Prédateurs nocturnes
Liz
Alex m'entraîne vers une piste improvisée noyée de monde et se penche pour flatter mon oreille de sa jolie voix :
— Attention à tes petits pieds, ma jolie !
— Perchée sur mes échasses, tu rêves ! Je ne risque rien !
Nous passons alors un long moment à nous livrer à une étrange parade, il ondule et me frôle plus qu'il ne danse véritablement, jusqu'à ce qu'il décide qu'il en a assez et entame enfin la conversation :
— C'est la première fois que je te croise dans un gala, tu n'avais jamais eu l'occasion d'y aller ?
Je hausse les épaules, navrée.
— Non. Mais je sors ailleurs avec mes amis et, jusque très récemment, j'étais avec quelqu'un qui n'est pas sur Toulouse, alors je me suis beaucoup absentée.
Il hoche la tête et prend un air très concentré.
— Il était étudiant ?
— Non, médecin pédiatre.
L'information paraît le surprendre et contracte ses traits.
— Ah ! Comment vous vous êtes rencontrés ? Tu as des enfants ?
Je m'esclaffe : moi avec des gosses, la bonne blague !
— Il faudrait d'abord que je règle mes propres problèmes avant de prendre ce genre de responsabilité : on ne fait pas des bébés comme on adopte un chien !
Il acquiesce et je pense qu'il partage mon avis sur la parentalité.
— Tu fais médecine ?
— Non, droit. Je travaille aussi dans une boutique de prêt-à-porter. Je ne m'entends pas très bien avec mes... parents, il faut que je sois indépendante financièrement.
Notre discussion nous rapproche et nos corps se flattent. Il sourit discrètement en me regardant en biais, ce qui lui donne un charme considérable.
J'essaie d'en savoir un peu plus sur lui aussi :
— Et toi, tu travailles ?
Son front se marque de multiples plis soucieux et ma question semble l'embarrasser.
— Oui. Je fais des petits boulots de surveillance.
— Et tu surveilles quoi ?
Il se fige pour me dévisager et les coins de sa bouche se recourbent imperceptiblement. Il saisit mon poignet pour poser ma main sur sa taille. Le frisson qui me gagne élargit son sourire, puis il se penche à mon oreille pour répondre à ma question :
— Les jolies brunes aux yeux bleus, par exemple... et leurs sourires énigmatiques.
Sa langue humecte ses lèvres dans une attitude similaire à celle du chasseur avec sa proie, prêt à l'attaque avant l'assaut final. Je me sens tout à coup fébrile et attirée, les effluves de danger qui flottent autour de lui me galvanisent dans une sensation familière que je refoule depuis longtemps et qui se réveille enfin. Il me pousse à travers les êtres en mouvement qui nous entourent, tout en maintenant le rythme qu'il a donné à son corps et auquel le mien fait écho. Je sursaute en rencontrant le bord du bar, tandis qu'il s'appuie contre moi. Ses narines se dilatent et ses yeux s'assombrissent. Ma main, toujours sur sa hanche, se crispe, alors qu'il relève la tête pour commander deux boissons d'une voix ferme et sèche. Lorsque nos pupilles se retrouvent, les siennes paraissent dilatées d'excitation. Je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'il est sous l'effet d'autre chose que du désir, de l'adrénaline peut-être ?
Il me prend de court et presse sa main au creux de mes reins pour m'attirer vers lui dans un mouvement brusque. Je sens son érection sur le bas de mon ventre : il y avait bien de l'attirance, plus de doute à présent ! Mais j'ai beau être excitée moi aussi, je veux rester lucide. Il plonge alors vers ma nuque et son souffle caresse ma peau.
— Il n'y a rien que je désire plus que toi, susurre-t-il.
Il se relève légèrement pour me défier front à front. Mon instinct réveillé est en alerte à présent, il n'y a plus de proie, mais juste deux prédateurs. Une petite voix en lui parle à une obscure part de moi où des milliers de goûts, de saveurs, de souvenirs s'agitent dans un tourbillon étourdissant, tandis que la colonne d'adrénaline me gaine de fébrilité de haut en bas. Je fais suite à sa déclaration en le défiant, sans la moindre crainte :
— Fonce, alors !
Sa main se perd dans mes cheveux et il tire doucement sur leur masse.
— Je ne me fais pas confiance, je ne sais pas ce que tu risques.
Je pousse mon bassin vers lui en saisissant sa nuque à mon tour, mon pouce calé sous sa mâchoire, tandis que les miennes se contractent. C'est un peu plus qu'un geste simple, c'est le début d'une prise pour maîtriser son adversaire, mon doigt se trouve sur un point de pression stratégique. Je le teste et le sourire entendu qu'il m'adresse ne me laisse aucun doute : il a pratiqué les sports de combat, il sait où je veux en venir.
— Ne joue pas à ça sans connaître les règles.
— Je m'en moque, je ne suis pas une gentille fille.
Et il ignore à quel point. L'odeur du sang me revient en mémoire, je déglutis pour faire disparaître son goût qui recouvre ma langue. Putain, Alexandre, qui es-tu pour oser me provoquer ?
— Tu devrais prendre la vie comme elle vient, Alex, sans te soucier des règles, justement.
— Prendre la vie, Liz, ne parle pas de ce dont tu ne sais rien !
Sa voix rauque me donne envie de le mordre et de le baiser jusqu'à plus soif. Nos corps s'épousent pour se mouvoir davantage dans un échange lascif qui n'appartient plus à la danse, mais à l'érotisme brut, simulant les prémices d'un acte sexuel. Il aspire l'air entre ses dents et je le défie du regard.
Allez, Alex, montre-moi de quoi tu es capable !
Une main explore la peau nue de mon dos, avec une exquise lenteur. Puis subitement, il renverse la tête en arrière, avant de me pousser contre le mur pour m'immobiliser de ses hanches, le souffle court. Il saisit mon visage à deux mains.
— Arrête tout de suite ce que tu fais, Liz !
J'éclate d'un rire sardonique.
— Tu ne sais pas à qui tu as affaire, n'est-ce pas ? Qui de nous deux mène le jeu ? Veux-tu vraiment le savoir ?
Il s'écarte brusquement d'un pas, puis sort une cigarette de son paquet pour l'allumer. Il reste quelques secondes, tenant la flamme vacillante du briquet devant mon visage, avant de souffler dessus.
— Quand on allume le feu, Liz, il faut savoir l'éteindre.
Puis il s'éloigne, traversant la foule indifférente qui s'agite, comme les vagues d'une mer houleuse se refermant derrière lui pour engloutir son image à laquelle s'accrochent mon regard et mes désirs. Ajournant l'inévitable échéance de nos ébats.
Pour l'instant...
Alex, le soir même...
J'ai dû partir, impossible de faire autrement sans perdre le contrôle. Je me suis contenté de glisser quelques consignes à Marc et d'envoyer un SMS laconique à la jolie brune :
[Mes excuses,
ce n'est que partie remise.]
Depuis, elle est rentrée, je vois de la lumière à sa fenêtre et sa voiture est garée en bas de l'immeuble. Je tire patiemment sur ma clope en attendant que l'obscurité se fasse de l'autre côté de la vitre. Je ne sais pas ce qui a bien pu me pousser à me rendre chez elle, à la suivre, encore. Il y a un détail qui m'échappe, quelque chose qui crée un déclic étrange. Savoir ce qu'elle représente et qui elle est, c'est déjà impressionnant. La côtoyer, c'est grisant. Elle est aussi audacieuse que ce à quoi je m'attendais, telle une braise attendant l'incendie sous les cendres.
Je suis fasciné par cette femme, elle éveille en moi l'envie de transgresser tous mes principes et la deadline infranchissable au-delà de laquelle je sais que tout dérape. Je me connais, un événement dans mon passé a rendu obsolètes toutes les limites morales que la société m'impose. Je n'ai ni Dieu ni maître ; avoir une aventure un peu trop poussée avec quelqu'un pourrait avoir des conséquences irréversibles. D'autres ont essayé de me garder, de m'attacher, même moi j'ai fait des efforts. Une comédie qui par deux fois a failli finir en tragédie. Je ne veux plus embarquer personne dans ma folie.
Plus je me confronte à la vie ordinaire, plus je deviens dangereux. J'ai peur du monstre incontrôlable que je peux être et qui fait que je n'ai ma place nulle part sur terre : baisser la garde pourrait être fatal, je le sais. En me confrontant à mes besoins, j'ai déjà connu toute la palette des sensations, tous les degrés d'horreur. Chez moi, il n'y a pas de cohabitation sans dommage collatéral.
Je jure à voix haute, comme si les mots étaient trop violents pour les tenir enfermés dans ma boîte crânienne :
— Bordel, pourquoi faut-il qu'elle me fasse sortir de ma zone de confort !
La réponse, je la connais : parce qu'elle en est capable. Elle est de ces rares personnes qui sont à la hauteur et peuvent absorber l'onde de choc de mes violences, maîtriser le mal qui me dévaste. Cette bête tapie dans les tréfonds de mes entrailles n'effraie pas cette femme qui la tient en laisse. Lorsqu'elle me défie, c'est une manière de me cadrer et contre toute attente : ça marche.
En tirant l'épaisse masse de ses cheveux, certains me sont restés entre les doigts : une matière soyeuse, sombre, que j'ai rassemblée en une maigre mèche dont le parfum évoque la vanille et les agrumes. Mon rythme cardiaque s'accélère, je respire fort et la fébrilité me tord : je suis nerveux et tenaillé par le désir. La sensation incontrôlable de manque me pousse encore et encore, me privant de sommeil. Je la cherche inlassablement et seule son image apaise ce malaise.
Mon esprit divague à nouveau, échafaudant mille scénarios. Je dois me faire violence pour réprimer les pulsions qui me vrillent le ventre et me crient de sonner chez elle, de pousser la porte pour me jeter sur son corps souple et tonique. Palper sa peau, goûter sa sueur, puis respirer son parfum sucré, avaler ses soupirs et conquérir sa bouche... Je tressaille et mes doigts sont pris d'un tremblement imperceptible. Je suis malade, malade d'elle.
Je souffle fort, longtemps, puis j'inspire en fermant les yeux pour tenter de retrouver une stabilité relative. Alors, je chuchote comme on prie :
— Putain, Lisa... tu ne sais pas ce que je serais capable de faire si tu ne me sauves pas !
Je marque un recul : la lumière s'est éteinte. Et si je crochetais la serrure pour l'observer dans son sommeil ? C'est si beau un corps appesanti et vulnérable. Surtout celui des femmes, surtout le sien !
Je pourrais me contenter de ça ? Du moins, dans un premier temps...
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