Que le meilleur gagne


Liz

Avec la reprise des cours, je retrouve Clara.

Avec Maud, elles sont mes deux amies les plus proches, deux piliers indispensables. Clara a une place toute particulière dans mon cœur, parce que l'année de notre rencontre fut aussi celle de la descente aux enfers de l'homme que j'aimais. Elle a eu l'extrême classe d'être toujours présente sans jamais émettre le moindre jugement. Elle m'a soutenue, encouragée, sans critiquer ni mes engagements ni mes échecs. Et quand la mort a ravagé ma vie, c'est chez elle que j'ai trouvé refuge avant d'avoir la force d'affronter la réalité.

Du jour au lendemain, mon existence entière s'est effondrée. Steph et moi étions deux miroirs et chacun de nous remodelait le reflet de l'autre au gré de la vie. Sa disparition m'a anéantie et j'ai perdu mon identité, c'est un sentiment terrifiant, de ne plus savoir qui l'on est. Alors, avec une infinie patience, Clara m'a aidée à me reconstruire. Elle a réaménagé mon appartement, m'a trouvé un boulot dans la boutique où elle travaille et m'a présenté d'autres personnes.

C'est pour ça que je voue un amour indéfectible à mes amis, plus qu'à ma propre famille qui, elle, n'a pas su me sauver quand j'ai sombré. Si je trébuche, ils me portent et je survis. Sans eux, j'aurais pu mourir de chagrin en faisant une connerie stupide. Parce qu'il y a un avant et un après ; ensemble, nous avons enterré le passé et modelé un nouveau présent : Liz est née.

Jusqu'à ce qu'arrive Alexandre Arthy.

Cet homme est un déclencheur qui fait ressortir cette autre facette de ma personnalité, de mon existence. Et le pire, c'est que j'y trouve un certain plaisir alors que tout ce que je désire, c'est tirer un trait sur tout ça pour repartir à zéro. Comment définir ce qui m'arrive ? Renaissance, résurrection ou... régression ?

Après une matinée de cours, pour la pause méridienne, Clara et moi avons prévu de déjeuner ensemble avec celui que l'on nomme « le voisin d'en face » : Daniel est étudiant en sciences politiques, une discipline qui se tire la bourre avec la nôtre et dont les bâtiments se trouvent de l'autre côté de la rue. Pour faire bref, nous pactisons avec l'ennemi.

Une fois réunis, nous jetons notre dévolu sur le Sherpa, une crêperie qui attire un monde conséquent pour la qualité de sa cuisine autant que pour ses prix attractifs. L'endroit est devenu une institution incontournable de la vie toulousaine, tant et si bien que vu l'heure, je suis étonnée de trouver une table pour trois du premier coup.

— Bien, les filles, il me faut un rapport détaillé sur les deux dernières semaines ! annonce Daniel en se frottant les mains.

Clara et moi esquissons un large sourire, Monsieur veut des potins. Je le renvoie dans ses cordes :

— Tu plaisantes ? Tu es toujours pendu au téléphone avec nous ! Ce serait plutôt à moi ou à Clara de mener un interrogatoire, tu ne trouves pas ?

Nous éclatons de rire et il nous fait un doigt. Je le questionne donc en premier :

— Bon alors, avec ton mec... Yohan, c'est ça ? Vous en êtes où ?

À son air renfrogné, je devine que ça ne se passe pas aussi bien que cela. Clara avale une longue lampée de sa bolée de cidre avant de le chambrer :

— Quoi ? Tu l'as toujours pas culbuté sur ton canapé devant les yeux médusés de ta collection de schtroumpfs ?

Il lui jette un regard noir qui en dit long sur la joute oratoire qui s'annonce.

— Ta gueule, lâche mes schtroumpfs, ils sont le premier exemple de communauté à dominance homosexuelle ouvertement proposée aux enfants. Ils incarnent la modernité d'une société régie par les relations entre mecs et où la figure féminine est minoritaire. L'obligation de fonder une famille standardisée y est quasi absente. Le tout sans heurt et en parfaite harmonie !

Bla, bla, bla... bla, bla, bla... Je l'interromps dans son apologie sociologique pour le recentrer sur le sujet :

— Ça va, Science Po, abrège ! Sexe ou pas ?

— Que dalle ! J'arrive pas à conclure, se désole-t-il. Il est bi et il n'est pas fixé, je crois.

Je fronce les sourcils face à ce constat qui me laisse perplexe.

— S'il est bi, il n'a pas à se fixer, il a juste plus de choix !

Clara a un tout autre avis sur la problématique qui s'est installée entre Daniel et Yohan :

— Moi je crois surtout qu'il a quelqu'un d'autre. Il a un peu trop de « trucs à faire dans sa famille » le week-end. Il sait ouvertement qu'il te plaît, alors qu'est-ce qu'il fout ?

Il lève les deux mains pour manifester son incrédulité.

— Non, on s'entendait très bien jusqu'à présent, s'il avait quelqu'un, on en aurait parlé à ce moment-là.

— Touché ! dis-je. Tu le vois quand, maintenant ?

Il répond, la bouche pleine :

— Jeudi, pour la soirée étudiante des Deux G.

— Vous y allez tous les deux ou en groupe ?

— Non, tous les deux.

Clara poursuit dans son négativisme et en rajoute une couche :

— C'est là ou jamais, après faut que t'arrêtes de lui courir après. Ça m'étonnerait qu'il n'ait pas compris depuis le temps !

Je regarde Daniel qui semble perdre patience : il plisse les paupières et jette un regard noir à Clara.

— Ah ! Ouais... je vois... comme Olivier avec toi.

La remarque est pertinente : la jolie brune court après un étudiant de l'École Nationale Supérieure d'Architecture. Et ce, depuis quelques mois maintenant. Ils ont couché ensemble une fois, mais ont décidé d'un commun accord que ce n'était pas une bonne idée. Depuis, ils ont flirté un peu, mais aucun d'eux ne semble prêt à se lancer à nouveau. Un jeu du chat et de la souris mortellement ennuyeux où règne l'indécision.

Une vibration attire mon attention et je retourne mon portable pour découvrir un nouveau SMS.

[Soirée à l'After ce samedi,

tu m'accompagnes ? Alex.]

Je jure à voix haute :

— Oh ! Putain !

Je me suis exclamée beaucoup trop fort et deux ou trois personnes se sont retournées. Daniel s'est jeté sur moi pour avoir une vue imprenable sur mon téléphone, tandis que Clara me regarde avec un soupçon d'inquiétude.

— Qu'est-ce qui se passe, ça va pas ?

Cet enfoiré de Daniel adopte un ton goguenard :

— Dame Élisabeth vient de recevoir une invitation de la part de... Alex ?

Clara me dévisage en écarquillant les yeux.

— Alex ? Ah bon ? Le mec qui était au gala avec toi l'autre soir ?

— Absolument.

Daniel ricane :

— Et... entre vous, c'est comment ? s'enquiert-il, sarcastique.

Chaud et dangereux.

— Eh bien...

— Vous couchez ensemble ? me coupe-t-il.

— Non !

Clara, prend ma défense, gênée par son attitude :

— Dany, fous lui la paix.

— C'est bon ! ricané-je sûre de mon coup. J'aurai conclu avec Alex bien avant lui.

— On parie ? persifle Dany.

Je me redresse, bien droite, sourcils levés, avec un air de défi :

— Je te rappelle qu'il y encore quelques semaines, j'avais un mec, moi !

Clara éclate de rire, elle n'a jamais apprécié Greg.

— Celui-là ? Facile, tout Biarritz lui est passé dessus !

Je me renfrogne.

— C'est pas faux...

Dany s'indigne contre elle :

— Toi, quand tu auras passé une nuit de folie avec ton mec, on en reparlera !

Clara plisse les yeux, blessée dans son orgueil.

— Tu veux vraiment qu'on prenne les paris ?

Daniel exulte :

— Excellente idée ! Le premier qui chope !

Je tape du plat de la main sur la table pour attirer leur attention.

— Je marche !

Clara me jette un regard soucieux :

— Liz... s'inquiète-t-elle.

Je décèle un fond de pitié dans son attitude et je déteste ça. Il est temps que les choses changent.

— Quoi ? Je peux le faire ! Qu'est-ce que je risque, à part un râteau ?

— Cinquante euros ! s'exclame Dany en glissant un billet devant son assiette.

Clara fouille dans son sac en se marrant :

— Un chèque, ça le fait ?

Je m'esclaffe, quelle bande de dingues ! Ils sont tarés, mais je les adore. Parce que ce sont ces instants qui me prouvent que je peux encore être une fille comme les autres et prétendre à un bonheur ordinaire, comme une démonstration ultime selon laquelle je ne serais pas tout à fait morte.

Le miroir de ma vie s'est brisé, mais le reflet subsiste, encore...


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