Chapitre 5 - partie 4
Les bourrasques faisaient trembler la montagne et vibrer le bois. Sighild se demanda un instant si les protections tiendraient mais se rassura vite.
Les nomades ébouriffèrent leurs cheveux pour en chasser le sable et époussetèrent leurs vêtements pour en faire partir la poussière. La chasseuse pesta intérieurement en songeant au temps qu'elle passerait à laver ses cheveux pour les débarrasser de tous les grains. Le long râle plaintif de Glaam la ramena à une toute autre réalité.
Elle s'approcha du dragonnet allongé sur le sol, les ailes dressées vers le plafond et la tête lourdement posée par terre. Elle remarqua vite la patte fracturée qui le faisait atrocement souffrir. Hyulha remercia l'humaine d'avoir attendu son petit malgré le risque que cela avait représenté.
— Je te suis reconnaissante, ajouta-t-elle. Et je paierai ma dette dès que tu le souhaiteras.
— Il se pourrait que ce soit plus tôt que tu ne penses, lui dit Sighild. Nous aurons certainement besoin d'aide lors de la guerre qui s'annonce.
Hyulha l'observa quelques secondes, soudain incertaine :
— Savais-tu que j'aurais une dette envers toi lorsque tu as sauvé Glaam ?
— Je m'en doutais, avoua la jeune femme. Mais rassure-toi, ma seule intention en ouvrant les portes était de sauver ton petit.
— Pourquoi te soucier d'un dragon ?
— Parce qu'il m'a fait assez confiance pour me dire son nom.
Hyulha soupesa l'humaine encore quelques secondes avant de juger qu'elle disait vrai. Elle renouvela sa promesse de l'aider avant de retourner toute son attention sur Glaam que les nomades avaient commencé à soigner.
Satisfaite de la tournure des choses, Sighild s'éloigna vers une partie isolée de la grotte afin de trouver le calme auquel elle aspirait. Elle s'adossa à la paroi avant de fermer les yeux. Avoir un dragon de leur côté ne serait pas de trop. Ils auraient besoin d'un allié de confiance pour rentrer dans le palais de Sibsab et elle n'avait pas envie de devoir compter sur Izril.
— C'était risqué, lui reprocha une voix grave.
Sighild ouvrit les yeux et fixa Eivind. Elle se redressa de toute sa hauteur :
— Ce n'est pas parce qu'une décision est risquée qu'il ne faut pas la prendre. Vous n'avez de cesse, tes amis et toi, de me reprocher que mes choix sont dangereux. Pourtant les hommes que tu es censé mener s'apprêtent à suivre mon plan. Pourquoi, à ton avis ?
Le pisteur ne répondit pas. Il se contenta de saisir le pommeau de son épée pour tenter de garder un peu d'assurance.
— Je t'ai posé une question, Eivind. Pourquoi ?
— Parce que vous faites toujours en sorte de mener votre mission à bien, quel qu'en soit le prix. C'est la même raison qui me pousse à vous suivre... malgré tout le mépris que vous avez pour moi.
La jeune femme s'approcha de lui, si près que même un soupir inaudible n'aurait pu lui échapper. Elle était sereine.
— Je n'aurais jamais traversé la moitié du monde ou mis ma vie en danger pour ramener sain et sauf un homme que je méprise, Eivind, chuchota-t-elle. Nous avons tous notre façon de repousser ce qui nous effraie. Mais ce qui nous fait peur n'est pas forcément quelque chose que l'on hait.
Elle lui attrapa tendrement la main et l'amena jusqu'à ses cheveux. Les doigts de l'homme glissèrent entre ses mèches à la blancheur ternie par l'assaut du sable.
— C'est parfois même tout le contraire, murmura-t-elle en posant sa main libre sur le torse nu du pisteur.
Elle sentit le cœur de l'homme s'emballer et cogner fort. Sa respiration devint lente et profonde. Il détaillait chaque trait de son visage, de ses yeux blancs inhabituellement tendres à ses lèvres closes tentantes. Sighild fit remonter sa main de ses pectoraux à son cou. Ses doigts caressèrent sa mâchoire avant d'aller effleurer ses courts cheveux couleur de feu. Elle approcha son visage du sien, assez pour sentir son souffle chaud sur sa joue, et ferma les yeux. Ses lèvres frôlèrent les siennes mais Eivind recula.
Alors que la frustration serrait le cœur de Sighild, le pisteur fit encore un pas en arrière. Il ne savait pas si elle était sincère ou si elle essayait juste de se venger de ce qu'il lui avait dit. De ce qu'il savait de sa chef, la deuxième option était la plus probable.
Il se sentit trahi.
L'homme secoua la tête de droite à gauche, faisant comprendre à la jeune femme qu'il ne la croyait pas. Pourtant il était troublé, trop pour ce qui venait de se passer ; Sighild le vit à son torse qui se soulevait et se baissait rapidement.
Il s'en alla.
La chasseuse descendit dans les souterrains. Une torche à la main, elle suivit les galeries principales sur plusieurs centaines de mètres avant de s'enfoncer dans un boyau annexe, beaucoup plus petit et moins fréquenté que les autres. Elle marcha moins d'une minute puis se faufila dans une faille sur sa droite, si peu large qu'elle ne laissait pas la place pour deux personnes de front.
Plus elle avançait dans l'entaille, plus l'air se chargeait d'humidité et de fraîcheur. Elle arriva finalement jusqu'à un coin de verdure improbable. Une grande cheminée naturelle, ainsi que d'autres plus petites, amenaient la lumière du jour jusqu'ici. Une dizaine de fines cascades, hautes comme deux hommes, coulaient jusque dans un bassin autour duquel s'étendait une mousse épaisse et abondante. Des fleurs jaunes et violettes poussaient un peu partout, conférant à l'endroit une touche de couleur apaisante.
La femme avait trouvé ce lieu par hasard lors des deux jours qu'elle avait passés à errer dans les tunnels. Ce point d'eau lui semblait être un coin de paradis, pour elle qui craignait le soleil violent de Faror. Sa peau était trop blanche pour résister aux brûlures des rayons.
Elle éteignit la torche et la posa par terre avant de se déshabiller. Le sable dans ses cheveux commençait à la démanger de manière insupportable. Lorsque son sarouel et son court haut noir furent posés au sec sur un rocher exposé au soleil, elle plongea dans le bassin naturel assez large pour accueillir six autres individus. Mais personne, visiblement, ne connaissait cet endroit et cela convenait à l'héritière de Thorov.
Avec soin, Sighild lava ses cheveux et les débarrassa des grains de sable. Elle n'aimait pas avoir la tête mouillée, sa chevelure devenait alors lourde et encombrante. Mais elle préférait encore ça à l'irritation du sablon.
Tout en faisant sa toilette, elle songea à Signe. La panthère lui manquait énormément et c'était bien à contrecœur qu'elle l'avait envoyée avec le frère d'Eivind. Depuis qu'elle avait repris connaissance après la trahison de Vilfird, l'once et elles s'étaient beaucoup rapprochées. L'irbis avait décidé de rester avec la fille d'Halfan encore un long moment, consciente qu'être proche d'un humain avaient quelques avantages, comme celui de manger à sa faim.
Sighild aimait les animaux. Ils n'attendaient rien d'elle et étaient incapables de la juger. C'était tout naturellement que Signe était devenue sa meilleure amie. Sa seule amie. Elle n'avait jamais eu honte de lui parler des sentiments qu'elle éprouvait pour Eivind. L'once l'avait simplement écoutée de longues heures avant de conclure par une seule phrase : « J'aime qu'on me gratte derrière les oreilles ». En constatant Signe si détachée du monde et si éloignée des doutes humains, Sighild en était arrivée à trouver ses problèmes et ses hésitations stupides. C'était à cet instant qu'elle avait pris la décision de retrouver Eivind et de lui avouer ses sentiments.
Mais en arrivant ici, en le voyant entouré de gens qu'elle ne connaissait pas, elle avait perdu pied comme elle l'avait fait lorsqu'Elfi s'était immiscée entre eux. D'une certaine manière, elle en voulait au pisteur de se débrouiller sans elle, de ne pas avoir besoin de sa présence. Alors quand il lui avait dit qu'elle n'était personne ici, elle avait craqué. Ces quelques mots hantaient toujours son esprit.
La jeune femme soupira.
La situation s'était compliquée mais elle était bien décidée à ne pas abandonner. Jamais personne ne lui avait résisté. Eivind ne serait pas l'exception.
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