Chapitre 4
Je griffonne actuellement sur une feuille de papier blanche simple, avachie sur
mon bureau dans une position étrange qui est à la limite de l'acrobatie, pour au final faire des gros traits prononcés qui arrachent mes feuilles, les chiffonner et les jeter dans la poubelle en essayant de bien viser.
L'utilité d'une phrase aussi longue qui ne vous intéresse pas? Je n'en ai aucune idée. Ça doit être dû au fait que j'ai commencé l'école il y a une semaine, c'est-à-dire que ça fait plus d'une semaine que je côtoie Thomas et ses amis, que je considère avec plaisir comme les miens aussi. J'aime beaucoup l'université que je fréquente. D'ailleurs, je suis venue ici pour faire de la littérature, et comme nous sommes à Londres, me spécialiser dans les langues et en particulier l'anglais. Voilà, voilà.
Entre temps je fais du dessin, ce qui explique mon acharnement sur ces pauvres feuilles de papier qui n'ont rien demandé. Pour mardi prochain je dois réaliser le portrait d'une personne proche. Et même si j'excelle dans le dessin... Le portrait n'est pas mon fort. Depuis ce matin je ne fais rien d'autre que de représenter les traits du visage de ma mère, parce que je ne suis pas originale. Vêtue d'un t-shirt blanc, d'un jean éclaboussé de peinture et déchiré, portant une paire de lunette trop grandes et coiffée d'un simple chignon horrible, je n'étais pas prête à voir entrer Thomas. Je me tourne vivement vers lui grâce à ma chaise de bureau à roulettes.
"Qu'est-ce que tu fais?"
Je fronce les sourcils et croise les jambes sur ma chaise en repliant mes lunettes.
"Je déchire des feuilles."
"Depuis ce matin?"
"Oui."
Il rit et s'approche de mon bureau, on dirait qu'il s'habitue a mon attitude étrange. Là il déplie des feuilles chiffonnée trainant dans un coin.
"Qui est-ce?" Dit-il en désignant un essais du portrait de ma mère.
Je souffle une mèche tombant sur mon visage.
"Ma maman."
Il hoche la tête en détaillant le dessin.
"Tu es très douée."
J'adore son accent britannique, il est très prononcé et ne manque pas de me faire sourire.
"C'est compliqué..." Dis-je dans un soupir. Je prend une nouvelle feuille et la tient devant moi, croise le regard de Thomas, regarde la feuille, re-croise le regard de Thomas. "À moins que..."
Je m'empare de mon bloc de feuilles de dessin, d'un crayon et d'une gomme, me lève et attrape Thomas par la manche. Il pousse une exclamation de surprise mais se laisse entraîner dans le salon. Je ne suis pas surprise de voir Will assis au bar en train de pianoter sur son téléphone; notre porte est toujours ouverte et nos amis ne se gênent pas pour entrer et allumer la télé à n'importe quelle heure de la journée. J'ordonne à mon colocataire de s'asseoir bien droit sur le fauteuil et m'assied en face de lui sur la table basse. Il hausse un sourcil.
"Parfait!"
"Quoi?"
"Le sourcil!"
Will nous jette un regard interrogateur avant de se replonger dans l'écriture de son sms. Je cadre le visage de Thomas qui comprend.
"Je ne suis pas un bon model."
"J'aurais pu trouver mieux, mais je n'ai pas vraiment le choix."
Il grimace et je lui fais un clin d'oeil.
"Je plaisante, it's a blague lokay?"
Il rit et s'enfonce dans le canapé.
"Dos droit! Regarde moi dans les yeux!"
Il soupire mais s'exécute.
"Allons, c'est un véritable honneur d'être ton modèle, je ne devrais pas me plaindre."
"Exactement!"
Je commence à tracer la forme de son visage, son cou, ses yeux... J'accumule les détails importants alors qu'il reste assis bien sagement en discutant avec Will. Celui-ci a la bonne idée de mettre un peu de musique... Thomas ne masque pas son envie de bouger sur le son de cette musique récente; il me suffit de poser mon attention sur mon dessin quelques secondes et de relever la tête ensuite; le voilà déjà en train de danser dans le salon avec Will. Malgré mon envie de terminer mon dessin aujourd'hui, je ne peux m'empêcher de prendre part à leur jeu et mêler mon rire aux leurs, mon colocataire qui d'habitude est si sérieux se lâche enfin le temps d'une chanson; je ne peux me permettre de manquer ça! Je pose mon carnet sur la table et me lève en me dandinant exagérément. Ça se dit encore "se dandiner"?
Will se rend compte de ma participation et n'hésite pas une seconde avant de me prendre par les hanches pour me faire danser. Je pousse un cris de stupeur et ris aux éclats. Thomas attrape ma main et me fait tourner pour m'écarter de l'étreinte de son ami, puis me fait basculer en arrière dans un geste professionnel. Il me ramène à lui dans cette fameuse position de danse, une main sur les hanches et une autre relevée vers le plafond; il ne manque plus que la rose dans sa bouche et le costume cravate pour que la scène soit complète. Il me fait faire quelques pas de danse avant que la porte de l'appartement ne s'ouvre à la volée et qu'un Dylan dans son état habituel, c'est à dire complètement fou, entre en trombe. Il entend la musique et nous voit danser, alors sans plus attendre, il m'arrache des bras de Thomas pour me porter telle une princesse et me faire virvolter dans la pièce sous les rires de mes amis. Car oui des scènes commes celle-ci se répètent souvent et rien ne peut me rendre plus heureuse que des rires partagés entre amis. Ça ne fait qu'un peu plus d'une semaine que je suis à Londres, la peur m'avait envahie, je ne savais pas à quoi m'attendre appart au pire. Une université dans laquelle je serais perdue, des cours difficiles, seule dans un appartement pendant un an dans un campus où je regarderais des groupes d'amis tout faits avec envie. Mais non, j'ai réussi, j'ai des amis, de merveilleux amis qui m'apprécient autant que moi je les apprécient. Et c'est fantastique.
***
Le soir même Thomas rentre dans l'appartement d'un air joyeux, il revient de chez ses amis. Dylan, Lee et Will partagent l'appartement dans lequel Thomas était censé vivre. Au début j'avais un peu peur qu'il soit malheureux de vivre avec moi plutôt que ses amis, mais finalement il a l'air de bien se porter. Il pose ses clés sur la table devant mon nez alors que je lève ma tête endormie vers Thomas.
"Pose moi ce téléphone et va mettre une belle robe. Je t'emmène diner."
Je cligne plusieurs fois des yeux.
"Diner? Au McDonald?"
Il rit.
"Pas vraiment non..."
Je fais mine de bouder et sautille jusqu'à ma chambre pour me changer. Et bien quoi? Pas besoin de vouloir m'impressionner en m'emmenant manger du foie gras où une bêtise gastronomique du genre, un McDonald c'est largement suffisant. Je me rend tout de même dans ma chambre par pure politesse.
Je me regarde plusieurs fois devant la glace. Mais de quoi ai-je l'air? Je suis de taille moyenne avec des cheveux mi-long naturellement en bataille. Ils ont du volume, ils sont brun et raides. J'ai des sourcils plus foncés que mes cheveux et droits. Mes yeux sont en amande et d'une couleur brune également mais plus clairs cette fois-ci. J'aime m'habiller à la manière des anglais où alors combiner tous les vêtements que je trouve dans mon armoir pour donner quelque chose de loufoque et sympa. Je défais mon chignon et secoue la tête. L'avantage, mes cheveux naturellement en bataille ne sont pas emmêlés et coiffés d'une secousse de ma tête. J'applique un trait d'eye-liner fin; je me sens d'humeur coquette, on ne me demande pas souvent de mettre une robe pour aller diner. Alors j'enfile une robe à col noire cent pour cent british pour aller avec. En me regardant dans la glace je me sens plus belle, plus vivante et de meilleure humeur. Je sors alors rejoindre Thomas qui me propose son bras.
"Allons-y, belle colocataire."
Il me sourit d'un air amusé auquel je réponds par une grimace et le suit dans le couloir du bâtiment.
***
C'est plutôt comique de prendre le métro dans une tenue habillée alors que les voyageurs presents sont; un garçon tatoué au style "la casquette à l'envers et le jogging trop grand", une fille aux cheveux vert et noir maquillée comme un panda qui me jette des regards haineux, une vieille dame en combinaisons de moto et une femme marocaine habillée de façon traditionnelle avec son fils. Nous sommes peu et nous nous dévisageons durant les 10 minutes de trajet dans un silence lourd qui a pour habitude de mettre mal à l'aise.
Enfin nous sortons et Thomas m'attrape à nouveau par le bras.
"C'est moche ici."
En effet, les murs humides et crasseux de moisissure verdâtre ainsi que le sol carrelé aux dalles fendues ne donne pas un aspect très charmant à l'endroit. Ses paroles raisonnent dans la station de métro vide. Il me regarde et un sourire s'étend sur ses lèvres.
"Tu ne veux pas rester ici plus longtemps n'est-ce pas?"
Je fronce les sourcils en souriant, quand Thomas est comme ça, il a toujours une idée derrière la tête.
"Pas vraiment, non."
Il me prend par la main.
"Alors cours! Les psychopathes tueurs en série sont derrière toi!"
"Ça me suivras toute ma vie, c'est ça?"
"Je n'oublierais jamais!"
Sur ce il me tire par le bras et se lance dans une course contre les psychopathes tueurs en série imaginaires. Nous courrons à travers la station vide en riant et en criant comme des enfants. Il s'amuse à me pincer en criant pour m'effrayer, ce à quoi je riposte par des attaques avec mon sac à main; je ne sais pas dans quel état nous arriverons à notre dîner, mais peu m'importe en ce moment. Un courant d'air frais d'une soirée londonienne nous accueille à la sortie de la station, nous débouchons dans une rue presque vide remplie de magasins de marque fermés à cette heure ci. Nous déambulons alors dans la rue en marchant légèrement de travers après cette course poursuite folle en reprenant notre souffle sans cesser de rire. Je tente vainement de remettre mes cheveux en place; nous tournons à l'angle de la rue et le seul bar illuminé attire mon attention; de celui-ci s'échappe des airs de jazz entraînants. Justement, mon colocataire m'entraîne là-bas. Je me demande bien ce qu'il me prépare cette fois... Ce garçon avec qui je m'entends déjà si bien et de qui j'ai pourtant encore tant à apprendre.
***
"Thomas! Mon chéri, viens pas là!"
Une petite dame blonde s'approche à bras ouverts de celui-ci qui laisse paraître un grand sourire sur ces lèvres.
"Maman! Tu vas bien?" Ils se font trois fois la bise avant de se tourner vers moi, qui me mets à rougir. "Je te présente Mercy."
Le dame s'approche de moi, pose ses mains sur mes épaules et me détaille avec un sérieux prononcé.
"Je n'arrive pas à y croire, elle est charmante! Je suis si heureuse pour vous!"
Elle nous prend tous les deux dans ses bras en nous regroupant dans un gros câlin collectif qui m'étouffe rapidement; je mets du temps à comprendre ce qu'il se passe.
"Vous comptez emménager ensemble bientôt? Depuis quand êtes-vous ensemble? Quand vous êtes vous rencontrés?" Dit-elle avec un enthousiasme non dissimulé. "C'est vraiment chouette, je n'aimais pas Isabella!"
Le déclic se fait dans ma tête en même temps que Thomas, nous nous regardons tous les deux, les joues rosées.
"On est pas ensemble maman, c'est ma colocataire."
Je hoche la tête pour approuver ses paroles en feignant de sourire alors que Thomas rit nerveusement. La dame plaque une main devant sa bouche.
"Mais bien sûre, suis-je bête... Tu es tout de même charmante! Je suis Tasha, la maman de Thomas. Je suis ravie que tu viennes assiste à notre concert, Mercy."
Elle parle tellement vite que je dois me concentrer pour comprendre ce qu'elle me dit.
Elle me fait également trois fois la bise avant d'ébouriffer les cheveux de Thomas et lui murmurer sans aucune discrétion ces mots:
"Elle est vraiment mignonne, je suis un peu déçue qu'elle ne soit que ta colocataire. La prochaine fois reviens avec elle pour m'annoncer autre chose..." Elle s'apprête à s'en aller mais se retourne vivement pour ajouter; "Je n'aimais vraiment pas Isabella..."
Ensuite elle se dirige vers la scène en gloussant, dans une démarche des plus élégante Elle est blonde et ressemble fort à Thomas, pour son âge on ne peut rêver plus de classe avec sa robe noir à décolleté plongeant, ses talons hauts, ses gants de bal et sa coiffure de pin-up; elle a tout de la femme de scène parfaite. Thomas se tourne vers moi, plus rouge que jamais.
"C'est ma mère..."
"Elle est géniale" dis-je en riant.
"Tu as tout entendu?"
Je secoue la tête en signe d'affirmation.
"Tout!"
Il soupire et m'invite à m'asseoir à une table pour deux non loin de la scène. Tel un gentleman, il hôte ma veste et tire ma chaise pour que je puisse prendre place. Autour de nous, tout est majestueux. Sur notre table luit une bougie et repose une rose blanche dans son vase et la salle reigne dans une ambiance douce aux lumières tamisées. Les gens sont biens habillés et boivent dans des coupes de champagne avec cet éternel raffinements dans chacun de leurs mouvements et pourtant cette envie bien présente de faire la fête. Un serveur, ou un pingouin comme j'aime les appeller, s'amène avec deux coupes de champagne posées sur son plateau d'argent. Nous nous emparons en remerciant le pingouin géant.
"À notre coloc'?"
"À notre coloc'!" Dis-je avec entrain.
Nos deux verres s'entre-choquent alors que je porte la boisson délicate à mes lèvres. Elle coule dans la gorge avec cette impression de chaleur qui m'envahit directement tant le goût est somptueux. Je repose mon verre sur la table et continue d'observer autour de moi avec admiration.
"C'est un bel endroit, c'est vrai."
Je regarde Thomas alors qu'une question me revient à l'esprit.
"Tu viens souvent? Pourquoi ta mère m'a parlé de concert?"
"C'est pour ça que je t'ai emmené. Avec ma famille, on a créé un groupe qui s'appel Winnet, je suis à la basse."
Quelqu'un tappe dans le micro et Thomas me sourit, je regarde alors la jeune fille qui se tient debout sur scène. Elle est vraiment magnifique avec ses cheveux blonds, ses lèvres rouge et sa tenue sexy mais chic. Elle ressemble un peu à Thomas et à sa mère, j'en déduis qu'il s'agit de sa soeur Ava dont il m'a déjà parlé. Je retourne la tête vers celui-ci mais voilà qu'il a déjà disparu. Elle lance quelques mots rapides que je ne comprends pas complètement en anglais et les lumières diminuent dans la salle alors que celle de la scène s'illuminent. Thomas arrive, plus beau garçon que jamais avec sa guitare accrochée autour de son cou. Il se pose à la droite de sa mère et de sa soeur qui sont au micro et à gauche d'un autre homme à la guitare. Il y a également un pianiste.
"Nous allons vous interpréter Walk On." Annonce Tasha vec un sourire chaleureux adressé au public.
La musique démarre et Thomas s'active sur les cordes de son instrument. J'admire ses réflexes et ses mouvements rapides que je n'ai jamais réussi à métriser... Oui j'ai essayé la musique et ça n'a pas marché. Ne vous moquez pas...
C'est une musique entraînante que je ne peux qu'apprécier, mon pied tape tout seule sur le sol et ma tête se secoue de gauche à droite automatiquement. Sa mère possède quelque chose de spécial dans sa voix que j'aime beaucoup, sans parler de la voix d'Ava qui me donne des frissons; elle n'est pas exactement juste mais absolument adorable. Et Thomas à la guitare... Je ne cesse de le regarder. Je me sens gênée et j'ai peur qu'il ne m'y prenne, mais comment dire...? Il n'a jamais été aussi séduisant que là, maintenant, avec sa chemise violette pâle, sa cravate rouge bordeaux et ses cheveux blonds en batail à gratter sa guitare avec un entrain indescriptible; on dirait qu'il vit la musique. L'expression concentrée de son visage me fait sourire, il est vraiment beau. Je rougis et passe une main dans mes cheveux en mordillant l'intérieur de mes lèvres, c'est une sensation de chaleur et de bonheur qui m'envahit entièrement, je regarde Thomas sans ciller, mon estomac fait des bonds... J'ai envie d'être à ses cotés, de le toucher, de le sentir près de moi. Je bois un coup dans ma coupe pour me donner une contenance, me sentant légèrement idiote de penser ainsi.
Mère et fille descendent de la scène et entament une danse qui me donne envie de me joindre à elles tant c'est mouvementé et gai. Je souris à le vue de ce duo parfait mais mon intention se reporte sur le beau guitariste. Soudain, le temps paraît s'arrêter. Il lève les yeux vers moi sans s'arrêter de jouer, me sourit et me fait un clin d'oeil en donnant un coup de tête dans ma direction. Je le regarde droit dans les yeux un instant en sentant mes joues prendre feu puis il détourne le regard et se remet de plus belle à la musique. Je me pince les lèvres à en saigner, mon coeur bat fort.
Ne serais-ce que le temps d'une soirée, je me suis sentie amoureuse.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top