28.

CAMERON


Elle n'est pas revenue. Ma chambre est restée désespérément silencieuse, tandis que j'attendais qu'elle revienne, qu'elle m'explique. Mais elle n'est pas revenue. Elle devait se douter que ça arriverait, pourtant. Elle avait l'air de se laisser aller, en ma présence. Je gémis quand un mal de crâne rejoint le tiraillement dans ma cuisse. Cette journée s'annonce absolument fabuleuse.

Je me décide finalement à prendre mon courage à deux mains et je me lève pour rejoindre la cuisine. Mon café est prêt, posé sur le comptoir. Aucune trace de Blessing dans les environs. Je récupère la tasse, en bois une gorgée et réprime un frisson quand je m'aperçois qu'il est froid. Je pose ma tasse dans le micro-ondes et me dirige vers le couloir, quand j'entends les voix de Blessing et Massey. Je m'approche un peu et je les découvre assises sur le canapé, chacune une tasse de chocolat chaud entre les mains. Je recule légèrement dans le couloir pour qu'elles ne me voient pas et fais quelque chose que je n'aurais jamais pensé faire : j'écoute leur conversation. Pour ma défense, j'ai vraiment envie –besoin ? - de savoir ce que pense Blessing.

— Ton premier baiser !

J'entends de l'excitation dans la voix de Massey et ça me fait sourire. Au moins, elle est de mon côté.

— Il ne t'a pas forcée, hein ? Elle tente de se rassurer. Non, parce que s'il a essayé de profiter de toi ou d'un moment de faiblesse, tu peux compter sur moi pour lui mettre la correction qu'il mérite !

Bon, peut-être pas tant que ça, finalement.

— Non, Blessing soupire. Enfin... Non, elle dit de façon plus convaincante. C'était sûrement un moment de faiblesse, mais... je crois que c'en était un pour nous deux ? elle ajoute comme une question.

— Et... c'était comment ? la curiosité de Massey l'emporte.

— Je- je ne sais pas.

Un long silence s'impose à elles. Il commence à s'éterniser et je suis prêt à retourner dans la cuisine, déçu de cette réponse et de ne pas en savoir plus, quand Massey parle enfin.

— Bon, récapitulons ! Vous avez discuté à cœur ouvert, il t'affirme qu'il ne t'abandonnera pas, tu pleures et il se jette sur toi comme un sauvage, elle dit, comme si c'était une évidence.

— Non !

J'entends le rire de Blessing et ça me fait sourire. Pourtant, je ne suis pas encore tiré d'affaire.

— Non, Mass... il a vraiment été tendre. Je t'assure, elle soutient.

— Alors, où est le problème ? Tu étais d'accord, pas vrai ? elle lui demande, plus sérieusement cette fois.

— Oui, Blessing répond et je suis soulagé de l'entendre. Enfin, je crois ?

— Comment ça, tu crois ? Massey semble perdre patience. Tu as envie qu'il recommence ?

Quand j'entends cette question, je tends l'oreille. J'aimerais voir l'expression de son visage à ce moment-là. Et quand sa réponse vient, je l'entends à peine, mais elle me coupe le souffle...

— Je ne crois pas.

... et mon cœur se casse la figure.

*

Laver les couverts : fait. Nettoyer le comptoir : fait. Penser à elle : fait. Remuer le couteau dans la plaie : je n'ai fait que ça. Je n'ai quasiment plus parlé à Blessing depuis ce matin ; j'ai uniquement pu l'informer qu'elle commençait à 18h. Leila me tourne constamment autour et ça me laisse totalement indifférent, mais ses caresses impromptues me braquent plus qu'autre chose et commencent à me taper sur le système. Je l'ignore du mieux que je peux tandis que je sers les tables comme un robot, prend les commandes et les apporte, puis débarrasse et nettoie les tables une fois les clients partis. Mais je ne suis pas vraiment présent.

Blessing devrait arriver dans quelques heures et je ne sais pas comment je réagirai quand elle passera la porte du restaurant. J'ai besoin de parler à quelqu'un, seulement, Nelson n'est pas là et Billie est sur le point de partir. Je ne me suis jamais confié à elle, mais peut-être qu'un avis féminin m'aiderait à mieux comprendre. Je suis vraiment tombé si bas que ça ?

Lorsqu'elle se dirige vers l'arrière-salle, je laisse tomber le torchon avec lequel j'épongeais le café que je viens de renverser et je commence à la suivre. Je tourne la tête et regarde longuement Leila. Si je vais dans l'arrière salle, je dois informer mes coéquipiers que je prends ma pause, c'est le règlement. J'hésite un instant, mais je ne veux pas lui donner des raisons de se méfier de moi, ou encore plus de Blessing. Alors, je ramasse finalement le torchon étalé sur le sol et continue de nettoyer la tache de café. Je soupire. Bon sang, qu'est-ce que je suis censé faire ? Je n'arrive pas à savoir si elle n'était pas prête, si elle a eu peur ou si elle s'est rendue compte qu'elle ne voulait pas de ce genre de relation avec moi ? Et de quel genre de relation est-ce que je parle ? Je ne sais même pas ce que je recherchais vraiment, en faisant ça !

Je n'ai jamais voulu de petite amie sérieuse. Du moins, c'est ce dont j'essaye de me persuader. Mais après tout, Blessing n'a aucune idée de ce que ça signifie, d'être en couple. Alors est-ce que ça peut vraiment être si horrible ? Je n'ai jamais voulu prendre le risque de rester en couple si longtemps avec une fille qu'elle en souffrirait à la fin. J'ai toujours eu trop peur de perdre ma liberté, de me retrouver enfermé dans une relation dans laquelle je ne me sens pas bien, simplement parce que je ne veux pas blesser les gens. Ma plus longue relation a été avec Leila et bon sang, je ne regrette rien plus que d'avoir été si aveugle.

Mais avec Blessing, j'ai envie d'essayer. J'ai envie de croire que ce ne serait pas si terrible, qu'on apprendrait ensemble à gérer cette nouvelle relation qui nous tombe dessus. Elle a besoin de liberté autant que moi... ça pourrait fonctionner. Mais je refuse de lui imposer quoi que ce soit, encore moins si elle n'arrive déjà pas à accepter une amitié. Cette fois, ce n'est pas l'autre personne que je protège, mais moi-même.

Je suis perdu dans mes pensées depuis si longtemps que je ne remarque pas Billie sortir de l'arrière-salle. Elle passe devant le comptoir pour nous donner les dernières directives pour la fin de journée et nous fait un rapide signe de la main avant de s'éclipser. Elle n'aurait pas pu m'aider, de toute façon. Elle ne connaît pas Blessing, pas assez en tout cas pour me dire quoi faire.

Deux heures plus tard, je prends ma pause et décide d'appeler Nelson.

— Cam ! Tu as trouvé le chemin du boulot, ça y est ? il me répond immédiatement.

— Très drôle, Nels, un petit rire m'échappe tout de même. Non, plus sérieusement, j'ai besoin de conseils, là.

— Tu payes combien ? il rit.

— Arrête tes conneries, je marmonne. Je n'ai pas beaucoup de temps ! Tu veux bien m'écouter ? je demande.

— Allez, je t'en prie, dis-moi tout !

Au son de sa voix, je sais qu'il lève les yeux au ciel. Mais je sais aussi qu'il ferait n'importe quoi pour m'aider. Alors je me lance.

— Ok, j'ai embrassé Blessing ce matin et ça me tue de dire ça, mais je ne sais plus quoi faire. Elle ne m'a plus adressé la parole depuis. En plus, c'était son premier baiser. Du coup, je crois que j'ai tout ruiné entre nous. Elle a avoué à Massey qu'elle ne savait pas si elle avait apprécié et qu'elle ne voulait pas que je recommence, alors qu'est-ce que je suis censé faire ?

Je débite ces paroles si rapidement que je ne sais pas s'il saisit tout ce que je dis. Au début, je n'entends rien de l'autre côté de la ligne, mais après quelques secondes, j'entends Nelson pouffer et partir d'un grand rire qui me fait éloigner le téléphone de mon oreille.

— Bordel, je me doutais que tu étais un mauvais coup, mais faire fuir une fille après l'avoir juste embrassée ? Tu fais fort ! il rit de plus belle.

Un grognement m'échappe, parce que s'il était en face de moi et que la situation était différente, j'aurais peut-être rit de la pique qu'il vient de me lancer. Mais putain, la situation est loin d'être drôle et je me sens vraiment à côté de la plaque. Quand il commence à se calmer, je relance ma question.

— Qu'est-ce que je dois faire, Nels ? je soupire.

— Tu es vraiment sérieux, pas vrai ? il devient tout à coup très sérieux lui aussi.

Sa question n'en est pas une : il sait parfaitement que Blessing est différente à mes yeux. Il veut simplement me l'entendre dire, parce qu'il a toujours été de ceux qui croyaient que j'étais capable de grandes choses. De grands sentiments.

— Bien sûr que oui ! Tu crois que j'aurais pris le risque de tout faire planter sinon ? je grogne.

— Non, mais bordel, Cam ! Une fille qui n'a jamais été embrassée ? C'est le plan le plus foireux et compliqué du monde ! Tu lui as fichu la trouille, c'est tout !

— Et comment je règle ça ?

— Honnêtement ? il me demande.

— Oui, honnêtement ! Je ne t'aurai pas demandé, autrement.

Un long silence s'impose à nous. Je trépigne d'impatience, de mon côté. J'ai besoin qu'il me dise quoi faire, qu'il me déresponsabilise un peu. Que mes actions ne soient pas uniquement un reflet de mes pensées. J'ai besoin qu'on m'aide, parce que je perds pied.

— Je n'en sais rien, il répond enfin après ce qui me semble être une éternité.

Malgré moi, un rire un peu sinistre m'échappe. Au moins, je sais que je ne suis pas le seul à ne rien y comprendre.

— Laisse-lui du temps. Si elle a vraiment dit qu'elle ne voulait plus que ça arrive (je l'entends pouffer à nouveau, puis se reprendre) alors tu ne dois plus rien tenter. Attend qu'elle revienne d'elle-même.

Je soupire. Ça va être sacrément compliqué de l'éviter. Elle vit chez moi, on travaille au même endroit... ouais. Je suis fichu.

— Sinon, il ajoute, rend-la jalouse avec Leila. Elle finira par revenir.

— Avec Leila ? Mais pourquoi ?

Je n'en reviens pas qu'il me dise de faire une chose pareille. Puis, je crois comprendre où il veut en venir et cette réalisation m'horrifie.

— Attends, elle est jalouse de Leila ? je demande, stupéfait.

Je l'entends à nouveau rire de l'autre côté du combiné et cette fois, je suis complètement perdu.

— Mec, elle déteste cette fille plus que tout. A mon avis, c'est plus qu'une question de regards noirs et d'insultes !

— Mais pourquoi est-ce qu'elle serait jalouse d'elle ? Quand elle est... Alors qu'elle est comme elle est ?

Je fronce les sourcils et soupire. Est-ce que j'arriverais à comprendre cette fille un jour ? Elle n'a rien à envier à Leila, je ne vois vraiment pas pourquoi elle en serait jalouse.

— Franchement, je n'en sais rien. Mais tu peux en profiter, il laisse échapper.

— Non mais tu t'entends ? On parle de Leila, là, je grogne. Je refuse de m'approcher d'elle, ce serait décidément la fois de trop !

— Alors tu sais ce qu'il te reste à faire, il dit. Rien du tout.

Ne plus parler à Blessing, l'éviter, ne pas la regarder, ne pas la toucher ? Dans quoi est-ce que je me suis encore embarqué, moi ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top