Chapitre 10 - partie 4
L'hiver touchait à sa fin lorsque les voyageurs atteignirent le plateau d'Alhol. La neige qui leur avait tant manqué tombait en silence sur la fourrure couvrant leurs épaules. Le Trois-cornes avait laissé place à deux lourds chevaux au poil long qui marchaient droit sur Thorov. De la fumée s'échappait des maisons du village en de fines colonnes que la brise d'altitude finissait par disperser. L'odeur du froid raviva leur amour d'un pays depuis trop longtemps quitté.
Le guetteur déplia sa longue-vue en repérant les voyageurs. Dès qu'il reconnut la fille du chef, il sonna la cloche du beffroi :
— La fille d'Halfan ! hurla-t-il. Sighild est de retour ! Prévenez le chef !
En contrebas, un jeune villageois courut jusqu'à la maison commune où Halfan et ses guerriers les plus valeureux s'entretenaient avec les chefs des villages voisins. Il pénétra dans la grande salle avec fracas :
— Nous sommes en conseil ! protesta son chef.
— Votre fille est de retour ! s'empressa d'annoncer l'adolescent. Avec Eivind !
Halfan leva les bras au ciel en poussant un cri de joie, soulevant des ricanements parmi ses guerriers.
— Amène-les dès qu'ils seront au village, ordonna Halfan.
Le jeune garçon acquiesça et s'en retourna à sa mission. Halfan s'adressa aux chefs :
— Messieurs, je vais avoir l'immense plaisir de vous présenter l'héritière de mon trône ! se réjouit-il.
Les villages voisins de Thorov les avaient toujours jalousés et s'étaient tenus à l'écart du plateau durant plusieurs décennies. Mais depuis l'hiver dernier où ils n'avaient survécu que grâce à Sighild, la majorité d'entre eux avait revu son jugement. Aujourd'hui, ils étaient ici pour demander des alliances officielles entre tous les villages, en promettant de laisser les Svanhild à leur tête. Assurément, Sighild allait apprécier l'ironie de la situation et ne se gênerait pas pour rappeler à tous les chefs leur vanité passée.
Les deux battants de la haute porte principale s'ouvrirent de nouveau et livrèrent passage à Sighild, Eivind et Signe. Les chefs invités se levèrent et la saluèrent alors que les guerriers, déjà debout, inclinèrent la tête avec déférence.
Halfan alla à la rencontre de son enfant et la prit dans ses bras sans tenir compte de ses protestations. Thorkil vint saluer le pisteur avant que leur chef ne l'étreigne à son tour.
— Je suis heureux de te revoir, Eivind, déclara Halfan d'une voix vibrante d'émotion.
— Je suis un homme de parole, Chef.
— Oh ça je sais, oui ! Je sais, petit.
Il posa ses mains sur ses épaules et le fixa :
— On fera une fête, annonça-t-il. Demain, toute la journée, pour votre retour. Mais ce soir, va te reposer, tu as l'air exténué.
Halfan se tourna vers sa fille.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-elle en désignant les chefs voisins d'un signe de tête.
— Quelque chose qui va te plaire, sourit-il. Viens, je vais t'expliquer.
Il l'entraîna derrière lui avant qu'elle ait pu dire quelques mots à Eivind. Ce dernier la regarda s'éloigner le cœur gros : il venait de retrouver sa place en Sigvald.
Thorkil lui fit une accolade amicale, le sortant ainsi de ses sombres pensées :
— J'en ai terminé avec cette réunion, la politique ne m'intéresse pas, lui avoua-t-il. Viens manger à la maison. Sunilda sera heureuse de t'avoir à sa table.
Le pisteur accepta l'invitation avec plaisir. Il suivit le maître d'armes jusqu'à sa maison où il fut chaleureusement accueilli. Les enfants de Thorkil, bientôt adolescents, lui firent la fête dès qu'il posa un pied dans la salle principale.
Eivind avait toujours été leur compagnon de jeu, un grand frère qui les avait accompagnés durant toute leur enfance. Son départ les avait attristés autant que son retour les mettait en joie.
Ce fut dans une atmosphère légère et pleine de gaîté qu'Eivind passa sa première soirée à Thorov. Malgré tout, il ne pouvait s'empêcher de se demander si Sighild ferait preuve envers lui d'autant d'attention maintenant qu'elle avait retrouvé son père, ses guerriers, sa place et ses titres. Il ne la reverrait certainement pas avant plusieurs jours, le temps que toutes les affaires du village soient portées à sa connaissance.
À la fin du repas, Sunilda posa sa main sur celle de son invité.
— Tu as l'air triste, lui fit-elle remarquer. Tu vas bien ?
— Oui, mentit-il. Je... suis juste très fatigué. Je vous remercie pour le repas mais je crois que je vais aller me reposer.
Personne ne tenta de le retenir. Thorkil proposa de le raccompagner mais son jeune ami déclina. Il avait envie d'être seul.
Il les salua sans s'attarder et s'en alla.
En ouvrant la porte de sa maison, il lui sembla revenir un an en arrière : elle était vide et triste, à l'image de l'homme qui s'avançait à l'intérieur. Il alluma rapidement un feu dans la cheminée qu'il regarda, l'esprit vide, durant de longues minutes.
La pièce se réchauffa assez vite, ce qui poussa le chasseur à se déshabiller et à se glisser sous les couvertures de son lit glacé où la fatigue eut vite raison de lui.
Le feu se mourait dans l'âtre jusqu'à ce que des bûches viennent le raviver. Sighild s'assura que les flammes repartaient avant de s'avancer silencieusement vers le lit. Elle n'avait pas pris le temps de passer se changer et portait donc encore ses vêtements de voyage. Elle décrocha l'épaisse fourrure qui lui tombait dans le dos, la posa à même le sol et s'allongea à côté d'Eivind.
La fatigue accumulée durant le voyage était telle qu'il n'entendit rien. La femme le regarda dormir paisiblement sans avoir le courage de le réveiller pour lui donner les dernières nouvelles. À la place, elle caressa du bout des doigts les contours de son visage serein qu'elle dévorait des yeux.
Ce qui s'était passé entre eux en Faror brûlait encore au creux de son ventre, alimenté par ce « je t'aime » qu'il lui avait confessé dans un murmure lors de la dernière réunion des chefs nomades.
Elle était heureuse.
Heureuse d'être enfin rentrée, de l'avoir ramené avec elle... Heureuse qu'il soit là, simplement.
— Tu es enfin chez toi, Eivind.
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