3.2 - Les débuts des emmerdes - Bill







— Tu comptes répondre un de ces jours ?

Elle m'adresse un sourire forcé et me répond le plus naturellement du monde :

— Non.

Ni plus, ni moins.

J'essaie de faire abstraction de la bande musicale d'Inception qui s'échappe de son appareil à chaque nouvel appel. J'ai beau adorer cette musique, à cet instant précis, elle me sort par les yeux. Je ne sais pas comment Cassie fait pour ignorer cette mélodie entêtante, mais moi ça commence sérieusement à me gaver.

— Si tu n'as pas l'intention de répondre, est-ce que ça te dérangerait au moins de baisser le volume ?

Cassie visiblement sur les nerfs obtempère, mais la personne qui tente de la joindre n'a aucune envie de laisser tomber. Les vibrations de son appareil se répercutent dans le bois, créant une espèce de vrombissement insupportable. J'ai beau scruter la patinoire, mon cerveau a décidé de faire une fixette sur ce bruit au point de ne penser qu'à ça.

— C'est quoi ton problème ? Ça déconcentre tout le monde, ton frère y compris.

— Jake ne l'entend pas de là où il est.

— Mais moi si.

La brune m'adresse un regard nonchalant avant de se remettre à fixer l'étendue de glace devant elle. Mes yeux font l'aller-retour entre son visage insolent et son putain de portable. Si ça ne tenait qu'à moi, je l'aurais déjà balancé à la poubelle après l'avoir écrasé à coup de patins.

— Dernière chance, Cassie.

— Je ne toucherai pas à ce téléphone. La dernière fois que j'ai voulu bloquer un appel, ça s'est mal terminé.

— Comme tu veux.

Je me laisse glisser sur le sol et j'avale la distance qui nous sépare en deux enjambées. J'attrape son téléphone, puis j'appuie sur l'écran pendant que son visage pâlit.

— Qu'est-ce que...

Trop tard. Je recule d'un pas pour être hors de sa portée et je décroche.

— Désolé, mais Cassie se trouve actuellement à la patinoire où le téléphone est interdit. Merci de la rappeler ultérieurement.

Et je raccroche, fier de mon culot. Rendant à cette fille la monnaie de sa pièce, je lui balance son téléphone sur les genoux avec le même regard las que celui qu'elle m'a jeté un instant plus tôt. Je l'avais prévenue, elle n'avait qu'à m'écouter. L'esprit enfin libre, je retourne m'asseoir sur la rambarde d'où je crie quelques encouragements à Jake. Au bout de quelques secondes, je tourne la tête vers sa sœur avec prudence. Les traits horrifiés, elle ne prononce plus un mot. Enfin, c'est ce que je crois jusqu'à ce que je m'aperçoive que ses lèvres bougent toujours.

— Non, non, non... chuchote-t-elle avant de relever la tête vers moi, furieuse. Tu ne pouvais pas te mêler de ce qui te regarde ?

Décidé à la laisser s'énerver toute seule, je choisis de l'ignorer. Au bout de quelques minutes de silence, j'entends Cassie jurer. Elle attrape son sac, puis court en direction d'un petit local donnant directement sur la coursive. Les sourcils haussés, je la regarde faire sans comprendre. Je connais cette patinoire comme ma poche et cette pièce ne donne sur rien. J'en ai la certitude. Dans le temps, il s'agissait d'un vulgaire placard à balais et je ne serai pas étonné que ce soit toujours le cas. Intrigué par son comportement, je finis par aller voir ce qu'elle fiche. De toute façon, Jake est entre de bonnes mains. Weston et lui n'ont pas besoin de mon aide. Lorsque j'approche, je remarque que la porte est entrouverte. Cassie, nerveuse, m'observe depuis l'intérieur.

— Qu'est-ce que tu fous ? lui demandé-je.

— Je me planque, ça ne se voit pas ?

Un rire s'échappe de mes lèvres malgré moi. Elle est sérieuse ? Je pousse la porte afin de mieux voir son visage et il semblerait qu'elle ne plaisante pas. Quelque chose dans sa posture m'indique qu'elle a vraiment peur.

— Y a un problème ?

— Tu vois le type à la veste en cuir qui vient d'entrer ? Il me cherche.

Je me tourne pour vérifier de qui elle parle. Trop concentré sur l'entraînement, je n'avais pas remarqué l'arrivée d'un mec métis au crâne rasé et tatoué. Sa carrure est assez imposante, je ne serai pas surpris que ce soit un sportif, lui aussi.

— Mais ne le regarde pas ! chuchote Cassie en me tirant par le bras pour que j'entre dans le local à mon tour.

Je lance un dernier coup d'œil au nouveau venu qui regarde autour de lui, l'air peu commode. Il semble effectivement chercher quelqu'un.

— Qu'est-ce que tu lui as fait ? ricané-je.

— Qu'est-ce qu'il m'a fait, tu veux dire ! Ça fait des jours que je fais la morte pour qu'il me laisse tranquille.

Cassie se penche en avant pour regarder par l'interstice avant de reculer en vitesse.

— Oh merde. Cache-moi, je crois qu'il m'a vue.

— Sûrement pas.

— Je te signale que c'est toi qui lui as balancé l'endroit où me trouver au téléphone.

— Comment je pouvais savoir ? Tu n'avais qu'à éteindre ton portable comme le ferait n'importe quelle personne normale.

Une lueur furtive traverse son regard alors qu'elle s'accroche à mon bras, suppliante. À ses yeux brillants, on dirait qu'elle vient d'avoir l'idée du siècle.

— Tu pourrais m'aider à...

Je connais ce regard, c'est la promesse d'un nombre considérable d'emmerdes à venir.

— Nope. C'est mort.

— Mais t'as même pas écouté ce que j'avais à dire !

Cassie m'implore à nouveau et une seule solution s'offre à moi : fuir en vitesse.

— Désolé, mais au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, je bosse, là.

Ses iris d'un vert étonnant s'assombrissent et elle lâche finalement prise. Elle se mordille nerveusement les lèvres, puis semble se résigner à son sort. Je me détourne en vitesse d'elle, de peur que ses pupilles emplies de détresse me fassent culpabiliser. Lorsque je sors enfin de la minuscule pièce, Weston me cherche, l'air de se demander ce que je fiche. Jake lui est trop concentré sur son palet pour remarquer ce qu'il se passe dans son dos. Je m'apprête à retourner à ma place quand je remarque que le mec à la veste en cuir se dirige vers le placard à son tour. Mes pieds s'immobilisent d'eux-mêmes et je pousse un long soupir, certain de prendre la mauvaise décision. Fait chier. Je ne devrais pas m'en mêler... Mais putain, si un mec harcelait ma petite sœur, je n'hésiterais pas une seconde à lui venir en aide. Alors pourquoi ce serait différent avec Cassie ? C'est quand même fou qu'il y ait encore des hommes aussi insistants de nos jours.

Je rebrousse chemin alors que West patine dans ma direction, mais je ne m'arrête qu'une fois à proximité de l'inconnu.

— Je peux t'aider ? lui lancé-je.

Ce dernier affiche un sourire loin d'être avenant. Ça commence bien.

— M'aider ? se moque-t-il. Ouais, tu peux. Tu n'as qu'à demander à Cassie de sortir de sa cachette.

Je tique. Est-ce que ce mec est le petit ami de Cassie ? Si c'était le cas, elle ne ferait pas son possible pour l'éviter, non ?

— Et pourquoi je ferai ça ? Quand une nana refuse de répondre à nos appels, c'est qu'elle n'est pas intéressée. Je crois que le message est clair. Elle a dit stop.

— C'est donc toi que j'ai eu au téléphone ?

L'homme avance d'un pas, une expression volontairement intimidante sur ses joues mal rasées. Une alarme se déclenche en moi. L'aura que dégage ce mec est dangereuse. Il se redresse de toute sa stature, me surplombant de quelques centimètres et un sourire s'affiche malgré moi sur mes lèvres. Petit joueur... S'il croit que ça m'effraie. Je l'imite au point que nos fronts se touchent presque. Dans le milieu du hockey, on a l'habitude des confrontations et je n'ai jamais reculé devant aucune. Je ne ferai pas exception à la règle aujourd'hui.

— Elle a dit stop ou tu as dit stop ? siffle-t-il.

— Quelle différence ?

Il recule finalement pour s'adresser à Cassie.

— Il va falloir qu'on parle, Amor. Tu ne vas pas pouvoir me fuir éternellement.

Je me retourne et constate que la sœur de Jake est sortie de sa cachette. Son sac de cours plaqué contre sa poitrine comme pour se protéger à distance, elle nous observe avec méfiance. Weston, lui, ne perd pas une seconde pour me rejoindre. Il a dû sentir le conflit arriver car il vient se placer à mes côtés sans poser la moindre question. Après quelques secondes, Jake déboule à son tour.

— Casse-toi, Diego, lui lance-t-il, en s'immisçant entre West et moi. Il n'y a rien pour toi, ici.

L'homme en question rit plus fort, comme si ses paroles glissaient sur lui comme de l'eau. Il nous détaille tous les trois, tel un véritable mur dressé entre Cassie et lui, et ne semble même pas impressionné. Le comportement de ce genre de branleur a le don de me révolter. Je lui repousse l'épaule pour le forcer à reculer.

— Cassie ne veut pas de toi ici. Barre-toi. T'attends quoi ? Mon poing dans ta gueule ?

Le petit ami de Cassie ou peu importe qui il est, se décale d'un pas sur le côté pour parler à celle qui se trouve désormais à une dizaine de mètres derrière nous.

— Ne t'inquiète pas, on va bientôt se revoir. Quant à toi... chuchote-t-il en s'adressant à moi. Si tu te mets encore entre elle et moi, t'es dans la merde.

Sur ces mots, Diego opère un demi-tour et quitte la patinoire. Je le suis jusqu'à la porte pour être certain qu'il s'en aille, puis je retourne à l'intérieur. Sur le chemin de retour, une jeune femme rousse que je ne connais pas m'interpelle. Étonné, je m'arrête pour écouter ce qu'elle a à me dire. C'est une des filles qui étaient assises en bas des gradins à mon arrivée.

— Bill Croft, c'est ça ? J'ai entendu ce qu'il s'est passé avec Diego. Si tu veux mon avis, tu es en train de t'attirer de gros ennuis. Cassie n'a pas très bonne réputation par ici et tu viens d'envoyer balader son dealer.

— Son dealer ? répété-je.

— C'est un mec qui traine souvent sur le campus. Tu ferais mieux de l'éviter.

Ces dernières phrases résonnent encore dans mes pensées quand je reprends ma place près de Cassie. Elle est déjà assise sur le banc au moment où je m'installe sur la rambarde. Elle me gratifie d'un simple merci sans plus d'explication avant de reporter son attention sur Jake qui attend mon signal pour se remettre au travail. Je détourne mon regard d'elle en vitesse, pourtant je n'arrive pas à les chasser de mes pensées, elle et ses yeux bleu vert emplis de détresse. Le genre de détresse qu'on ressent quand on se sent seul au monde. Le genre de détresse que je ne connais que trop bien. Alors que je fixe la glace, je ne peux m'empêcher de me demander comment la sœur de Jake a pu se retrouver dans cette situation. Est-ce que ça finira par retomber sur son frère, puis sur moi par ricochet ? Après tout, je ne connais rien de la famille Rodriguez et il serait peut-être temps que je me mette en quête de réponses. J'en viens à la réflexion que j'avais raison depuis le début. J'ai la certitude que cette fille va me donner du fil à retordre dans les semaines à venir. Pire encore, je sens que les emmerdes ne vont pas tarder à me tomber dessus.

Parce que je sais que je vais finir par m'en mêler d'une manière ou d'une autre.

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