Chapitre 3 - partie 3

Le reste de la journée passa au rythme des leçons qu'Izril dispensait patiemment à son jeune frère. Il lui enseigna l'histoire de Faror, sa culture, ses traditions les plus sacrées, ses guerriers les plus célèbres et ses rois les plus grandioses. Les croyances, nombreuses, reflétaient les craintes qu'inspirait le désert, les valeurs que les parents souhaitaient transmettre aux enfants, le merveilleux que les dunes et sa magie faisaient naître chez les Faroren. Il lui parla des anciens Rois du Désert, de leur peau mate, de leurs cheveux blancs et de leurs yeux bleus fluorescents. On disait que le premier de la lignée avait été couronné par le désert lui-même et que, dès lors, la force du sable coulait dans les veines de cette dynastie oubliée.

— Nos ancêtres, les guerriers Tamham, constituaient la garde personnelle des Rois du Désert. Quand la lignée s'est éteinte il y'a presque mille ans, les Tamham ont continué de défendre la cité de Lehnumia, ville des Rois. Mais ils l'ont finalement quittée aussi, emportant le secret de son emplacement avec eux.

— Pourquoi partir ?

— Ça, je n'en sais rien.

Le ton qu'Izril employait avait changé. Il était devenu hésitant, comme s'il craignait d'en avoir trop dit. Eivind ne releva pas sur l'instant mais décida d'être prudent. Que son frère vienne le chercher à l'autre bout du monde après tant d'années lui paraissait déjà étrange, malgré toutes les explications auxquelles il avait eu droit. Izril était habitué à agir dans l'ombre, il l'avait avoué lui-même.

— Parlons du climat maintenant, reprit l'homme qui souhaitait visiblement passer à autre chose.

Il ferma les livres et débarrassa la table pour y étaler des cartes de récente facture. Eivind éplucha une orange apportée à l'heure du déjeuner par le jeune nomade qui avait également amené les livres. Il écouta son frère lui parler des trois régions distinctes de Faror : la Plaine où vivait la population sédentaire, le Petit Décor, territoire des nomades et le Grand Décor, désert inhospitalier et dangereux, aussi aride que le soleil et domaine d'animaux intelligents et féroces. Le climat ne connaissait pas de grandes variations d'une région à l'autre, à l'exception des tempêtes. Ces dernières étaient plus violentes dans la Plaine où le relief relativement plat ne ralentissait pas leur progression. Autant de données qu'il faudrait prendre en compte lors de la mise au point de leur stratégie.

Le seul fait d'y penser donna la migraine à Eivind.


L'entretien des deux frères dura jusqu'au milieu de la nuit. Izril, voyant son cadet épuisé, le quitta quatre heures après le coucher du soleil.

Un silence apaisant succéda à son départ. Eivind s'assit sur la margelle et s'adossa à une colonne. Un air frais avait envahi le désert, porté par une brise légère qui faisait frémir les voilages colorés. À l'horizon, au-dessus des montagnes, les étoiles brillaient aussi nettement que dans le ciel de Sigvald. Pourtant, il ne reconnaissait aucune constellation, trop éloigné qu'il était de l'endroit qui l'avait vu grandir.

Le pisteur soupira de fatigue : il était temps pour lui de se reposer un peu. Demain serait une longue journée.

On vint le chercher à l'aube. Une réunion des chefs rebelles se tiendrait dans quelques minutes. On lui dit que Berkwan lui serait présenté. Eivind se prépara, passa sa ceinture à sa taille et y accrocha son fourreau. Puis il enroula son chèche sur sa tête et sortit de sa chambre.

Il retrouva son chemin sans trop de mal et arriva à l'heure au rendez-vous. Il repéra immédiatement le seul homme qu'il ne connaissait pas, de taille et de carrure moyennes, caché sous un turban bleu océan. Le regard foncé de Berkwan ne manqua pas de soupeser l'inopportun. Gildun, comme il l'avait fait la veille avec Dehhu, coupa court à la joute muette mais non moins dangereuse que les Faroren se livraient. Les deux hommes avaient en commun l'envie de ne pas se faire écarter l'un par l'autre. Leur collaboration s'annonçait difficile.

Amalu fut le premier à s'asseoir, invitant ainsi les autres meneurs à l'imiter. Même si c'était inutile, on présenta officiellement Berkwan à Eivind, en insistant sur le fait qu'aucune décision importante ne pourrait être prise sans son accord. Le pisteur y consentit, plus par défaut que par réelle envie, à la suite de quoi Dassine dirigea la conversation vers la guerre qu'ils s'apprêtaient à mener, illustrée par une grande carte détaillée de Devenha, cité de l'Empereur. Dans leur camp, les combattants n'étaient pas aussi nombreux que l'avait laissé croire Izril, surtout placés face à l'effectif important de l'armée de Sibsab.

Lorsque Gildun expliqua le fonctionnement des troupes impériales à Eivind, Berkwan intervint :

— Comment pouvez-vous tolérer qu'un homme aussi ignorant conduise nos guerriers ? Est-ce une insulte à mon encontre ? Il n'a rien à faire à notre tête. A-t-il déjà mené une armée ? Sait-il au moins manier une arme ?

Eivind n'attendit pas qu'on le défende. Il se leva et toisa son accusateur d'un air de défi :

— Il n'y a qu'un moyen de le savoir.

La main sur son épée, il tourna le dos à l'assemblée et sortit. Berkwan lui emboîta le pas sans attendre, suivi par les chefs rebelles.

Eivind avait eu l'occasion, au cours de son voyage avec Amalu, de prouver qu'il savait manier une arme. Mais même si les nomades avaient suivi l'avis du Guerrier du désert sans trop protester, le pisteur se doutait qu'ils étaient aussi curieux de savoir ce qu'il valait. Il n'aurait pas de meilleure occasion de le leur montrer que celle-ci.

Il descendit le sentier qui menait à l'oasis mais s'arrêta avant, là où la place était suffisante pour l'affrontement et l'attroupement des curieux. Hommes, femmes et enfants, intrigués par le face-à-face de Berkwan et de l'étranger, s'avancèrent et formèrent bientôt un large cercle autour des deux guerriers. Eivind n'avait pas encore eu l'occasion d'apprendre le protocole des duels, il ignorait même si c'en était un aux yeux des nomades. Visiblement non puisqu'aucune condition n'avait été posée. Les Faroren devaient considérer cela comme une démonstration de force.

Eivind enleva son chèche et le jeta aux pieds d'Amalu. Le turban ôté serait une gêne en moins pour lui qui n'avait pas l'habitude d'un champ de vision aussi réduit. Il saisit son épée à deux mains et se tint prêt. En face de lui, Berkwan l'imita.

Les combattants ne prirent pas le temps de se jauger et attaquèrent. Le sabre du rebelle à la lame courbée frappa le premier. Il trouva sur son passage l'arme du pisteur, beaucoup plus lourde et résistante, mais également moins rapide. Berkwan tourna sur lui-même et visa le flanc droit de son adversaire qui esquiva in extremis. Eivind recula et profita de ce court répit pour mieux assurer sa prise sur le manche de son arme. Puis il attaqua, enchaînant rapidement des mouvements précis et brutaux qui firent vaciller la lame de Berkwan. Les hommes du désert n'étaient pas habitués aux combats basés sur la force, comme en témoignait la garde quasi-inexistante de leurs armes. Les nomades aimaient la rapidité. Le rebelle se laissa dominer un instant, offrant une ouverture qu'Eivind ne rata pas. Il repoussa l'épée de son adversaire sur la droite et frappa du pied le torse sans défense. Son talon compressa violemment l'aorte de Berkwan qui tomba à genoux, la main sur sa poitrine douloureuse, le souffle court.

En constatant l'homme immobile, Eivind s'approcha dans l'intention de l'aider à se relever. Lorsqu'il se baissa pour lui tendre la main, l'autre lui jeta du sable dans les yeux. Le pisteur recula en se les frottant mais même les larmes causées par l'irritation n'arrivaient pas à évacuer tous les grains.

Une huée de protestations monta chez les spectateurs de l'affrontement. Berkwan n'en tint pas compte. La seule idée qu'il avait en tête était de tuer cet inopportun, duel ou non. Il lui faucha les jambes et le fit tomber à la renverse, le rendant vulnérable à sa lame qu'il abattit sans attendre. Mais Eivind, malgré le flou lacrymal qui l'aveuglait presque, contra l'arme et la repoussa sur le côté. Il se releva tant bien que mal pendant que le rebelle attaquait de nouveau. Il ne vit pas arriver le coup de poing qui le mit à terre. Pour Berkwan, la fin de l'affrontement approchait, il l'avait décidé. Il leva son épée avant de l'abattre sur Eivind. Ce dernier fit une roulade en arrière pour esquiver et se releva à côté de Dehhu, prêt à attaquer. Mais au moment où il voulut faire un pas, le pied du chef rebelle faucha le sien si discrètement que personne ne vit rien. Eivind s'écroula par terre, offrant sa nuque à la jalousie corrosive de Berkwan. Le pisteur n'eut pas le temps d'amorcer le moindre geste que déjà l'épée du rebelle tombait sur lui.

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