Chapitre 2 - partie 4

Le guerrier du désert fut chaleureusement accueilli et eut droit à un mot de chacun des six hommes présents. Les rebelles semblaient en revanche moins apprécier Izril, qu'on salua poliment mais avec retenue.

- Les autres sont à l'intérieur, Dassine ? demanda Izril.

- Oui. Nous n'attendons plus que vous.

- Alors allons-y. Nous avons beaucoup de choses à nous dire.

Les hommes pénétrèrent dans la caverne et Eivind, comme il l'avait souvent fait depuis son arrivée en Faror, s'émerveilla de la beauté de ces paysages fantastiques. Amalu n'avait pas menti, l'intérieur des grottes était démesuré et procurait un sentiment prodigieux de petitesse. Le plafond était tellement haut qu'aucune tenture n'avait pu être accrochée, comme c'était de coutume chez les nomades. Seuls les tapis, les coussins et les meubles en bois sombre décoraient les différentes parties de la caverne. Des stalagmites gigantesques séparaient l'endroit en plusieurs pièces de tailles variables et de lourds battants, servant à fermer l'entrée, étaient rabattus contre la paroi intérieure.

Dassine conduisit les nouveaux arrivants jusqu'au centre de la salle principale située juste derrière la première pièce de la caverne. De nombreux coussins de couleur chaude étaient posés à même le sol, formant un grand cercle en plein milieu de l'espace. Les chefs rebelles étaient tous là, debout et silencieux, toisant avec curiosité ce guerrier inconnu.

- Asseyons-nous, proposa Izril en enlevant sa tunique.

Amalu s'était déjà dévêtu à l'entrée. Eivind ne savait pas bien s'il devait faire de même ou non. Son aîné répondit à sa question muette en le priant de se mettre à l'aise. Le pisteur se déshabilla, heureux de pouvoir enfin sentir de l'air frais sur sa peau. Lorsqu'il posa son vêtement à côté de lui, des murmures montèrent.

Eivind chercha une réponse dans le regard d'Izril mais celui-ci ferma les yeux et souffla. Il semblait las.

- Tu nous dois des explications, Izril, lança un homme d'une quarantaine d'années à la longue chevelure noire. Tu disais que ton frère était un digne héritier des Tamham.

- Et je le maintiens, Badis.

- Où sont ses tatouages alors ? Un Tamham sans tatouages est un homme qui n'a pas vécu. Est-ce au moins ton frère ?

- Ta perpétuelle suspicion est usante, Badis, articula Izril d'une voix basse.

- Peut-être que si tu étais parfaitement honnête avec nous, ma suspicion irait voir ailleurs, rétorqua l'homme d'un ton railleur.

La remarque éleva des rires contenus de la part des autres chefs.

- Comprends-nous, Izril. Nous te pensions tous fils unique jusqu'à ce que tu nous apprennes l'existence de ton frère, un guerrier Tamham qui souhaitait nous rejoindre pour combattre à nos côtés. Nous avons accepté de le rencontrer et tu nous amènes un homme sans passé. Que devons-nous en penser ?

- Je..., commença Izril lorsqu'à côté de lui, Eivind se leva. Que fais-tu ?

- Ce que tu aurais dû faire dès de début, répondit son puîné. Chefs, s'il est de coutume pour mon frère de contourner les choses, ce n'est pas mon cas. Alors je serai honnête avec vous. Je suis le frère d'Izril mais je ne l'ai su que récemment. Je n'ai pas grandi en Faror. Mon nom est Eivind et mon continent est Sigvald. Izril m'a fait chercher pour vous aider car il jugeait que vous aviez besoin d'un homme pour mener vos guerriers. Je n'accepterai que si vous le voulez.

Un silence hostile s'installa dans la salle. Le pisteur attrapa sa tunique.

- Je vais attendre dehors, informa-t-il avant de leur tourner le dos.

Eivind s'en alla. Même une fois sorti de la pièce, il n'entendit aucun échange. Les rebelles avaient besoin de temps pour comprendre tout ce que sa venue sous-entendait.

Le jeune homme descendit vers l'oasis en empruntant l'étroit chemin poussiéreux qui y menait. Il s'installa en tailleur par terre et enleva son chèche. À l'ombre des arbres, il ne craignait pas l'assaut du soleil. Il plongea sa main dans l'eau fraîche et mouilla sa nuque. Il soupira d'aise à ce contact agréable.

Son regard émeraude se fixa sur la surface brillante de l'oasis et ne bougea plus, immobilisé par ses nombreuses pensées.

Il n'aimait pas la manière dont son frère se comportait. Au palais, il avait certainement pris l'habitude de ne pas dire toute la vérité, mais ici, ses alliés avaient besoin d'une confiance aveugle en lui. Comment pouvait-il espérer mener des hommes au combat ainsi ? Sighild n'aurait jamais agi de la sorte.

Eivind ferma les yeux.

Il apprécia l'odeur de l'eau sur les pierres chaudes qui bordaient l'oasis.

Des rires aigus le tirèrent de ses pensées. En tournant la tête, il remarqua près des tentes un groupe de jeunes filles en train de l'observer. Dès qu'elles croisèrent son regard, elles détournèrent les yeux et rirent de plus bel. Leur réaction amusa le pisteur qui esquissa un sourire.

- Toutes les filles ne parlent que de toi.

Le jeune homme se leva et inclina légèrement la tête devant la femme d'Amalu.

- Je suis Lunja, se présenta-t-elle, surprise et amusée par tant de déférence.

- Je suis Eivind, frère cadet d'Izril.

- Eivind ? C'est un nom étrange pour un Faroren, remarqua-t-elle en s'asseyant par terre.

Le pisteur l'imita.

- De quelle région viens-tu ? questionna Lunja. Je suis curieuse de savoir où les hommes se lèvent devant une femme et attendent qu'elle s'asseye avant de s'asseoir à leur tour.

- C'est une longue histoire.

- Je suis l'épouse d'un mercenaire et la mère d'un jeune enfant, je suis très patiente.

Eivind sourit. Lunja était avenante et le mettait en confiance.

Le jeune homme prit le temps de lui raconter les grandes lignes de sa venue ici et la raison pour laquelle il attendait près de l'eau que les chefs rebelles statuent sur son sort.

- Tu n'es pas censé me raconter tout cela.

- Pourquoi ? s'étonna Eivind. Vous êtes l'épouse d'un guerrier valeureux. S'il a confiance en vous, c'est aussi mon cas.

- J'aimerais que tout le monde pense ainsi. Mais sache que dans notre pays nos hommes préfèrent nous protéger, c'est moins compliqué que de nous mêler à leurs histoires. C'est aussi un moyen pour eux de se reposer : une fois dans leur foyer, ils n'ont plus à penser à leurs affaires. Ils profitent simplement de leur famille.

- C'est compréhensible.

- Et est-ce compréhensible que les femmes veuillent en savoir plus sur la vie de leur homme ?

- Parfaitement. Mais si vous en saviez plus, peut-être en viendriez-vous alors à souhaiter en savoir moins ?

Lunja éclata de rire.

- Oui, je suppose qu'il est dans notre nature de ne jamais être satisfait de ce que l'on a. Tu penses bien, jeune homme, j'aime ça. Comptes-tu t'installer en Faror à partir d'aujourd'hui ?

- Je suis venu prêter main forte à Izril mais j'ai une promesse à tenir qui me ramènera en Sigvald.

- Et une fois ta promesse accomplie ?

- Je ne sais pas.

Depuis sa plus tendre enfance, Eivind s'était toujours senti un peu étranger à Thorov, à tel point qu'il rêva plus d'une fois de ce pays lointain qui l'avait vu naître. Mais à présent qu'il foulait ce sol désertique, il ne pouvait s'empêcher de penser que Sigvald était sa seule maison. Halfan lui manquait, tout comme Thorkil et les autres chasseurs. Il avait envie de rendre visite à Elfi, d'aller saluer Ivar, de retourner chasser le gibier à dos de cheval, de revoir cette nature verdoyante embellir ce paysage si souvent enneigé... de rentrer chez lui.

Pourtant, une question revenait sans cesse le hanter : qu'adviendrait-il de lui quand Halfan s'éteindrait ?

Lunja posa une main amicale sur l'épaule du pisteur et lui sourit tendrement :

- Tu verras cela en temps voulu.

Elle se releva et pria Eivind de rester assis quand elle le vit amorcer son geste. Il la salua d'un signe de tête et la regarda se diriger vers le groupe de filles qui s'était agrandi. Lunja les apostropha assez fort pour qu'Eivind puisse entendre :

- Tentez votre chance, jeunes filles, c'est un homme de goût !

Le pisteur croisa son regard et ne put retenir un rire. Pourtant, son instinct n'avait de cesse de lui intimer la prudence car les complications commenceraient si les chefs rebelles l'acceptaient comme meneur.

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