3.1 - Le début des emmerdes - Bill


Quatre jours plus tard.

— Attends, m'interpelle West alors qu'il avance, les sourcils froncés. T'es sûr de ce que tu dis ?

Son sac d'entraînement posé négligemment sur son épaule, il marque un arrêt en plein milieu des jardins de l'U-Dub. Quand il prend conscience de ce que je viens de lui annoncer, il me dévisage, l'air choqué. Je n'arrive pas à réprimer mon sourire. Je savais que cette nouvelle le rendrait dingue.

— Jimmerde fait toujours partie des Huskies ? répète-t-il, abasourdi. Tu déconnes...

— Pas du tout. Malcolm a envoyé la liste des Huskies de cette année à Oliver. J'ai pu la lire dans son bureau. Jimmy fait bel et bien partie de l'équipe.

— Arrête... Mais, il a redoublé combien de fois pour être encore étudiant ici ?

— Je ne crois pas qu'il ait redoublé. Il était plus jeune que nous et il me semble qu'il a changé de filière en cours de route ou un truc comme ça.

— Ouais, bah il ne m'a pas manqué.

— À moi non plus, je te rassure. Heureusement qu'il reste des membres sympas qu'on connaît encore. Comme Joshua, Georges et Liam.

— Sérieux ? Et  est toujours gardien ?

— Il semblerait, mais c'est sa dernière année. J'ai entendu dire que les Blackhawks ont un œil sur lui. Il signera sûrement bientôt un contrat avec eux.

Weston, nostalgique, lève la tête pour embrasser du regard la façade de la patinoire universitaire qui se dresse devant nous, celle où notre amitié a débuté. Ce même endroit où nous avons rencontré Jake il y a quatre jours.

— J'ai l'impression que ça fait des décennies qu'on a quitté les Huskies alors que ça ne fait que deux ans.

— Ouaip. Le temps passe à une vitesse folle.

Mes pommettes s'étirent toutes seules en entrant à l'intérieur du bâtiment. J'ai beau avoir foulé ce sol lundi, l'effet est toujours le même. Ça fait un bien fou de revenir dans cet endroit chargé de souvenirs.

— Tu crois que Malcolm sera là, aujourd'hui ? me demande West en passant la porte à son tour. Ça fait des semaines que je ne l'ai pas croisé.

— Non, je ne pense pas. Il m'a appelé hier pour qu'on se mette d'accord sur les créneaux d'utilisation de la patinoire. Pour ce qui est du travail en solo de Jake, il préfère que ce soit en matinée. Ah, et il aimerait beaucoup qu'on passe pendant les entraînements des Huskies. Ça ferait plaisir à ses joueurs d'échanger avec nous.

— Il n'a pas peur que notre présence génère de la jalousie au sein de son équipe ? Vis-à-vis de Jake ?

— Aucune idée, mais j'avoue y avoir pensé.

— Faudra faire gaffe à ce que ce parrainage ne lui apporte pas de problème. D'ailleurs, en parlant de lui, Geoffrey m'a raconté un truc étonnant.

Je souris de plus belle. Weston n'était pas présent lors du premier essai du jeune Rodriguez sur la glace du Kraken Iceplex, avant-hier, mais certains de nos coéquipiers étaient là. Je sais déjà ce que West s'apprête à me dire et je ne peux pas m'empêcher de le taquiner un peu.

— C'est pour ça que t'as insisté pour m'accompagner aujourd'hui ? J'en étais sûr.

— Alors, c'est vrai ce qu'on raconte ?

L'air mystérieux, je ris sans répondre à sa question et ses yeux s'ouvrent grand.

— Merde alors. Ce gamin est un monstre ! s'exclame-t-il. Atteindre les vingt miles par heure alors qu'il n'a que dix-sept ans... C'est pas humain.

Weston Parker a toujours été le plus rapide de tous les hockeyeurs que j'ai rencontrés. Et j'en ai croisé un bon paquet depuis que j'ai appris à patiner. Ça me fait rire de le voir craindre de perdre son titre. Jake a beau avoir du potentiel, il est encore loin de l'égaler sur la glace.

— Qu'est-ce que t'as ? me moqué-je. T'as peur qu'il devienne le prochain Red Falcon ?

— Qu'il essaie un peu. Il a encore quatre miles de retard et quelques années de boulot devant lui.

L'air frais me picote familièrement le nez lorsque je pousse la porte menant à la patinoire. Devant nous, une coursive longe le terrain recouvert de glace. Quelques personnes, sûrement des étudiants, s'entraînent à patiner dans un coin pendant que d'autres discutent au pied des sièges. En une poignée de secondes, leurs regards convergent vers nous et le mot « Kraken » vole jusqu'à mes oreilles.

Ce qui est drôle quand vous devenez hockeyeur professionnel, c'est que peu importe l'endroit où vous vous rendez, il y a toujours quelqu'un qui vous reconnaît. Au super marché, à la piscine, dans la rue... comme dans la patinoire de l'université de Washington. Quel que soit l'endroit, j'ai toujours droit aux mêmes sourires amicaux de parfaits inconnus. Les mains enfoncées dans les poches de mon jogging, j'avance tête baissée. Je feins de ne pas remarquer les regards curieux dirigés vers nous. Avec le temps, je me suis habitué à cette espèce d'excitation sur mon passage. J'ai toujours été populaire. Plus jeune, j'étais — en toute modestie — le meilleur joueur du hockey de mon lycée. Ensuite, je suis devenu étudiant ici et on m'a élu capitaine des Huskies. Puis, me voilà désormais ailier gauche chez les Krakens. Durant toutes ces années, j'ai vu beaucoup de gens graviter autour de moi, juste à cause de cette notoriété.

Une rouquine sur notre gauche semble nous avoir reconnus. J'entends nos noms circuler au sein de son petit groupe et j'échange un regard complice avec West. Il s'est fait à cette célébrité locale sans trop de difficultés. Après deux ans à passer régulièrement à la télévision ainsi que dans les magazines sportifs, j'imagine que c'est normal. N'empêche, je ne comprends pas toujours l'intérêt qu'on nous montre. On joue au hockey, on n'est pas magicien.

Je m'éloigne des étudiants de quelques pas jusqu'à me trouver près des bancs situés au bord du terrain. Je tourne sur moi-même et je suis forcé de constater que Jake n'est pas là.

— Super, marmonné-je. Troisième rendez-vous et troisième fois qu'il est à la bourre. Je lui avais pourtant dit que je le voulais à 9 h précise ici, en tenue et prêt à s'entraîner. Il a cours juste après, ce qui ne nous laisse pas beaucoup de temps.

West m'imite et se met à chercher parmi la quinzaine d'étudiants présents s'il ne l'aperçoit pas.

— Il n'est peut-être pas là, mais sa sœur est bien présente, elle, m'indique-t-il. 

Je m'empresse de tourner la tête dans la même direction que lui. À mi-hauteur des gradins, une brune à la peau mate a le nez plongé dans un bouquin. Concentrée sur sa lecture, elle range une de ses longues mèches derrière son oreille.

Un soupir s'échappe de mes lèvres, ce qui étonne West.

— Et moi qui espérais qu'elle ne viendrait pas.

— Ah. À ce point-là ?

— Ouais, je ne sais pas pourquoi, mais je ne la sens pas. Elle s'est pointée au Kraken Iceplex et elle n'a pas arrêté de commenter les conseils que je donnais à son frère. Vu comme c'est parti, je crois qu'elle compte venir à chacun de mes rendez-vous avec Jake.

West se contente de m'écouter tout en l'observant.

— J'ai pas envie de me coltiner la sœur casse-couilles pendant toute l'année. Elle passe son temps à me surveiller, à croire qu'elle n'a pas la moindre confiance en moi.

— Le genre de grande sœur hyperprotectrice envers son précieux petit frère, tu veux dire ?

— Exactement !

— Ça me rappelle quelqu'un, pas toi ?

Weston rit. Je le dévisage, dépité.

— Si je m'étais comporté avec ma sœur comme Cassie le fait avec Jake, tu ne sortirais sûrement pas avec Charlie.

Il se marre, puis m'assène une tape amicale sur l'épaule.

— Alors je m'estime chanceux que tu ne sois pas comme Cassie Casse-couilles. Vois le positif. Jake a une grande sœur qui prend soin de lui. C'est rare de nos jours, non ?

— Mouais...

— Peut-être qu'elle a peur que le grand méchant Bill bouffe son précieux petit frère tout cru ?

Au même moment, comme si elle nous avait entendu parler d'elle, la brune relève la tête de son livre. Ses iris d'un bleu vert étrange fusent directement dans notre direction pour se poser sur moi. Impassible, la jeune femme me fixe une courte seconde avant que son regard ne dévie. Le soulagement vient détendre son visage crispé, puis un sourire apparaît sur ses lèvres. Elle remballe aussitôt ses affaires dans son sac à bandoulière et commence à descendre les marches.

— Je suis là ! annonce une voix dans mon dos.

Je pivote sur mes pieds pour faire face à un Jake en tenue, essoufflé, mais ravi. Il a beau être à la bourre, au moins il a le mérite d'être de bonne humeur. Je lui tape dans le poing et je l'accueille sur une note positive qui le fait sourire.

— Dix minutes de retard, tu t'améliores.

— D'ici la fin de l'année, je finirai par être en avance, raille-t-il.

— J'y compte bien.

— Il a surtout intérêt à être à l'heure à la prochaine séance s'il ne tient pas à avoir de gros problèmes, cingle une voix féminine juste derrière moi.

Pas besoin de me retourner pour savoir de qui il s'agit. Seule Cassie Rodriguez parvient à m'agacer d'une seule et unique phrase. C'est viscéral et ce, depuis notre première rencontre, je crois. Je ne supporte pas cette manie qu'elle a d'être partout, tout le temps. Par politesse, je la salue d'un bref hochement de tête avant de me concentrer sur son frère.

— On va essayer d'être efficace, aujourd'hui. Je voulais te faire bosser ton point fort et ton point faible en même temps. La vitesse et l'agilité. J'ai remarqué pendant ta dernière séance que tu pouvais accélérer de manière spectaculaire, mais si c'est pour louper le palet en fin de course, ça ne sert pas à grand-chose. Alors je te propose de te mettre au fond de la patinoire pour remonter le plus rapidement possible jusqu'à ce point.

Du bout de l'index, je désigne la ligne bleue visible à travers la couche de glace.

— Weston te fera une passe quand tu arriveras à l'extrémité et ton but sera de marquer sans ralentir. Ça marche ?

— On m'a dit que tu étais super rapide. Je suis venu exprès pour te voir à l'œuvre, commente Weston. J'ai juste besoin de quelques minutes pour enfiler mes patins et mon casque et je suis tout à toi.

— Profites-en pour t'échauffer, Jake, ajoute Cassie.

Je me retiens de lever les yeux au ciel. C'est exactement ce que j'allais dire, mais c'était à moi de prononcer cette phrase, pas à elle. Plutôt que de me lancer dans une conversation dont je n'ai pas envie, je passe l'éponge et je file m'asseoir sur la rambarde pendant que Jake s'exécute. Comme si le malheur avait décidé de me poursuivre, Cassie s'installe sur le banc à un mètre de moi. Si on fait abstraction de ses cris d'encouragement, le premier quart d'heure de cohabitation se passe plutôt bien.

Cependant, un élément imprévu finit par me faire serrer les dents.

Son téléphone se met à sonner. Cela n'aurait rien d'énervant si elle décrochait à un moment donné, mais ce n'est pas le cas. La mélodie jouée au piano ne s'arrête jamais. J'attends patiemment qu'elle réponde, ce qu'elle ne fait pas. Au contraire, elle continue de fixer son frère en plein exercice sans réagir.

— Cassie, ton téléphone, lui lancé-je en espérant qu'elle se bouge.

En réponse, elle se penche, observe l'écran de son portable posé sur le banc, et coupe enfin la sonnerie. L'espace de dix secondes, je souffle enfin. Puis, son téléphone sonne à nouveau et ça finit par m'obséder.


Kraken Iceplex : patinoire de Seattle dans laquelle les Krakens s'entraînent.

 

Vingt miles par heure : environ 32 km/h.

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