47.

BLESSING


— Blessing, Nelson ! Bougez-vous un peu ! s'exclame Rick.

Je lève les yeux au ciel et jette ensuite un regard à Nelson, qui fait de même. Nous travaillons sans arrêt depuis bientôt six heures, mais ce n'est évidemment pas assez bien pour Rick. Le fait d'avoir un serveur en moins n'était pas dans ses plans, alors il est d'une humeur exécrable, depuis le départ de Cameron.

Je ne suis pas dans un meilleur état ; pour autant, j'essaye de faire bonne figure devant les clients.

— Aller Bless, encore une heure et tu es libre, me rappelle Nelson.

Je hoche la tête, prenant une grande inspiration. Je ne serais pas contre une petite pause, mais je sais que Rick nous surveille bien plus intensément depuis que Leila l'a informé des "déviances" de certains de ses salariés. Si seulement je l'avais en face de moi, celle-là...

— Table douze, me dit Nelson tout en me tendant un plateau rempli.

Je hoche la tête et me dirige vers la table, essayant de mettre autant d'entrain que possible dans ma démarche. Le client que je sers me regarde et me remercie à peine lorsque je pose le plateau devant lui. Il s'attaque immédiatement à ses frites, sans demander son reste. Je fronce les sourcils et me retourne, réfrénant un long soupir. Je ne sais pas si c'est mon humeur ou le fait que cette journée me semble particulièrement longue, mais les clients sont tous plus insupportables les uns que les autres, aujourd'hui.

Je regarde la pendule et remarque que le temps n'a avancé que de cinq minutes depuis la dernière fois que j'ai vérifié. Je soupire et m'accoude au comptoir, devant Nelson qui se trouve derrière le bar.

— Je pense que je ne vais pas tenir jusqu'à la fin de la journée, je déclare alors.

— Mais si, rit-il. Dis-toi que ça pourrait être pire : Leila pourrait être là !

Je ris sous cape, imaginant Leila débarquer au milieu de cette ambiance. Je n'ai aucun doute sur le fait que son père lui faciliterait probablement les choses, nous faisant travailler trois fois plus pour rattraper son inactivité à elle.

Mon rire s'éteint rapidement quand je me dis que ça devrait être elle, la personne renvoyée. Pas Cameron.

— On pourrait sortir, ce soir. Qu'est-ce que tu en dis ? Massey, toi et moi ? il me lance avec un petit clin d'œil.

Je hausse les épaules, mais en vérité, je sais déjà que je vais accepter. Rester seule dans l'appartement de Cameron est devenu une véritable torture.

— Aller ! il insiste. Cam n'aimerait vraiment pas te voir aussi déprimée.

— Je sais, je murmure. Comment tu fais pour supporter son absence ?

Il me sourit légèrement et je sais qu'il ne répondra pas, parce que tout ça n'a pas la même saveur pour Nelson que pour moi. Ça ne fait que cinq jours qu'il est parti, pourtant j'ai l'impression que ça fait déjà un mois.

Il passe son bras par-dessus le comptoir et serre doucement ma main. Je lui souris en retour, touchée par sa tentative de réconfort.

— Cameron est mon meilleur ami. Il me manque aussi, je t'assure.

Je hoche la tête, un peu perdue dans mes pensées. Je me dis que Nelson doit savoir beaucoup de choses sur Cameron, sur sa vie, sur New-York.

Il m'appelle chaque jour, sans faute, depuis qu'il y est parti. Parfois, il m'appelle même plusieurs fois dans la journée et pourtant, j'ai l'impression de ne rien savoir de sa vie là-bas.

Je me sens triste, alors que je n'ai aucune raison de l'être. En plus, on ne peut pas dire que je me sente délaissée ; Massey et Nelson organisent des sorties ou des activités tous les jours. Mais ce n'est simplement pas la même chose.

— Qu'est-ce qu'il fait, là-bas ? je demande à Nelson.

Il pince les lèvres et hausse les épaules un instant.

— Je ne sais pas trop, à vrai dire. Il ne me dit rien de plus que ce que je sais déjà : son père est malade, leur relation est toujours au plus bas et il passe le plus de temps possible avec sa sœur.

Il sait donc autant de choses que moi. Chaque fois que je l'ai au téléphone, il me parle de sa relation tendue avec son père et des moments qu'il passe avec sa sœur, Jessie. J'avoue avoir espéré que Nelson en sache plus, mais finalement, c'est un soulagement de savoir que je fais autant partie de sa vie que son meilleur ami.


Après quelques minutes, Leila débarque pour prendre son poste. Comme chaque jour, elle nous lance un grand sourire en se dirigeant vers l'arrière salle. Je plains Nelson qui va devoir la supporter jusqu'à la fin de son propre service. Son sourire suffisant me tape sur le système, mais maintenant que je sais de quoi elle est capable, je n'ose plus la défier. Si elle a pu faire un coup aussi bas à Cameron, qu'elle connaît depuis des années et qu'elle tentait pourtant de récupérer par tous les moyens, alors je ne veux même pas imaginer ce qu'elle me ferait à moi, qu'elle méprise très clairement.

— Je t'envoies un message quand j'ai fini, pour qu'on puisse s'organiser pour ce soir, me dit Nelson, me sortant de mes pensées.

Je lui souris et hoche la tête. Je dois repasser par l'arrière salle pour récupérer mes affaires avant de partir, mais je n'ai pas du tout envie de croiser Leila. Encore moins me retrouver dans la même pièce qu'elle. Seulement, mon téléphone se trouve dans ma veste, qui est elle-même rangée dans mon casier, et je risque d'en avoir besoin.

Je soupire et m'y dirige d'un pas traînant, redoutant la confrontation avec la vipère. Une fois dans la pièce, elle me considère de haut en bas, affichant son éternel sourire qui me donne envie de vomir.

Je prends une grande inspiration et me dirige vers mon casier, l'ouvre et récupère ma veste, mon téléphone et les clés de l'appartement de Cameron sans un mot.

— Ne t'en fais pas, bientôt, ce sera ton tour, m'annonce-t-elle d'un ton chantant.

Je serre les lèvres et ferme les yeux pour me contenir. Je ne dois pas lui répondre. Surtout, ne pas tomber à son niveau.

— Je dois dire que je suis quand même impressionnée de la vitesse à laquelle mon père a perdu confiance en Cameron, alors qu'il travaille pour lui depuis si longtemps, dit-elle de façon inocente. Imagine ce que ce sera quand je lui dirais que tu es la sans-abri avec qui il traîne ! elle rit. Trop facile !

Respire, Blessing. Surtout, ne dit rien.

— Tu perdras ton travail, tu redeviendras la gamine misérable qui traînait dans la rue et Cameron se lassera de toi, de te voir échouer tout ce que tu fais. Il reviendra en courant vers moi, me suppliant de demander à mon père de le reprendre. Il sera de nouveau à moi, affirme-t-elle. Il revient toujours ! Il me revient toujours !

Un son ressemblant de très loin à un rire s'échappe de ma bouche.

— Tu es pathétique.

Oups. Ça m'a échappé.

Je ferme mon casier et me tourne vers la sortie, espérant en avoir fini avec elle et ses caprices.

— Je te demande pardon ? elle s'offusque.

Son air hautain m'agace profondément. Je me dis qu'il est grand temps que je m'en aille, quand je change finalement d'avis. Si je dois en finir avec elle, autant lui dire ce que je pense.

— Tu es pathétique, je répète alors.

Je me tourne vers elle afin de bien apercevoir l'expression de son visage qui se décompose.

— Tu crois qu'en m'éliminant de l'équation tu retrouveras l'attention de Cameron ? Mais réveille-toi, tu ne l'avais déjà pas avant que je n'arrive dans sa vie. Il ne voudra plus jamais avoir affaire à toi ou à ton père, et crois-moi quand je te dis qu'il s'en sortira bien mieux sans vous dans sa vie. Tu n'es qu'une garce prête à tout et pour quoi ? Pour l'argent ? Tu n'as aucun principe, et j'en ai assez de me laisser marcher sur les pieds par quelqu'un qui n'a de respect pour personne, pas même sa propre famille !

Je m'approche d'elle. Son visage s'est fermé pendant ma tirade. Une fois que je suis à son niveau, je la regarde de haut en bas et murmure :

— Dire que tu as volé ton propre père pour faire renvoyer Cameron ! J'aurais sacrément honte, à ta place.

Je ne reste pas une seconde de plus dans cette pièce et lui tourne le dos, passant la porte sans lui jeter un regard. Ce que je lui ai dis ne l'ébranlera peut-être pas, peut-être qu'elle ne changera pas, qu'elle tentera même de se venger. Mais ça ne pourrait pas m'atteindre moins.

Je pensais ce que je lui ai dis : je ne me laisserai plus manipuler. Par qui que ce soit. 

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