Chapitre 7: Pluies diluviennes
William avait plusieurs certitudes.
La première, il ne se trouvait plus dans son salon confortable. La seconde, il était trempé jusqu'aux os. Il ignorait cependant s'il avait atteint sa destination. La pluie battante l'empêchait de voir à plusieurs mètres, sans compter la silhouette qui lui barrait la vue. Le corps fourbu, il tenta de se redresser.
— Si j'étais vous, je ne poserais pas le pied ici.
L'avertissement appela le ridicule et le lieutenant glissa, tomba face contre terre. Avec un grognement, il tourna la tête vers l'inconnu devant lui qui venait de lui adresser la parole.
— Cette fois-ci c'est la bonne, Monsieur O'Neill, rigola ce dernier.
— William, cria Jimmy qui se tenait debout, on est dans la Terre du Milieu !
Après avoir réussi tant bien que mal à se tenir sur ses deux jambes, l'Irlandais détailla l'homme qui les recueillait sur son chemin. C'était un blond de grande stature, ses yeux verts semblaient pétiller de malice. James n'avait pas tort sur un point : l'étranger possédait des oreilles aussi pointues que Legolas. Mais ce détail ne pouvait qu'être annexe si l'on observait plus attentivement sa tenue. Par ses chaussures, son manteau, sa chemise et même son parapluie, il paraissait venu d'un tout autre temps, plus précisément d'un XIXème siècle anglais. Sa main gantée plongea alors dans l'une de ses poches et les deux lieutenants se crispèrent, s'attendant à le voir sortir une arme. Ce fut une montre à gousset en argent. Quand il regarda l'heure, son sourire creusa deux fossettes sur ses joues.
— Bien Messieurs ! À moins que vous ne vouliez rester éternellement sous ce ciel horrible, je vous propose de me suivre.
Sa phrase à peine terminée, il leur tourna le dos et fit seulement quelques pas avant d'être stoppé par William.
— Attendez ! Qui êtes-vous, au juste ?
Ses yeux noisettes croisèrent ceux de son interlocuteur qui ricana subtilement avant de se tapoter le front.
— Ah oui, suis-je bête.
Mais encore ?
— Venez, mon cher, allons d'abord nous mettre à l'abri. J'aime avoir les pieds secs, pas vous ?
— Il marque un point, marmonna Jimmy.
Une part de l'Irlandais approuvait cet argument également, mais son instinct lui conseillait de se montrer prudent. Ils étaient dans un lieu inconnu avec un excentrique elfique. La pluie s'intensifiait de plus en plus, ce pourquoi ils acceptèrent de le suivre malgré leur réticence jusqu'à un immense panthéon, ou du moins ce qui y ressemblait le plus. Le victorien ferma son parapluie et sortit de nulle part un chapeau haut de forme qu'il apposa sur son crâne. Il l'ajusta au centimètre près en fronçant les sourcils. Jimmy haussa les siens de surprise et regarda son partenaire. À nouveau, sans crier gare, une tasse de thé apparut dans les mains du blond. Il prit une gorgée et soupira de contentement avant de rediriger son attention vers eux. Il cligna des yeux et sembla se rappeler de leur existence.
— Earl Grey ?
— Qui êtes-vous et où sommes-nous ? demanda William qui perdait patience.
— Oh ! Voilà une série de questions à laquelle je tâcherai de bien répondre, Monsieur O'Neill.
— Et comment connaissez-vous mon nom ?
— Ah ça... Mon cher, beaucoup ont eu cette interrogation avant vous, ricana l'elfe. Commençons par le plus simple ! Je suis le Sorcier mais mes amis m'appellent Sorcier, je vous fais ce cadeau.
Il se moque de moi ?
— Pour ce qui est de la seconde demande...
Il marqua un temps de pause presque théâtral avant d'écarter les bras, le sourire plus grand que jamais.
— Bienvenue sur Irylia.
***
La pluie cessa presque une heure plus tard et le cerveau du lieutenant s'éloigna avec elle. Il ne savait comment il s'était retrouvé avec une tasse de thé en main, à écouter le Sorcier argumenter avec Jimmy sur la qualité et le temps d'infusion. Il n'attendait que le bon moment pour s'en aller et ne plus le recroiser. Alors que la lumière filtrait à travers les épais nuages, le blond se leva, son éternel sourire aux lèvres.
— Et bien... ça se calme enfin.
William jeta un coup d'œil vers l'extérieur. Était-il vraiment sur Irylia comme l'avait annoncé l'étrange inconnu ? Une forêt se dessinait devant lui et dévoilait des arbres aux mille couleurs.
— Pouvons-nous y aller, Messieurs ?
— Aller où ? demanda l'Irlandais.
Le Sorcier lui lança un court regard et redressa son chapeau qui n'avait pas bougé d'un centimètre. Il sortit de leur abri sans un mot et William se tourna vers son ami.
— Je ne lui fais pas confiance.
— Franchement, murmura le rouquin, moi non plus. On devrait filer...
— Sachez messieurs, entendirent-ils, que l'avantage d'avoir de grandes oreilles est de bien entendre ?
Grillés.
— Et que si vous souhaitez rencontrer son Altesse Greyson, poursuivit le Sorcier, je vous suggère de me suivre.
La mention du prince démon fit tiquer William. Comment pouvait-il savoir les raisons de sa venue ici ? Les deux humains se regardèrent encore un moment puis d'un commun accord, prirent leurs affaires et se levèrent.
Ils gardèrent une bonne distance avec l'elfe qui prenait tant à cœur son rôle de guide autoproclamé. Presque toutes les cinq minutes, ce dernier s'arrêtait pour leur donner plus amples informations sur telle ou telle plante. Au bout d'un moment, William crut devenir fou. S'il entendait encore une fois « Sur votre droite... » il ne répondrait plus de rien. Il avait l'impression de tourner en rond. Bien qu'il ne connaisse pas les lieux, il aurait juré avoir vu pour la dixième fois la fleur violette qu'ils venaient encore de croiser. Depuis combien de temps marchaient-ils au juste ?
— Sorcier ? lança l'Irlandais.
— Oui ?
— Qu'essayez-vous de faire ?
Son interlocuteur s'arrêta et ses épaules furent secouées d'un léger rire.
— Je vois, souffla-t-il, vous pensez que je suis en train de vous mener en bateau... Que je vous attire dans ma grotte sordide pour vous dévorer membre par membre.
Le lieutenant fronça les sourcils : c'était effectivement ce qu'il s'apprêtait à dire. Il pensait réellement aller tout droit dans un piège. Le blond soupira.
— Je ne suis pas un de vos gentils criminels, Monsieur O'Neill, et si vous voulez mon avis, la viande humaine est filandreuse ! Du moins c'est ce que l'on raconte.
— Vous vous moquez de moi ?
— Un peu, je le confesse.
William ne savait pas ce qui l'empêchait de coller son poing dans la figure souriante du Sorcier. Etait-ce Jimmy qui lui saisissait l'épaule ou le gigantesque édifice qui se dessinait à l'horizon ?
— Vous disiez ? sussura l'elfe.
— Est-ce...
— Le palais d'Arador, oui.
Ce fut le rouquin qui poussa une exclamation pleine de soulagement.
— Ah, voilà une bonne nouvelle. Merci Legolas !
Le surnommé le regarda comme on regarde un enfant.
— Bien, pressez-vous, dit-il avant de reprendre sa marche.
Il leur fallut presque une heure pour sortir de la forêt infinie. Ils arrivèrent à l'entrée d'une plaine, le château paraissait encore loin mais ils purent enfin discerner la capitale, ses grandes allées, ses bâtiments multicolores, sa chaleur. De là où ils étaient, William sut que Lixa n'avait jamais menti.
Arador était magnifique.
— On est loin des immeubles de Brooklyn n'est-ce pas ? Ou du moins ce qu'il en reste, en tout cas.
Le lieutenant fut arraché à sa contemplation et son sang se glaça. Il venait d'être brutalement ramené à la réalité. Il fixa son guide et serra les poings. Que venait-il de dire ?
— Excusez-moi, reprit ce dernier, ça m'a échappé.
C'en était trop pour l'Irlandais. Il était au comble de l'épuisement. Le stress n'arrangeait pas non plus son état. Avant qu'il ne se rende compte de ce qu'il faisait, il agrippa le col amidonné du Sorcier, et malgré sa grande taille, le força à plier l'échine pour croiser son regard sanglant.
— Pour qui vous prenez-vous ? Et bordel, comment êtes vous au courant pour Brooklyn ?
— Willy...
— Non James, il se moque de nous et je commence à en avoir assez. Alors il va parler ou je vais sérieusement me mettre en colère.
Il commencerait certainement par effacer l'expression amusée sur le visage du démon. Ce dernier tapota les mains qui le retenaient et une part de l'humain se demanda s'il aimait jouer avec le feu.
— Je sais ce qu'il s'est passé là-bas, Monsieur O'Neill. Tout comme je connais les raisons de votre venue sur Irylia.
Il pouffa, leva les yeux au ciel.
— Je sais également que vous n'êtes absolument pas préparé à ce qu'il va arriver.
— Et ça vous amuse ? Des gens sont morts et vous en rigolez ?!
Quelque chose changea dans le regard du blond, si subtilement que William faillit le manquer. Mais s'il crut voir ici une brèche, il fut interrompu bien avant d'agir.
— William ?
L'intéressé tourna sa tête vers la voix grave qui avait prononcé son prénom. Ce timbre était devenu familier pour l'humain, et il était réellement ravi de croiser le regard couleur vin du Prince Héritier Greyson. Ce dernier semblait d'abord surpris de le voir, puis son expression changea radicalement quand il posa son attention sur le Sorcier, que le lieutenant agrippait toujours. Ses yeux laissaient entrevoir un éclat de haine. Il crispa légèrement les poings avant de s'adresser à l'Irlandais.
— Je peux savoir ce que tu fais ici, William ?
Ta soeur, qui a sûrement cédé pour de bon au Néant, a massacré des humains et je viens t'appeler au secours.
Il y avait certainement un autre moyen de lui annoncer cela. Alors qu'il s'apprêtait à lui répondre, ce fut le blond qui prit la parole :
— Monsieur O'Neill ?
— Quoi ?
— Pourriez-vous me lâcher ? Je commence à avoir mal au dos à force d'être courbé ainsi.
Le ton prétendument léger qu'il avait employé énerva encore plus William. Suite à un court moment d'hésitation, il desserra ses mains et recula. Le Sorcier redressa une nouvelle fois son chapeau et s'inclina doucement vers Greyson.
— Altesse, je vous souhaite une bonne matinée.
— Retourne d'où tu viens, Sorcier. Ta place n'est pas ici.
Ce dernier se redressa et, après avoir salué d'un geste de la main les deux humains, fit demi-tour en sifflotant. Jimmy, qui n'avait pas dit un mot depuis que le prince était arrivé, sortit de son silence et s'exclama :
— Bon sang mais c'était qui ?
— Le Gardien des Enfers, une tête de mule que personne n'arrive à supporter.
Ce fut la seule réponse que leur donna le démon après avoir soupiré. Intrigué, il les regarda tour à tour, leur faisant signe de le suivre. Ce ne fut qu'à ce moment-là que William remarqua la tenue du prince. Il l'avait toujours connu vêtu de son armure noire, l'épée sagement à la ceinture, si bien qu'il fut étonné de le voir dans une sorte de sarouel blanc et une tunique bleue. Une part de l'humain ne se serait jamais douté qu'il puisse se vêtir de manière aussi décontractée hors du palais.
C'est peut-être son pyjama.
Il se gifla mentalement et faillit entrer en collision avec le démon quand celui-ci s'arrêta brusquement.
— James ? dit-il alors.
— Oui ?
— Tu trouveras Zyshna dans la serre là-bas.
Il lui montra un petit bâtiment entouré d'arbres et de buissons fleuris. Jimmy regarda son meilleur ami, hésitant. Ce dernier hocha la tête pour lui assurer qu'ils ne risquaient rien, l'un comme l'autre. Il savait parfaitement que son partenaire n'avait qu'une seule envie, malgré la situation : voir sa démone à la peau sombre. Le rouquin eut alors un immense sourire et se précipita dans la direction indiquée. William ne put s'empêcher de rire face à ce comportement si enfantin.
— Que fais-tu ici, William ? redemanda Greyson une fois qu'ils furent seuls.
Il se tourna vers lui et braqua ses yeux rouges vers les siens, la mine sérieuse. Il était probablement temps de tout expliquer au démon.
— Il s'agit de Lixa, souffla l'humain.
— Que veux-tu dire ?
Le lieutenant inspira profondément et raconta lentement la scène à laquelle il avait assisté sur Brooklyn. Le nom de Khaos qu'il avait entendu maintes fois, sa soeur qu'il avait vu tuer de sang froid. Au fur et à mesure qu'il relatait cette horrible soirée, les sourcils du prince se haussèrent de plus en plus haut et plusieurs émotions passèrent dans son regard. Curiosité, colère, surprise.
— William...
Une ombre gigantesque le stoppa quand elle les surplomba, masquant les deux soleils. Elle disparut pour ensuite revenir, tournant autour d'eux. Les deux hommes redressèrent la tête et bien que le démon resta de marbre, ce ne fut pas le cas de l'humain dont le corps de figea d'effroi. Au-dessus d'eux planait une créature qui n'existait que dans les contes de fées, un monstre dont les écailles noires brillaient sous la lumière. Un dragon de plus de cinq mètres volait en cercle et quand il poussa un rugissement, le sang de William se glaça.
— Bordel, mais qu'est ce que c'est que ça ?
— Ca... c'est Lixa.
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