23.

CAMERON


Après la longue journée que j'ai passée, je pensais réussir à m'endormir rapidement. Cependant, l'histoire de Jase tourne sans relâche dans ma tête et je me demande si j'ai pris la bonne décision en le laissant rester chez moi. Malgré ce que Blessing a l'air de penser, je suis parfaitement conscient de la gravité de la situation, mais il reste son meilleur ami et je n'ai pas à cœur de le laisser errer. Il est bien plus en danger que chacun d'entre nous. Je dois avouer que la peur guide elle aussi mes actes : je ressens une peur insensée à l'idée que Blessing veuille s'en aller maintenant qu'elle a retrouvé ses deux amis. Les garder tous au même endroit est probablement la meilleure façon de faire en sorte qu'elle reste près de moi. Je soupire. Bon sang, je suis sacrément égoïste.

Tandis que je ne cesse de ressasser les évènements de cette soirée, Blessing n'a pas eu de mal à s'endormir et lorsque je la regarde, je ne peux m'empêcher de me dire que j'ai pris la bonne décision. Elle est couchée dans mon lit, près de moi. Elle n'a pas montré la volonté de s'en aller, de repartir avec ses amis. Je me sens chanceux, comblé, alors même qu'elle s'inquiète de ma sécurité plus que de la sienne. Je n'arrive pas à comprendre comment ce changement s'est opéré, ni pourquoi il s'est opéré si vite, mais j'en suis ravi. Ma tête bascule sur le côté pour pouvoir l'observer un instant. Elle est recroquevillée sur elle-même. Elle a toujours l'air d'avoir froid quand elle dort, probablement un reste de ces années à dormir à même le sol, été comme hiver.

Ma tête tourne, mes pensées ne s'arrêtent pas. Je pense à mille choses en même temps. Je soupire et passe mes mains sur mes yeux, tout en me concentrant sur la respiration de Blessing. J'essaye de m'endormir, mais le sommeil ne vient pas. Je ne cesse de changer de position, agacé, lorsque je sens une petite main délicate se poser sur mon épaule. Je soupire à nouveau.

— Dors, Cameron, chuchote-t-elle.

Surpris, je ne bouge plus, puis je finis par me tourner vers elle et observe ses jolis traits dans la faible lueur de la lune qui passe à travers les volets mal fermés. Elle n'a pas l'air réveillée, mais je sais qu'elle l'est et qu'elle tente probablement de se rendormir après que je l'ai arrachée à ses rêves.

— Tu ne partiras pas, n'est-ce pas ? je demande.

Je suis en proie à un doute immense. Je me sens comme un petit garçon, demandant à sa mère combien de temps elle sera partie au travail avant que je ne puisse la revoir. Cette vulnérabilité me dérange ; elle fait ressortir ce côté de moi, depuis le début. Ses sourcils se froncent imperceptiblement, mais je le vois, parce que je remarque chacune de ses réactions. Et aussi parce que j'ai les yeux fixés sur son visage, sur ses moindres traits. Elle est tellement fascinante que je ne peux m'empêcher d'analyser chaque mouvement de son visage, de ses mains, de ses jambes, en continu.

Défait, je réalise qu'elle ne me répondra probablement pas, mais elle me surprend une nouvelle fois.

— Je n'ai aucune raison de partir, elle murmure.

Je souris lorsque je vois qu'elle se rendort doucement. Je suis fasciné par le fait qu'elle arrive à s'endormir si facilement après tout ce qu'elle a vécu... et pas seulement aujourd'hui.

Sa respiration régulière et mes doutes envolés mettent fin à mon insomnie et je sombre dans mes rêves habituels, ceux où l'obscurité m'engloutit toujours.

*

Je suis réveillé par des sons de voix qui proviennent du salon. J'entends très distinctement Massey et Jase se disputer, mais je ne comprends pas à quel sujet, alors je laisse tomber et essaye de me concentrer sur le silence de ma chambre. Il fait encore relativement sombre, il doit donc être très tôt et leurs voix s'infiltrent dans mon esprit et m'empêchent de me rendormir. Et puis, pour être tout à fait honnête, je suis trop curieux de savoir à quel sujet ils se disputent, de si bon matin.

Je m'apprête à me lever quand je m'aperçois que mon bras est endolori et que la tête de Blessing repose dessus. Je décide de ne pas la réveiller et je tente de retirer mon bras délicatement. Une fois que je suis certain qu'elle est toujours endormie, je sors de mon lit et rejoins Massey et Jase dans le salon.

— Je peux savoir pourquoi vous faites autant de bruit ? je leur demande d'une voix encore endormie.

Massey se tourne vers moi et je comprends dans son regard qu'elle me présente ses excuses.

— Je lui demandais de partir, me dit-elle.

— Pourquoi ? je lui demande, surpris.

Elle jette un regard à Jase et je crois y décerner du dégoût, de la déception. Des sentiments qui, malgré les mots qui ont été échangés la veille, n'étaient pas présents.

— Il a apporté de la drogue dans ton appartement. Je lui demandais de se justifier, mais comme il n'a aucune explication valable, il vaut mieux qu'il s'en aille immédiatement, elle m'explique sans le lâcher des yeux.

Je regarde Jase, à peine surpris. J'aurais souhaité avoir tort, mais je connais trop bien le comportement d'un drogué pour me voiler la face. Je voulais réellement croire en son histoire, seulement j'imagine qu'il a déjà choisi sa voie.

Il cherche mon regard, attendant peut-être que je le défende, mais quelle que soit son explication, cela fait déjà beaucoup trop d'évènements pour que je le laisse s'en tirer si facilement.

— Je suis d'accord avec Massey. Je suis désolé, Jase, mais si tu ne t'en vas pas immédiatement, je serais contraint d'appeler la police.

Je vois tout son dos se redresser et ses yeux s'écarquiller à la mention des forces de l'ordre. Massey aussi me regarde fixement, mais je sais qu'elle est consciente de mes bonnes intentions. Si j'appelle la police, c'est pour lui, pour l'aider, pas pour l'enfoncer. Ils l'enfermeront probablement pour possession de drogue, mais il ne peut pas être assez stupide pour avoir tout un stock sur lui, alors ils n'auraient rien d'autre contre lui. Notamment, il serait peut-être plus en sécurité dans un poste de police qu'ici, chez moi, où n'importe qui peut le retrouver. Le problème, c'est que je sais aussi à quel point, dans de telles situations, la police n'est pas toujours d'une grande aide.

— Je m'en vais, me dit-il calmement. Tu voudras bien dire à Blessing que je suis désolé ?

— Pour quoi ? je lui demande.

— Pour tout, à vrai dire, il hausse les épaules. Je n'ai pas toujours été un bon ami pour elle et je le regrette.

Je hoche la tête, lui faisant ainsi comprendre que je transmettrai le message. Il récupère son manteau sur le dos du canapé et passe la porte de chez moi sans rien ajouter. Une fois qu'il est sorti, je me laisse tomber dans le grand fauteuil marron et frotte mes yeux de mes deux mains. C'est beaucoup trop de choses à gérer pour quelqu'un qui vient à peine de se réveiller.

— Merci, j'entends.

J'ouvre les yeux et les pose sur Massey. Elle me regarde d'un air reconnaissant, mais je ne comprends pas. Après tout, je viens de mettre son meilleur ami à la porte.

— Il t'aurait apporté des problèmes et Blessing nous en aurait voulu à tous. En plus, je ne peux pas dire que je me sois spécialement sentie en sécurité avec lui, cette nuit, alors merci. Je peux paraître odieuse de ne pas vouloir aider mon ami, mais malgré son discours d'hier soir, il ne veut pas être aidé, elle hausse les épaules. J'ai parlé avec lui et il refuse de rendre l'argent, d'expliquer la situation ou d'aller voir les flics... elle soupire. Je ne sais pas quoi faire et je comprends bien qu'il est en danger, mais lui-même se contente très bien de cette situation, comme je m'en doutais. La drogue que j'ai trouvée sur lui n'est pas là par hasard.

— Tu penses vraiment que c'est à lui ? je lui demande, bien que je connaisse déjà la réponse à cette question. Qu'il se drogue ?

— Je ne sais pas, elle soupire. Je ne sais pas, Cameron, mais il n'a pas su me donner de raison valable pour avoir ce genre de chose en sa possession et pour moi ça crie « déni ».

Je regarde longuement Massey sans rien dire. Et maintenant ? Qu'est-ce qu'il va devenir ? Qu'est-ce qu'elles vont devenir ? Je soupire. Tout cela vient compliquer une situation qui l'est déjà bien trop. Maintenant que je lui ai demandé de partir, la culpabilité m'empêche de trouver des raisons à ma décision. Il est en danger, il le sera toujours, dehors ou chez moi, mais il aurait peut-être eu une chance de s'en sortir si on avait pris le parti de l'aider. Massey a l'air de penser que j'ai fait le bon choix, mais j'ai peur de la réaction qu'aura Blessing, parce que malgré tout je sais qu'elle s'en fait pour Jase et qu'elle aurait voulu pouvoir l'aider.

Le silence reprend ses droits dans la pièce, j'en profite alors pour récupérer mon téléphone sur le meuble de l'entrée. Je m'enferme dans la salle de bain le temps de passer un coup de fil rapide. Je ne veux pas que Massey m'entende. Une fois que mon interlocuteur m'assure qu'il fera ce que je lui ai dit, je raccroche. Je passe mes mains sur mon visage en soupirant longuement. Bon sang, depuis quand est-ce que je n'ai pas eu une journée normale ? Je me passe rapidement de l'eau sur le visage pour me réveiller. Je sens que la journée va être longue...

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