Chapitre 8 - partie 4
Eivind se pencha vers Sighild et lui murmura quelque chose à l'oreille. Elle afficha un air surpris une fraction de seconde avant de se détendre. Le pisteur se redressa, visiblement fier de lui.
— Normalement, enchaîna-t-il, nous aurons la tête de Sibsab sans que les guerriers à l'extérieur aient besoin d'attaquer. Mais il n'est pas improbable que les choses tournent mal et qu'ils doivent intervenir malgré tout. D'où l'importance de bien répartir nos hommes.
Il offrit une transition idéale, tout en finesse et en douceur. Sighild écouta les nomades faire la liste de leurs meilleurs hommes. Même s'ils n'étaient pas expérimentés, ils étaient valeureux et avaient à cœur de libérer leur pays, même si Sighild avait des difficultés à comprendre pourquoi.
En Sigvald, il n'y avait ni empereur ni roi, seulement des villages éparpillés sur tout le continent, vivant chacun sous l'autorité d'un chef. On se battait volontiers pour défendre sa maison, cependant il ne viendrait jamais à l'idée de quiconque de se battre pour Sigvald. Mais ici, beaucoup de choses étaient différentes.
Le continent était uni depuis des centaines d'années. Même le désert, qui pourtant avait ses propres lois, était fidèle au règne de l'empereur. Il y avait chez les Faroren un patriotisme qui laissait Sighild songeuse. Faror redeviendrait une grande puissance dès qu'un dirigeant compétant serait couronné, elle en était certaine.
Dès que les noms de tous les hommes vaillants furent donnés, le choix commença.
Sighild imposa Amalu et Eivind parmi les guerriers devant entrer dans la citadelle. On le lui accorda sans mal. Le reste de la répartition se fit assez facilement. Après plus d'une heure, il ne manqua qu'un homme à choisir :
— Qui mènera la première attaque extérieure si les choses empirent ? demanda Gildun.
Un silence lourd pesa sur la salle. À la surprise générale, Dehhu leva la main :
— Ce sera moi, annonça-t-il.
— Tu es certain ? s'enquit Dassine.
— J'ai agi comme un idiot, ma tribu doute de moi. Je verserai jusqu'à la dernière goutte de mon sang pour lui prouver que je suis toujours digne d'elle.
Emel lui octroya une tape brutale mais amicale dans le dos :
— J'aime t'entendre parler comme ça, mon frère ! Tu mourras couvert de gloire !
Dehhu lui lança un regard torve alors que l'assemblée riait de bon cœur.
— Je n'ai pas l'intention de mourir exprès, assura-t-il.
— Pardon, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.
— J'espère bien !
— Allons, mes frères, revenons à notre discussion, les pria Gildun. Il nous reste des détails à régler.
La conversation reprit son cours sur un ton sérieux. Ils mirent au point les différents signaux qui permettraient le mouvement discret des troupes, que ce soit à l'intérieur de la citadelle ou pour sonner l'alerte en cas de danger, et revinrent encore une fois sur le déroulement de l'infiltration.
Le départ d'Izril et Haydar fut planifié pour le lendemain et celui des autres nomades trois jours plus tard. Ceux qui participaient à la Foire prendraient une journée d'avance à la sortie du Petit Décor.
Ils tenaient à tout planifier afin d'assurer au mieux la réussite de leur plan.
Puis, en début de soirée, Gildun mit fin à l'entretien. L'assemblée se dispersa rapidement. Le nomade retint Eivind avant qu'il s'en aille. Izril et Sighild restèrent également.
— J'ai parlé aux autres chefs, commença le Fruho. Tu n'es pas sans savoir que nos tatouages reflètent notre vie ?
— Je sais, oui.
— Bien. Alors voilà : nous aimerions avoir l'honneur de tatouer les premiers mots de ton histoire.
— Pourquoi ? s'étonna Eivind.
— Cette tradition vient des guerriers Tamham, expliqua Izril. Pour nos ancêtres, c'était un moyen de prouver qu'il avait un passé. Les tatouages se font uniquement du côté du cœur et de haut en bas car, dans l'ancienne croyance, la tête représentait la naissance et les pieds, la mort. Nous pensions que tu aimerais pouvoir montrer à tout le monde que tu as enfin un passé complet.
Le pisteur ne sut pas quoi répondre.
— J'ai même réussi à me procurer l'encre blanche utilisée par nos ancêtres, ajouta son aîné.
— Tu devrais accepter, intervint Sighild. C'est aussi une part de toi.
Elle voulut ajouter que des tatouages blancs sur sa peau hâlée le rendraient encore plus attirant mais s'abstint. Les nomades n'avaient pas besoin de savoir qu'ils étaient aussi intimes au risque d'accuser Eivind de se laisser influencer par ses sentiments envers la Sigvaldan.
— D'accord, répondit Eivind.
— Alors suis-moi.
Sighild le laissa s'en aller seul avec Izril. Le tatouer allait demander beaucoup de temps qu'elle préférait occuper à se rafraîchir. Elle devrait aussi aller essayer son armure.
Elle avait demandé à Amalu, de nombreux jours auparavant, où elle pourrait s'en procurer une. Sans surprise, il lui répondit que les nomades n'en avaient aucune pour femme. Lunja s'était alors proposée de s'en charger, argumentant qu'elle connaissait les personnes capables de lui faire quelque chose rapidement. Ce matin, Amalu l'avait informée que son épouse avait tenue parole et qu'elle l'attendait avant le repas du soir sous sa tente.
Après s'être baignée, Sighild rendit visite à Lunja. Le soleil avait disparu depuis longtemps derrière les hautes montagnes mais la luminosité permettait encore d'y voir sans allumer les lampes à base de graisse animale. Parmi les tentures et les voilages aux couleurs chaudes, la chasseuse passa ses protections. Le métal de chaque pièce était recouvert d'un cuir épais décoré de formes symétriques entremêlées d'arabesques. La Sigvaldan apprécia l'esthétique mais lui préféra la résistance de l'ensemble.
— C'est du très bon travail, commenta-t-elle, ravie.
— L'un de mes frères est un excellent forgeron. Il est doué pour trouver le meilleur métal et le façonner comme bon lui semble.
— Combien vous dois-je ?
— C'est un cadeau de ma part, sourit Lunja. Disons que j'anticipe un peu. Cela m'évitera de devoir t'en faire un lorsque vous reviendrez vainqueurs. Et ne me parle pas de morts comme tu l'as fait avec les hommes. Je suis aussi têtue que toi et je maintiens que vous serez victorieux.
— Si tous les hommes pensent comme vous, nous serons bien capables d'arriver à quelque chose, en effet.
— Je leur soufflerai l'idée, compte sur moi, lui dit-elle avec un clin d'œil malicieux.
Sighild la remercia avant de prendre congé. Son armure bien à l'abri dans un grand linge sombre, elle retourna à la salle commune pour prendre quelque chose à manger. Elle aperçut Signe couchée près d'Izril ; elle semblait vraiment s'être attachée à lui.
Une fois quelques provisions en main, elle alla directement attendre son compagnon dans ses appartements.
Eivind remonta vers minuit. Dès qu'il s'allongea, Sighild s'approcha de lui. Elle posa sa main sur les bandages qui couvraient son pectoral gauche mais la retira lorsqu'Eivind grimaça de douleur.
— C'est supportable ? s'inquiéta-t-elle.
— Oui. Même si ça fait vraiment mal sur la joue.
Sighild l'enjamba pour s'allonger à sa droite. Elle se serra contre lui et posa la tête au creux de son épaule.
Avec l'approche de la guerre, c'était la date de leur retour en Sigvald qui se profilait. Plus les jours passaient, plus il lui tardait de rentrer chez elle et de retrouver ce village si cher à son cœur.
Le lendemain à l'aube, Izril prit de nouveau la route avec Signe et Haydar. Sur le chemin du retour, le Djilhali eut tout le temps nécessaire pour prendre conscience qu'il était sur la dernière ligne droite de l'accomplissement de sa vengeance.
Son rêve était plus que jamais à portée de mains.
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