20.
CAMERON
Je sens avant même d'ouvrir les yeux qu'elle n'est plus présente. La place à côté de moi est froide et je suis déjà étendu dans le lit. Je ne suis pas habitué à dormir avec quelqu'un, si bien que je suis étonné de ne pas encore avoir écrasé Blessing. La situation serait amusante.
Un rire m'échappe alors que je passe mes bras derrière ma tête et contemple le plafond blanc de ma chambre. Il y a plusieurs fissures qui traversent la peinture. Ça pourrait faire peur à plus d'une personne ; je n'étais moi-même pas parfaitement serein à l'idée de dormir ici, mais j'avais besoin d'un endroit où rester, autrement j'aurais été contraint de suivre ma famille à New York. Honnêtement, ce n'est pas si loin de Miami. C'est simplement une trop grande ville pour moi. J'ai besoin de calme. De ne pas être tenté par la débauche des grandes villes.
Je soupire en pensant à ma sœur, livrée à elle-même dans la Grande Pomme. Je blâme encore mes parents pour tout ce qui lui est arrivé. Instinctivement, mes pensées se dirigent vers Blessing. Je ne sais pas où elle est, mais elle a dû prendre peur après ma réaction d'hier. Peut-être est-elle retournée chercher Jase ? Je me sens bien moins paniqué à l'idée qu'elle soit dehors en pleine journée, cela dit. J'ai peut-être réagi trop vivement, la veille, mais j'étais à bout. La journée avait été longue.
Je ne sais plus quoi faire pour qu'elle cesse de me repousser. J'arrive vraiment au bout de toutes mes tentatives d'approche. Je change de position, me mettant sur le ventre et plonge ma tête dans mon oreiller. Je dois arrêter de lui courir après. Il est temps que je prenne ma vie en main, que j'arrête de penser à elle avant de penser à tout ce que je dois faire. Cela fait des semaines que j'aurais dû prendre un billet d'avion pour aller voir mes parents. Tous les récents événements ont fait que j'ai préféré gérer ce qui se passe ici avant de partir, mais à ce rythme-là, je n'irais probablement pas de sitôt. Un grognement remonte le long de ma gorge et vient finir sa course, étouffé dans mon oreiller. En aidant Blessing, mes intentions ne sont pas si honorables : je me convaincs que je dois l'aider et que par conséquent je ne peux pas aller régler les problèmes de mes parents adoptifs. Alors que la réalité, c'est que Blessing ne dépend pas de moi. Elle est indépendante.
Je me demande encore dans quoi je me suis embarqué, lorsque la porte de ma chambre s'ouvre. Blessing passe l'encadrement avec un plateau dans les mains, contenant à peu près tous les aliments qui composaient jusqu'alors mon réfrigérateur. Un sourire étire instantanément mes lèvres.
— Que me vaut l'honneur d'un petit déjeuner au lit ? je lui demande.
Même si, en l'occurrence, j'ai plutôt l'impression qu'il s'agit d'un repas complet. Son innocence est une bouffée d'air frais. C'est rafraîchissant, mais aussi très déstabilisant.
— Je ne sais pas trop, en fait.
Elle se mord la lèvre inférieure et ce geste déclenche en moi quelque chose que je n'avais jamais ressenti en sa présence.
— Je crois que je voulais simplement te remercier.
— Je n'ai rien...
— Tu as fait plus pour moi que tu ne t'en rends compte, elle me coupe. Je crois que je refusais ton aide parce que j'avais peur de faire confiance à quelqu'un, mais je me suis aperçue hier qu'il était déjà trop tard, alors...
Je me fige un instant. Sa déclaration me surprend. Je tente tant bien que mal de croiser son regard, mais ses yeux restent baissés tout le long. J'ai bien entendu qu'elle me faisait confiance ?
— J'ai décidé de rester et de tout dire à Billie. Je compte aussi faire comprendre à Leila qu'elle n'a pas son mot à dire sur la vie que je mène et qu'elle peut bien aller se faire voir si elle compte me dénoncer, mais que je ne m'abaisserai pas à son niveau et que si je dois être renvoyée, alors je le serais parce que j'ai pris la décision d'être honnête, et...
Je l'arrête en m'approchant d'elle et en posant mes deux mains sur ses joues. Cela a le mérite de la déconcentrer de son monologue. Aussi, elle m'accorde un peu de son attention. Pendant un instant, je me rappelle qu'elle n'aime pas ça et je suis à deux doigts de retirer mes mains, mais je la vois fermer les yeux. Ce n'est ni de peur ni d'appréhension. Elle me fait vraiment confiance.
— Merci, je souffle.
— Pour quoi ?
Son ton est aussi bas que le mien. Ses sourcils sont froncés, mais ses yeux ne sont pas ouverts. J'en profite pour laisser mes pouces caresser ses joues. Je dépose un baiser là où mes mains me le permettent : d'abord sur son nez, puis au coin de ses lèvres.
Elle sursaute, c'est presque imperceptible. Sans lui laisser le temps de réfléchir, je retire mes mains et me lève, emportant le petit déjeuner avec moi dans la cuisine. Une minute plus tard, elle est de nouveau près de moi, les joues encore légèrement rougies. Cela me fait sourire.
— J'aurais voulu te préparer un chocolat chaud, mais je ne sais pas comment tu les fais.
Elle se mord à nouveau la lèvre et je ne peux plus supporter cette vue, alors je pose ma main sur son menton. De mon pouce, je libère cette lèvre maltraitée. Je ne peux en détacher mes yeux. Elle a de jolies lèvres pleines et roses, qui appellent aux baisers. Lorsque je trouve enfin le courage de la regarder, elle a de nouveau fermé les yeux. J'abuse certainement un peu de ma liberté nouvelle à la toucher, mais je ne peux m'en empêcher. Je vois que ça la déstabilise toujours alors je retire ma main et me tourne vers la machine à café.
— Personnellement, le matin, je bois du café, je lui souris. Mais je peux te montrer comment je prépare mon fameux chocolat, si tu en veux. Comme ça, les prochaines fois, tu sauras faire !
Son sourire est si grand qu'il me réchauffe le cœur. Je commence à préparer mon café d'un côté et un chocolat chaud pour elle. Je la vois suivre chacun de mes mouvements des yeux, et retenir l'emplacement de chaque ingrédient. Même lorsque je fais couler mon café, elle ne lâche pas ma tasse du regard. Elle fronce le nez lorsque l'odeur amère s'en échappe et elle sourit de toutes ses dents lorsque je lui donne une cuillère remplie de caramel et qu'elle la goûte.
*
Plus tard dans la journée, je dois retourner travailler. Blessing m'accompagne en vue de prendre son poste au Billie's Ice Cream. Une fois sur place, Billie est déjà en poste dans le restaurant et attendait probablement que j'arrive pour que je prenne sa place. Elle indique à Blessing qu'avec le temps qu'il fait, il vaut mieux qu'elle reste au restaurant pour m'aider, bien que Nelson ne doive pas tarder à arriver. En effet, le vent et la pluie qui font rage dehors ne doivent pas attirer beaucoup d'amateurs de glaces. Je souris en pensant que je vais pouvoir rester avec elle pendant tout mon service, puisqu'aujourd'hui, Leila ne travaille pas. Avant que Billie ne s'en aille, Blessing tente de discuter avec elle, mais celle-ci lui fait comprendre qu'elle est pressée et qu'elles parleront une prochaine fois.
Une fois changés, nous commençons notre service en reprenant les dernières commandes de Billie. J'ai déjà montré à Blessing comment fonctionnent la plupart des machines lorsqu'elle est venue m'aider pour faire mon service de la veille, mais lorsque je la vois à la machine à café, un petit rire m'échappe. Plusieurs voyants sont allumés et elle n'a pas l'air de savoir quoi faire. Je m'approche d'elle doucement, pendant qu'elle s'acharne sur le bouton qui est censé lancer les cafés. Une fois derrière elle, je tends mon bras près d'elle et lui désigne un voyant allumé.
— Tu vois ce petit voyant orange ? Il est là pour te dire qu'il faut mettre de l'eau dans la machine, je lui explique.
Je m'approche un peu plus pour pouvoir atteindre un autre voyant. Je l'entends retenir son souffle lorsque mon torse rencontre son dos.
— Et ce voyant, ici, te dit qu'il y a un problème de niveau de café. Il ne doit plus en rester assez pour lancer la machine, je continue en lui indiquant la petite trappe dans laquelle elle doit verser des grains de café.
Elle hoche la tête et dans un moment de confusion, elle tente de reculer, oubliant sûrement que je suis derrière elle, car tout son corps se colle au mien. Je passe une main sur sa hanche pour la soutenir afin qu'elle ne tombe pas. Sans que je ne sache comment, nos corps se rapprochent. Je baisse la tête dans son cou, étiré devant moi alors qu'elle regarde à gauche. Je soupire, et je vois un frisson parcourir son corps. Cela me fait sourire.
— Je...
Sa voix est tendue, rauque. Elle se reprend :
— Je crois que j'ai compris.
Je hoche la tête, murmure un « ok » et dépose un baiser sur sa joue avant de retourner à mes occupations. Je me dirige vers la cuisine quand je croise le regard de Nelson. Il vient vers moi, me donnant un coup de coude dans les côtes que je peine à éviter : il arrive directement dans mon ventre.
— C'était quoi, ça ? il me demande.
— De quoi est-ce que tu parles ?
— Oh, pas avec moi, Cam ! Je croyais que ça se passait mal, avec elle ?
Mon regard se dirige vers le sujet de notre discussion et je suis étonné de son professionnalisme. Elle sourit aux clients, discute avec eux tout en préparant leurs commandes. Je me retrouve à sourire comme un idiot et le poing de Nelson entre en collision avec mon épaule. Une plainte s'échappe d'entre mes lèvres tandis que je lui rends sa bourrade. Quel emmerdeur !
— Tu souris comme un con et tu la touchais comme si c'était ta petite-amie, alors je n'ai pas l'impression que ça aille si mal que tu le disais, il remarque.
La vérité, c'est que je ne sais pas ce qu'il s'est passé. Hier, elle était en colère et probablement confuse ; ce matin, tout était différent. Je ne sais pas ce qui l'a fait changer d'avis. Peut-être que le fait qu'elle ait dit me faire confiance a changé quelque chose. Pas uniquement dans son comportement, mais dans le mien également. Elle est plus réceptive, moins sur la défensive. Je ne peux m'empêcher d'en profiter de peur que ça ne dure pas. Je ne voudrais pas qu'elle se réveille un jour et qu'elle se dise que tout ceci est une mauvaise idée. Je n'ai pas envie de regretter de n'avoir rien fait pour la faire rester. Mon regard passe de Blessing à Nelson et je hausse les épaules à son intention. Il secoue la tête, dépassé.
La fin de journée défile à une vitesse phénoménale ; je ne vois pas le temps passer. Rapidement, il est une heure du matin et les derniers clients décident de s'en aller. Nous nettoyons les dernières tables ensemble, puis Nelson et moi nous occupons du comptoir et des machines pendant que Blessing s'occupe du sol. Une fois que tout est propre, nous nous changeons dans l'arrière salle. Nelson ne cesse de nous dévisager Blessing et moi, si bien que nous ne nous sommes plus trop approchés de la soirée.
Je remarque que lorsqu'elle ferme son casier, son t-shirt avec le logo du restaurant s'échappe et tombe sur le carrelage gris. Je suis prêt à le ramasser lorsque Nelson le fait à ma place. Il attrape le poignet de Blessing pour le lui rendre. Tout se passe très vite, aucun de nous ne s'attend à sa réaction. Un son perçant résonne pendant quelques secondes dans la pièce quasi-vide. Je pensais qu'elle commençait à s'habituer, mais elle se retourne rapidement et tire sur son bras avec force, détachant la main de Nelson. Simultanément, elle pose son autre main sur sa bouche, probablement pour empêcher son cri de se prolonger. Un long silence gêné nous tombe dessus. Nous nous regardons un moment sans comprendre comment la situation a pu dégénérer si rapidement.
— Je- je suis dé... elle commence.
— Non, la coupe Nelson. Ne t'en fais pas, c'est normal.
Il lève les bras en l'air, montrant clairement à Blessing qu'il ne lui souhaite aucun mal. Je ne pense pas qu'elle en doute, cependant. Sa réaction était trop spontanée, mais elle n'était en rien dirigée contre Nelson personnellement.
— Excuse-moi. Je voulais juste te rendre ton t-shirt, il est tombé de ton casier, il tente de se justifier.
Je fronce les sourcils quand je la vois mordre sa lèvre nerveusement. Elle tente un petit sourire à Nelson, mais il est si petit qu'il retombe immédiatement. Ses yeux sont si brillants que je remarque immédiatement qu'elle se retient de pleurer. Elle reprend délicatement son t-shirt et rouvre son casier pour l'y glisser, s'assurant qu'il ne tombe pas, cette fois. Elle ne regarde personne alors qu'elle quitte la pièce. Nelson se tourne vers moi.
— Je ne sais pas ce qui vous lie, tous les deux, mais bordel Cam... sans toi, elle sombrerait aussitôt.
Son expression est grave ; je suis toujours paralysé par le cri de Blessing. Je quitte mon t-shirt rapidement, enfilant mon pull aussi vite. Je ferme mon casier et tape l'épaule de Nelson.
— A demain, Nels.
Il me fait un bref signe de la main avant de fermer son casier à son tour. Je quitte rapidement le restaurant et quand j'arrive dans la rue, mes yeux scannent l'obscurité à la recherche de Blessing. Je ne la remarque pas tout de suite, mais je l'entends : des sanglots étouffés. Adossée à la façade, ses mains couvrent son visage. Je m'approche d'elle progressivement et une fois à sa hauteur, j'hésite à la toucher. Je pose néanmoins prudemment ma paume sur l'une de ses mains et entreprend de la baisser, révélant son visage. Elle ne bouge pas. Elle garde les yeux fermés jusqu'à ce que je prenne son autre main et la baisse également.
— Tu peux me parler, tu sais...
Je tente de faire résonner ma voix le plus doucement possible, pour ne pas la brusquer. Elle hoche la tête de façon presque imperceptible, puis elle ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Finalement, elle ouvre les yeux. Quand elle les plonge dans les miens, je vois ses larmes. Je vois tous ses tourments, ses doutes, sa déception. Plus encore, derrière tout ça je perçois de la reconnaissance. Un merci timide mais éloquent.
Mes mains, qui tenaient toujours les siennes, se détachent délicatement pour que je puisse venir les poser dans sa nuque, la rapprochant doucement de moi. Je ne sais pas comment, mais je sais que c'est ce dont elle a besoin. Elle le confirme lorsqu'elle s'appuie contre moi et laisse aller ses sanglots, la tête appuyée contre mon torse. Je resserre mon étreinte, passant une de mes mains dans ses cheveux et serrant sa tête contre moi. Je dépose mon menton sur ses cheveux et attend quelques instants qu'elle reprenne ses esprits. Je baisse ensuite mon visage au niveau de sa tête tout en lui caressant les cheveux doucement, dans une tentative désespérée de la calmer. Ses sanglots m'arrachent le cœur.
— Ça va aller, Bless.... Ça va aller, je murmure.
Après quelques minutes, elle cesse de pleurer et passe ses mains sur son visage pour effacer les quelques larmes qui y coulent encore. J'ai remarqué qu'elle ne m'avait pas pris dans ses bras, mais je sais à quel point c'est difficile pour elle, alors je ne dis rien.
— On rentre ? elle demande d'une petite voix.
Je ramène mes mains sur son visage, l'inclinant pour pouvoir la regarder. Ses yeux sont encore brillants, mais je n'y vois plus toute la peine que j'y ai aperçue plus tôt. Je souris doucement, passant une mèche de cheveux qui lui tombe sur les yeux derrière son oreille.
— On rentre, je lui dis.
Je commence à me détacher d'elle, lui laissant son espace personnel, lorsqu'elle lève les mains vers moi, hésite un instant, puis les passe finalement dans mon dos. Elle pose de nouveau son visage contre moi et je ne l'entends presque pas lorsqu'elle murmure un « merci », puis me lâche pour commencer à marcher sans que je n'aie le temps de lui rendre son étreinte.
Et ce sourire idiot apparaît de nouveau sur mon visage.
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