Chapitre 22
"Mais je ne veux pas partir."
Non, je ne veux pas. On m'arrache à ma si courte liberté, je suis oppressée entre mon siège et ma ceinture avec l'impression de me fondre dans le cuire noir du premier. Pour me remonter le moral, la veille, Kaya m'a lancé dans une partie endiablée de volley-ball avec des inconnus. Ensuite nous avons bronzé un instant et la voilà avec un coup de soleil dans la nuque; et puis, on est partie. Plus la nuit tombait, plus mon coeur s'émiettait. J'ai passé une merveilleuse journée malgré le fait que j'étais rongée par la peur du lendemain; une dernière nuit en voiture, un dernier sourire avant de plonger dans les bras de Morphée. Je crois que j'ai pleuré cette nuit là, mes yeux rouges et irrités me trahissent. En cet instant précis je suis sur la route où la circulation bat son plein alors que je m'efforce d'arrêter de penser aux conséquences de mes actes. Et Kaya? Qu'en pense-t-elle? Vais-je me risquer à lui poser la question?
"Je n'en pense rien du tout." Ai-je comme réponse. "Il faut apprendre à vivre et laisser vivre sans trop se poser de question. Sans quoi tu vis dans l'angoisse et la peur à longueur de temps."
Je la regarde, les yeux brillants d'admiration. Je suis impressionnée, envieuse de sa façon de penser. C'est si simple de bien vivre finalement. Et pourtant si difficile à la fois... Je hoche la tête et me recale dans mon siège en la laissant conduire et tourne le volume de la radio plus fort en fermant les yeux. J'ai beau ne pas aimer la musique qui passe, je me laisse transporter dans sa mélodie en laissant passer le trajet de Camden jusqu'à chez nous. Vivre et laisser vivre.
***
Ça fait mal, très mal de devoir lâcher la personne avec qui vous venez de vivre tant de choses extraordinaires. Mais je suis bien obligée de déposer Kaya chez elle. Je serais bien restée dans son appartement mais premièrement, ce serait lâche, deuxièmement, j'ai envie d'être un peu seule et de retrouver ma chambre, troisièmement je veux prendre une douche plus que tout au monde. Et puis je pourrais la kidnapper aussi, mais ce serait mal vu, voyons. Elle doit elle aussi faire face à des problèmes à présent et je ne veux surtout pas m'immiscer dedans; j'ai déjà les miens à régler, c'est amplement suffisant. Je la serre une dernière fois dans mes bras, fort, très fort, et la lâche malgré moi. Elle prend ma main avant de refermer la portière.
"Merci pour tout. Je t'aime." Me dit-elle en souriant faiblement. "Courage."
"Tout ça c'est grâce à toi. Je t'aime."
Elle me lâche après un dernière pression sur mes doigts et la porte claque. Elle s'éloigne et rentre dans le hall de son appartement, ses quelques bagages à la mains. Mon coeur bat à tout rompre. Je prends la place sur le siège conducteur et n'arrive plus à démarrer, quelque chose de puissant m'en empêche alors je laisse tomber ma tête contre le volant; je suis complètement tétanisée. Je referme une dernière fois les yeux en écoutant une vieille chanson diffusée sur la chaîne radio, c'est une balade, une douce balade sur laquelle je voudrais m'assoupir. Une balade qui m'enlèverait loin d'ici, me transporterait ailleurs. Il me faut bien le temps de cette chanson avant de pouvoir démarrer à contre coeur et prendre la direction de mon immeuble. Tant de vécu et tant d'impuissance face au futur, c'est attristant tout de même... Je roule, figée, mon coeur balance dans ma poitrine et menace d'exploser. Oh, une explosion serait la bienvenue, tiens. Je gare la vieille voiture cabosée sur les places réservées devant ce redoutable immeuble qui me fait tant frissonner. Tout est passé si vite! J'ai l'impression d'être partie hier, c'est incroyable; me voilà déjà de retour avec l'impression horrible d'avoir fait une grosse connerie. Je reste un instant dans le véhicule avant de sortir. Bon sang ma peur est indescriptible; devoir affronter la réalité est une des pires choses à accomplir dans une vie, du moins pour ma part. Je repense à toutes ces fois où j'ai emprunté ce petit chemin jusqu'à l'entrée de l'immeuble, où je chantonnais à en donner le tournis au concierge jusqu'à la porte de mon appartement. J'entrais toujours joyeuse, déposant un sac de cours où de courses puis retrouvais Thomas sur le divan. On regardait la télé, on parlait, on faisait à manger et il y avait toujours quelqu'un d'autre dans la maison. Que ce soit Will assis au bar avec un verre de coca et son téléphone, Dylan en train de se coiffer dans une de nos salles de bain avec la musique au maximum où Lee aux fourneaux, l'appartement était toujours en mouvement; chaleureux et accueillant. Et cette fois je monte les quelques marches avec un air de mort pour entrer dans l'ascenseur avec le coeur gonflé et la tête lourde. Je me dois de faire bonne figure, de faire comme si l'avis de Thomas ne m'intéressait pas; qu'il reste indifférent où inquiet. Je dois me conduire comme si ce séjour m'avait redonner un coup de pouce et que j'étais à nouveau une personne pleine de joie de vivre. Oui, faire comme si... Les portes s'ouvrent sur le couloir de mon appartement, l'appartement me fait face. Il n'y a plus de retour en arrière possible, je dois franchir cette porte et assumer mes actes comme il se doit; c'est bien facile à dire. Et c'est pourtant ce que je fais.
Je m'avance, je sors mon trousseau de clés et j'ouvre la porte.
***
La porte s'ouvre sur la cuisine, une vue à laquelle j'étais habituée en entrant ici tous les jours après les cours.
Mais là, je le vois.
Il est dos à moi, penché sur un plan de travail et il ne bouge pas; on dirait qu'il réfléchit avec intensité. Ses cheveux blonds vénitiens tombent parfaitement dans sa nuque en laissant une petite crole visible derrière sa tête telle une queue de canard. Il porte un pull gis au dessus d'une chemise et un jean délavé ainsi que ses éternelles baskets bleues foncés. Malgré la porte qui s'ouvre il ne se retourne pas, ne s'attendant certainement pas à me voir débarquer ainsi en début d'après-midi.
"Y a plus rien Will, si tu veux manger va falloir commander."
C'est donc ça, il me prend pour Will qui vient souvent commander des plats chinois chez nous pour midi. Voyant que je ne réponds pas il redresse la tête. Chacun de ses mouvements me fait un drôle d'effet. Peut-être de la frayeur, de la nostalgie... Je ne saurais dire.
"Will?"
Je suis pétrifiée, droite comme une planche et je le regarde tout simplement, une main portée à mon sac.
Il se retourne.
Je vois ses émotions faciales passer du neutre à la stupéfaction, son visage se décomposer littéralement et devenir pâle comme un linge. Je serre les lèvres en essayant de paraître indifférente du mieux que je peux, après toutes les émotions qui m'ont traversé aujourd'hui avant d'en arriver là, c'est quelque peu compliqué. Je me contente de planter mon regard dans le siens ayant pour but de déchiffrer son ressenti. Il déglutit difficilement alors que nous restons là à nous regarder droit dans les yeux sans savoir quoi faire, quoi penser. Je décide de me lancer malgré moi avec l'introduction la plus pitoyable de tous les temps, mais je ne vois pas d'autre solution.
"Salut."
Sa mâchoire se contracte, la stupeur passe jusqu'à la colère, ses poings se serrent comme mon coeur en cet instant; la peur reprend le dessus sur l'indifférence que j'essayais d'acquérir.
"Mercy."
Il me jauge de haut en bas en restant planté là, face à moi; il faut que je bouge, le malaise est bien trop important. Alors j'ai pour réflexe de fermer la porte derrières moi et de prendre la direction du couloir vers ma chambre.
"Camden Town, c'est ça?"
Je me retourne vers lui, surprise de l'entendre dire ces mots. Comment sait-il? Il comprend à mon air interrogateur et donne un coup de menton, la mâchoire toujours crispée, vers mon t-shirt. Suis-je bête, évidemment, le nom de Camden Town y est inscrit en toute lettre. Je hoche la tête et m'en retourne vers ma chambre où je prends soins de refermer délicatement la porte. Quelle belle entrée en matière, rien de plus accueillant que de se faire dévisager par son colocataire après être rentré d'une fugue. Mais à quoi je m'attendais bon sang? J'ai fais une erreur, à moi de me l'assumer. Et puis à bien y réfléchir ce n'était pas une erreur. Ce voyage était enrichissant de plus que je suis majeur à présent et qu'il me vient le droit d'être responsable de moi-même et donc de quitter le logis pour aller m'aventurer où bon me semble. Je veux juste me persuader moi-même que je n'ai rien fais de mal, et ça me blesse encore plus. Car je l'avoue, peut-être espérais-je un soulagement se lisant sur son visage, une accolade, quelque chose de plus beau, de plus doux. Comme prévu je me glisse dans la douche et une sensation de bien-être m'envahit. Rien de tel qu'une douche à température ardente pour se calmer un instant. En ressortant de là, mes cheveux sont enfin propres et je sens bon le savon. Je me sens à nouveau apte à faire face à la situation dans des conditions plus saines et appropriées. Je peux maintenant me vêtir d'habits corrects et confortables et non d'une robe de soirée aux senteurs d'alcool où d'un atroce débardeur plein de sable. Je me sens prête; je ressors de ma chambre avec plus d'assurance. Il est assis au bar et pianote sur son téléphone; prévient-il les autres de mon retour?
"J'espère que tu t'es bien amusée au moins." Dit-il sans me regarder pour autant.
"Oui, c'était pas mal."
Je me sens insolente, mais autant dire ce qui est; je me suis vraiment amusée.
"Tant mieux."
Je devrais m'estimer heureuse, au moins il m'adresse la parole. Mais ces paroles-ci me blessent, je me sens vexée et soudainement mal dans ma peau.
"Dylan voudrait récupérer les clés de sa voiture."
Ah, donc il sait.
"J'ai prévu de passer le voir." Dis-je en allant me servir un verre d'eau pour me donner une contenance.
Cette discussion ne mène à rien; elle est froide et a le don de me mettre mal à l'aise. J'entends le tabouret grincer, signe qu'il tourne sur lui même. Thomas est à présent face à moi, toujours assis et me dévisage d'un air grave.
"Tu te fous de la gueule de qui Mercy?"
Je le regarde en feignant ne pas comprendre et ne pas m'y intéresser.
"De pas grand monde, je crois. Pourquoi?"
Il soupire de rage et de frustration en me fusillant du regard.
"Tu te casses avec Kaya sans prévenir en volant la voiture de Dylan. Tu rentres l'air de rien et tu me réponds avec impertinence. Tu veux que j'en pense quoi moi?"
Je bois une gorgée en le défiant du regard et repose mon verre à côté de l'évier.
"Je ne te demande pas de penser quoi que ce soit. Tu n'as jamais rien pensé de moi, pourquoi ça devrait changer maintenant? J'étais persuadée que mon séjour avec Kaya ne te dérangerait pas, autrement je n'aurais pas pris la liberté de m'en aller."
Je dis seulement ce que je pense. Il s'en fichait pas mal de moi après la soirée du nouvel an de chez Holmes; je n'aurais même pas pensé qu'il remarque mon absence en vérité.
"Très bien. Et les autres? Lee, Wil, Dylan?"
"Je n'en ai rien a foutre de ce que pense Dylan. Je n'ai pas pris ses clés à lui pour rien. Tu crois que si j'étais encore avec lui je serais partie? Will et Lee comprendront parfaitement."
Je regrette subitement mes paroles. Je viens de dire à Thomas que je n'étais plus avec Dylan alors que le brun ne l'a peut-être même pas encore compris. Je refuse de rester avec lui; je n'étais pas à mon aise dans cette relation et ses remarques d'ivrogne ne m'ont pas du tout plues. Thomas hausse les sourcils dans un geste absolument désagréable.
"Je ne te pensais pas aussi égoïste. T'en aller comme ça sans même te soucier de ce que vont en penser tes amis."
"Ne prétend même pas être mon ami. Un ami ne m'aurait pas ignoré pendant des semaines parce que ma vie de couple ne lui plaisait pas." Dis-je avec plus d'agressivité que je ne l'aurais voulu.
L'expression de Thomas retombe au cramoisie; ses bras retombent le long de son tronc alors qu'il se lève en direction de sa chambre.
"T'as raison. Tu as totalement raison. Tu sais quoi? Tu aurais mieux fait de rester à Camden, tout était beaucoup plus simple sans toi."
Sur ce il s'en va et claque violemment la porte de sa chambre, ébranlant les murs de tout l'appartement. Sa remarque me laisse sur mes mots, les larmes me montent aux yeux. Je l'ai cherché, je ne méritais rien de plus; tant de réponses insolentes n'allaient pas mener à un pacte de paix. J'ai pu me quereller avec tant de gens dans le passé, rien ne m'avait fait plus mal que ces quelques paroles échangées. J'ai tout gâcher; il m'aimait et moi aussi, alors je suis sortie avec son meilleur ami. Quoi de plus idiot et ironique? Et maintenant? Je l'ai brisé en agissant comme une peste, j'ai ignoré sa détresse et voilà que les rôles s'inversent. C'est à mon tour d'avoir le coeur en miette.
***
Je suis sortie m'asseoir sur les marches du perron, une cigarette à la main. Je me revois ce matin encore avec Kaya, dans un état tout autant pitoyable comme si le tabac m'aiderait à oublier.
Tout était beaucoup plus simple sans toi.
Je ferme les yeux en laisant le bâtonnet fumant se consumer entre mes doigts, me prenant le visage dans une main. La porte s'ouvre derrière moi, je ne veux même pas savoir de qui il s'agit. Cette personne me trouvera pitoyable, certe, je m'en fiche éperdument. Je le suis, c'est tout. Contre toute attente la personne en question prend place à mes côtés sur les marches, je sens une forme solide et imposante et devine de qui il s'agit seulement à l'entente de sa respiration.
"Je peux?" Dit-il en tendant la main vers la mienne.
Je lui passe donc la cigarette qu'il tire à son tour avant de me la rendre.
"C'est con, tout ce qu'il se passe."
"C'est toi qui est con." Dis-je en gardant le regarde fixé sur les immeuble d'en face, le plus calmement possible.
Je sors de ma poche un vieux trousseau de clés que je lui lance presque dessus.
"On m'a dit que tu voulais les récupérer."
Il ne dit rien pendant un instant.
"Ouais, c'est vrai. Je t'en veux pas pour la voiture... Je te devais bien ça."
"Ne joue pas au lèche-cul."
J'écrase le mégot sur le trottoir à côté de moi et croise les bras sur mes genoux pour enfin regarder le visage implorant de Dylan à mes côtés.
"Ce n'est pas mon but, je sais et je reconnais avoir été un idiot."
Je ne dis rien et continue de le regarder pour lui indiquer de poursuivre.
"Ce jour là je suis rentré de cours plus tôt. J'ai croisé Thomas dans les couloirs et... On s'est encore disputé. J'avais bien envie de lui en coller une mais, je n'en ai rien fait."
Il attend un instant avant de continuer.
"Je suis rentré vraiment frustré, je me suis énervé contre Thomas! Je m'imaginais plein de choses comme le fait qu'il t'amait et qu'il ferrait tout pour te reprendre à moi. Comme tu étais distante je me disais que tu te laissais faire. J'ai cru que je finirais pas tout perdre... Et c'est ce qu'il c'est passer. Je me suis servi un verre pour me détendre et je n'ai pas vu passer le nombre que j'ai ingurgité. C'est partit tout seul, l'acool m'a mis en tête que c'était toi la fautive, que tu causais le trouble entre mon meilleur ami et moi alors que je sais pertinemment que c'est faux..."
Non, ce n'est pas faux. Mais je m'abstiens de tout commentaire.
"... Alors comme tu vois, j'ai pu m'acharner sur ta personne sans en être conscient. Je suis désoler, tu dois penser que je ne faisais que penser à voix haute. Je t'assure que c'est complètement faux. S'il te plait pardonne moi."
Je soupire et pause ma tête en douceur sur son épaule; j'avais oublié à quel point c'était confortable.
"Voilà un discours bien préparé. Tu sais bien que je ne peux pas t'en vouloir plus longtemps."
Je le vois sourire du coin de l'oeil, je suis heureuse de pouvoir faire sourire quelqu'un.
"Mais Mercy, tu dois savoir une chose."
Je me redresse pour le regarder avec interrogation.
"Thomas t'aime. Il t'aime plus que tout, comme il n'a jamais aimé qui que ce soit. Il est fou, complètement fou Mercy."
Il me regarde dans les yeux avec tristesse.
"Il t'aime plus que jamais je n'ai pu t'aimer. Et toi et moi on sait très bien que tu ressens la même chose. On a été ensemble un moment et je l'ai sentis. Je ne t'ai rien dis car je savais que tu avais besoin de quelqu'un sur qui compter. Mercy, arrête de te mentir."
Je tourne la tête, ne supportant plus le regard de feu qu'il me lance.
"Tu ne manques pas de belles paroles, s'en est presque convaincant." Dis-je plus bas avec tristesse.
Même si je ne suis pas du tout convaincue. Il vient de me sortir les paroles les plus blessantes qu'on ne m'ai jamais adressé, je ne crois plus à aucune forme d'amour.
"Tu es tellement têtue. Ça vous fait un point commun." Dit-il en ébauchant un sourire.
Je lui donne un coup de coude, je ne suis pas d'humeur à rire.
"Il ne m'aime pas Dylan, je..."
"Bien sûr que si. Il se tue pour toi. Tu viens de sortir à cause d'une douloureuse conversation avec lui n'est-ce pas? Je le vois à ta tête! Il est complètement amoureux et il se blesse lui-même. Mercy, va lui parler. Retourne s'y et dis lui ce que tu as sur le coeur. Tu l'aimes."
"Oui."
Je ne trouve rien d'autre à lui dire. Oui, je l'aime.
Je me lève imitée par le brun et m'apprête à rentrer avec détermination. Mais il me manque quelque chose. Je fais demi-tour et saute au cou de Dylan, l'étreignant avec le plus d'amour que je peux insuffler.
"Merci." Dis-je en me détachant, regardant une dernière fois ses yeux de braise.
Je dépose un baiser sur sa joue en signe de reconnaissance. Il a été bon avec moi jusqu'au bout, jamais je ne pourrais assez le remercier.
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