12.
BLESSING
Lorsqu'enfin je baisse la tête pour regarder où je me trouve, je me rends compte que j'ai continué de marcher sans même m'en apercevoir. Je me tourne dans tous les sens pour essayer de savoir où je me trouve, sans succès. Qui sait, je suis peut-être condamnée à rester seule et perdue toute ma vie. À cette pensée, une montée de colère s'empare de moi. Je n'ai jamais su garder ce qui était bon pour moi, alors pourquoi y aurai-je enfin droit ? Je marmonne tout en continuant à marcher. Puisque je n'ai nulle part où aller, au moins, ça me détend quelque peu... jusqu'au moment où je me fais à nouveau bousculer et là, je ne peux retenir mes mots.
— Bordel, vous ne pouvez pas faire attention quand vous marchez ? Vous pensez être qui pour vous donner l'autorisation de bousculer des personnes dans la rue et ne même pas chercher à vous excuser ?
La personne se retourne à peine et ne s'excuse même pas, continuant son chemin comme si mes paroles n'avaient été qu'un simple petit coup de vent. Un lourd grognement m'échappe, tandis que je maudis cette personne. En voyant que ça ne sert à rien, je continue d'avancer, cette fois un peu plus rapidement.
— Blessing ? j'entends derrière moi.
Je m'arrête net dans ma marche et ferme les yeux avec force, ne sachant pas quoi faire. Pourquoi fallait-il qu'il se trouve ici ? Et en plus, aussi tard ? Je soupire un bon coup, puis me munis de tout mon courage afin de me retourner pour lui faire face.
— Hey... Cameron, je lance presque timidement.
Pourquoi j'ai cette impression de me sentir tout à coup si petite ? Je fronce les sourcils, déçue de moi-même ; je peux me mettre à crier sur le plus parfait des inconnus, mais lorsqu'il s'agit de lui, je perds presque tout trait de caractère et devient une petite fille timide, innocente et... perdue. Je le vois s'approcher doucement de moi.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? Seule ? il me demande.
Et au final, qu'est-ce que je pourrais bien lui répondre ? Je suis ici parce que je n'ai nulle part où aller, parce que je n'ai pas de maison, de chez moi, d'endroit sûr, où me réfugier ? Et pourquoi seule ? Parce que je n'ai personne, que mes amis me cachent des choses et se liguent contre moi ? Je ne peux pas. Je ne peux pas lui dire ça ; il me trouverait encore plus minable.
Alors, je me contente de baisser la tête et de me retourner, traçant mon chemin comme si je ne m'étais pas arrêtée lorsque j'ai entendu sa voix. Parce qu'elle devrait être celle d'un inconnu. Parce que, comme pour chaque personne que je croise dans cette rue lumineuse et spacieuse, je devrais juste continuer d'avancer sans me retourner. Parce qu'au final, oui, je ne le connais pas et je ne veux pas le connaître. Pas à cause de lui, ni à cause d'une mauvaise impression. Mais bien le contraire, justement. Il est trop gentil et je gâcherai forcément tout cela à un moment où à un autre ; je me connais. Alors je préfère avancer et n'avoir aucun impact dans sa vie. Pour le préserver, pour qu'il ne finisse pas comme moi ou comme ceux que j'ai connus.
— Blessing, arrête. Arrête de fuir ! il s'écrie.
Mais je m'en fiche, je continue d'avancer. Je ne veux pas m'attacher à lui. Voir en lui un sauveur, un homme si bon que j'en deviendrai dépendante.
— Blessing ! il continue de m'appeler.
Ne l'écoute pas, Blessing. Ne l'écoute pas, je ne cesse de me répéter. Je l'entends encore m'appeler et je prie pour qu'il cesse.
Puis, tout à coup, je sens qu'on attrape mon poignet. Sans réfléchir, je me retourne et au moment où je me décide à lui crier de me lâcher, je croise ses yeux suppliants. Sans savoir pourquoi ni comment, les larmes coulent de mes yeux fatigués et je me blottis dans ses bras, tandis qu'il me caresse le dos. Tout compte fait, j'ai bien l'impression que j'ai perdu.
*
Quelques minutes plus tard, je suis assise dans le canapé marron, douchée et portant un t-shirt et un jogging appartenant à Cameron. J'ai refusé de porter les vêtements de sa mère, mais pour être honnête, je ne me sens pas mieux en portant les siens. Seulement, je ne dis rien. Pas parce que je n'en ai pas envie, parce que très franchement, je ressens l'envie et le besoin de crier aussi fort que possible. En réalité, je ne dis rien uniquement parce que je n'en ai plus le courage. La fatigue commence à l'emporter.
Je soupire et détourne les yeux de la télévision qui est là pour tenter de me changer les idées. Il l'a allumée pour me faire patienter, probablement aussi pour me distraire, mais je ne la regarde pas. Ce genre de luxe ne m'intéresse pas vraiment. Mes doigts se lacent et se délacent depuis un moment et je ne trouve pas de façon de lui dire que je dois retourner au squat.
Lorsque mes yeux se portent sur la fenêtre, je remarque qu'il fait déjà nuit et je soupire. Je ne sais pas exactement depuis combien de temps nous sommes rentrés, mais cela doit faire un bon moment. Après plusieurs minutes dans le même silence, je le vois sortir de sa chambre, une serviette à la main et ne portant qu'un bas de jogging. Il éponge son torse encore humide à cause de la douche qu'il vient de prendre.
Je n'ai pas le temps de bien l'observer, car il vient s'écrouler dans la place libre près de moi et soupire avant de porter son attention sur la télévision diffusant un programme quelconque. Je bascule ma tête sur le dossier du fauteuil et ferme les yeux, tentant de trouver la force de lui dire que je dois partir de cet endroit si confortable et apaisant pour retrouver mon enfer quotidien, lorsque son parfum parvient à ma respiration irrégulière. Je me demande rapidement si moi aussi, j'ai ce parfum, et souris. Ça fait du bien, de sentir autre chose que la chaleur, la transpiration et l'odeur de l'eau salée.
— Tu vas bien ? il me demande.
À vrai dire, je ne sais pas quoi lui répondre. J'ai l'impression d'aller mieux que jamais et pourtant, je ne me sens pas réellement bien. Pas à ma place, pas dans mon environnement. Je me sens comme une étrangère, une intruse.
— Je ne sais pas... Je- je crois que je ferais mieux de partir, je lui réponds.
Mais il n'a pas l'air de cet avis car son regard –qui n'avait jusque-là pas quitté la télévision, vient se poser sur moi. Ses sourcils sont froncés et son regard en dit vraiment très long sur ce qu'il pense.
— Tu peux rester, Blessing. Je te laisserai mon lit et je dormirai ici, s'il le faut. Mais, crois-moi, je pense que tu as vraiment besoin de passer une bonne nuit paisible et je serais rassuré de te savoir ici, plutôt que je-ne-sais-où dans la rue.
Il me sourit et je serre les lèvres, ne sachant vraiment pas quoi faire. Ses yeux me supplient presque de rester chez lui mais je m'en veux d'abuser de sa gentillesse de cette façon.
— Si tu l'acceptais, je te laisserai même rester ici, je t'assure. Tu as besoin de changer d'environnement et de commencer une vie saine si tu souhaites aller mieux et tout recommencer. Tu es sur la bonne voie, mais il faut que tu apprennes à accepter l'aide de certaines personnes. C'est trop difficile, toute seule. Je ne doute pas de ta force, mais la plupart abandonnent... et tu es si bien partie que je ne voudrais pas que tu fasses l'erreur d'abandonner, toi aussi.
Ce qu'il me dit est peut-être vrai, mais je ne peux pas me résoudre à l'écouter. Je me suis promis d'y arriver par moi-même et j'ai l'impression de trahir cette promesse en le laissant m'aider à chaque fois.
— Ce qu'on peut faire, c'est que tu manges ici avec moi, il me sourit. Et après, une fois le ventre rempli, tu me diras si tu veux toujours partir.
L'idée est réellement tentante, alors je fais semblant de réfléchir en portant une main à mon menton et en levant les yeux. Il se doute de ce que je suis en train de faire et rit, m'emportant avec lui dans la cuisine.
— Bon, malheureusement pour toi, on ne peut pas dire que je sois un super cuisinier. On va se contenter de pâtes à la bolognaise, si ça te convient.
Il se tourne vers moi en disant cette phrase et attend certainement une réponse, mais je n'ai jamais eu l'occasion d'être difficile, alors je lui souris et il commence à préparer le dîner.
*
Je pose ma fourchette dans mon assiette vide et relève les yeux vers Cameron. Nous ne nous sommes pas adressés un mot. Et même si ce silence n'est pas gênant, il commence à me peser. Un bâillement m'échappe, alors qu'il finit lui aussi son assiette. Il sourit.
— Tu peux aller te coucher, Blessing, il m'assure.
— Je- je ne sais pas. Tu en fais déjà beaucoup pour moi, alors... j'hésite.
— Crois-moi, ce n'est rien pour moi.
Il se lève et débarrasse nos deux assiettes avant que je ne puisse faire un geste. Je me lève également et reste plantée là, ne sachant pas quoi faire.
— Alors ? il s'approche à nouveau de moi.
Je baisse les yeux et hausse les épaules.
— Juste cette nuit. Ensuite, on verra ! il pose ses mains sur mes épaules.
Je soupire et hoche la tête rapidement, pas trop convaincue.
— Bien.
Il m'accompagne dans sa chambre et prépare de nouveaux draps, même si je lui ai bien dit que ce n'était pas nécessaire. Une fois fait, il est prêt à quitter la chambre lorsque je l'interpelle.
— Je... merci, vraiment. Merci pour tout ce que tu fais.
— Ce n'est rien, il me sourit. Bonne nuit, Blessing.
Il quitte la chambre et je me retrouve dans le noir. Le matelas a l'air extrêmement confortable, il m'appelle. Je me jette presque sous les draps, après tout, personne ne peut me voir. Ils sentent bon. Je rabats la couverture sur moi et une fois que je suis bien installée, je ferme les yeux et me dis que, finalement, peut-être qu'il a raison. Peut-être que ce n'est pas si terrible, de faire confiance à quelqu'un.
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