Chapitre 23
Errer sans but dans les alentours de son immeuble en passant de cafés en cafés, regardant le ciel dégagé et les hauts bâtiment s'étendre sur des kilomètres devant sois. Les mains enfoncée dans mes poches et mon menton enfuie dans mon foulard, je marche en ne pensant à rien. Je me décide en fait, à aller voir Thomas. Si ce que Dylan dit est vrai, je pourrais m'en réjouir... Sa réaction était des plus inattendue, j'ai fort apprécié une telle compassion, je suis contente que ça ne le touche pas et qu'il soit resté pour moi malgré tout. Je lui serais éternellement reconnaissant. Au fond, quand j'y pense, j'ai des amis en or. Il m'a fallut un temps pour le réaliser, oui, il m'a fallut les perdre pour comprendre leur véritable valeur. L'expression neutre de mon visage m'inquiète, je suis tendue et ce n'est pas à mon habitude, d'habitude c'est toujours le rire et le sourire qui l'emportent. Mais cette fois-ci, c'est différent. Je cherche tout simplement un sens à cette histoire, savoir si un jour je me sortirais de cette situation gênante. Probablement, mais ce jour me paraît loin... Si loin. Vous connaissez aussi ce sentiment, j'en suis persuadée, celui qui nous ronge de l'intérieur avec cette impression d'être dans une impasse, que tout est insurmontable et que la potentielle sortie n'est qu'une vulgaire rêverie. Au final on s'en sort, on s'en sort toujours; mais dans l'instant présent c'est inimaginable. C'est exactement mon ressenti. Je ne sais pas ce que je vais dire, je n'ai aucune idée de comment tout arranger, pourtant il va me falloir rentrer. La nuit tombe et j'ai beau marcher depuis des heures, mes idées sont toujours aussi floues. Alors je reprends la direction de l'appartement, tête baissées, en signe de soumission à mon destin. Il se passera ce qu'il se passera, j'ai de plus en plus de mal à interpréter les mots de Kaya; vivre et laisser vivre. Est-ce vraiment possible? Vit-elle en laissant vivre les autres? Peut-être qu'elle y arrive mais moi, ça me semble difficile. Trop difficile. J'ai une sainte horreur des mathématiques et vous savez quoi? Je donnerais cher pour être en train de passer cinq examens sur la trigonométrie plutôt que de rentrer chez moi pour y retrouver Thomas. Vous voyez à quel point ça va loin? De la trigo, jamais je n'y aurais songé avant! Cette idée me fait tout de même frissonner.
Arrive ce qui se doit d'arriver, j'ouvre la porte déjà ouverte de mon appartement en la refermant à clé derrière moi. Je prends ensuite mon temps pour me débarrasser de ma veste et de mon sac, m'étirer un peu et souffler. Une balade est tout de même enrichissante, il est bon de respirer l'air frais pour se détendre. Cette petite détente ne dure pas plus longtemps quand je tourne la tête vers la grande fenêtre où se trouve un tout petit balcon très étroite. Thomas y est posté, accoudé à la barre métallique supérieur. Il est de dos, ne portant qu'un jean. Je ne l'ai jamais vu dénudé de cette façon, jamais sans son t-shirt. La vue de son dos musclé me fait légèrement rougir, je me demande ce qu'il fait là. C'est peut-être le moment de discuter calmement dans la fraicheur du soir, sur notre balcon. Je m'approche alors furtivement en passant la porte fenêtre coulissantes, me retrouvant à ses côtés. Mais c'est avec horreur que je retrouve dans sa main droite une bouteille d'alcool et dans la gauche un vulgaire couteau de cuisine tranchant. Il ne me regarde pas, il se contente de boire une nouvelle gorgée en tripotant l'arme, la tournant et retourant entre ses mains. Je le regarde, stupéfaite, sans vraiment comprendre. Je passe mes yeux tel un rayon X le long de son corps et la stupéfaction laisse place à l'horreur. Le long de son bras droit sont distincts de légers coups de couteau, fin mais allant jusqu'au sang. Mais qu'est-ce qui lui passe par la tête bon sang?! Je pose une main sur son épaule en signe de bienveillance, évidemment, la bouteille dans sa main droite veut tout dire. Il n'aurait jamais fait ça dans un état de sobriété, jamais. Je glisse ma main libre sur son bras tenant le couteau et ecarte doucement ses doigts crispés sur l'arme. Il se laisse faire jusqu'à ne plus exercer aucune pression sur le bout de plastique et de métal noir; je lui retire des mains avec délicatesse. C'est à moi de tourner la chose entre mes mains, comme un fruit du diable, avant de le jeter dans la ruelle en bas, là où reposent les poubelles de l'immeuble. Il tombe dans un bruit sourd au fond d'une benne à ordure rouillée, Thomas le regarde de ses yeux rougis et vagabonds, perdus dans une brume épaisse.
"J'ai jamais couché avec Isabella."
Je tourne la tête bers son visage neutre, toujours en train de regarder le couteau au fond de la caisse métallique.
"Elle m'a demandé de la rejoindre dans cette chambre. J'y suis aller pour m'expliquer avec elle, lui dire que je ne l'aimais plus. Lui dire que quelqu'un d'autre occupait mes pensées."
Mon coeur se serre sous cette révélation, c'est à mon tour de sentir mes yeux s'humidifier et rougir. Quelle idiote j'ai été, accuser Thomas d'avoir couché avec Isabella alors qu'il ne faisait que lui dire que c'était finit pour de bon. Lui dire que... Qu'il m'amait sans doute. Et moi, je me suis justement retrouvée face à lui, prise en flagrant délit avec Dylan. Je n'ose même pas imaginer sa peine quand il l'a compris. Il a agit pour moi et je l'ai déçu.
"Je suis désolée." Dis-je dans un souffle sans savoir m'exprimer autrement.
Mes yeux se portent à sa bouteille que je m'empresse de lui retirer. Je la garde en main pour qu'il ne puisse plus s'en emparer à présent. Nous restons là un moment à regarder la ruelle crasseuse et la façade du bâtiment en fasse de nous en silence.
"Tu aimais vraiment Dylan?" Dit-il soudainement.
"Thomas..." Je réponds, gênée.
"Répond moi Mercy."
"Non." Dis-je subitement.
Il me fallait lui avouer. Autant que ce soit clair. Il ne dit plus rien ensuite, je sens mes joues prendre feu au fur et à mesure que le temps passe.
"Va te coucher Thomas, s'il te plaît."
Il ne réagit pas directement mais finit par passer devant moi, je ferme donc la porte vitrée derrière lui et tire les rideaux. Il se glisse dans sa chambre sans un regard vers l'arrière; cette fois je ne le laisserais pas filer, je m'empare d'un alcool desinfectant et imbibe un coton d'ouate du liquide. Voilà le parfait prétexte pour rester près de lui un moment. À mon tour de me glisser dans sa chambre. Je referme la porte derrière moi et l'obscurité s'invite dans la pièce; seule la lumière des lampadaires dans la rue et de la lune s'infiltrent par les volets mal fermés, laissant à mes yeux la capacité d'y voir clair. Son lit est un grand matelas posé sur des lattes en bois à même le sol, nous connaissons tous ce genre de lit que j'adore particulièrement. Je pose la bouteille qu'il possèdait tantôt sur le sol à côté de moi et m'assied sur le lit. Mon bras se pose de lui même sur le siens; il se laisse faire quand je le manipule pour retrouver ses quelques plaies. Je tapote avec douceur le coton d'ouate sur celles-ci, le voyant grimacer et serrer la mâchoire. La sensation de l'acool sur les blessures est agressante et irritante à la fois; rien de très réjouissant. C'est donc pour ça que ma main libre caresse son épaule en signe de réconfort dans un mouvement qui m'est naturel. Une fois ça terminé je lance la ouate plus loin par terre et décide de me glisser sous sa couette, qu'il le veuille où non, après cet épisode je n'envisage même pas de le laisser seul. Il n'y voit apparemment pas d'opposition alors je lui tourne le dos, serrant la couverture grise entre mes doigts. Je regarde le pied de son bureau fixement, je me sens à la fois bien d'être avec lui mais j'aurais tellement aimé que ce soit dans d'autres conditions...
"Ne recommence plus jamais ça." Je chuchote, la voix tremblante en faisant allusion au couteau et à l'alcool.
Un silence. On finirait par s'y habituer.
"Je te le promets."
Mon coeur se sert à cette réponse à laquelle je ne m'attendais point.
"Non tu... Tu ne peux rien me promettre. Tu n'es pas conscient de ce que tu fais ni de ce que tu dis."
Je ne dois pas oublier que je parle à un Thomas ivre. Demain il aura oublié que j'ai été là, dans son lit et que j'ai désinfecté ses plaies.
"Je suis totalement conscient Mercy."
Je secoue la tête en serrant les couettes de plus belle, mon visage se crispant et des larmes se mettant à tremper son oreiller. Que je suis bête. Je me sens comme une idiote de craquer maintenant.
"Non. Tu n'est pas conscient..." Je souffle comme pour me persuader.
Il inspire et expire un instant.
"Regarde dans la bouteille." Dit-il finalement.
Je fronce les sourcils sans comprendre mais tend tout de même la main vers la bouteille qu'il tenait tantôt. Je la porte à mes lèvres pour y goûter le contenu.
De l'eau.
C'est n'est que de l'eau.
L'imbécile s'est fait passé pour ivre pour que son geste se fasse plus facilement pardonner. Je lâche la bouteille qui s'en va rouler sur la moquette, répandant de son contenu sur le sol. J'enfuis mon visage sous les couvertures et laisse couler mes larmes, secouée par de violents sanglots incontrôlables.
"Non." Je murmure entre deux crises de larmes silencieuses. "Non, non, non."
Ce ne sont plus de simples perles qui roulent le long de mes joues rosées par l'émotion mais un véritable torrent incontrôlable que je veux silencieux. Il avait bien raison de dire que tout était plus facile sans moi.
Je sais ce qu'il me reste à faire; ma place n'est pas ici.
***
Il est humain. Il a des sentiments. Et moi, je n'ai pensé qu'à mon propre ressentis; il est clair que je ne suis qu'une égoïste. Je ne voulais pas me poser de question en partant mais c'est en le voyant dans un tel état hier soir que j'ai longuement réfléchis la nuit durant. Il souffrait atrocement et je n'ai rien vu, quel monstre ai-je fais? Ma décision est prise; enfin je me ferais oublier et je les laisserai vivre en paix sans venir m'immiscer dans la vie jusque là bien tranquille des autres pour y semer le trouble. C'est donc pour ça que dès tôt le matin, je me lève pour aller boucler ma valise. Il ne me faut que le nécessaire, le reste, les déménageurs s'en chargeront plus tard. Quand j'ai quitté le lit, Thomas dormait encore, comme un enfant insouciant. Dans son sommeil, il a l'air innocent, comme si tous le tord que je lui ai causé se dissipait le temps d'un somme. La culpabilité est un grand et puissant sentiment qui fait chavirer un homme avec une facilité redoutable. On parle de l'amour, de la colère, de la tristesse qui sont des sentiments destructeurs aux pouvoirs immenses; mais parle-t-on assez de la culpabilité? Elle est pourtant ravageuse. Alors imaginez un peu ces quatres sentiments se mélangeant en un ouragan d'abominations dans ma boîte crânienne... C'est une véritable anarchie. J'ouvre le porte de ma chambre en faisant rouler derrière moi ma valise, un deuxième sac à mon épaule. Je prends ma veste au porte menteau et mon éternel foulard qui y pend avant de bien recaler mon sac dans le creux de mon bras. Le billet de train pour la France est réservé depuis six heure trente du matin et mes parents sont au courant de mon arrivée bien qu'improbable. Ils ne sont pas réjouis que je quitte tout alors que la fin de l'année approche, mais qui donc peut s'opposer à ça? C'est mon choix et personne ne pourra m'arrêter, j'entrerais dans ce train et mes parents resteront impuissants face à cette décision. Il est huit heure du matin, je suis prête à prendre le train de neuf heure en direction de Paris. J'attends seulement que Thomas se présente dans la pièce pour lui dire au revoir; je ne veux pas m'enfuir comme la dernière fois. Au bout de dix minutes la porte de sa chambre grince et il en sort tout habillé, son regard tombe sur moi avec incrédulité.
"Mercy?"
"Salut." Dis-je en serrant dans la main la poignée de la valise.
Je regarde l'heure sur mon téléphone avant de le ranger dans la poche de ma veste et me sent prête à le regarder dans les yeux pour faire mes adieux.
"Qu'est-ce que tu fais?"
"Tu avais raison. C'était plus simple sans moi. Je n'ai réussi qu'à semer le trouble au sein du groupe et à chambouler ta vie, dans un sens qui n'est pas celui qu'on aurait tous les deux espérer." Je baisse les yeux en sentant mes joues rosirent.
"Qu'est-ce tu veux dire pas là?" Dit-il la mine grave.
Non, ce n'est pas de l'inquiétude. Il est froid et distant, ce qui me donne l'envie de déguerpir au plus vite.
"J'ai réservé un billet en retour vers la France. Je voulais que tu sois au courant de mon départ cette fois. Sauf qu'à présent, je ne reviendrais plus."
Mes yeux balayent le parquet en essayant de ne pas verser de larmes supplémentaires. Il ne répond pas, non, rien. Il me regarde et c'est tout. Je m'approche tout de mêmes de lui, qu'il le veuille ou non je n'ai pas oublier le passé et notre complicité, je l'enlace quelques instants sans exercer de pression et me retire en ouvrant la porte.
"Je suis tout de même heureuse de t'avoir rencontré et d'avoir pu être ta colocataire le temps d'une année."
Je sors de l'appartement et me retourne, le regardant tristement en fermant doucement la porte derrière moi à tout jamais.
***
"Allô?" Résonne la voix cristalline de Kaya dans l'appareil.
Ma main gauche est crispée sur le guidon alors que l'autre est fortement accroché à mon téléphone que je porte à mon oreille.
"Kaya."
"Mercy? Qu'est-ce qu'il se passe?"
Je garde le regarde fixé sur la route ne sachant par où commencer.
"Kaya, tu te souviens de ce que tu m'as dis sur le fait que j'étais ta meilleure amie?"
"Ouais..." Dit-elle avec hésitation, attendant la suite avec crainte.
"Et bien je voulais te dire que c'était la même chose pour moi. Tu es ma meilleure amie, je n'ai jamais rencontré de personne aussi merveilleuse que toi et je ne rencontrerai plus jamais de personne semblable. Tu m'épate tous les jours un peu plus, je t'admire et je t'assure que rien qu'en t'entendant parler j'ai des étoiles dans les yeux. Tu as un parcours magnifique et ta personnalité me fait rêver. Kaya je t'aime, tu resteras pour toujours dans mon coeur. J'aurais l'honneur de pouvoir dire haut et fort que tu es ma meilleure amie pour le restant de mes jours." Enfin je souffle après avoir débité ce petit monologue improvisé complètement gnangnan.
Je le trouvais pourtant nécessaire. Je n'ai plus le temps d'aller la voir et elle m'empêcherait certainement de me rendre à la gare, alors je préfère lui téléphoner pour ne pas me laisser submerger par mes émotions et finalement rester chez elle.
"Mercy... C'est vraiment gentil mais tu m'inquiète. Qu'est-ce que tu mijotes encore?"
Je souris, elle me connaît bien.
"Je retourne en France Kaya. J'arrive à la gare, mon train va arriver. Ne t'y oppose pas, je t'en supplie. Je ne t'oublierai jamais. Dis aux autres que je les appèlerais une fois arrivée."
Et sur ce je raccroche, ne lui laissant pas le temps de me traiter de folle et de me commander de faire demi-tour immédiatement. À peine ai-je coupé la conversation qu'elle me rappelle. J'ignore. Un nouvel appel. J'ignore, et encore un appel. Je décide d'éteindre mon téléphone pour ne pas être tentée de répondre.
***
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