Le noir des bras de Nòtt* s'estompait lentement et j'entendais maintenant le bruit de la pluie tomber sur le sol. Tout à coup, un coup de tonnerre résonna dans la grotte où j'étais. Cela me fit sursauter et en une fraction de seconde j'étais assis sur le mur de roche, les yeux ouverts et les pupilles dilatées. Le son du tonnerre résonnait encore dans mes oreilles ultra sensibles. Ensuite, tout fut éclairé par la foudre et j'aperçus la silhouette de quelqu'un. Mon coeur battait la chamade et ma respiration était haletante. Le mouvement brusque que j'avais réalisé quelques secondes plus tôt m'avait rappelé mes griffures. À chaque fois que ma poitrine se soulevais pour faire entrer de l'air, je souffrais. Je mis ma main à cet endroit et fis une grimace de douleur. Même si un gros bandage cachait presque entièrement mon ventre, j'avais mal. J'avais déjà été blessé, mais jamais aussi gravement.

- Eh, calmez-vous! C'est seulement un orage dehors. Si vous vous agitez trop la blessure pourrait se rouvrir! Ne me dites pas que vous avez peur....des orages?

Randi était restée là. Elle était assise sur une grosse pierre à environ 5 mètres de moi.

- Non... C'est seulement que mes oreilles sont plus sensibles que les vôtres. Ce coup de tonnerre que vous avez entendu a été amplifié au moins de dix fois! Il est tout a fait normal que j'aie sursauté. Aïe...

- Essayez de bouger le moins possible sinon vous aurez encore mal...

- D'accord. Oh...et...Merci de m'avoir soigné...pour la deuxième fois.

- Eh bien merci a vous de m'avoir sauvé pour la deuxième fois...

Un silence embarrassant régnait maintenant dans la grotte. Elle évitait mon regard, mal à l'aise de me regarder, et moi j'étais dans la même position. Je comprenais sa curiosité, moi je savais qui elle était, mais elle, elle n'avait aucune idée de mon identitée.

- Vous savez, vous avez le droit de me regarder. Ce n'est pas comme si vous aviez essayé de me tuer, vous m'avez même au contraire gardé en vie. Vous avez mon respect. Et puis, je crois que vous ne partirez pas d'ici avant longtemps et moi encore plus... Ou bien sinon, si c'est parce que je suis affreux, eh bien là je ne peux rien y faire...

- Quoi? Non... C'est seulement que, disons que je n'ai jamais été aussi proche pendant aussi longtemps d'un dragon...

Le rouge lui monta aux joues.

Elle se leva de son socle de pierre pour s'approcher de moi.

- Il faut que je vérifie si votre blessure ne s'infecte pas. Je peux?

Elle pointa mon bandage.

- Je crois que je me dois de dire oui pour mon propre bien.

- Probablement...

Tout en déroulant le morceau de tissu, elle se mit a parler.

- Je sais que vous ne voulez pas me dire votre nom, mais je me sens mal à l'aise de ne pas pouvoir vous appeler ne serais-ce que par un surnom. Il n'y a vraiment rien par quoi je pourrais vous appeler? Vous n'avez pas, je ne sais pas... Un surnom de dragon? Il arrive parfois que l'on donne des noms à des dragons parce qu'ils sont tenaces.

- Non... Dans l'endroit où j'ai vécu plus longtemps presque personne ne m'a vu. J'étais plus comme une légende. Je crois que l'on me surnommait "Le veilleur des montagnes". Je ne prendrais pas ça pour un nom. Et je ne suis pas vraiment un dragon, je ne le suis qu'a moitié. Il y a une petite différence.

- J'imagine... Comme quoi? À part que vous pouvez parler, marcher sur deux... Jambes? et que vous ayez un aspect presque humain.

- Eh bien pour commencer, je ne mange pas que de la viande. J'adore les fruits et les légumes contrairement à ce que l'on peut penser. Je ne dis jamais non à une pomme tout juste cueillie! Aussi, je pense comme vous. Je veux dire, ma façon de penser est la même que vous. Bien sûr, il y a l'instinct qui prend le dessus quelques fois, mais très rarement.

- Par l'instinct, vous voulez dire que dans certains cas ce n'est pas totalement vous qui prenez des décisions?

- En quelque sorte, oui. Être à moitié dragon n'est pas sans inconvénients...

Je vis son regard se détourner de moi et aller sur le sol froid.

- Et les deux fois où vous m'avez sauvée?

Un sourire en coin se dessina sur mon visage et un petit rire sorti de ma bouche. Je savais qu'elle m'aimait, mais en plus elle était jalouse...

- Ce n'est pas parce que je ne fais plus partie des vikings que je vous ignore. Si je peux aider quelqu'un, je le fais. Peut-être qu'un jour ils verront que je ne suis pas une menace. Enfin, je l'espère...

Je venais de faire une grosse erreur en disant cela.

- Plus partie des viking? Vous avez été normal, comme moi? C'est possible?

Je posai ma main sur mon front et murmurai "mais pourquoi j'ai dit ça!"

Maintenant elle allait vouloir en savoir encore plus sur moi...

- Si vous ne voulez pas me dire de nom, c'est pour ça... C'est logique! Ca explique aussi pourquoi vous ne posez pas de questions sur moi. Vous connaissez les humains alors vous n'avez pas besoin de poser des questions.

Je l'entendis murmurer grâce à mes super oreilles.

" Si mon père le savait, il l'accepterait peut-être..."

- Non ce n'est pas une bonne idée de parler de moi à quelqu'un d'autre. Vous savez, les gens ne sont pas tous comme vous. Ils ne me croient pas... Ils ne veulent pas le croire. Promettez-moi de ne parler de moi a personne...

- D'accord... Mais je ne comprend...

- Pas besoin de comprendre. Je vous demande seulement de le faire.

Elle se tut. J'avais peut-être été trop direct avec elle mais je le devais. Si Haldor venait a savoir que des détails sur moi m'avaient échappés je ne donnais pas cher de ma peau...

Voyant mon malaise, elle changea de sujet.

- Votre blessure semble bien guérir. D'ici quelques jours vous pourrez vous lever.

Quelques jours? Si je prenais autant de temps à revenir j'aurais des problèmes... Et si elle revenait à la maison et qu'elle ne voyait pas Henrik elle se poserait des questions! Mais connaissant Haldor, en voyant sa fille revenir seule, il se doutera qu'il y a eu un problème et il trouvera quelque chose. Enfin, je l'espère. Il pourrait aussi croire que je suis parti... Mais il verra que sa fille sera toujours préocupée par quelque chose, alors il va en tirer comme conclusion de toute manière que je ne peux pas revenir.

- Quand la pluie sera arrêtée, j'irai chercher quelque chose à manger. Vous devez bien commencer à avoir faim...

- Ah, ça, c'est une chose dont personne ne peut se passer!

- Ça, c'est sûr!

L'atmosphère semblait à nouveau détendue. Malgré tout, le silence était a nouveau maître des lieux. Bien que je sentais qu'une nuée de questions voulaient sortir, elle ne disait rien. Quant à moi, je n'avais rien a dire. De quoi pouvais-je parler? Aucun des sujets qui me traversaient l'esprit pouvaient être approfondis. La plupart était des sujets dont je savais que je finirais encore par dire quelque chose qu'il ne fallait pas sur moi.

Tout à coup, un bruit attira mon attention. Le bruit de la pluie qui tombait m'indiquait que ce qui approchait était d'une assez grande taille. Les "ploc" et les "plac" résonnaient sur la chose qui approchait. Lentement, une odeur familière fit son chemin jusqu'a mon nez. Non, pas maintenant...

Trop tard... Mon meilleur ami passait l'entrée de la grotte. Il devait avoir senti mon odeur et celle du sang, alors il avait suivi l'odeur, sûrement inquiet pour moi. Heureusement qu'il faisait noir, elle ne pouvait pas le voir. Mais pas éternellement. Elle allait bien le voir un jour...

Randi avait presque fini de mettre les nouveaux bandages. Je devais trouver une solution rapidement. Je ne pouvais pas bouger, j'avais trop mal et je lui mettrais la puce à l'oreille. Parler était encore plus évident. La seule option qui me restait, c'était d'espérer qu'elle n'oserait pas toucher à un dragon devant moi.

- Voilà, ça semble bien guérir. Mais malgré tout, vous devrez rester immobile pendant encore longtemps. Je vais mettre une pommade pour éviter que ça s'infecte.

- Mhmhmm...

Je ne pouvais pas me concentrer sur ce qu'elle disait. Je sentais la pommade froide, mais mes yeux regardaient sans cesse derrière ses cheveux blonds.

- Qu'est ce qu'il y a? Vous semblez inquiet...

Je sentis mes oreilles se rabaisser sur ma tête.

- D'accord... Surtout, ne vous affolez pas. Si vous le faites, je vais stresser encore plus que maintenant, et on sait tout les deux que ce n'est pas bon pour moi. Alors retournez-vous lentement et ne faites aucun geste brusque. Je sais que si l'un de vous deux se sent en danger, ça va mal finir...

Tranquillement, elle se leva et se retouna.

- Il n'y a rien... Vous me stressez pour rien! C'est pas drôle.

- Attendez un peu... Quatre. Trois. Deux. Un.

Un éclair éclaira l'endroit, comme à toutes les exactement une minute et quatorze secondes, laissant la silhouette de mon meilleur ami se fondre a nouveau dans le décor après quelques instants.

- Un...Un...C'est bien ce que je pense? UN FURI...

- Chut! Quand je disais pas de mouvement brusque, ça incluait votre bouche. Si vous criez, il se sentira en danger et il pourrait devenir agressif. Je crois que c'est une chose sur la quelle nous sommes d'accord, nous ne voulons pas que ça arrive.

Elle hocha légèrement la tête de haut en bas, fixant l'entrée de la grotte. J'entendais les battements rapides de son coeur... " boum boum" "boum boum" "boum boum".

- Ne vous inquiétez pas, je ne pense pas qu'il a l'intention de vous faire du mal. En fait il a probablement plus peur de vous que vous, vous avez peur de lui. Laissez moi vous montrer quelque chose... Je vous demande seulement de détacher votre arme de votre ceinture, sans la sortir de son fourreau. Faites moi confiance...

Je savais qu'il ne l'attaquerait pas sauf s'il était vraiment en danger. Sans son arme, il ne se sentirait plus menacé.

- Je... Et... Et si jamais ça se passe mal?

- Ne vous inquiétez pas. Si ça vous rassure, je me porte garant de votre vie.

Malgré qu'elle le faisait à contre coeur, elle la posa délicatement par terre et elle la repoussa avec son pied.

- Allez, calme toi mon grand. Elle ne te fera pas de mal, je te le promet. Allez, viens me voir...

Il ne bougea pas tout de suite, mais lentement, une patte devant l'autre, il s'approcha. Il longeait le mur du côté opposé de Randi, pour ne pas trop s'en approcher. 

Après un temps qui devait avoir semblé interminable pour les deux, il était enfin à côté de moi.

- Allez, viens me faire un gros câlin mon grand!

J'ouvris grand mes bras et il se jetta dedans, en oubliant la jeune femme qui nous regardait.

- Aie... Finalement, un câlin ce n'était peut-être pas la meilleure idée du monde mon grand...

Voyant que j'avais mal, il recula un peu et mit ses naseaux près de ma blessure, tout en reniflant. Ses oreilles se rabaissèrent en même temps qu'une sorte de roucoulement sortit de sa gorge. Avec ses yeux piteux, il frotta doucement sa tête contre mon torse bandé, sa manière à lui de me dire "ça va aller". J'enroulai mes bras autour de sa tête.

- Ça va aller, je vais bien. Remercie la à la place de me regarder avec ces yeux là.... Typhon, Randi. Randi, Typhon.

Timidement, Elle fit un petit geste de la main pour le saluer.

- Moi à votre place, je ne bougerais pas trop et je me préparerais à tomber sur le sol...

- Quoi? Pourq...

Elle n'avait pas eu le temps de finir sa phrase qu'elle était allongée sur le sol, toute gluante de bave de dragon.

- Si vous n'aviez pas compris, il vous dit merci.

- Euh alors... De rien... Je crois...

Elle secouait ses bras dans l'espoir de faire tomber la glue qui les recouvrait, mais sans grand succès. Moi, devant cette scène, je ne pouvais que rire. Malheureusement, rire avec une blessure au niveau du ventre n'était pas vraiment agréable. À chaque fois que de l'air sortait de mes poumons, une douleur parcourait les trois stries sensibles causés par des griffes de demi-dragon.

- Je crois que tu l'a assez remerciée. Allez, viens mon grand...

Il me regarda, il jeta un coup œil à Randi, puis il me regarda de nouveau, mais cette fois avec un air joueur, comme un chien. Il sautillait partout, heureux d'avoir une nouvelle amie.

Une fois son surplus d'énergie évacué, il se fraya un chemin derrière moi et il se coucha en demi-lune, de manière à ce que sa tête était sous mon bras gauche et que sa queue longeait mon côté droit.

- Wow... Je n'avais jamais pensé qu'ils pouvaient être aussi attachants.

- Oui... Et d'ailleurs, c'est à cause de lui que je suis ici aujourd'hui.

Je lui frottai la tête en parlant comme si je parlais à un bébé.

- Avoue que tu ne pouvais pas vivre sans moi, et que ce jour là ce n'était pas un accident...

Il émis encore une sorte de roucoulement, comme s'il était découragé de moi.

- Dire que je les ai chassé toute ma vie... Je ne pourrai plus jamais en tuer un sans le regretter. Je sais que vous ne direz probablement rien, mais je me demandais, puisque vous avez déjà été humain, si vous les chassiez, vous aussi, avant...

- Je ne veux pas trop parler de mon moi avant, mais pour tout dire, j'avais toujours eu l'impression de ne pas être à ma place. Je ne voulais pas les tuer, mais tout le monde le faisait. J'avais l'impression d'être né au mauvais endroit. Depuis que je suis suis comme ça, je suis libre. Je peux penser ce que je veux, aucun viking ne m'en empêchera. Je peux traiter comme je veux les dragons, personne ne le saura.

- Alors ça existe réellement des vikings qui me veulent pas tuer depuis leur plus jeune âge?

- Je n'en ai pour l'instant connu aucun, mais je sais qu'il y en a d'autres. Je ne peux pas avoir été le seul.

- J'imagine que vous dites vrai...

Deux heures plus tard, le jour commençait à se lever, mais l'orage grondait toujours. Cependant, il semblait s'être éloigné.

- Je vais aller chercher de quoi manger et je vais revenir. Surtout, vous ne bougez pas.

- Ne vous inquiétez pas, je n'en ai pas l'intention. Et puis, j'ai mon garde du corps en cas de problème!

- Haha, d'accord...

Elle prit son sac et revint vers moi.

- Tiens, si je mets du temps à revenir applique ça dans trois heures sur ta plaie. C'est pour éviter que ça s'infecte.

- D'accord. Je vais y penser.

- Allez, à plus tard!

Elle traversa l'entrée de la grotte et disparut derrière la clarté du soleil levant.

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* Nòtt, déesse nordique de la nuit.