Chapitre 2 - partie 3
Une masse colorée venue du ciel percuta la tête du serpent de plein fouet en soulevant un épais nuage de poussière. La gueule du bullar heurta si violemment la roche qu'on entendit la mâchoire se déboiter. Un cri, mélange entre un grognement et le chant d'un oiseau, s'éleva alors de derrière la barrière de fumée. Eivind sentit son cœur se serrer tandis que ses mains empoignèrent plus fermement les rênes pour empêcher l'éland de s'enfuir. Bientôt, la poussière retomba et mis à jour un grand dragon vivement coloré se battant, collerette déployée, contre le serpent géant. Ce dernier fit volte-face lorsque le cri particulier d'un deuxième Kereoban résonna non loin. Le bullar dévala la pente raide, entraînant avec lui une pluie de cailloux et de petits rochers.
Le premier dragon s'accrocha au flanc de la montagne et replia sa collerette, dévoilant une tête toute en rondeurs. L'animal possédait un museau court et de grands yeux jaunes lumineux qui lui donnaient un air fort sympathique.
— Rentrez vite dans la montagne, conseilla l'immense reptile à Izril. Nous allons prévenir les autres humains de votre arrivée.
— Merci, Uwa.
Izril lui adressa un signe de main avant que le dragon prenne son envol, rejoignant son compagnon qui tournoyait dans le ciel.
— Allons-y, intima Amalu en faisant avancer sa monture.
Ses compagnons l'imitèrent, non sans un profond soulagement. Ils suivirent le sentier encore quelques mètres avant de bifurquer à gauche, pénétrant dans un boyau rocheux qui montait haut dans la montagne.
À l'intérieur, la forte senteur de terre occultait toute autre odeur. Les tunnels étroits se voyaient consolidés par de larges poutres qu'on entendait craquer de temps à autre comme elles peinaient à supporter le poids de la montagne. Le groupe arpenta les nombreuses galeries durant de longues minutes, se guidant dans ce véritable labyrinthe grâce au guerrier du désert. Même Izril, qui venait pourtant régulièrement, était incapable de se repérer car Amalu empruntait un chemin différent chaque fois qu'il l'emmenait.
Après avoir bifurqué à droite à un croisement, le guerrier annonça qu'ils arriveraient bientôt. Moins de quelques secondes plus tard, les trois hommes virent la lumière du jour éclairer les parois du dernier tunnel. Plus leurs montures avançaient, plus l'éclat du soleil gagnait en intensité. Lorsqu'enfin ils sortirent de la montagne, Eivind s'émerveilla devant le paysage qui s'offrait à lui : un plateau démesuré s'étendait loin au nord.
Sur ce terrain parfaitement plat, seule une oasis entourée de quatre grandes tentes rouges sculptait le relief. À l'est, les rebelles avaient une vue magnifique sur le Petit Décor alors qu'à l'ouest, la montagne montait si haut qu'on n'en voyait pas le sommet. De nombreuses cavernes étaient creusées dans la roche. Eivind s'arrêta sur la taille démesurée qu'elles semblaient avoir. Amalu le remarqua :
— Lorsque les tempêtes de sable menacent, les rebelles s'y réfugient, ainsi que les dragons. Sache que si les entrées sont grandes, l'intérieur l'est beaucoup plus.
— Il me tarde de voir ça.
— Cela arrivera bien assez tôt car c'est là où nous nous rendons. Avançons.
Joignant le geste à la parole, il lança son éland au trot, imité par ses deux compagnons.
À l'ombre des tentes, des femmes se reposaient tout en veillant sur leurs enfants jouant près de l'eau, protégés du soleil par les grands arbres qui bordaient l'oasis. Elles remarquèrent les nouveaux arrivants lorsque l'un des enfants se tourna dans leur direction, un grand sourire aux lèvres. À peine âgé de huit ans, le petit métisse aux yeux gris clair courut vers les élands à vive allure, les bras levés au ciel. Amalu mit pied à terre, s'agenouilla et réceptionna l'enfant qui se jetait dans ses bras.
— Papa ! Tu sais, j'ai pas fait de bêtises et j'ai aidé maman à coudre parce que Sifak il a déchiré son sarouel en embêtant un éland parce que Tacfin avait dit qu'il était pas capable de le faire...
L'excitation et la joie rendaient le garçonnet bavard. Il débitait ses paroles si vite que son père peinait parfois à le comprendre. Pourtant il l'écouta patiemment jusqu'à ce qu'il se taise enfin et le serre fort dans ses bras encore fragiles.
— Je suis fier de toi, Wissif, déclara Amalu.
— Tu m'as manqué, Papa, murmura le garçon d'une voix vibrante d'émotion.
— À moi aussi, mon fils. Plus que tu ne peux imaginer.
L'homme se releva, son enfant dans les bras, et avança vers le camp à l'entrée duquel une femme attendait, immobile, les yeux remplis de larmes. Derrière elle, les cris de joie qui s'élevaient du point d'eau eurent tôt fait d'alerter les rebelles retirés dans les cavernes les plus basses.
Eivind descendit de sa monture, attrapa les rênes de celle d'Amalu et guida les deux animaux jusqu'aux tentes. Izril le suivit à dos d'éland. Le voyage avait été long et fatigant, trop pour son corps fragilisé par des années de prise de drogues. Il n'avait qu'une hâte, celle de s'allonger et de dormir un peu. Mais ce moment de détente devrait attendre car à présent, il allait devoir convaincre les autres rebelles d'accepter son frère parmi eux. Et ce ne serait pas une mince affaire.
En face de lui, Amalu enlaça sa femme de son bras libre avant de déposer un baiser sur ses lèvres. Lunja, plus petite que son mari d'une tête et demie, se hissa sur la pointe des pieds. Lorsque le guerrier du désert se tourna vers Eivind, ce dernier remarqua les grands yeux clairs de la femme qui illuminaient son visage rond. La trentenaire était toute en courbes et en formes généreuses, avec quelques kilos superflus qui la rendaient rayonnante. Ses longs cheveux noirs ondulaient sur ses épaules comme des fils de soie. Des lèvres fines d'un tendre rose ornaient son sourire chaleureux. Elle semblait heureuse et cela lui seyait à merveille.
— Est-ce le guerrier qu'Izril nous a promis ? demanda Lunja dès que le pisteur fut à leur hauteur.
— C'est exact, répondit Amalu en posant leur enfant. Je vous laisse encore un peu, nous devons parler.
— Les hommes vous attendent dans les grottes, renseigna-t-elle en désignant le flanc de la montagne d'un signe de tête.
Amalu lui sourit avant d'ébouriffer les cheveux de Wissif d'un geste tendre. Puis il invita Eivind et Izril à le suivre jusqu'aux autres rebelles.
Les trois hommes traversèrent le camp sous les regards curieux des femmes et des enfants. Tous se demandaient à quoi ressemblait cet étranger mystérieux caché sous ce chèche et cette grande tunique sombre.
Eivind ne se laissa pas déconcentrer par les murmures qui naissaient sur son passage et continua de marcher derrière Amalu. Un regard rapide lancé en hauteur lui permit de voir les guerriers en train de patienter à l'entrée de la caverne la plus basse. Eux aussi semblaient enclins aux bavardages.
Le pisteur fronça les sourcils. Si tous les détails concernant sa venue étaient réglés, pourquoi les guerriers discutaient-ils autant en le fixant ?
L'homme s'approcha de son frère et lui fit part de son trouble :
— Que leur as-tu dit à mon sujet ?
— Que mon frère allait nous rejoindre.
— Et c'est tout ?
— Ils n'avaient pas besoin d'en savoir plus.
— C'est surtout toi qui n'avais pas envie de leur en dire plus, constata Eivind. Les mettre devant le fait accompli augmentera les chances de me voir accepté. Mais s'ils te connaissent un tant soit peu, ils sauront que tu es trop habitué aux louvoiements politiques pour être homme de confiance.
Piqué, Izril s'arrêta brusquement et se tourna vers son cadet. Mais celui-ci passa à côté de lui sans ralentir le pas, le fixant d'un regard froid et sévère. Puis, sans lui prêter plus d'attention, il se détourna vers Amalu pour ne pas se faire distancer.
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