Chapitre 1 - partie 1
Charriée par le vent chaud, une fine poussière s'envola en un nuage rougeâtre au-dessus du canyon. Assis au bord du précipice, immobile et silencieux, Eivind regardait le soleil flamboyant se coucher derrière les dunes de sable. La vue était d'une beauté saisissante. Le ciel se parait d'or et étendait ses magnifiques couleurs sur tout le continent désertique de Faror.
Un homme avança vers le pisteur et s'arrêta derrière lui. La brise qui s'engouffrait sous son ample tunique sombre froissait le tissu dans un bruit feutré et apaisant. Le chèche purpurin de l'inconnu ne laissait deviner que ses yeux sombres qui regardaient Eivind avec une lueur d'impatience.
— Nous arriverons bientôt à Sahad, renseigna l'homme. Nous devrions reprendre la route.
Eivind se leva et épousseta ses vêtements. Le tissu pourpre qui cachait son visage contrastait avec le vert émeraude de ses yeux. Il les rendait brillants et captivants, aussi irréels que le désert s'étendant au-delà du canyon. Eivind accorda un dernier regard à l'astre flamboyant puis lui tourna le dos.
— Je te suis, Amalu.
Les deux voyageurs rejoignirent la caravane qui les menait à travers le continent depuis plus d'un mois. Une trentaine d'hommes et de femmes faisait route vers Sahad, cité légendaire creusée à même la roche dans l'ancien lit d'une rivière profondément encaissée.
Les Terra Marone à trois cornes qui servaient de monture étaient calmes, attendant patiemment que les humains daignent les remettre en route. Les dragons aux écailles marron étaient impressionnants malgré leur petite taille. Même avec leurs deux mètres au garrot et leurs huit mètres de long, ils faisaient partie des plus petites races de ce monde. Leur corps n'était pourtant que muscles saillants et protections osseuses qui les préservaient de nombreux dangers. Les Trois-cornes avaient l'étrange particularité de ne pas pouvoir cracher de feu, contrairement à tous leurs cousins, raison pour laquelle l'Ordre Magel avait inventé les sceaux crache-feu leur permettant de pallier le problème.
Eivind se servit de la corde tressée qui pendait sur le côté gauche de sa monture pour grimper sur son dos. Amalu l'imita, s'installa devant lui et attrapa la rêne. En tête de file, il donna le départ. La caravane prit la direction du sud, espérant atteindre la ville avant la fin du crépuscule. Le pisteur profita du reste du voyage pour songer à la raison qui lui avait fait quitter le froid continent de Sigvald.
Il se souvenait avoir attendu Sighild au campement des nomades Arkh. Il n'oublierait jamais ce que la vision de Vilfrid couvert de sang lui avait inspiré, à quel point l'annonce de la mort de la jeune femme l'avait affecté et à quel point il se maudissait de l'avoir laissée seule lorsqu'elle le lui avait demandé...
Eivind laissa échapper un soupir inaudible et tourna la tête vers le ponant où le soleil avait presque totalement disparu derrière la ligne d'horizon.
La brise continuait de charrier des volutes de sable doré. Cela lui rappela la neige que le vent soulevait lorsque, six mois plus tôt, il était retourné à Thorov faire part au chef du village de la disparition tragique de son unique héritière. Le visage d'Halfan Svanhild s'était décomposé sous ses yeux jusqu'à ce qu'il paraisse âgé de dix ans de plus. L'homme n'avait rien dit, il s'était contenté de rentrer chez lui et de s'enfermer dans une pièce d'où il ne ressortit que deux jours plus tard.
Le chef bienveillant et fringuant avait laissé place à un souverain désabusé, vieilli et las. Les guerriers de Thorov tentèrent de le rasséréner en lui rappelant que sa fille s'était sacrifiée pour le bien du village, permettant à Thorkil, Vilfrid et Eivind de rapporter du gibier afin de nourrir la population affaiblie. Elle était morte avec bravoure et son nom serait honoré pour toujours. « Maigre consolation », avait laissé échapper Halfan, la gorge serrée, avant de s'isoler une fois encore.
Puis les jours avaient passé, jusqu'au matin où un étranger arriva au village.
Emmitouflé sous une montagne de vêtements, on ne distinguait de lui que son visage à la peau noire. Il s'était présenté sous le nom d'Amalu et disait chercher un héritier Tamham arrivé ici vingt-sept ans auparavant. Si personne ne saisit réellement le sens de ses paroles, on l'envoya pourtant vers le seul étranger du village.
Amalu parla longtemps avec Eivind. Les rumeurs allèrent bon train dans Thorov le temps que dura leur entretien et se seraient certainement amplifiées si les villageois avaient su ce qu'ils se disaient.
Le nouveau venu expliqua au pisteur qu'une révolte avait eu lieu, au cœur de Faror, trente ans auparavant. De nombreuses tribus nomades s'unirent pour combattre l'armée de l'empire Usaden mais furent défaites. Les meneurs des Tribus Unies, un couple, furent pourchassés sur tout le continent. L'Empereur Gabir Sibsab mena une chasse si effrénée qu'il réussit à retrouver le couple et à le faire publiquement exécuter. Ils laissèrent derrière eux leurs deux fils, l'un âgé de huit ans, l'autre de sept mois.
Gabir promit à l'aîné une vie au palais s'il lui jurait allégeance jusqu'à la mort. L'enfant accepta. En gage de sa fidélité, Gabir lui demanda de tuer le bébé, craignant qu'une fois adultes, les deux frères ne décident de renverser le pouvoir en place.
Ce qu'il se passa ensuite fut l'histoire que les parents adoptifs d'Eivind lui racontèrent.
Des hennissements attirèrent soudain l'attention de la caravane. À l'ouest, sur les dunes de sable, une horde de chevaux sauvages blancs galopa sur fond de crépuscule orangé. Amalu les pointa du doigt :
— Ce sont les esprits des nomades qui ont péri dans le désert, expliqua-t-il d'une voix remplie tout à la fois de respect et de crainte. Il ne faut jamais arrêter la course des chevaux blancs au risque d'être maudit.
— Pourquoi me dis-tu ça ?
— Pour que tu saches, mon frère. Ce pays est le tien, tu dois tout connaître de lui.
— Il y a beaucoup de chevaux sauvages de cette teinte ?
— Non. Raison pour laquelle nous les respectons et les craignons.
— Pourquoi les craindre ? Ce ne sont que des animaux.
— Ce sont nos croyances. Nous avons peur plus encore des champagne or aux yeux bleus, avoua Amalu. Ce sont les esprits des Anciens Rois du désert. Si tu te retrouves face à l'un d'eux, il te faut baisser la tête.
— Je crois que j'ai encore beaucoup à apprendre, sourit Eivind en regardant les animaux disparaître derrière le sable.
Fixant l'horizon quelques instants encore, il resta songeur sur la beauté de ce pays.
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L'Ordre Magel, dans l'univers du roman, est l'Ordre des mages. Ces derniers vivent en majorité en Orandar, sur le continent Celebrindal situé entre Faror et Sigvald.
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