Chapitre 4 - partie 1

Une assemblée s'était de nouveau réunie à l'intérieur de la caverne. Les discussions n'avaient pas cessé depuis l'arrivée de Sighild, tout comme les regards dérobés que chacun lui lançait. Eivind n'avait pas eu l'occasion d'approcher la chasseuse. Les chefs rebelles s'étaient tour à tour présentés à elle et enquis du contenu de la lettre d'Halfan. Cela faisait des siècles que Faror n'avait pas reçu la visite d'un ambassadeur de Sigvald et c'était la première fois qu'un officiel rencontrait les tribus nomades. Mais plus que son rang, c'était son habilité au combat et son aspect qui étonnaient, choquaient ou fascinaient.

Izril profita que l'attention soit tournée vers la nouvelle venue pour s'approcher de son frère :

— Explique-moi.

— Je ne peux pas. Je... je ne comprends pas.

La stupeur se lisait encore sur le visage du pisteur qui n'avait de cesse de fixer Sighild. Il était aisé de voir qu'il ne jouait pas la comédie et qu'il était totalement désemparé face à cette apparition inattendue. Il aurait aimé que son frère le gifle pour lui montrer qu'il ne rêvait pas, mais il n'osait pas le lui demander de peur de paraître idiot.

Dassine haussa soudain la voix et pria chacun de prendre place sur un coussin. Lorsque tous furent à leur aise, il parla :

— Nous voilà en bien fâcheuse posture. Voyez-vous, fille d'Halfan, Eivind s'est engagé à mener nos guerriers lors d'une bataille que nous préparons.

Sighild, assise droite, altière, se contenta de tourner la tête vers son chasseur. Celui-ci était encore tellement chamboulé que ce fut Izril qui prit la parole :

— J'ai moi-même conduit Eivind jusqu'ici afin de profiter de sa neutralité et de la réputation légendaire des guerriers de Thorov.

— Et qui êtes-vous donc ? demanda la chasseuse.

— Izril Fahanfnan, aîné de Khalil que vous nommez Eivind. (Le visage de Sighild devint sombre.) Mon frère s'est engagé à nous aider. Notre pays – son pays – doit être libéré du joug d'un homme qui n'a pas sa place sur le trône.

— Ne pouvez-vous attendre encore ? demanda Gildun à Sighild. Notre maison est la vôtre le temps de votre séjour, nos femmes vous serviront et vous distrairont. Vous ne manquerez de rien.

Les gens du désert étaient accueillants de nature et aimaient recevoir convenablement, surtout lorsqu'il s'agissait d'une héritière guerrière. Les alliés, même lointains, n'étaient pas à négliger.

— Si je comprends bien votre demande, reprit Sighild, vous souhaitez que je reste dans mon coin, sans mot dire, et que je vous laisse guerroyer, mon chasseur à votre tête, en attendant son retour hypothétique ?

— Eh bien... oui, hésita-t-il.

Il tourna la tête vers Eivind et regretta, en constatant sa mine contrariée, de ne pas l'avoir consulté avant de répondre. Puis il retourna son attention sur Sighild qui le fixait d'un air glacial. Gildun aurait certainement été rassuré de savoir que personne d'autre ne comprenait le mécontentement de la Sigvaldan.

Elle se leva, imitée par Eivind que les Faroren dévisagèrent.

— Il est de coutume en Sigvald que les hommes se lèvent à la suite des femmes, particulièrement quand celles-ci possèdent un titre, expliqua Amalu.

La chasseuse le gratifia d'un léger signe de tête qu'il lui rendit avec déférence.

— Je vais m'entretenir avec mon guerrier en privé, annonça-t-elle d'un ton impératif. Conduis-moi à tes appartements.

Eivind opina du chef et la précéda, l'emmenant vers le fond de la salle, dans le tunnel conduisant au sous-sol, Signe sur leurs talons. Izril, la mine dure, les regarda disparaître derrière les parois couleur sable.

Le trajet se fit dans le silence le plus total. Eivind n'osa même pas se retourner pour apercevoir son chef de peur d'alimenter sa contrariété. Sa colère ne décrut pas lorsque le pisteur l'invita à entrer dans sa chambre. Elle jeta négligemment sa grande cape, sa tunique et son turban sur un coussin. Eivind se rappela que sa race était habituée aux basses températures depuis des temps immémoriaux lorsqu'il vit qu'elle était vêtue légèrement, d'un fin sarouel et d'un haut court qui dévoilait son ventre sculpté par d'intenses efforts physiques. C'était la première fois que le pisteur voyait autre chose que le visage de la jeune femme, aussi fut-il impressionné par le nombre de cicatrices – griffures et parfois même morsures – qui marquaient sa peau blanche. Une, en particulier, attira son attention. Encore rouge, horizontale au-dessous du nombril, de la longueur et de la largeur d'un poignard, elle n'avait pas été faite par un animal.

Sighild arrangea ses épais cheveux qui pendaient en une haute queue-de-cheval tout en se tournant vers Eivind, le tirant du fait de sa contemplation :

— Explique-toi, ordonna-t-elle.

— Vilfrid vous disait morte, s'entendit-il répondre.

Il avait réussi à se convaincre qu'il ne parlait pas à un fantôme. Mais le choc avait été tel qu'il ne pouvait pas continuer cette conversation sans avoir la moindre explication. Sighild souffla, agacée ; elle n'avait pas vraiment envie de revenir sur toute cette histoire, aussi résuma-t-elle :

— Signe a quémandé de l'aide aux nomades Arkh. Ils sont arrivés à temps pour me sauver. J'ai mis plus d'un mois à me remettre puis je suis rentrée à Thorov où j'ai appris que tu étais parti. Je suis venue avec Signe qui a eu droit, pour l'occasion, au sceau qui protège ton Onçaine de la chaleur. Satisfait ?

Il acquiesça car, sur le moment, il l'était. Mais il ne songea pas un instant à connaître la raison qui l'avait poussée à traverser le monde pour le retrouver alors qu'une promesse le liait à son père. Il serait tôt ou tard retourné en Sigvald.

— Je t'ai demandé quelque chose, reprit-elle, impatiente.

— Les nomades ont pour projet de faire tomber l'empereur actuel de Faror, mais ils n'ont pas de meneur, chacun des chefs nomades n'étant pas prêt à suivre aveuglément des hommes qu'ils ne connaissent que trop bien. Mon frère m'a donc fait chercher en Sigvald dans l'espoir que je saurais les mettre d'accord. Il comptait sur la réputation des guerriers de Thorov pour cela.

— J'entends bien. Mais il est hors de question que je me tienne silencieuse comme une statue qu'on met dans un coin pour décorer. Je suis l'héritière de Thorov, la meneuse de ses chasseurs et de ses guerriers, ton chef, et je compte bien être traitée en tant que telle, même ici. Sigvald ou Faror, mon rang reste le même et je n'hésiterai pas à le leur rappeler.

Assurément, les choses allaient se compliquer. Les nomades ne laisseraient jamais une femme s'immiscer dans leurs affaires et Sighild ne laisserait jamais personne la mettre à l'écart. Et lui devrait tenter de faire cohabiter tout ce monde.

— Nous leur demanderons de vous laisser assister à tous les préparatifs. C'est tout ce que je peux faire, ajouta-t-il devant l'air irrité de la jeune femme. Retournons-y.

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