Chapitre 3: Souvenirs
Une chose que détestait par-dessus tout le Lieutenant William O'Neill était bien de courir après un suspect alors qu'il n'avait pas bu assez de café... Mais si on devait lui demander son avis, il n'y aurait jamais assez de breuvage pour lui.
Le soleil brillait haut dans la grande ville de New York à l'approche de l'été. Les rues de Brooklyn étaient déjà surpeuplées de touristes qui prenaient un malin plaisir à dégainer leurs téléphones pour quelques photos. L'enquêteur rêvait de se prélasser à l'ombre d'un arbre ou dans son appartement à siroter une bière fraîche. Au lieu de cela, il se retrouvait à essayer de battre le record de vitesse de sprint. Derrière lui résonnaient les sirènes de la voiture de son partenaire. Pourquoi était-ce toujours lui qui devait mettre à rude épreuve ses poumons ? Il passa à deux doigts de rentrer dans une bonne femme et jura dans sa barbe tandis que cette dernière râla en espagnol.
Oui, vilain flic.
Après plusieurs minutes à se demander si son cœur allait tenir le coup, il intercepta celui qui aurait pu faire de l'ombre à Usain Bolt. Il le plaqua contre une vitrine, lui passa les menottes et lui arracha sa capuche. Menacé par un regard noir, il ne put retenir un soupir.
— Diego.
— Lâche moi, espèce de...
— Tu veux que je rajoute agression verbale à ton cas ?
William se demandait parfois ce qui ne tournait pas rond chez les mafieux. Embaucher des enfants pour faire le sale boulot était au-dessus de ses forces. Il retourna le gamin de quinze ans pour lui faire face. Il le connaissait depuis maintenant un an et avait tenté plusieurs fois de lui tendre la main, comme en arrêtant son beau-père violent et en envoyant sa mère en cure de désintoxe. Mais le petit latino continuait les forfaits pour de plus gros criminels et refusait toujours son intervention, malgré leurs multiples rencontres au travers d'une affaire de trafic de drogue.
— Pinche pendejo.
— C'est ça, gamin. Continue d'aggraver ta situation.
— Tu as fini par l'attraper ?
L'irlandais se tourna vers Jimmy qui venait de sortir tout sourire de son véhicule. Il gratta son début de barbe rousse et scruta Diego dont la mine renfrognée annonçait un florilège d'insultes.
— Te voilà dans de beaux draps.
— J'ai pas besoin que tu en rajoutes, nabot.
Le Lieutenant doutait que cela soit la bonne marche à suivre. En effet, bien que son partenaire n'atteigne le mètre soixante-dix, il compensait cela par sa musculature et aurait très bien pu briser la tête du mexicain entre ses bras. Il se dépêcha alors de mettre ce dernier à l'arrière de leur voiture avant que la situation ne dégénère.
Les deux enquêteurs soupirèrent à l'unisson. La situation de leur jeune criminel les inquiétait ; il était mineur et, au mieux, un juge ordonnerait qu'il soit placé une nouvelle fois dans un centre de redressement. Il était sorti de son premier séjour au bout de la première semaine grâce à ses amis mafieux et avait rapidement repris ses petites affaires. Rien n'allait changer cette fois-ci. Diego faisait partie de ces personnes qui refusaient les mains tendues.
Ils rentrèrent au poste de police avec la pensée funeste de ne rien pouvoir faire.
***
— Je suis désolé, mais si les démons existent, alors les jedis aussi ! Et les deux proviennent d'une galaxie très très lointaine !
Ça a du sens.
William avala un morceau de pizza et regarda son meilleur ami, hilare. À la fin de leur service, ils avaient décidés de se retrouver dans son salon et avaient commencé à visionner un des films préférés du rouquin. Cela leur faisait changer d'air par rapport à leur enquête ; ils avaient fini par comprendre qu'un procureur était mêlé au trafic de drogue. Le Lieutenant serra son poing. Leur suspect était intouchable et il ne faudrait pas longtemps avant qu'on leur ordonne de classer l'affaire. Même s'ils récoltaient suffisamment de preuves pour inculper le magistrat, ce dernier s'en sortirait grâce à ses relations... Ce sentiment d'impuissance était malheureusement une partie frustrante du boulot de flic.
Il regarda dehors pendant que son ami continuait seul son débat, et se perdait dans des songes. Peu de choses avaient changé depuis les évènements d'Atlantic Avenue. Au début, beaucoup de politiciens s'étaient énervés sur ce qu'il s'était produit. Certains avaient accusé les démons de vouloir les envahir, d'autres insisté sur une potentielle apocalypse. Les branches religieuses avaient appelé aux repentis des âmes. La folie gouvernait New York durant les premiers mois, mais plus rien n'était advenu et l'histoire s'était tassée petit à petit. Seulement quelques reportages prouvaient encore que les Iryliens étaient descendus sur Terre. Mis à part cela, la vie avait bien repris son cours, les dégâts avaient disparu. Seuls demeuraient les souvenirs devenus douloureux avec le temps. Ses yeux se posèrent sur son étagère où était posée une pierre d'obsidienne. Son cœur se serra. Était-ce tout ce qu'il restait d'elle ? Une simple roche qui n'avait plus brillé depuis maintenant un an ?
— Si elle te manque, souffla Jimmy, appelle-la.
Oui, la solution était des plus simple. Il n'avait qu'à se lever et tendre la main. Mais ensuite ? Que se passerait-il quand il reverrait ses iris dont il avait oublié l'éclat ?
— Que penses-tu de ce qu'il adviendra de Diego ? esquiva-t-il.
Son partenaire soupira et se gratta la joue.
— Va savoir. Soit il continuera ses bêtises, soit il aura enfin une conscience. Ce gamin a du potentiel, ça me fait mal au cœur de le savoir dans ce trafic. Mais on a déjà tout essayé pour l'aider, Willy, nous ne sommes que des humains. On ne peut plus rien faire pour lui.
— Il y a forcément une solution.
— J'aimerais bien la connaître.
Cette histoire démangeait son complexe du héros. Il détestait se sentir aussi impuissant.
Tu essayes simplement d'ignorer tes problèmes.
Il était vrai, au cours de l'année écoulée, il s'était plongé dans le travail à corps perdu. Il avait également repris la course à pied en plus de la boxe, et évitait à tout prix de laisser son esprit vagabonder vers une démone aux cheveux rouges. Il savait parfaitement qu'il fuyait. La vie faisait son œuvre, Lixa avait pris un chemin et lui un autre.
Plus les jours passaient, plus l'espoir de la revoir s'amenuisait.
***
Il touilla son thé comme à son habitude. L'Earl Grey restait de loin sa découverte préférée : quel breuvage délicieux ! Cette odeur d'agrume augmentait irrémédiablement son éternelle bonne humeur. Il regarda soudain sa montre à gousset et attrapa son chapeau haut de forme. Bien, il était temps de descendre.
Il s'examina une dernière fois dans son grand miroir aux moulures dorées. Il redressa son chapeau et écarta les mèches blondes de ses oreilles pointues. S'observant longuement d'un œil critique, il retira quelques poussières que lui seul voyait. Il fallait toujours être présentable après tout. Puis il sortit de chez lui, tasse en main. Il sifflota tandis qu'il marchait presque en sautillant. Il ignora les grognements et autres insultes qui accompagnaient son passage. Parfois, ses pensionnaires pouvaient être très vulgaires. C'était regrettable.
Il s'arrêta momentanément. Son esprit se mit aussitôt à vagabonder à travers le temps. Il vit William renoncer à utiliser la pierre d'obsidienne, la cérémonie de Gardien du prince, la mort. Passé, présent, avenir, tout se mélangeait devant ses yeux. Il secoua la tête et vérifia l'heure. Il finirait par avoir du retard s'il continuait, et c'était intolérable. Il reprit sa promenade jusqu'à atteindre son but. Quand il croisa le regard reptilien de son petit nouveau, il prit une gorgée de thé et sourit.
— Empereur.
— Sorcier.
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