Sighild tourna lentement sur elle-même pour faire face à une jeune nomade. Elle se tenait à moins de quatre foulées, les bras dans le dos et un grand sourire aux lèvres. L'héritière d'Halfan dévisagea la nouvelle venue avec cet air supérieur qui la caractérisait. La jeune fille devant elle ne devait pas avoir plus de vingt ans. Sa tournure agréable et sa silhouette fluette devaient sans aucun doute attirer l'attention, tout comme ses longs cheveux bouclés.

— Je suis Shaya, se présenta-t-elle. Nièce de Dassine.

— Que me vaut cet honneur ?

— C'est rare que les Kereoban s'approchent, surtout d'un étranger, alors je suis venue voir. La panthère blanche avec laquelle tu es arrivée a aussi beaucoup d'affection pour toi, contrairement aux nomades. Je crois qu'à eux tu leur fais un peu peur, confia-t-elle sans se départir de son sourire.

— Tiens donc...

Shaya n'ajouta rien. Elle se contenta de détailler la « Perle du désert » de la tête aux pieds.

Sighild était bien plus grande que les femmes de Faror, et aussi beaucoup plus massive et puissante. On devinait parfaitement les muscles qui dessinaient les reliefs de son ventre et de ses bras. Le rouge de ses lèvres généreuses contrastait étrangement avec le blanc de ses yeux, tout comme il s'opposait au bleu clair des mèches qui encadraient son visage carré. Le reste de sa chevelure, aussi blanche que la pleine lune, semblait douce comme un pelage bien entretenu.

D'être soupesée ainsi commença à agacer la Sigvaldan.

— Autre chose ? demanda-t-elle sèchement.

— Tu es si différente de nous. Et tes cheveux sont si magnifiques, s'émerveilla-t-elle en voulant les toucher.

Avant que ses doigts n'aient pu approcher des premières mèches immaculées, une main assurée retint la sienne. Shaya dévisagea Eivind dont la poigne ferme la faisait un peu souffrir. Le pisteur avait suivi la Faroren dès qu'il l'avait vu s'avancer vers sa chef. Il avait été certain que les choses tourneraient mal.

Shaya regarda l'homme, les yeux arrondis par la surprise et l'incompréhension. Il relâcha sa prise avec douceur. Sighild, hors d'elle, s'en alla comme une furie, bousculant son chasseur au passage. Mais il n'en tint pas compte et reporta son attention sur la nièce de Dassine :

— Je suis désolé si je t'ai fait peur, s'excusa-t-il. Mais Sighild déteste qu'on lui touche les cheveux.

— À ce point qu'il t'a fallu me retenir ? s'étonna-t-elle.

— La dernière fois qu'une femme a touché ses cheveux sans sa permission, elle s'est retrouvée avec trois doigts brisés. Retourne vers ton oncle, je vais aller parler à Sighild.

Shaya opina du chef et s'en retourna à la fête. Eivind la regarda s'éloigner et souffla de lassitude. Sa chef avait l'art de compliquer les situations simples.

Lorsqu'il arriva dans ses appartements, Sighild faisait les cent pas. Elle ne le remarqua pas sur l'instant, trop occupée à alimenter sa colère déjà bien enflammée. Il s'avança sans bruit mais pas assez pour ne pas attirer l'attention de la femme qui le foudroya du regard, comme si la seule envie qu'elle avait à cet instant était de l'égorger. Eivind s'immobilisa. La chasseuse releva la tête et s'approcha de lui. Le pisteur eut un mouvement de recul en voyant avancer ce prédateur échauffé qui le fixait sans ciller, mais reprit vite contenance. Sighild s'arrêta près de lui, la tête levée pour pouvoir observer la moindre de ses expressions :

— Je vois que tu accours toujours aussi vite lorsqu'une frêle jeune femme se met en danger, railla-t-elle.

— Ça se serait mal terminé...

— Uniquement parce que ta nouvelle protégée n'a pas plus d'esprit que la précédente.

— Elfi n'a rien à faire dans...

— Tu as raison. La seule chose dérangeante dans cette histoire, c'est toi. Qui crois-tu être pour devoir protéger toutes les demoiselles en détresse ? As-tu besoin de ça pour te sentir un homme ? Ou est-ce simplement pour apprécier le regard admiratif et plein d'envie que ces femelles te lancent ?

Eivind serra les mâchoires et fronça les sourcils. Sighild était consciente que rien de ce qu'elle disait n'était vrai, tout comme elle réalisait que l'homme perdait patience. Mais elle était si blessée et énervée qu'elle avait envie qu'il souffre comme elle, qu'elle ne soit pas la seule à devoir supporter le poids de ses sentiments.

— Le silence n'est pas la meilleure des défenses, lui reprocha-t-elle, voyant qu'il n'était pas décidé à décrocher un mot. Sors d'ici avant que je perde réellement patiente, ordonna-t-elle.

Eivind lui saisit le bras et la poussa sur le seuil de la porte.

— Ce sont mes appartements, articula-t-il en tentant de se maîtriser. N'oubliez pas qu'ici vous n'êtes personne, lança-t-il froidement en lui claquant la porte au nez.

Mais Sighild n'en resta pas là. Elle rouvrit la porte et lorsqu'Eivind se retourna pour lui faire face, le frappa en plein visage. Sous le choc et la douleur, le pisteur s'effondra sur le sol, le nez en sang. Il y amena sa main pour essayer d'arrêter l'hémorragie tout en lançant un regard noir à sa chef. Les traits de la femme n'étaient pas sévères comme à l'accoutumée mais doux, comme si les paroles d'Eivind avaient exposé une partie d'elle-même qui restait peureusement cachée derrière son apparence froide. Le pisteur retrouva la Sighild qui, par deux fois dans le passé, lui avait fait brièvement face et qui paraissait aussi fragile qu'un flocon de neige.

Elle le pointa d'un index menaçant, prête à l'inonder d'insultes et à lui promettre une mort lente et atroce, mais elle ne parvint pas à parler.

Si ce n'avait pas été Eivind, elle l'aurait défié en duel et l'aurait tué sans état d'âme. Ils en avaient tous les deux conscience. Mais si l'une savait pourquoi elle n'en ferait rien, l'autre était totalement perdu. Eivind avait toujours vu la fille d'Halfan comme une jeune femme au caractère constant. Mais depuis leur quête du dernier hiver, depuis leur rencontre avec Elfi, Sighild avait changé.

La femme baissa finalement son doigt. Se drapant dans son orgueil et sa dignité, elle releva la tête, tourna le dos à son chasseur et partit sans prendre la peine de fermer la porte.