2.2 - Menteuse - Cassie


Mes yeux s'écarquillent en même temps que ma bouche s'entrouvre. J'ai toujours été une grande fan des Krakens de Seattle, mais je n'ai jamais imaginé me retrouver face à leur vice-capitaine. Et j'avais encore moins imaginé que notre rencontre aurait lieu dans les couloirs de l'université. Les sourcils haussés et le visage fermé, le célèbre Bill Croft se dresse devant moi en chair et en os. Et il a l'air beaucoup — beaucoup — plus impressionnant dans la réalité que sur le poster collé sur le mur de ma chambre. Il fait bien une tête et demie de plus que moi, je ne serais pas étonnée qu'il mesure dans les 1m90. Mes yeux remontent jusqu'au regard blasé que ses iris dorés me jettent, faisant grimper ma tension artérielle.

— Je te ferai remarquer que c'est toi qui es sortie de nulle part, réplique-t-il, sarcastique. C'est ce qui arrive quand on marche le nez collé à l'écran de son téléphone.

— Je-je...

Encore surprise, j'en perds ma répartie. Merde. De tous les joueurs pros de son équipe, il est bien le dernier que je pensais rencontrer ici. Bill incline la tête et ses cheveux blonds retombent sur son front barré d'un pli d'exaspération. Je me suis toujours considérée comme assez grande, mais face à lui, je me sens minuscule. Son regard descend de ma tête à mes pieds en marquant une pause sur la blessure de mon genou. Quand je réalise qu'un filet de sang dégouline sur mon tibia, je tente de cacher ma jambe derrière l'autre, mais c'est trop tard. Rien n'échappe à l'œil perçant de Bill Croft.

— Une nouvelle preuve de ton imprudence ? me demande-t-il avec malice.

— Non, juste la preuve que j'ai de mauvaises idées, sifflé-je.

Derrière lui, un homme brun s'avance à son tour. Pas besoin d'être une experte dans le domaine pour reconnaître Weston Parker, le numéro 22. De ce que je sais, ils sont toujours fourrés ensemble tous les deux. Ils ne sont pas binômes pour rien. Après tout, les ailiers fonctionnent par paire.

— Salut, t'es venue t'entraîner ? me lance Weston d'un ton amical.

Je remue la tête.

— Non, je cherche quelqu'un.

— Ça tombe bien, nous aussi.

— Tu connais un certain Jake Rodriguez ? me demande Bill. On avait rendez-vous avec lui il y a dix minutes déjà. Impossible de le trouver.

— Ah. Parce qu'il n'est pas là ?

L'angoisse doit commencer à se lire sur mon visage parce que les sourcils du blond se soulèvent d'une manière suspicieuse.

— Tu le connais ?

Je blêmis en entendant sa question. Si je lui réponds oui, il me demandera à tous les coups pourquoi Jake n'est pas là... Et je n'en sais rien !

— Euh... plus ou moins. Mais, c'est étrange, je l'ai vu il y a dix minutes à peine.

— Ah oui ? Dans quel coin ?

— Dans le hall. Il me semble qu'il avait perdu quelque chose.

Je me mords l'intérieur des joues. Je ne peux rien y faire. Quand il s'agit de sauver les fesses de mon petit frère, je suis une menteuse invétérée.

— Je vais voir s'il est revenu dans les parages, déclare Weston.

Bill acquiesce avant de se joindre à lui. Dès qu'ils s'éloignent, je décoche mon téléphone pour appeler Jake. Il décroche aussitôt.

— T'es où ? l'engueulé-je sans préambule.

Au son de sa respiration hachée, je comprends sans mal qu'il est en pleine course.

— Putain, je suis en retard.

— Ça, je l'avais remarqué, crétin. T'as intérêt à te magner. Les joueurs des Krakens sont arrivés.

— J'arrive, je me suis rendormi.

Je me retiens de lever les yeux au ciel. Ça ne m'étonne même pas de lui. Jake a beau être plus intelligent que la moyenne, il a la fâcheuse tendance à se laisser vivre. Il a de la chance que je sois constamment sur son dos, sinon j'ignore ce qu'il serait advenu de lui.

— Fais vite, je vais essayer de gagner du temps.

Je raccroche, puis me mets en quête des deux joueurs professionnels. Je rejoins le hall, mais les deux hommes ne s'y trouvent plus. Ils sont forcément dans le coin. J'entrouvre la porte donnant sur les gradins et j'y découvre Bill qui revient vers moi.

— T'es sûre d'avoir vu Jake ? m'interroge-t-il.

— Je viens de le voir passer à l'instant. Il s'est dirigé vers les vestiaires.

— Sérieux ?

Blasé, Bill renverse sa tête en arrière. Ce jeu de cache-cache commence à lui taper sur le système et je vois mal comment le faire patienter plus longtemps. Ce serait quand même dommage que le parrainage tombe à l'eau parce que Jake a un peu la tête dans les nuages. Le hockeyeur professionnel pousse un long soupir et finit par reprendre le chemin du hall à contrecœur. Weston qui revient du parking l'interpelle au même instant, un grand sourire aux lèvres.

— Hé, regarde qui j'ai trouvé dehors ! Jake Rodriguez.

Le vice-capitaine des Krakens pivote vers l'entrée et je manque d'avoir une crise cardiaque. Son coéquipier vient de faire son apparition... avec mon frère.

— Je te jure que je n'ai jamais vu personne courir aussi vite de toute ma vie, se marre Weston. Si ce mec est aussi rapide sur terre que sur la glace, j'ai hâte de le voir à l'œuvre.

Un frisson désagréable recouvre ma peau quand je remarque le regard appuyé que Bill me jette. Les bras croisés sur son torse, la mâchoire contractée, il plisse les yeux en me dévisageant.

— Je croyais qu'il était parti vers les vestiaires ?

J'esquisse un grand sourire, papillonne des cils.

— J'ai dû le confondre avec quelqu'un d'autre.

Jake pose ses mains sur ses genoux le temps de reprendre son souffle avant de se redresser.

— Désolé, je suis à la bourre, articule-t-il entre deux bouffées d'air. Panne de réveil.

— Ça arrive à tout le monde, le rassure Weston. Tiens, voilà ton parrain.

— Bill Croft, se présente le blond, la main tendue devant lui.

Jake s'empresse de la saisir. À ses pupilles pétillantes, j'en déduis qu'il est content du choix du coach. Oliver lui avait promis un tuteur à l'écoute et rigoureux et de ce que j'en sais, Bill a plutôt bonne réputation.

— Et donc, t'as fini par retrouver ce que tu as perdu ? lui lance ce dernier.

Les mains enfoncées dans ses poches, Bill sonde le regard de mon frère à la recherche de la vérité. Je me fige en entendant sa question. Je tente de faire comprendre à Jake de jouer le jeu, mais rien n'y fait. Rodriguez Junior vient de briser tous mes efforts d'une unique réponse.

— Hein ? Mais, j'ai rien perdu, moi.

Je manque de m'étouffer.

Quel con ! Je me débrouille pour que les Krakens ne se barrent pas et c'est comme ça qu'il me remercie ?

— Mais si, tes clés, Jake ! Tu les as retrouvées ?

Jake croise enfin mon regard et je m'efforce de lui faire passer le message. Je lui fais les gros yeux tout en le menaçant intérieurement des pires représailles et ça finit par fonctionner.

— Hein ? Euh, ah oui ! Les clés...

West rit. Bill un peu moins. Son visage demeure impassible et je fais de mon mieux pour ignorer ses iris perçants dardés sur moi. Il a le regard de celui qui comprend qu'il a été trompé depuis le début. Je me tourne vers lui, feignant l'innocence. Si je prétends que tout va pour le mieux, ils auront oublié mon petit mensonge d'ici une poignée de minutes. J'en mets ma main à couper.

— Alors, les gars, maintenant que les présentations sont faites, on passe à la partie intéressante ? Comment va se dérouler ce parrainage ? Oliver nous a déjà fait signer l'accord, annoncé-je.

— Tu la connais ? demande Bill à mon frère.

— Bah ouais. C'est ma sœur, Cassie.

Leurs trois regards se posent naturellement vers moi et celui du vice-capitaine est loin d'être amical. Oups.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— T'es étudiante ici ? m'interroge Weston.

— Oui. Je suis en troisième année.

— Donc vous avez trois ans de différence ? s'étonne-t-il.

Mon frère a beau être plus jeune que moi, il me dépasse de plusieurs centimètres.

— Presque quatre, en fait. On ne dirait pas avec sa carrure, pourtant Jake n'a que dix-sept ans.

Weston, amusé, lance un regard admiratif à Jake.

— Mais qu'est-ce qu'ils foutent dans vos biberons, maintenant ?

Après quelques phrases bateaux échangées dans le hall et une meilleure ambiance générale, Bill finit par nous guider vers le bureau de Malcolm, le coach des Huskies. Il veut s'y entretenir avec Jake pour apprendre à le connaître. Il ouvre la marche à quelques mètres devant nous et je fais de mon mieux pour rester à distance contrairement à mon frère. D'ordinaire, ce dernier se montre peu bavard, mais aujourd'hui, il semble avoir mille questions à poser.

— Est-ce que j'aurais le droit d'assister à vos matchs ? D'aller dans les coulisses ? J'ai toujours voulu voir les vestiaires des équipes pros, c'est vrai que vous avez des douches perso ? Ah, et est-ce que je pourrais rencontrer le reste de l'équipe ?

Bill se retourne vers nous et, pour la première fois, je le vois sourire.

— Bien sûr. Tu viendras à autant de matchs que tu veux. Je serai ton référent principal durant l'année, mais tu pourras être amené à bosser avec tous les joueurs. Tout le monde a ses points forts et ses points faibles et chacun aura quelque chose à t'apprendre.

— Mais on est d'accord, même si tu rencontres nos coéquipiers, on reste les deux meilleurs joueurs qui existent, fanfaronne Weston.

— Ça va de soi, acquiesce Jake en tapant dans le poing de Weston.

— Alors on va bien s'entendre. Tant que tu respecteras mes règles, tout se passera bien, lui assure Bill.

— Et sinon ? osé-je demander.

C'est plus fort que moi. Je ne peux m'empêcher d'intervenir si je sens que Jake n'est pas en sécurité. Bill ralentit le pas pendant que Weston et mon frère entrent dans le bureau, puis il s'arrête à mon niveau.

— Sinon, il aura droit au méchant Bill.

Loin d'être impressionnée, j'incline la tête sur le côté. Qu'est-ce qu'il entend par là ? Qu'il va punir Jake comme un vulgaire gamin ? Qu'il essaie.

— Ah oui ? J'avais cru comprendre que le but de cet accord était d'apporter du soutien à Jake pour qu'il s'améliore au hockey et gagne en sérénité. Je ne savais pas qu'il risquait de se faire engueuler s'il n'y arrivait pas.

— Il y a des règles implicites et explicites dans tout accord. Le respect et la confiance réciproque sont primordiaux pour que ça fonctionne. C'est la base de toute relation.

— Je ne prétends pas le contraire.

— Donc tout va pour le mieux.

— Absolument.

Bill se met à rire, l'air détaché. Il prend appui sur l'encadrement de la porte et se penche pour que je sois la seule à entendre ce qu'il dit.

— Cassie, c'est ça ? Sache que je déteste être pris pour un con...

Un large sourire étire le coin de ses lèvres, cependant ses iris sont loin de communiquer la même joie.

— ... Et pourtant, j'ai l'impression que tu continues de le faire exprès.

Son regard se plante dans le mien et j'ai soudain la désagréable impression qu'il a la capacité à lire en moi comme dans un livre ouvert. C'est comme s'il me disait : « hey, Cassie, toi et moi, on sait très bien ce que t'as fait ». Je me redresse pour me donner plus d'aplomb, mais le célèbre Bill Croft n'en a pas terminé avec moi.

— Je ne le dirai qu'une seule fois, histoire que ce soit claire pour tout le monde. Quand Jake est avec moi, il respecte mes règles. J'attends de lui qu'il soit ponctuel, assidu, et surtout honnête avec moi. Et si les membres de sa famille l'incitent à faire le contraire, ça ne fonctionnera pas. Compris ?

Il me dévisage sans malveillance, pourtant son ton tranchant me prouve que ce n'est qu'un masque. Hébétée par ce revirement de situation, je hoche la tête alors qu'il commence à refermer la porte en me laissant sur le seuil. Au dernier moment, il me balance un paquet de mouchoirs tout droit sorti de sa poche.

— Pour ton genou.

Et je me retrouve seule dans le couloir comme uneidiote.

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