chapitre 3 : présent
Une illusion est généralement belle tant qu'elle est en est une ; mais assez vite, elle laisse place à la réalité, autant pour le meilleur que pour le pire.
Lewis est debout dans la cuisine, il découpe machinalement des courgettes sur une planche à découper en verre. Quand il aura terminé, il se demandera s'il l'a fait, tant il est plongé dans ses pensées.
Au salon, Noa a le nez plongé dans un livre. Elle lui en a sûrement parlé, quand elle est rentrée et a filé se doucher, mais Lewis n'écoutait pas. Son esprit était déjà embué d'agacement en voyant qu'elle n'avait pas essuyé les semelles de ses chaussures en arrivant et que le sol était sale. Il a dû nettoyer à la hâte avant que Roscoe ne débarque et ne lèche tous les microbes de la rue.
Noa est ressorti de la salle de bains sans savoir ce qui s'était passé et a attrapé son livre. Lewis a annoncé qu'il allait préparer le dîner dans une tentative de se calmer, seul, dans la cuisine.
Et maintenant qu'il y est, une question lui trotte dans la tête : qu'est-ce qui est en train de se passer ? Il ne sait pas l'expliquer. Il a beau retourner la situation dans tous les sens, ça ne devient jamais limpide comme de l'eau de roche. Tout était si bien reparti entre eux, la flamme avait brûlé si fort dès leurs retrouvailles que le pilote avait douté de ses choix d'antan. Avant de s'endormir, la douce respiration de Noa qui dormait à poing fermé à côté de lui, il s'était demandé si se séparer, il y a dix ans, n'avait pas été une terrible erreur. Il se rassurait en se disant que la vie semblait leur donner une deuxième chance de passer toute leur vie ensemble. Mais une nouvelle angoisse apparaissait : et s'ils regrettaient pour toujours ce temps perdu, à se demander ce qu'ils auraient été s'ils étaient restés ensemble, s'ils avaient travaillés ensemble pour trouver un terrain d'apaisement. Sûrement qu'elle avait été trop entêtée, et lui, trop égoïste. Ils auraient dû admettre leurs défauts pour réussir à les surmonter main dans la main.
Mais maintenant, devant ses rondelles de courgettes, Lewis réalise bien des choses. Car une fois passés, les événements sont toujours lissés par la mémoire qui les transforment en souvenirs. Plus le temps passe, plus les mauvais moments apparaissent comme "pas si terrible", comme "pas si dérangeant que ça".
Lewis regrette que la mémoire humaine soit aussi faillible.
Si seulement il s'était souvenu.
Il a l'impression qu'ils ont tout inventé. Que le premier jour, les illusions les ont bercé, se convainquant l'un et l'autre qu'ils avaient été bien ensemble, et qu'à nouveau, c'était le cas.
-Je peux te confier un truc, Lewis ? lui avait demandé Noa lors d'un de leurs déjeuners à l'extérieur.
Le pilote avait hoché la tête, et elle avait souri.
-J'ai l'impression que tu m'as réformé.
-Réformé ? avait répété le pilote, un peu dubitatif par le choix de mot.
-Oui. Tu me donnes un nouveau souffle.
Il avait trouvé cette explication particulièrement jolie. Joli, comme ce qu'ils avaient créé ensemble. Une sorte de joli tableau, une peinture impressionniste. Comme le peintre impressionniste, ils avaient peint avec leur mémoire, la faillible. Ils avaient peint comme ils voyaient la scène dans leurs souvenirs.
Et les souvenirs ne sont pas toujours la réalité.
En entrant chez son habituel tatoueur, Lewis sait que cette histoire avec Noa va le marquer à tout jamais. C'est pour ça que l'encre doit couler, car comme toutes les grandes épreuves de sa vie, il veut les avoir sur sa peau, avec lui, tout le temps.
-T'es sûr que ça va, toi ?
Lewis sourit tristement à son tatoueur, concentré sur l'observation de l'aiguille dans sa peau.
-Je me sens comme si...
Il cherche ses mots. Mais aucun de ceux qui permettent généralement d'exprimer les émotions ne lui correspondent.
-Comme si j'étais un imbécile à qui un arnaqueur avait vendu une combine pour tomber rapidement amoureux.
Lewis ne s'est jamais senti comme ça, ni avant, ni depuis.
Who's gonna tell me the truth when you blew in with the winds of fate
And told me I reformed you?
When your impressionist paintings of heaven turned out to be fakes
Well, you took me to hell too
And all at once, the ink bleeds
A con man sells a fool a get-love-quick scheme
But I've felt a hole like this
Never before and ever since
Qui va me dire la vérité quand tu as soufflé dans le vent de la fatalité
Et m'as dit que je t'avais réformé ?
Quand tes peintures impressionnistes du paradis se sont avérés être des contrefaçons
Eh bien, tu m'as entraîné en enfer aussi
Et tout d'un coup, l'encre saigne
Un arnaqueur vend une combine pour être amoureux rapidement à un imbécile
Mais j'ai ressenti un vide comme ça
Jamais avant et jamais depuis
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