43.

BLESSING


Téléphone en main, je réponds à Nelson que je ne suis pas chez Cameron et l'informe de mon heure approximative de retour. J'ai toujours du mal à m'habituer à mon nouvel appareil, alors quand il a sonné en plein début de soirée, j'ai d'abord cru que la télévision s'était allumée sans mon consentement. Quand j'ai fini par comprendre d'où venait la mélodie, je me suis précipitée sur mon sac, avant de découvrir un numéro inconnu. En décrochant, la voix de Massey me prévenait qu'elle ne rentrerait pas directement après le travail, passant d'abord chez Nelson. Comme elle ne savait pas à quelle heure elle serait de retour, j'ai décidé de dîner à l'extérieur.

C'est comme ça que je me retrouve maintenant dans un restaurant, en train de taper frénétiquement sur l'écran de l'appareil entre mes mains. Massey n'ayant pas de clé, elle ne peut donc pas rentrer chez Cameron. Je mentionne que je le tiendrais au courant de mon heure de retour, puis je range le téléphone.

Je jette alors un œil autour de moi. Je suis dans un petit restaurant d'un style assez rétro, des néons bleus et rose se répercutant sur la surface en aluminium des meubles. Sur le menu, je ne vois que des hamburgers de toutes sortes. Je n'ai pas très faim, alors je commande une portion de frites.

Je ne sais pas ce que je fais ici. Je sais simplement que je me sentais vide et perdue, chez Cameron, alors je suis sortie. Son appartement était bien trop silencieux et la solitude qui m'étreignait commençait à m'étouffer.

Je soupire et je regarde l'heure, m'apercevant qu'il est loin de finir son service. J'aurais pu aller au North Paradise, manger quelque chose et attendre la fin de son service. J'aurais pu. Mais à quoi bon ? Je dois m'habituer à son absence.

Son comportement et surtout le mien, quand il m'a annoncé qu'il partait, ne m'ont pas rassurée quant à ce que je suis supposée faire, quand j'aurais mon appartement avec Massey. Est-ce que je saurais gérer ? Pour l'instant, la réponse m'apparaît assez naturellement : sûrement pas. Je serais perdue, exactement comme je l'étais quand il est parti travailler.

Je soupire à nouveau et picore une frite, quand je sens une vibration dans la poche frontale du sweat que j'ai emprunté à Cameron.

« Tu me manques. Leila est en train de ruiner ma soirée. Que fais-tu ? »

Je souris, sentant mon cœur se serrer. Je ne sais pas si c'est le fait qu'il me manque, ou celui de savoir Leila si proche de lui, mais je décide très vite de balancer toutes mes nouvelles résolutions à la poubelle et de me rendre au North Paradise avant la fin de son service.

« Je pense à toi. » Je réponds simplement.

Je mange mes frites en souriant, à présent. Ma vie a vraiment pris un tournant différent. J'ai un téléphone sur lequel je viens de recevoir un message de l'homme que j'aime, je suis attablée dans un restaurant dans lequel j'ai assez d'argent pour commander quelque chose à manger et j'ai un toit qui m'attend après ce repas.

Je regarde de l'autre côté de la rue, à travers les grandes vitres ouvertes qui laissent entrer une petite brise marine. L'odeur du sel et de la mer m'a toujours rassurée. Je prends une grande inspiration et repère rapidement une jeune femme, assise sur le trottoir sur l'autre bord de la route. Je la reconnais rapidement comme étant dans la même situation qui était la mienne, il y a quelques semaines.

Je me suis rarement aventurée de ce côté de Miami, notamment à cette heure du soir, où j'étais le plus souvent déjà rentrée au squat. Je restais généralement du côté de la plage, parce que c'est là où se trouve le plus de monde. Plus personne ne passe dans les rues, à cette heure, et la voir dehors me serre le cœur.

Je considère les frites posées sur la table devant moi. Je ne vais pas les finir, j'en ai parfaitement conscience. Je me lève alors, les emportant avec moi, pour payer ma consommation ainsi qu'un burger et une boisson supplémentaires. Je récupère un Sharpie sur le comptoir en attendant les derniers éléments de ma commande et inscrit quelques directives sur une serviette en papier. On me tend ensuite mon repas dans un sac et je me dirige de l'autre côté de la rue.

Lorsque j'arrive devant cette femme, ses yeux ne se lèvent pas. Elle a presque l'air de dormir, mais je reconnais ce mécanisme de défense. Je décide alors de m'asseoir sur le trottoir, à ses côtés. Je pose le sac de nourriture devant elle et la regarde l'ouvrir et déguster ce qui était jusqu'alors mon repas, sans lever une seule fois les yeux vers moi.

Pendant ce qui me semble être une éternité, nous ne parlons pas. Elle continue d'engloutir les dernières frites et je vois ses yeux se poser sur mes jambes, croisées devant moi. Le jean noir que je porte est quasi neuf, sa couleur est intacte et il n'est affublé d'aucun trou. Mes basket, noires elles aussi, me feraient presque disparaître dans l'obscurité environnante. Seul le sweat gris me rend visible, ainsi que la faible lueur qui s'échappe d'un lampadaire, à quelques mètres de là.

Je prends le temps de la regarder, elle aussi. Elle porte un jean troué semblable à celui que je portais avant, ainsi qu'un lourd pull marron qui a perdu de sa laine à plusieurs endroits. Un imperméable à capuche est posé sous elle, faisant rempart entre ses vêtements et le sol. Elle ne possède rien d'autre.

—    Merci, j'entends subitement.

Ce murmure me rappelle le mien et mes yeux se voilent de larmes.

—    Je m'appelle Blessing, je lui annonce.

Ses épaules se lèvent et se baissent rapidement, comme un signe de défaite.

—    Peyton.

Je hoche la tête. Ses yeux croisent enfin les miens et je me demande quel âge elle peut avoir. Je lui donnerais probablement une quarantaine d'années. Elle croise ses doigts entre eux et baisse à nouveau la tête.

—    Que faites-vous dehors à une heure pareille ? je lui demande.

Elle rit, un rire sans joie, forcé. Elle secoue la tête et je la vois froncer les sourcils.

—    Ce n'est pas exactement comme si j'avais le choix, elle me répond du tac au tac.

Je hoche la tête, comprenant parfaitement sa situation.

—    Pourquoi ne vous rendez-vous pas dans un squat ? Vous y seriez plus en sécurité.

Mes propres mots sonnent faux à mes oreilles, lorsque je me rappelle de mes derniers souvenirs dans ce genre d'endroit. Cet homme qui a failli tuer Cameron et me tuer moi, par la même occasion. Il n'a clairement pas hésité à tirer sur Joey, ça, c'est une certitude.

—    Je n'en connais aucun. Je suis arrivée il y a quelques jours, elle soupire.

Etonnée, je considère ses chaussures et leur semelle, si élimée qu'elle doit presque marcher à même le sol.

—    D'où venez-vous ? Et comment êtes-vous arrivée ici ?

—    Orlando, elle me répond. J'ai marché, fais du stop... je n'avais pas d'autre choix.

Orlando se situant à plus de 200 miles de distance, je me demande un instant depuis combien de temps elle voyage ainsi.

—    Et vous êtes seule ?

Elle détourne les yeux et soupire.

—    Si vous êtes une flic, je ne suis pas recherchée, j'ai des papiers et je ne compte pas voler qui que ce soit.

Tout à coup, elle se lève, récupère son imperméable et se met à marcher, ne regardant pas en arrière. Je jette un coup d'œil au sac de nourriture, qu'elle a laissé par terre. La serviette en papier que j'ai posée à l'intérieur est toujours là.

Je m'en saisi, jette le sac dans la poubelle la plus proche et me met à lui courir après. Elle me jette un coup d'œil étonné, lorsque j'arrive à son niveau.

—    Je suis désolée, je ne voulais pas vous faire peur, je lui avoue, essoufflée.

Je dois réaliser de petites foulées pour rester à son niveau, tant elle marche vite. Elle cherche définitivement à me fuir.

—    J'ai été dans votre situation pendant quasiment toute ma vie. Je voulais simplement savoir si vous alliez bien et si vous aviez un endroit où dormir.

Je lui tends alors la serviette en papier, sur laquelle j'ai noté quelques directives pour se rendre au squat dans lequel j'ai vécu pendant longtemps.

—    Ce n'est pas grand-chose, mais vous serez au moins à l'abri de la pluie. Et qui sait, peut-être que vous ne serez plus seule, j'ose.

Elle me regarde longuement, considérant le bout de papier blanc jonché d'écritures noires, mais ne le prenant pas.

—    Pourquoi ? elle me demande.

Je hausse les épaules, mais au même moment, je réalise que je sais parfaitement pourquoi je l'aide.

—    Parce que ce n'est pas une situation facile, je le sais d'expérience. Et quand bien même on a l'impression de ne plus rien posséder, parfois, la seule chose qu'il nous manque, c'est une personne assez bienveillante pour nous redonner espoir.

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