Chapitre 8 - partie 1
Une tension oppressante tomba sur la salle. Les femmes se hâtèrent de sortir, traînant leurs enfants pour les éloigner du combat sanglant qui s'annonçait. Dans un coin isolé de la caverne, Izril observait attentivement ce qu'il se passait tout en caressant le pelage frais et soyeux de Signe couchée contre lui.
Sighild avança au centre d'un cercle improvisé par les nomades. Berkwan la suivit, adressant un sourire triomphal à la foule.
Eivind était au premier rang, comme tous les chefs rebelles, entouré d'Amalu et de Dassine.
— Elle a une chance ? demanda le guerrier du désert au pisteur.
— Tu connais les ours Dahard ?
— Les géants au pelage bleu clair ? Elle les a déjà chassés ?
— Combattus et tués, précisa Eivind.
Amalu posa sur la chasseuse un regard dubitatif. Il n'avait jamais réussi à savoir si les exploits des guerriers de Thorov étaient réels ou embellis par les conteurs. Ce serait certainement l'occasion d'avoir la réponse à cette interrogation.
Izril se fraya un chemin parmi les nomades et parvint lui aussi au premier rang, en face de son frère. L'attention générale était portée sur les deux combattants qui se défiaient dans cette arène humaine. Sighild tira Daghild de son fourreau d'un geste volontairement lent afin que Berkwan, raide et attentif, puisse apprécier le bruit du métal contre le métal et la longueur de la lame. La Chasseuse posa la pointe sur le sol et traça un demi-cercle devant elle avant de s'immobiliser.
Elle ne lâchait pas l'homme du regard mais il ne la prenait pas au sérieux, pensant qu'elle ne pourrait jamais le toucher. Sans le moindre signe avant-coureur, la Sigvaldan attaqua.
L'épée de la femme aurait trépané son crâne s'il ne l'avait pas bloquée de justesse. Il mesura par la même occasion le poids de l'arme massive et la domination de la chasseuse qui le regardait avec mépris.
Il la repoussa d'un geste brusque puis enchaîna les coups que son adversaire évitait sans mal. Il comprit vite qu'elle jouait avec lui, qu'elle savourait sa supériorité. Ce qui le fit enrager. Mais ses attaques étaient vaines : plus il insistait, moins il réfléchissait. Il se laissa vite guider par sa colère et sa frustration de ne pas arriver à la toucher. La chasseuse, en revanche, le blessait dès qu'elle le souhaitait.
À chaque attaque manquée de son adversaire, elle en profitait pour le frapper violemment. Berkwan lui découvrit une force qu'il n'aurait jamais soupçonnée et dégusta sa haine tenace. La lame de Daghild lui entailla la chair comme des crocs mordants. Les blessures étaient superficielles mais extrêmement douloureuses, rendant les déplacements du nomade de plus en plus difficiles. Sighild ne lui laissait aucun répit, aucun temps mort entre deux coups. Dès qu'elle en avait l'occasion, elle frappait Berkwan au visage jusqu'à ce que le sang lui coule par tous les orifices.
Après seulement deux minutes de combat, l'homme soufflait comme un taureau sur le point de recevoir l'estocade, ce que Sighild s'apprêtait à donner.
Berkwan abattit son sabre sur la femme avec toute la force dont il disposait encore. La chasseuse esquiva en effectuant une rotation complète sur sa droite puis frappa la joue de Berkwan avec le pommeau de Daghild. Le nomade perdit l'équilibre, déstabilisé par le coup et par son élan, et s'étala de tout son long sur le sol poussiéreux. Lorsqu'il tenta de se mettre à quatre pattes, le pied de Sighild le frappa durement au côté, brisant quelques côtes au passage. Il s'écroula sur le dos, lacéré par une vive douleur qui le paralysait à moitié. Pourtant il se releva, sabre à la main.
Il visa le ventre sans protection de la Sigvaldan. Sa lame ne l'effleura même pas. La chasseuse saisit fermement la main armée de l'homme, la tordit violemment pour lui faire lâcher prise et leva haut Daghild.
— J'abandonne ! abdiqua Berkwan apeuré.
— Moi pas, cracha Sighild, mauvaise.
Eivind hésita une fraction de seconde à intervenir mais fonça dès qu'il comprit les intentions de sa meneuse. Il arriva juste à temps pour l'empêcher de trancher le bras de l'homme au niveau du biceps.
— C'est terminé, lui dit-il sur un ton posé.
La femme lâcha brutalement Berkwan qui s'écroula dans la poussière et se tourna, pointant la lame de son épée vers Dehhu.
— En échange de sa vie, j'exige qu'il reste en dehors des préparatifs et du combat, et qu'il ne quitte ces cavernes qu'à l'instant où votre victoire sera proclamée.
Elle n'attendit même pas la réponse de Dehhu et des autres chefs. Elle fit volte-face mais marqua un temps d'arrêt devant Berkwan :
— N'oublie pas à qui tu dois la vie, lui rappela-t-elle en rangeant Daghild au fourreau.
Puis elle s'en alla.
Le cercle se dispersa petit à petit dès que Gildun annonça la fin du duel. Emel s'approcha de lui et lui octroya une tape amicale sur l'épaule :
— Quel divertissement !
— On a eu de la chance qu'il ne se transforme pas en massacre. Elle lui aurait certainement coupé la tête en plus du bras si Eivind n'était pas intervenu.
— Probablement. Nous avons intérêt à nous entretenir rapidement avec Dehhu. S'il retire ses hommes...
— Il ne le fera pas, affirma Gildun. Le duel était régulier, il perdra le respect de sa tribu s'il fait marche arrière. Déjà que son autorité a été sacrément mise à mal ce soir...
— Contrairement à Eivind qui va gagner en importance. Il a sauvé son rival avoué, les hommes aiment les chefs justes, d'autant lorsqu'ils tiennent tête à une démone.
— Une démone intelligente, de surcroît.
— Un esprit simplet n'aurait jamais pu se tailler une telle réputation, lui fit remarquer Emel. Je comprends pourquoi les guerriers de Thorov sont tant redoutés s'ils sont menés par un chef calculateur comme elle.
— Ça ne me plaît pas, avoua Gildun.
— Ne t'inquiète pas, mon ami. Elle est peut-être redoutable, mais elle s'intéresse à nos affaires autant que nous aux siennes. Réjouis-toi qu'elle ne soit pas du côté de Sibsab ! rit Emel.
Il s'éloigna ainsi, sans parvenir à calmer son hilarité. Les mots d'Emel firent tout de même mouche car Gildun se tranquillisa. Sans Berkwan pour semer le trouble, les choses iraient mieux. Ce n'était pas un mal à l'approche de la date fatidique.
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