44.

CAMERON


Je passe mon temps à regarder mon téléphone, attendant qu'elle m'envoie un message. Malheureusement, rien ne vient et mon service touche à sa fin. Elle doit s'être endormie, me dis-je.

Son dernier message disait qu'elle pensait à moi et le sourire qui avait pris place sur mon visage à ce moment-là m'avait semblé si grand que j'en avais eu mal aux joues. J'ai probablement l'air d'un idiot, à attendre constamment qu'elle vienne vers moi. Nelson aurait laissé tomber depuis longtemps et autant dire que si ça avait été quelqu'un d'autre, moi aussi.

Mais Blessing est spéciale. Elle n'a pas subitement résolu tous les problèmes de ma vie, mais elle me les fait voir différemment.

Je jette un dernier regard à l'écran de mon téléphone et le range dans ma poche, servant un dernier café à l'ultime client de ce soir. Il est ici depuis plus de 2h et ne décroche pas de son ordinateur. Je ne veux qu'une chose : qu'il s'en aille, pour que l'on puisse ranger et nous en aller, Leila et moi.

Je soupire et observe l'horloge, qui indique minuit-dix. Au bout de dix minutes supplémentaires, je vois l'homme sortir son sac et y ranger son portable. Enfin, me dis-je. Il dépose un billet de dix dollars sur la table et s'en va, nous souhaitant une bonne soirée. Nous le lui rendons, forçant notre sourire, avant de placer sur la porte le panneau indiquant que le restaurant est fermé.

—    C'est pas trop tôt, gémit Leila. J'ai cru qu'il ne partirait jamais !

—    Je sais, je ris. Moi aussi, j'ai cru qu'il allait dormir ici.

Elle rit un instant, ses yeux ne me quittant pas alors que je retourne derrière le comptoir, mon chiffon à la main. Je la vois ouvrir la bouche, mais mon regard dévie sur la porte, derrière elle, où une longue chevelure noire vient de faire son apparition. La fameuse clochette du restaurant résonne, tandis que je reconnais Blessing.

Leila se retourne et j'ai tout juste le temps de voir l'expression de son visage se décomposer, avant qu'elle ne tourne les talons et se rende dans l'arrière-salle.

Je n'y porte pas plus d'attention que ça, accueillant Blessing avec un grand sourire.

—    Qu'est-ce que tu fais ici ? je lui demande lorsqu'elle s'approche de moi.

Elle passe ses bras autour de moi et me sourit, levant la tête pour que nos regards se croisent.

—    Je te l'ai dit, tu me manquais, elle répond.

La chaleur qui se propage dans tout mon corps à l'entente de ces mots ne me surprend plus. Elle a le don de me faire ressentir des choses que je n'arrive pas à comprendre.

Je passe délicatement ma main dans la mèche de ses cheveux qui s'est échappée de sa queue de cheval. La boucle qu'elle forme habituellement est toute détendue, signe qu'elle a passé sa main dans cette mèche un bon nombre de fois, avant moi.

Je la coince entre deux doigts, laissant mon pouce se balader sur sa joue rebondie. Lorsqu'elle penche la tête pour presser son visage contre ma paume, je pousse un long soupir et vient déposer mes lèvres contre les siennes. Un rapide baiser, un effleurement. Après tout, je suis supposé fermer le restaurant et il reste encore du travail à faire, alors je me garde de la maintenir trop longtemps dans le creux de mes bras.

Mais c'était sans compter Blessing, qui s'accroche à mon t-shirt. Je la sens pousser sur la pointe de ses pieds pour prolonger notre étreinte ; ça me fait sourire. Lorsqu'elle se détache, ses yeux ne quittent pas les miens.

—    Merci, elle me murmure.

Je fronce les sourcils, m'apprêtant à lui demander pourquoi elle me remercie. Je n'en ai pas le temps, car Leila revient dans la pièce avec un seau d'eau et une serpillère.

—    Oh, salut, elle sourit à Blessing.

Je l'observe, incrédule. Elle n'a quitté la pièce que quelques minutes plus tôt et n'était clairement pas dans cet état d'esprit, si joyeux. Elle a l'air de s'être calmée et, heureusement, elle ne lance aucun commentaire désobligeant, alors qu'elle a passé la soirée à faire des erreurs dans les commandes et à me draguer quand personne ne regardait.

—    Mmh, répond Blessing. Salut.

Elle me jette ensuite un regard qui en dit long, les yeux ronds comme des billes. D'où vient cette soudaine gentillesse ?

—    Tu peux rentrer, Cameron, elle sourit. Je vais finir seule.

Je ne peux m'empêcher de froncer les sourcils. Je suis censé fermer le restaurant, mais elle a l'air de vouloir le faire seule. La journée a été longue et Leila est la fille du patron, après tout ; le fait de fermer à ma place ne devrait pas poser de problème.

—    Allez-y, elle insiste.

Toute la fatigue que j'ai accumulée me fait capituler.

—    OK, je soupire. Tu es sûre que ça ne te dérange pas ?

—    Certaine !

Son enthousiasme et le sourire qu'elle adresse à Blessing me font dire que quelque chose cloche, mais je n'ai pas la force de m'en préoccuper ce soir.

Je prends la main de Blessing dans la mienne et fait un rapide signe à Leila pour la saluer. Je ne retire pas mon t-shirt et ne pars pas prendre mes affaires dans mon casier, j'ai bien trop peur qu'elle change d'avis.

Une fois à l'extérieur, Blessing a l'air de s'amuser de la situation.

—    C'était plutôt inattendu, elle sourit.

Carrément louche, même, me dis-je. Leila qui nous laisse partir, ensemble, alors que je devais l'aider à fermer le restaurant ? D'habitude, elle aurait sauté sur l'opportunité de passer du temps avec moi, seul à seule. Elle était d'ailleurs prête à me dire quelque chose, avant que Blessing n'arrive ; j'en mettrais ma main à couper. Mais après tout, son arrivée devait déjà avoir compromis ses plans. Elle préfère probablement rester seule que la voir m'attendre dans le restaurant pendant que nous finissons de nettoyer.

Je hausse les épaules, abandonnant ma maigre tentative de comprendre les motivations de Leila. Je me concentre alors sur ma partenaire et laisse mon pouce caresser le dos de sa main. Je suis heureux qu'elle ait pris le temps de venir me voir. Ce n'est pourtant pas grand-chose, mais ça me touche.

C'est sourire aux lèvres et main dans la main que nous faisons le trajet jusqu'à mon appartement.

*

—    Cameron !

Je relève la tête, pris par surprise. Je jette un coup d'œil autour de moi, mais je ne vois personne. Le restaurant est calme, ce matin. Ça fait maintenant deux jours que Leila s'occupe de fermer le restaurant et me renvoie chez moi, sans que je ne sache exactement pourquoi. Je ne m'en plains pas, cela dit. Hier, Blessing est revenue à la fin de mon service et nous nous sommes baladés dans les rues de Miami, avant de rentrer chez moi.

Ces moments avant mon grand retour chez mes parents me détendent. Je suis bien plus stressé que ce que je laisse paraître par cette visite improvisée. Je redoute surtout le moment où je verrais mon père.

—    Cameron, dans mon bureau !

La voix de Rick, le patron, me sort de mes pensées. Il se tient dans l'encadrement qui mène à son bureau, à l'étage. Je sais qu'il voulait me recevoir avant mon départ en vacances, pour connaître ma date de retour, mais je ne pars pas avant quelques jours...

Je le suis dans les escaliers et une fois dans la pièce, je prends soin de fermer la porte. Lorsque je me retourne, sa posture ne me rassure pas vraiment.

—    Il faut qu'on parle sérieusement, il m'accule.

D'un geste de la main, il m'invite à m'asseoir dans le fauteuil en face de son bureau. Je prends place, tout le stress que je ressens face à mon voyage me revenant en pleine figure.

—    Pour ma date de retour, je... je commence.

Mais je n'ai pas le temps de finir ma phrase.

—    Tu es renvoyé, il m'annonce de but en blanc.

Le choc de cette nouvelle m'empêche de répondre quoi que ce soit. Renvoyé ? Mais pourquoi ?

—    Cela fait quelques semaines que ma fille m'a prévenu que tu trainais avec des SDF. Honnêtement, grand bien te fasse, je n'ai pas à te dicter comment vivre ta vie et comment te protéger. Mais quand de la nourriture manque en cuisine ou que je retrouve un écart dans la caisse, ça devient mon problème.

—    Mais, je... je tente de m'expliquer. Ce n'est pas...

Il m'arrête d'un signe de la main. Bon sang, mais de quoi est-ce qu'il parle ?

—    J'ai retrouvé des écarts tous les soirs où tu étais de fermeture ces deux dernières semaines, et maintenant j'apprends que tu te permets de quitter ton poste sans avoir fini ton travail ?

Son ton interrogatif n'en est pas un. Je blêmis en réalisant que c'était sûrement le but de Leila. Elle m'a bien eu ; elle a réussi à me faire renvoyer, après toutes ces années.

—     Je suis désolé, mon grand, mais tu étais prévenu. Une erreur de plus et tu virais, soupire-t-il.

Je cherche un instant comment me sortir de ce pétrin, puis je me dis qu'après tout, je ne peux pas retourner Rick contre sa fille. Il a raison, j'ai quitté mon poste deux soirs de suite, alors qu'il restait des choses à faire.

—    Ça ne m'arrange pas du tout, mais je ne peux pas te garder. Si je le faisais, je devrais passer sur les erreurs de tous mes employés.

—    Je comprends, je murmure.

Je hoche la tête pour me donner bonne figure, mais je commence à paniquer. Comment est-ce que je vais faire pour continuer de payer mon appartement ? Et mon billet de retour sur Miami ? Je n'avais déjà aucune idée de ma date de retour, mais à ce rythme, je ne sais même pas si je vais pouvoir rentrer !

—    Tu peux descendre te changer, Cameron. Ton licenciement prend effet immédiatement.

Je hoche à nouveau la tête, ne sachant pas quoi dire. Je me lève, comme par automatisme, et descends les escaliers. Je récupère mes affaires dans le vestiaire, dépose mon t-shirt du restaurant dans un panier non loin de là et tout à coup, je me retrouve dans la salle du restaurant, devant Nelson.

Il me dévisage, considérant ma tenue d'un œil curieux.

—    Tu as pris ta journée ? il me demande.

—    Je viens de me faire renvoyer, j'énonce.

Je ne reconnais pas ma propre voix et quand j'entends le rire de Nelson résonner à mes oreilles, il me semble lointain.

Je viens de me faire renvoyer.

Soudain, la réalité me frappe de plein fouet.

Putain de merde.

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