6.
BLESSING
Après une longue après-midi, Billie me relâche en me demandant d'être présente demain matin à 10H00. Je lui souris et hoche la tête, heureuse d'enfin pouvoir faire quelque chose d'utile et agréable. Quand elle m'a annoncé que j'étais payée sept dollars de l'heure, j'ai cru halluciner. C'est tellement ! Elle m'a aussi indiqué que mes heures varieraient la plupart du temps, en fonction des besoins. En moyenne, je devrais réaliser 40 heures par semaine, en travaillant entre quatre et six jours par semaine. Après un rapide calcul, j'ai réalisé que je toucherai 280 dollars par semaine et mes yeux se sont illuminés instantanément.
Elle m'a appris à travailler avec les machines et comment fonctionnait la caisse. Je l'ai aidée à nettoyer la salle et j'ai appris qu'elle était la fille du gérant du North Paradise. Le Billie's Ice Cream est en fait une des chaînes de son père qu'elle a décidé de reprendre puisqu'il ne s'en occupait pas. Ce qui explique pourquoi je n'ai vu personne.
Je ne lui ai pas dit qui j'étais, ni pourquoi j'ai tant besoin de ce travail mais elle n'a pas eu l'air de se poser trop de questions. Je me vois mal lui dire que je suis une sans-abris. Elle prendrait peur, ne me ferait pas confiance et me virerait sans même m'avoir engagée. Quel drôle de situation ça ferait...
Je sors de mes pensées quand je l'entends descendre la grille du stand, l'emprisonnant à l'aide d'un cadenas. Une fois le stand fermé, elle se tourne vers moi tandis qu'elle range la clé dans son sac.
— Ça te dirait de venir manger avec moi ? Je t'invite, elle me sourit.
— Je... J'aimerais beaucoup, Billie. Mais je devrais rentrer, je dis tout en pensant à Massey et Jase.
— C'est comme tu veux, tu sais. Mais je pensais que l'on pourrait discuter de la façon dont nous allons distribuer les tracts, elle insiste légèrement.
Il est vrai que puisque le stand vient d'ouvrir, personne ne le connaît et nous devons donc lui faire de la publicité. Et puisque c'est pour le travail, il est donc bénéfique pour moi d'aller dîner en sa compagnie... non ?
— Bon, d'accord, je te suis.
Un sourire timide s'étend sur mon visage et elle me le rend. On commence donc à s'avancer vers la route, passant de l'autre côté du trottoir. Oh non !
— Je pense que l'on sera bien ici. J'espère que tu n'as rien contre ? elle me demande.
— Non... hum, non, je lui lance un petit sourire. Faux.
J'ai l'impression que je n'arriverai jamais à éviter ce lieu.
— Tu verras, tu vas beaucoup venir ici. Quand il pleut ou en hiver, par exemple, je travaille ici. Et vu que tu travailles pour moi, maintenant, tu travailleras ici toi aussi. Quand le temps ne permet pas la vente de glace, disons qu'on se réfugiera ici, elle m'explique.
Je la regarde longuement, prenant en compte ses paroles et finis par hocher la tête pour lui montrer que j'ai compris. Génial, je risque donc de travailler ici.
Une fois entrées dans le café, je réalise qu'il y a beaucoup moins de monde qu'il n'y en avait tout à l'heure, et seul deux personnes sont encore présentes, accoudées au comptoir du bar. Dont ce serveur. Billie nous entraîne vers une table et nous nous asseyons. Elle continue de me parler de la journée de demain et je me rends compte que je ne lui ai pas réellement adressé la parole de toute l'après-midi. Elle va finir par me prendre pour une asociale. Je suis perdue dans mes pensées depuis si longtemps que c'est à peine si je l'entends héler quelqu'un.
— Leila !
Je tourne la tête vers le comptoir et vois une jeune femme blonde sourire à Billie et s'avancer vers nous. Une fois à notre table, elle la sert dans ses bras.
— Billie ! Mais qu'est-ce que tu fais ici ? elle lui demande.
— Je discute avec ma nouvelle employée. Blessing, elle tourne son visage vers moi et me sourit, je te présente Leila, ma demi-sœur. Leila, voici Blessing.
Leila me sourit et hoche la tête en ma direction pour me saluer, ce que je lui retourne. Elles discutent un moment toutes les deux et Leila finit par remarquer que nous n'avons pas été servies. Billie commande un menu et je demande la même chose qu'elle puisque je n'ai aucune idée des plats qu'ils servent ici. Lorsque notre commande arrive, Billie recommence à déblatérer sur notre programme de demain et cette fois, je prends soin de l'écouter. Le repas se passe bien, même si au final, mon assiette est toujours à moitié pleine. Je n'ai pas l'habitude de manger autant.
Au bout d'un certain temps, on vient récupérer nos assiettes et je m'excuse auprès de Billie. Je quitte la table et me dirige vers les toilettes. J'en profite pour passer un peu d'eau sur mon visage. En me regardant dans le miroir, je me rends compte que ça y est. Je l'ai fait ! Je vais travailler. Je vais m'en sortir. Je peux le faire.
En sortant, je pense à Massey et Jase, et me dit qu'il faut que j'aille demander au cuisinier de me garder le reste de mon plat. Si je peux au moins leur ramener de quoi manger, alors je me sentirais déjà mieux de les avoir en quelque sorte abandonnés. Mais quand je tourne dans le couloir qui mène à la salle, je tombe sur deux personnes en pleine discussion. Je distingue Leila et Cameron avant de me cacher derrière le mur, attendant qu'ils s'en aillent.
— Je te l'ai déjà dit, Leila, c'est non ! Je n'étais pas dans mon état normal ! j'entends la voix de Cameron.
— Non ! C'est faux et tu le sais ! Tu étais parfaitement conscient, tu cherches juste à te défaire de tes responsabilités !
— Mais quelles responsabilités, putain ? Ce n'est pas comme si je t'avais fait un gosse !
Je me fige à l'entente de ces mots. C'est une conversation d'ordre privé, je ne devrais pas être en train de l'écouter.
— Non, c'est vrai. Mais je t'avais dit ce que je ressentais, je t'en ai parlé, je me suis confiée à toi et tu n'as fait qu'en profiter ! la voix de Leila craque.
— Arrête, Leila ! Chaque fois, c'est le même discours ! On ne va pas revenir sur ce qui s'est passé pendant mille ans, tu as profité de moi, toi aussi, alors arrête de jouer les victimes.
Leurs voix semblent se taire petit à petit et je me dis donc qu'ils ont dû s'en aller. Je fronce les sourcils et me reprend, encore chamboulée par cette discussion alors que je n'en faisais même pas partie. Je n'aurais jamais dû être là.
Je m'avance dans le couloir pour enfin sortir d'ici quand je les aperçois. Ils sont toujours là, Leila est près du mur et son épaule est bloquée contre celui-ci par la main de Cameron. Il est devant elle, proche, son visage penché vers le sien. Il lui chuchote quelque chose à l'oreille et la tête de Leila se tourne dans ma direction. Elle m'aperçoit. Ses yeux sont embués, elle retient un sanglot. Tout à coup, elle repousse la main de Cameron avec son épaule et le contourne afin de rejoindre la salle. Je le vois relâcher un long soupir et passer sa main libre sur son visage tandis que l'autre est posée contre le mur.
Puis, il tourne la tête vers moi et ses yeux noisette plongent dans les miens. Il ne semble pas énervé en me voyant. Juste secoué.
— Je- je n'ai presque rien entendu. Je venais des toilettes, je pointe le couloir derrière moi.
J'essaye de me défendre, mais il n'a pas l'air de m'entendre, sûrement encore perdu dans ses pensées. Il me regarde longuement et sa main qui était toujours contre le mur se relâche. Il se tourne entièrement vers moi et me lance un triste sourire.
— Ce n'est rien.
Il se tourne, commençant à marcher vers la salle à son tour. Et c'est à ce moment que, sans même que je ne contrôle quoi que ce soit, son prénom s'échappe de mes lèvres entrouvertes. Son visage se tourne, ses yeux fixant le mur à notre gauche. Il ne me regarde pas, mais j'aperçois un sourire se dessiner sur ses lèvres.
— Je...
Aller ! Lance-toi, me crie ma conscience.
— Je suis désolée. Pour ce matin, je m'empresse de rajouter.
Ses yeux cessent de fixer le vide pour venir se plonger dans mes yeux et le haut de son corps se tourne légèrement vers moi. Il cesse de sourire et hoche la tête, reprenant ensuite sa marche comme si de rien n'était. Je souffle un grand coup et ramène une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Ce moment était bien trop intense pour une fin de journée.
Avec tout le temps que j'ai perdu, mon assiette doit être à la poubelle, maintenant. Lorsque j'arrive à mon tour dans la salle du restaurant, je vois Billie qui s'affaire à ranger ses effets personnels. Elle semble sur le point de partir. Quand elle me remarque, elle s'avance rapidement vers moi, me souriant.
— Je suis désolée Blessing, mais j'ai une urgence. On se voit demain ? Dix heures, elle me rappelle.
Je lui souris et hoche la tête, lui faisant comprendre que je serais là. Elle me fait un rapide signe de la main avant de se précipiter vers la sortie, où elle lance un signe à Leila également.
Je me tourne vers la table où nous étions installées et me rends compte qu'elle est vide. Logiquement. Je n'ai donc plus rien à faire ici. J'aurais passé la journée dans la peau d'une fille qui n'est pas SDF, après tout c'est déjà bien. Mais quand la nuit tombe, tout change. Je suis toujours dans l'obligation de rejoindre cet horrible et vieux squat.
Je me dirige donc vers la sortie, impatiente de rejoindre Massey et Jase pour leur raconter ma journée, quand j'entends mon prénom. Je me tourne vers Cameron –évidemment- et remarque un sac plastique posé sur le comptoir près de lui. Il me fait signe de m'approcher, ce que je fais.
— J'ai appris que tu avais trouvé du travail, félicitations !
Je souris et baisse la tête, sentant mes joues se réchauffer. Sa main se pose sur le haut de mon bras quand je sens que je suis poussée en avant. Rapidement, je pose ma main sur son torse afin de ne pas le percuter trop brutalement. Un frisson me traverse lorsque je me rends compte que son ventre s'est contracté à mon touché.
Je tourne la tête et aperçois Leila me lancer un regard noir tout en se dirigeant vers la cuisine. Génial. Et une ennemie, une ! Je soupire légèrement et tourne la tête vers Cameron. Je me fige, me trouvant dans l'obligation de plonger dans ses yeux qui ont pris une teinte dorée maintenant que nous sommes sous la lumière des spots. Un véritable trésor.
— On dirait qu'on va être amenés à nous croiser assez souvent, maintenant, il me sort de mes pensées.
C'est vrai, il n'a pas tort. Si Billie est la fille de son patron, et étant elle-même ma patronne... je n'ai pas fini d'entendre parler de lui. Mais pourquoi cette pensée me rend-t-elle si joyeuse ?
— Et au fait, je tenais à te dire que je te trouve ravissante.
De l'air, s'il vous plaît. Et il pourrait me lâcher aussi, ce serait plus simple pour moi de remettre un semblant d'ordre dans mes pensées. Je me rends d'ailleurs compte que ma main est toujours posée contre son torse alors je la retire rapidement, me reculant d'un pas. Il laisse également retomber sa main et me sourit légèrement. On dirait presque qu'il est gêné, bien que j'ai l'impression que ce ne soit pas possible, avec lui.
— M-merci.
Foutus bégaiements !
— Bon... Je- je vais y aller, je lui annonce.
— Attends, il récupère le sac plastique et le tiens entre nous, c'est pour toi. Il n'y a plus de clients et il restait une portion énorme d'aliments qui allaient finir à la poubelle, alors j'ai pensé que ton amie te serait reconnaissante si tu lui apportais ça.
Il me lance un magnifique sourire et je le lui rends sans me forcer. Massey a raison : c'est un ange.
— Merci, vraiment. Mais tu devrais arrêter de faire tout cela pour moi. Je me sens mal.
— Oh, je peux toujours mettre ça à la poubelle hein, il tente de récupérer le sac de mes mains.
— Non, ça ira.
Je tire ma main en arrière, l'empêchant d'atteindre le sac en lâchant un léger rire. Son visage est proche du mien puisqu'il s'est penché et ses yeux s'arrêtent dans les miens. Je vois sa main se lever et je ferme rapidement les yeux, fronçant les sourcils. Mes muscles se tendent mais se détendent rapidement quand je sens sa main parcourir mon front et repousser la mèche qui s'amuse constamment à me dépourvoir de ma vue. Ses doigts entament une lente descente sur ma joue et mes paupières papillonnent un moment avant de me laisser recouvrer la vue. Il sourit.
— Si tu as besoin de quoi que ce soit, je me ferais le plaisir de t'aider. N'hésite pas, il dit tout en laissant retomber sa main.
Je souris à nouveau et hoche la tête.
— Merci, Cameron.
Il hoche à son tour la tête.
— Je- je devrais vraiment y aller, maintenant. Il va commencer à faire nuit, je lui fais remarquer.
— Oui. Je te laisse alors.
Je me retourne et me dirige vers la porte.
— A demain ? il demande.
Je tourne mon visage vers lui.
— Peut-être.
Je hausse les épaules avant de sortir du café, le sac rempli de nourriture à la main.
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