Chapitre 6 - partie 1

Izril entra dans Devenha en plein cœur de la nuit. La fouille minutieuse aux portes de la ville lui fut épargnée comme à chaque fois. On remarqua la panthère des neiges qui le suivait comme son ombre mais Izril chassa toute question d'un simple regard. Les sentinelles n'étaient pas autorisées à interroger la cour de l'Empereur. Seul Arkhoris, chef de la garde de Sibsab, y était habilité et il ne manquerait pas de remplir son devoir dès qu'il serait informé de son retour.

L'homme arpenta la large avenue principale bordée de nombreux commerces, traversa la Grande Place où se tiendrait la Foire puis continua tout droit à sa sortie, là où la grande rue se scindait en deux au pied de la forteresse impériale. Les remparts de la citadelle où vivaient les nobles étaient plus hauts que ceux qui encerclaient la ville, mais pas assez pour dissimuler le toit du palais où s'élevait un grand dôme doré. Il était impossible de les passer autrement que par l'une des quatre portes qui menaient à l'intérieur.

Là aussi, la garde le laissa passer sans défiance. Les escapades d'Izril n'étaient un secret pour personne, même si tout le monde pensait qu'il partait méditer dans le désert à grand renfort de drogues dures. Il revenait toujours amaigri et fatigué ; il n'en fallait pas plus aux gens pour échafauder toutes sortes de théories plus ou moins malsaines.

Il entra dans le palais et fila jusqu'à ses appartements, au rez-de-chaussée à l'extrême est du bâtiment. Dans le couloir magnifiquement décoré qui y menait, des gardes le hélèrent avec fermeté. Izril s'arrêta puis leur fit face. Deux hommes, les cheveux courts, vêtus d'un simple pagne blanc et d'une collerette en céramique peinte, accompagnaient un troisième garde autrement paré.

De haute stature, l'homme de trente-cinq ans portait un pagne blanc plissé et décoré d'une ceinture en or. Des pierres précieuses ornaient sa large collerette posée sur son torse nu peint de motifs géométriques identiques à ceux représentés sur ses jambes imberbes. Un diadème doré, où pendaient plusieurs rivières de perles jaunes, était posé sur ses longs cheveux ébène coiffés en demi-queue. Du maquillage noir cerclait ses yeux marron clair.

— J'ai des questions à vous poser, Djilhali.

— Ton interrogatoire pourrait attendre demain, Arkhoris. Je suis fatigué.

— Si vous coopérez, nous en aurons vite terminé, rétorqua le chef de la garde. Retournez à vos postes, intima-t-il à ses subordonnés.

Puis il s'avança vers la porte des appartements d'Izril, l'ouvrit et attendit qu'il entre pour le suivre. À l'intérieur, Signe s'assit près du lit et le regarda avec insistance.

— Mets-toi à l'aise, la pria-t-il en tapant deux fois sur le matelas.

L'once y sauta et se roula sur le dos, heureux de pouvoir se reposer.

— Tu l'as achetée à un nomade ? demanda Arkhoris en désignant l'irbis.

— Oui, répondit Izril en enlevant son chèche et sa tunique.

— Tu as dû la payer une fortune.

— Faut-il aussi que je rende compte de mes dépenses ? s'impatienta-t-il.

Le garde s'approcha de lui. Il attrapa son visage entre ses mains et ancra son regard dans le sien.

— Je ne te reproche rien, Izril.

Le Djilhali souffla de fatigue.

— Je sais, murmura-t-il. Excuse-moi, mais je suis vraiment épuisé, je...

Arkhoris l'embrassa. Izril ferma les yeux et sentit tous les muscles de son corps se détendre le temps que dura le contact. Puis le garde recula légèrement tout en caressant les joues de son amant avec ses pouces.

— Tu reviens toujours exténué de tes expéditions, s'inquiéta-t-il. Je commence sérieusement à avoir peur.

— Je ne vais pas dans le désert pour me droguer, fais-moi confiance, Ark. C'est juste que... beaucoup de choses me passent par la tête. Être seul et loin de tout me permet de les trier.

— Tu ne peux pas le faire ici ? Avec moi ?

— Avec toi je n'arrive pas à aligner deux pensées cohérentes, confessa Izril. Ce n'est pas idéal pour réfléchir.

— Ça t'évite de trop penser, au moins. Demain soir, je ne serai pas en poste. Une fois que je me serai débarrassé de toute cette peinture je viendrai ici te vider la tête.

Izril plongea son visage au creux du cou d'Ark et huma son parfum fleuri. Il avait envie que le garde le serre dans ses bras mais la peinture sur sa peau risquerait de partir. Tout le monde poserait alors des questions dérangeantes et si leur relation venait à être mise à jour, Arkhoris serait décapité sur le champ. Même si les décorations sur son torse étaient avant tout un héritage traditionnel, Sibsab l'utilisait pour s'assurer qu'aucun de ses soldats haut gradé ne posait la main sur ses biens, en particulier sur son harem.

— Il faut que j'y aille, reprit le chef de la garde. Mes hommes vont m'attendre.

Il amorça son geste pour s'en aller mais Izril l'arrêta et l'embrassa une dernière fois. Puis il le laissa enfin partir.

Quand il fut seul, il se tourna vers les grands arcs outrepassés brisés ouvrant la chambre au nord sur un magnifique jardin dont il était le seul à pouvoir profiter. Il apprécia l'air frais du soir durant quelques instants, puis alla s'allonger sur le lit, à côté de la panthère qui ronflait déjà. Il ne tarda pas à sombrer dans un sommeil aussi profond que celui du félin.


Trois coups violents frappés à la porte de sa chambre le réveillèrent en sursaut. Le soleil avait déjà dépassé l'horizon mais n'était pas haut dans le ciel. Il ne devait pas être plus de sept heures. Il entendit la panthère bâiller bruyamment et grogner de mécontentement.

— Qui va là ? demanda-t-il aussi distinctement qu'il le pouvait.

— La garde, lui répondit-on. L'Empereur vous convie à sa table. Il vous y attend pour huit heures.

— J'y serai.

La réponse suffit à faire partir les hommes. Izril se leva et fila directement se laver et se changer.

Grâce aux liens d'amitié entre Faror et Candor, autre pays désertique, le palais bénéficiait des avancées technologiques de Celebrindal, continent voisin. L'eau circulait dans tout le palais grâce à un impressionnant circuit hydraulique. Elle n'était certes pas potable mais cela suffisait pour la toilette et la lessive.

Ses mains commencèrent à trembler alors qu'il passait un pagne au tissu onéreux magnifiquement travaillé. Le manque se faisait sentir, mais comme toutes les fois où la présence d'Ark lui tenait la tête hors de l'eau, il ne céda pas à la tentation. Sans prendre la peine de chausser ses sandales, il se dirigea vers la sortie.

— J'espère que tu resteras tranquille, Signe. Je vais me dépêcher de revenir avec de quoi manger.

La panthère le regarda sans réagir. Izril prit son impassibilité pour un accord tacite et s'en alla.

Il rejoignit la cour intérieure de la demeure impériale, endroit où la végétation luxuriante et colorée nageait dans de grands chemins d'eau. C'était au cœur de ce havre de paix que Gabir Sibsab prenait toujours son petit-déjeuner. La femme et les filles du quinquagénaire partageaient rarement ce repas avec lui, cédant la place aux Djilhali, aux éphèbes dont il était friand ou aux jeunes filles pures qu'il aimait déflorer. Mais ce matin-là, il n'y avait que l'Empereur et quelques gardes postés aux différentes entrées. En apercevant son Djilhali, Gabir fendit son épaisse barbe noire d'un sourire immaculé et l'invita d'un large mouvement de main à s'asseoir à ses côtés. Comme toujours, Izril obéit rapidement et en silence, signe de sa totale soumission.

En prenant place à côté de Sibsab, Izril sentit son corps se raidir comme s'il se préparait à combattre un poison agressif. La sensation fut encore plus violente lorsque le Souverain posa une main indécente sur la cuisse de son jouet. Ses doigts velus passèrent sous son pagne pour le caresser d'un geste qu'il voulait lascif. Le Djilhali retint une grimace de dégoût tout en remerciant les dieux qu'Arkhoris ne soit pas là. Le chef de la garde avait sa matinée de libre pour récupérer de sa nuit et se préparer à reprendre du service avant le déjeuner. Il ne saurait rien de ce qui allait se passer.

— Tu as encore maigri, mon mignon, susurra la voix aiguë de Gabir. Si tu continues comme ça, je n'aurai bientôt plus rien à manger.

Izril gardait la tête basse tandis que Sibsab le dévorait des yeux.

— Tu trembles, mon petit, reprit-il. Tu n'as pas eu ta dose ?

Le Djilhali répondit par la négative après quelques secondes d'hésitation, ce qui sembla satisfaire pleinement son maître. Sa main quitta un instant sa peau hâlée, le temps pour lui d'attraper un coffret posé par terre et de le glisser sous le nez de son esclave.

— Ouvre-le, ordonna le quinquagénaire.

Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'Izril, conscient du contenu de la boîte, ne se décide à obéir. À l'intérieur, comme il l'avait craint, reposait une pipe en ivoire accompagnée d'une belle quantité de drogue.

Gabir s'approcha de son Djilhali pour lui chuchoter à l'oreille :

— Je veux que tu fumes tout et après, on ira dans ma chambre. Tu es plus docile pour certaines choses avec l'esprit embrumé... et tu cries plus facilement.

En disant ça, l'Empereur humait le parfum de ses longs cheveux et de sa peau avec délectation. Il lécha son cou tout en laissant échapper un gémissement de contentement. Il se rapprocha de son serviteur, se colla à lui pour lui faire apprécier son état d'excitation. Izril eut un haut-le-cœur.

— Fume, mon mignon. À moins que l'écartèlement te manque à ce point que tu en réclames encore ?

L'esclave frissonna de terreur en repensant à la douleur déchirante de ses membres étirés et au craquement du bois de la machine qu'on faisait fonctionner.

Plus tremblantes que jamais, ses mains attrapèrent la pipe et la bourrèrent d'un geste maladroit. Gabir l'alluma à l'aide d'une allumette qu'il enflamma grâce à la bougie qui brûlait devant lui. Sibsab exulta en voyant son Djilhali avaler et recracher la fumée.

À présent, le Souverain n'avait plus qu'à attendre que la drogue fasse effet. Après cela, il pourrait profiter de son corps autant qu'il le voudrait et de la manière qu'il lui plairait.

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Djilhali = Dans l'univers du roman, titre donné aux favoris de l'empereur.

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