13.

CAMERON


Je suis couché dans mon lit lorsque tout à coup, des cris se font entendre dans la maison. Je me réveille en sursaut, une chaleur étouffante m'empêche de respirer correctement. Je tousse plusieurs fois, avant de porter ma main devant ma bouche. Les cris résonnent de nouveau et je me lève, ne voyant rien. Pour cause, une fumée épaisse virevolte autour de moi.

Cameron ! j'entends.

Mais je n'arrive pas à bouger. Je ne vois rien, alors je crie. Je crie sans ne plus m'arrêter et j'essaye désespérément de me frayer un chemin entre ces volutes grises et noires qui me barrent le chemin. Je tousse encore, j'étouffe. Je tente de crier à nouveau mais mes oreilles bourdonnent. Je n'entends plus ma propre voix. Lorsque je porte ma main à ma bouche pour tousser à nouveau, je me rends compte que je pleure. Cela n'arrange rien et ma respiration se fait encore plus saccadée. La fumée s'épaissit à vue d'œil et l'air se fait rare. L'oxygène me manque, je me sens tomber au sol.

*

Je me réveille en sursaut, le souffle court. Des gouttes de sueur tombent sur mon front et dans mon cou. Rapidement, je réalise que mon réveil sonne et je cherche mon portable partout avant de le trouver par terre, au pied du canapé. Je mets fin à la sonnerie et me recouche, passant mes mains sur mon visage et devant mes yeux, essayant désespérément d'estomper de mon esprit ces images qui me hantent encore. Je soupire. Chaque matin, c'est la même chose. J'ai l'impression de ne pas dormir, de vivre ce cauchemar. Encore et encore, sans relâche. C'est troublant, c'est horrifiant... ça en devient même réel. Et je ne comprends pas comment c'est possible, parce que jamais je n'ai vécu une telle situation.

Une fois que ma respiration a repris son cours, je prends soin de me lever lentement, regardant maintenant véritablement mon téléphone pour savoir quelle heure il est. L'appareil indique 6H00 du matin. Il faut que j'aille réveiller Blessing, pour ne pas la mettre en retard.

Quand je toque à la porte de ma chambre, je me rends compte qu'il y a de fortes chances qu'elle ne m'entende pas et qu'elle soit encore endormie. Alors j'ouvre la porte le plus doucement possible et la trouve, allongée, encore endormie et un léger sourire étendu sur son joli visage. Le fait de la voir aussi sereine m'apaise presque immédiatement. Je m'approche doucement et m'aperçois qu'elle s'est enroulée dans la couette bleu nuit, la serrant entre ses bras. Je souris et me penche légèrement au-dessus d'elle – assez pour pouvoir l'atteindre mais assez loin également, afin de ne pas l'effrayer au moment où elle ouvrira les yeux. Je l'appelle quelques fois en chuchotant, secouant doucement son épaule. Elle finit par émerger lentement.

— Bonjour, belle au bois dormant, je souris.

Elle fronce les sourcils un instant, les yeux toujours fermés. Puis, elle se relève d'un coup, m'observant avec des yeux paniqués.

— Tu n'as pas à avoir peur, je n'ai rien fait, je te le promets, je me justifie.

— Je...

Elle continue de froncer les sourcils, semblant se trouver dans la confusion la plus totale. Je peux lire de l'incompréhension dans ses yeux, l'espace d'une seconde et la suivante, je n'y vois plus rien. Elle a remis son masque.

— Tu pourrais me donner l'heure, s'il te plaît ? Je ne voudrais pas être en retard pour le travail.

— Il est seulement un peu plus de six heures, tu as tout le temps de te préparer, je lui souris. Je comptais même nous faire un bon petit déjeuner. Qu'est-ce que tu aimes ? Des œufs, des pancakes, un fruit, peut-être ?

Ce n'est qu'au moment où je la vois triturer nerveusement la couverture que je me rends compte de la stupidité de ma question. Elle n'a probablement pas souvent eu l'occasion de choisir ce qu'elle pourrait manger. Peut-être qu'elle n'a jamais goûté à la moitié des choses que tout le monde connaît. Je suis sur le point de m'excuser, lorsqu'elle me coupe avant même que je n'ai pu dire un mot.

— Hum, je prendrais ce que tu prendras.

Je la regarde un instant, essayant de savoir si je l'ai blessée. Mais j'ai l'impression que non, et elle reprend cet air indéchiffrable qu'elle a en permanence. Je finis par lui sourire et me dirige vers la cuisine, encore intrigué. Ce qui, je pense, n'est pas près de cesser.

*

 BLESSING


Lorsque Cameron quitte la chambre, je me reconcentre sur le drap qui passe entre mes doigts. Je ne sais pas comment je me sens, ni comment je dois me sentir, en réalité. J'ai fait ce rêve, ce magnifique rêve pour une fois, dans lequel j'avais cette vie parfaite. Une maison, des amis, un travail, je mangeais à ma faim et... j'avais Cameron. Et me réveiller ici, dans sa chambre ; l'entendre m'appeler de la façon dont il l'a fait...

Je soupire. Il est en train de changer tous mes plans, sans que je n'aie le temps de le voir venir et ça me terrifie. Je ne peux pas continuer de prétendre que c'est ma vie, ou que je resterai ici indéfiniment, avec lui. Ce n'est pas le cas, ça ne le sera jamais. Il m'aide temporairement, mais j'ai la terrible sensation de commencer à m'y habituer.

Je relève la tête un instant et regarde autour de moi. La chambre est claire, il y a peu de décoration, mais le bleu donne une certaine sensation d'apaisement. J'entends du bruit venant de la cuisine et une bonne odeur se répand dans la pièce. Je décide donc de me lever et de rejoindre Cameron.

Il faut que je mette les choses au clair, que je cesse tout ceci avant qu'il n'y ait pas de retour en arrière possible. Mais ai-je vraiment envie de revenir en arrière ? De retourner à cette misère, que je ne supportais plus depuis bien longtemps ? Bien sûr que non, c'est certain. Mais je n'ai pas non plus envie de tout chambouler en m'attachant à quelqu'un qui ne fait pas parti de mon monde.

Lorsque j'arrive dans la cuisine, deux plats sont disposés sur le comptoir et je m'approche d'un des tabourets noirs pour m'y asseoir.

— Finalement j'ai décidé de nous faire des pancakes. Tu verras, tu ne peux qu'aimer !

Je ne peux m'empêcher de le regarder et de me dire que j'aime vraiment ce sourire qui prend place sur son visage. Puis, après deux secondes, je me rappelle qu'il ne faut pas.

— J'aimerais... Il faut que je te parle, je lui dis alors qu'il dispose deux ronds parfaits dans chacune des assiettes.

Il se tourne vers moi et fronce légèrement les sourcils avant de, je pense, comprendre pourquoi je change d'attitude si soudainement.

— Écoute, Blessing, si c'est à propos du fait que tu sois restée dormir ici, je t'assure que ce n'est pas un problème pour moi et...

— Exactement ! je m'exclame, le coupant. Ce n'est peut-être pas un problème pour toi mais... c'en est un pour moi ; un gros. Je ne peux pas rester ici et faire comme si tout ça était normal, tu comprends ? Ce n'est pas ma vie et je ne veux pas dépendre de toi.

Je crois voir un éclair de tristesse parcourir ses iris. La dernière chose que je veux est le blesser. Il a fait tellement pour moi que je me refuse vraiment de lui faire du mal, mais je ne peux pas non plus le laisser faire tout ça et penser que c'est bon pour moi alors que ça ne l'est pas. Ça ne fait qu'empirer, que renforcer ce sentiment de nullité absolue que je ressens jour après jour.

— D'accord, il répond finalement. J'ai compris, j'arrête. Tu peux t'en aller quand tu veux, je ne te retiendrais plus.

Il baisse la tête et je ressens sa déception. Je ne sais pas ce qu'il cherche en m'aidant. Peut-être que, comme l'a dit Nelson, il cherche à s'aider en même temps, mais je n'y arrive pas, ça ne me convient pas.

Je hoche la tête distinctement et commence à faire demi-tour pour m'en aller, lorsqu'il m'interpelle.

— Sache que tu peux quand même revenir quand tu veux ; ma porte te sera toujours ouverte.

Je tourne lentement la tête vers lui et lui fais un léger sourire avant de quitter définitivement cet appartement.

Une fois dans la rue, je décide de partir directement au squat. J'ai besoin de voir Massey et Jase. Ils ne peuvent pas continuer à me reprocher le fait d'essayer, alors qu'eux ne font rien. Jusque maintenant, j'ai été la seule à leur ramener de quoi manger, ou à leur donner un peu d'argent, alors ils devraient plutôt me remercier. C'est pourquoi je compte bien avoir une discussion avec eux.

J'arrive finalement au squat après de bonnes minutes de marche et y trouve directement Massey. Je regarde autour de moi à la recherche de Jase, mais ne le trouve pas.

— Où est Jase ? je demande à Massey une fois arrivée à son niveau.

— Parce que tu t'en préoccupes ?

Elle me demande ça si froidement que je me demande ce qui lui prend. Elle ne m'a jamais parlé de cette façon, avec tant de rancœur.

— Mass, arrête ça, tu sais très bien que je m'inquiète pour vous !

— On ne dirait pas, pourtant ! dit-elle en me regardant droit dans les yeux.

— Depuis que je connais Cameron, depuis que j'ai ce travail, j'ai toujours tout fait pour vous aider et vous rendre la tâche plus facile et tu oses dire que je n'en ai rien à faire ?

Elle soupire et se laisse glisser le long du mur de briques, s'asseyant par terre et appuyant sa tête sur ses genoux. Après un instant de silence, je l'entends renifler et je me rends compte qu'elle est en train de pleurer. Je m'assois près d'elle et pose ma main sur son épaule, ne sachant pas quoi dire.

Avec Massey, ça a toujours été comme ça. Elle craque, parfois, mais il faut lui laisser le temps de se reprendre avant qu'elle ne puisse nous expliquer ce qui la met dans cet état. Elle n'est pas le genre de personne à qui il faut parler pour qu'elle aille mieux. C'est elle qui doit parler, tout lâcher, pour se libérer du poids qui l'encombre. Mais après de longues minutes, son silence commence à m'inquiéter. Je me rends compte qu'elle n'a jamais été blessée au point de me parler comme elle l'a fait et en ne voyant pas Jase arriver, je m'inquiète d'autant plus.

— Il... Bless...

Puis sans même continuer sa phrase, elle éclate en sanglots à nouveau. Et moi, je reste là, impassible et essayant de savoir ce qu'il se passe. J'essaye de rester la plus patiente possible, mais cette situation commence à me peser et je me demande réellement ce qui peut la mettre dans un tel état.

— Blessing, si tu savais à quel point j'ai peur, elle me dit.

— Peur de quoi, Mass ?

— Il... elle sanglote. On est venue me voir pour me demander où se trouve Jase et... j'ai... elle tente de reprendre son souffle. Bless, j'ai cru reconnaître une de ces personnes avec qui son frère passait tout son temps et... Je ne l'ai pas vu depuis et...

Elle ne parle plus, se contente de pleurer, et je comprends enfin ce qu'il se passe. Il semble que j'avais raison de m'inquiéter, car Jase s'est certainement mis dans les mêmes sales histoires que son petit frère, Lucas. À l'époque, on ne savait pas que ces histoires et ces personnes étaient dangereuses, mais lorsque Lucas rentrait couvert de bleus, ou voire ne rentrait plus du tout, on s'est rapidement rendus compte qu'il avait des problèmes.

Malheureusement, le temps que l'on trouve comment on pouvait intervenir pour l'aider, il était déjà trop tard. Le problème, avec ces personnes, c'est qu'elles ne te laissent pas de répit, elles ne te laissent pas t'en tirer. Une fois dans leur cercle, leur viseur, tu ne peux plus en sortir.

Je me redresse, ne comprenant pas comment Jase peut se mettre dans les mêmes histoires que son frère, alors qu'il sait très bien ce qu'il a dû endurer à l'époque.

— Il ne peut pas faire ça, Blessing, hein ? Dis-moi que ce n'est pas vrai, que j'ai dû rêver...

Massey sanglote toujours, perdue, certainement dépassée par tout ce qu'il peut se passer. Après tout, je la comprends. J'aurais pensé que Jase serait la dernière personne à se laisser entrainer dans des histoires pareilles. Mais apparemment, il faut croire que je ne suis pas la seule à décevoir des gens, dernièrement.

Je prends les mains de Massey dans les miennes et la relève, essayant tant bien que mal d'arrêter ses tremblements.

— Tu vas commencer par essayer de te calmer, Mass. Tu ne peux pas rester dans cet état. Viens avec moi.

Et malgré qu'une voix dans ma tête me répète sans cesse que c'est une mauvaise idée, je décide de l'emmener avec moi au North Paradise. Elle a besoin de se changer les idées et malgré que je refuse de me l'avouer, moi aussi.

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