Chapitre 2 - partie 2

Les jours passèrent tranquillement dans le désert. Amalu avait bien, à quatre ou cinq reprises, eu peur qu'un bullar les ait repérés mais ce n'avait été que de fausses alertes et de grandes frayeurs.

Au soir du dix-huitième jour de route, Eivind observa une nouvelle fois Izril se préparer une mixture blanchâtre qu'il fourra dans une petite pipe pas plus grande que sa main. Son aîné avait déjà remarqué le regard insistant que le pisteur posait sur l'instrument.

— Ne t'inquiète pas, le rassura Izril, la dose que je prends sert simplement à combler le manque.

Eivind leva les yeux vers lui.

— Pourquoi te justifier ? demanda son puîné.

— Je ne sais pas. Tu semblais l'attendre.

— Peut-être. (Il se leva et s'assit près de son frère.) Comment est-ce que ça a commencé ?

Izril regarda Amalu et, d'un mouvement de tête, lui intima de les laisser seuls. Le guerrier du désert ne se fit pas prier, il n'avait pas envie de connaître la vie d'Izril. L'homme était son employeur, pas son ami.

Quand Amalu fut parti, Izril alluma sa pipe et inspira une profonde bouffée de fumée.

Le désert était silencieux la nuit lorsque le vent ne courait pas les dunes charriant une odeur chaude de sable. La température fraîche contrastait avec celle étouffante de la journée et arrachait des frissons aux voyageurs. Eivind s'habituait pourtant bien à ce climat auquel il trouvait un certain charme.

Izril expira longuement et sa voix, douce et chaude, semblait avoir pris le vent comme exemple :

— Ça a commencé par un caprice de l'Empereur Sibsab. À l'époque, c'était une de ses lubies qu'il m'imposait car, au palais, chacun doit faire comme lui. Puis le temps a filé, cette manie lui a passé mais à moi, elle est restée. La drogue m'aide à oublier les atrocités de ma vie. Adolescent, j'ai été le préféré du Souverain, avec toutes les choses dégradantes que cela implique... alors je m'échappais comme je le pouvais. Puis, en grandissant, j'ai été entraîné dans les intrigues politiques, l'espionnage et l'assassinat... Je ne faisais que relayer les ordres, mais pour moi cela revient au même que de tenir le poignard. Je suis heureux que tu aies grandi loin de ça.

— Je comprends mieux ton envie de le détrôner.

— Et toi, quelle est ta vie en Sigvald ?

— Comparé à toi, je n'ai pas grand-chose à dire. J'ai eu des parents qui m'ont aimé mais trop vieux pour que j'en profite pleinement. J'avais douze ans lorsque ma mère est décédée ; mon père l'a suivi quelques mois après. Le chef du village m'a alors pris sous son aile et m'a permis de rejoindre ses chasseurs. J'ai été entraîné par mes aînés, même si beaucoup ne me considéraient que comme un étranger.

— En as-tu beaucoup souffert ?

— Les premiers temps, oui, jusqu'à ce que je sois assez grand pour faire mes preuves. Les guerriers de Thorov respectent les valeureux, qu'importe leur origine. Aux yeux des autres villageois, je restais pourtant un étranger, en particulier pour Sighild.

— Qui est-ce ?

— La fille de notre chef.

— Ah, la meneuse de chasseurs. Pourquoi te traitait-elle ainsi ?

— Parce que je n'étais pas nordique. Elle me haïssait pour ça... et peut-être aussi parce que je n'ai jamais cédé à ses caprices.

— Elle avait l'air d'une femme charmante, ironisa Izril. Et tu la suivais malgré tout ?

— C'était une chasseuse hors du commun et un roc sur lequel le danger s'écrasait.

— Tu sembles bien mélancolique, mon frère. Elle n'était que ton chef ou...

— C'est à cause de moi qu'elle est morte, le coupa Eivind, la voix basse et fragile.

Il fit un signe de main à son interlocuteur, lui signifiant qu'il ne souhaitait pas poursuivre leur conversation et retourna s'asseoir à sa place. Il s'enroula dans une couverture puis s'appuya sur le flanc de son éland couché aussi avant de fermer les yeux.

Amalu revint quelques minutes plus tard et trouva les frères paisiblement endormis. La drogue aidait beaucoup Izril à oublier jusqu'au matin toutes les choses qui le hantaient. Sinon, les cauchemars le réveillaient chaque heure jusqu'à le laisser totalement épuisé.

Le guerrier du désert les regarda, tranquille, et songea que c'était une bien triste histoire qui les attendait.


Amalu se réveilla avant l'aube, comme à son habitude, afin de ranger ses affaires et d'apprécier le lever de soleil. Il regarda avec un délice certain les rayons d'or auréoler les courbes sensuelles du désert. Mais à l'horizon, quelque chose brisa la ligne parfaite des dunes. Le guerrier plissa les yeux.

— Bullar ! hurla-t-il soudain.

Les frères se réveillèrent dans un sursaut et furent sur leurs pieds en moins de deux. Ils pressèrent les élands pour les obliger à se lever. Abandonnant les couvertures, les trois hommes lancèrent leur monture au galop. Eivind faillit démonter lorsque l'éland zigzagua, mais il la maîtrisa juste à temps. Ses compagnons avaient omis de lui dire que les grandes antilopes avaient parfaitement conservé leurs instincts primaires. Le pisteur jeta un coup d'œil par-dessus son épaule : une masse énorme serpentait rapidement sur le sable, soulevant dans son sillage un épais nuage de poussière. Eivind se tourna vers son frère et Amalu, à un mètre devant lui, et aperçut les montagnes : ils y arriveraient avant d'être rattrapés.

Le jeune homme sentit la puissance de sa monture sous lui et la devina prête à sauter. D'imposants rochers marquaient la fin des dunes et le début de pentes escarpées. Dès qu'ils y parvinrent, il vit les élands de son frère et du guerrier effectuer un bond d'au moins deux mètres de haut. Il s'y prépara mais lorsque ce fut son tour, il crut jusqu'au dernier instant que l'antilope le laisserait derrière. Pourtant il tint bon et encaissa le choc lorsque l'animal toucha de nouveau le sol. Il la dirigea vers un chemin étroit qui montait abruptement et rejoignit son frère.

— Pourquoi ne pas s'arrêter ? cria-t-il.

Izril pointa le doigt en contrebas : le bullar bondit hors du sable et escalada la montagne grâce à deux pattes avant musculeuses. Eivind vit la créature aux écailles couleur sable se mouvoir avec souplesse. Il fit accélérer sa monture.

— Mais c'est quoi ces bestioles ?!

Il préférait largement avoir affaire à un wendigo ; eux couraient moins vite.

Les élands galopaient, sautaient des crevasses et des rochers avec une agilité prodigieuse mais rien n'y faisait, le bullar arrivait sur eux. Eivind pensa bien être le premier à tomber jusqu'à ce que le serpent les dépasse et leur coupe la route, gueule grande ouverte. Il rampa rapidement vers les cavaliers qui n'eurent pas le temps de faire demi-tour.

Le bullar se jeta sur eux. 

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