmerdes incessantes qui ne semble avoir ni début ni fin.
Dix jours, expulsée de chez soi, ça commence à faire long.
Arrivée devant l'immeuble dans lequel j'habite depuis que je suis en âge d'avoir des souvenirs, je fonce immédiatement dans l'arrière-cour. Je répète le même manège que les jours précédents à la différence près que j'ai appris à me montrer plus prudente. Je grimpe sur la poubelle, assure mes appuis avant de scruter l'intérieur de mon appartement. Bonne nouvelle, les lumières sont éteintes. Les lieux ont l'air déserts. Armée de mes outils de fortune et bien plus confiante que les autres jours, je cours pour rejoindre mon palier.
Je sors de mon sac le kit parfait de l'apprentie cambrioleuse et je me mets au travail. Jamais je n'aurais cru qu'un jour je réaliserais les mêmes gestes que mon géniteur. Du fond de sa cellule de prison, il serait ravi d'apprendre que sa fille chérie suit ses pas. Pour ma défense, si je ne me fais pas justice moi-même, personne ne viendra à mon secours. Ce n'est pas comme mon père qui a choisi le banditisme de manière volontaire et réfléchie.
Après une longue minute passée l'oreille collée à la porte d'entrée de l'appartement 1b, j'attrape deux tiges en fer pour essayer de bidouiller la serrure. Je tourne dans tous les sens ces trucs censés soulever je ne sais quel ressort à l'intérieur du cylindre, mais ça ne fonctionne pas. J'ai dû louper une étape. Je recommence, persévère de longues minutes avant d'abandonner. Je ne suis décidément pas douée pour le crochetage. J'ai bien regardé un ou deux tutos sur le sujet, c'est beaucoup plus dur à reproduire que ce que j'imaginais. Je ne parviendrai jamais à passer par la porte.
On fabrique sa propre chance, Cassie.
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