Chapitre 7
De nous trois je suis, sans conteste, la plus fêtarde. À mon arrivée j'ai très vite ressenti le besoin de sortir pour me décharger du changement de vie. Notre repaire ? Le très détestable « Old Rabbit Club », généreusement surnommé « la tanière du lapin » par Ambre. Je préfère l'appeler le tunnel d'Alice. Car il a, effectivement, tout du trou d'un rongeur. Non, pas ce trou là. L'autre.
Pour y accéder, il faut descendre les quelques marches étriquées qui disparaissent sous la devanture d'un petit café spécialisé dans la vente d'Imagawayaki remasterisés à l'américaine (des petites pâtisseries rondes faites en pâte à crêpe et fourrés). Ces gâteaux sont une tuerie, surtout quand on sort bourré du bar souterrain et qu'une petite faim nous tenaille. Le souci, c'est qu'il est souvent fermé aux heures qui m'arrangeraient bien. Du coup, en général j'embarque un gâteau avant la soirée. Mais pas ce soir. Ce soir, je suis toujours barbouillée par les patisseries de l'après-midi. Seule une délicieuse bière sortie du boyaux qu'est la tanière du lapin saurait me soulager.
Ce que j'adore avec ce bar c'est qu'il ne paie pas de mine. Ni de dehors (où aucune enseigne n'informe à grande fanfare sa présence, au point qu'on pourrait croire qu'il s'agit juste d'une cave), ni de l'intérieur. En fait, il n'a pas grand-chose pour lui. Quand on entre, c'est sombre, étroit et presque glauque, on dirait un squat avec ses murs de briques et ses tags de lapins atteints de myxomatose. Ambre avait craqué la première pour les lieux, moi la seconde, mais aucune pour la même raison. Ce style macabre et malade, c'est tout à fait sa cam. Moi, mon délire, c'est son rapport à Alice au Pays des merveilles.
Quand on s'y aventure, on y manque d'air : trop peu de couleurs, trop peu de luminosité, pas de vision sur l'extérieur et une seule pièce en longueur du bar où deux petits culs peuvent se tenir de front sans toucher le mur froid et le bois. Enfin, un seul puisque les tabourets ronds prennent le reste de place.
Mais ça, c'était avant. Avant de découvrir qu'en se collant au mur, et bien, on y passe tout bonnement à travers. Ouais, trop cool hein ? Elisa m'a rapidement expliqué qu'ici, c'est le repaire des surnaturels du coin. Y en a plusieurs dans New York City, mais celui-ci est un des favoris car il refuse l'accès des humains. Si la déception n'est pas assez grande en passant la lourde porte de métal, ou l'agacement pas à la hauteur des prix des bières et qu'ils osent tout de même trainer leurs fessiers lambdas sur les tabourets, ils ne pourront, de toute façon, JAMAIS traverser le mur. Qui est, d'après Elisa, une barrière magique extra-sensorielle. En gros, elle bluffe tous les sens humains. Vue, toucher, olfaction et même auditif. Leur cerveau les persuade que le mur est tout à fait réel, bien solide sous leurs doigts.
Derrière le voile d'illusion, toutefois, les lieux ne sont pas forcément beaucoup plus accueillants que l'avant. Mais ils sont immensément plus grands, plus aérés et surtout sélectifs. Ici, inutile de faire semblant : si tu veux gueuler en montrant tes crocs de tigre sur un type à cause de son coup de coude dans les côtes, tu peux.
— Elisa, t'es de service bière ! je lui lance avant de prendre place sur ma banquette préférée dans un angle de la pièce.
Ici, tout est découpé en quartier avec des vitres transparentes isolées au niveau sonore qui permettent un semblant de tranquillité – et de vie privée – pour l'ouïe ultra-développée des garous. La musique y est basse dans la pièce, aussi douce que la luminosité. Ma sœur aurait apprécié l'attention, elle qui me reproche toujours de gueuler comme un – beau – putois et de lui briser les tympans.
— Encore ? C'était déjà moi !
— Le barman t'aime bien, on aura peut-être encore une réduc.
— Manipulatrice, soupire-t-elle avant d'obtempérer.
Presque une heure plus tard et deux grammes d'alcool dans le sang – d'accord, j'abuse un peu – me voilà partie dans une diarrhée verbale où je m'apitoie honteusement sur mon sort.
— Mais non, mais non, ne sois pas défaitiste, me tempère Elisa. On va te trouver une solution va. Yaya m'a dit qu'elle allait creuser ton cas.
— Qui ? je crie.
— Yaya. Yasmin.
— C'est mort, elle a dit qu'il me faudrait un miracle divin. DIVIN, tu entends ? Où je trouve ça, moi ? On est entouré que de gens qui se couvrent de fourrure et de sorcières qui ne jettent pas de sorts !
Si j'avais cru au début qu'un bar à créatures regrouperait tout un tas d'êtres fantaisistes, il n'en est rien : les surnaturels se composent majoritairement des thérianthropes et des sorciers. Même pas de vampires. Pauvre de moi.
— Heureusement qu'elle n'est pas là, elle serait blessée.
— C'est moi qui suis blessée, pleurniché-je en essayant de faire des bulles dans ma bière au trois quart vide.
Je mets quiconque au défi de tenter cet exploit et d'y arriver mieux que moi. J'aurais dû prendre une paille. Ah mais non, les pailles c'est le mal incarné : ça pollue.
— On pourrait aller chercher à la bibliothèque des réponses ? propose Ambre.
— Pas la peine, Karaen, la sorcière de ma meute, a déjà farfouillé dans celle de Londres qui, d'après elle, contient le triple d'infos magiques en comparaison de celle de New York. Elle m'a dit, pour être exacte « pas la peine de t'aventurer dans la bibliothèque de ces nouveaux nés culs-terreux d'Amérique, ce sont des navets en connaissances magiques. La magie est noble et âgée, rien à voir avec les vents qu'ils produisent ! ».
— Mais... C'est la même terre en Amérique ou en Europe... relève Ambre en fronçant les sourcils. C'est la même planète, je veux dire. Et les civilisations là-bas – enfin ici – sont aussi anciennes, voire plus, que chez nous. Non ?
— Pertinent ! la félicité-je. C'est exactement ce que je lui ai répondu.
— Et qu'est-ce qu'elle en dit ?
Je prends un air mystérieux pour répondre à la profonde curiosité d'Ambre.
— Que je faisais bien d'aller là-bas pour leur lécher le cul en direct, me rappelé-je avant d'exploser de rire.
L'expression perplexe de mes amies me coupe dans mon élan.
— Faut la connaître pour comprendre la blague, me vexé-je.
— Ah, parce que c'était supposé être drôle ? s'amuse Elisa en mâchouillant le bout d'une de ses atébas.
— Faut avouer que vous les anglo', vous avez parfois un humour sacrément gras, surenchérit Ambre.
— Oh-hé, les frenchies là, on s'allie pas contre moi, sinon vous dormez sur le balcon avec les chiens !
— C'est chez moi, me rappelle Elisa.
— Même mes chéris ne dorment pas sur le balcon, acquiesce Ambre.
Je vais pour leur répondre que c'est pas cool de s'associer quand ça les arrange, mais une ombre nous surplombe subitement en occultant le peu de lumière peinant à nous parvenir.
On lève toutes les trois la tête vers le type. Un grand gaillard en marcel appuie son poids lourd contre les parois de notre carré privatif, coupant une potentielle fuite. ça me fait penser que pour un garou un peu maniaque du contrôle, cette brèche est l'équivalent d'un cadenas pour la survie.
Heureusement pour moi, je ne suis ni maniaque ni paranoïaque. Par contre, s'il ne dégage pas ses miches fissa d'ici, pas sûre que ça fasse bon ménage avec la claustrophobie d'Ambre.
— Bonsoir les filles, dit-il d'un ton grave et roulant, son accent des pays de l'est particulièrement désagréable à l'oreille. Mes potes et moi on est nouveaux dans la ville, vous accepteriez qu'on se joigne à vous ? Histoire de papoter.
Quelque chose dans son regard de bovin ne me plaît pas. Et je ne parle pas de l'aspect disgracieux, hein, on n'a pas tous la chance d'être né avec ma beauté. Chacun ses qualités. Peut-être qu'il est bon pâtissier, qui sait ?
— Non merci, mon ourson, lui réponds-je en voyant qu'Ambre a plutôt l'air de vouloir le mordre et qu'Elisa fait sa tête de pas-concernée-merci-au-revoir. On est entre copines comme tu peux le voir ; on se passera de testostérone à étaler en confiture.
Ah, la politesse chez les jeunes, de nos jours ! Tout se perd !
Et la compréhension de l'humour de merde aussi, puisque le grand type aux poils pubiens dégueulant de son t-shirt ne paraît pas saisir ma réplique. Ou fait semblant de ne pas comprendre que je lui fais un très gros doigt indélicat par la force de mon mental. Un mental de chips, visiblement.
J'ai déjà dit que j'avais un humour pourri ?
— Aller, soyez sympas, on a un truc à vous demander.
Croyez-le ou non, mais le gars s'INCRUSTE. Juste comme ça, il glisse sur ma banquette avec son gros cul et joue à la boule de billard avec le mien, m'envoyant valser plus loin. Je ne sais pas s'il a saisi que de nous trois j'étais la moins balèze ou si c'est juste parce que la banquette des filles a moins de place. Toujours est-il que quand son deuxième pote apparaît et gobe le peu d'espace restant sur ma banquette, je suis collée au mur.
Hum. Y a des têtes qui vont voler. Où est Bastet ? Où est ma sœur ? QU'ON EMMENE LE BOULEDOGUE AVANT QUE JE LUI EXPLOSE LE NEZ DANS MON VERRE VIDE.
Non, je ne deviens pas violente quand j'ai trop bu. Promis.
— Ah ben voilà, c'est quand même plus agréable à plusieurs, non ? poursuit le gars en offrant le sourire le plus angoissant de la planète.
Il a une dent en argent. Mon. Dieu. ALERTE, LE GARS A UNE DENT EN ARGENT !
— J'offre la tournée les filles, vous voulez quoi ? propose le troisième lardon en coupant notre seule issue comme ses potes avant lui.
Au moins, celui-ci a une tronche normale. Commun, presque freluquet. On pourra peut-être le piétiner en sortant. Enfin, on aurait pu. Mais mon odorat de pacotille m'informe que nous n'avons pas affaire à des humains - en même temps, le contraire aurait été impossible. Ça m'aurait surprise en d'autres lieux. Ici ? À quoi s'attendre à part tomber sur trois garous, hein. Après tout, ils en ont la dégaine. Et l'haleine. Pardon, ça c'est méchant, mon adorable Aaron sent délicieusement bon. Raad aussi, avec ce fumet qui donne envie de...
Je me secoue. Non, zou, RAOUS ! Dégage de là, diabolique vision !
Je regrette aussitôt mon choix de pensée quand le torse du lion-garou apparaît sous mes yeux, sans un gramme de gras mais une multitude de vallons creusés par ses muscles. Lui n'a pas de poils sur le torse. J'ai précisé que je n'aimais pas les torses poilus. Argh. Est-ce que je bave ?
— Vous aussi vous n'êtes pas d'ici, hein ? Vous avez un visa pour quoi, des vacances ?
Au moins, ça a le mérite de me ramener au présent. Je jette un regard lourd de sous-entendus aux filles. Aucune ne répond. Je crois qu'on ne sait pas comment réagir sans mettre la pagaille.
La tension se déploie dans notre carré, palpable. Le mec, incapable de comprendre qu'il doit se taire et s'en aller, étend son bras sur le dossier du fauteuil en cuir, juste derrière moi. JUSTE DERRIÈRE MOI. Son odeur m'assaille, piquante, intrusive. Un fichu loup-garou, bien entendu. Je suis entourée de loup-garou et je parierais ma main qu'aucun de ces gars ne devine ce que je suis. C'est facile : ils ne me regardent pas. Ma condition a si peu de valeur à leurs yeux que je n'ai aucun intérêt.
Je prends une lourde inspiration pour me calmer. Et le regrette aussitôt. Ma poitrine se fait acier trempé. Il est trop proche, il sent trop fort. Quelque chose remue en moi. Je ne peux pas dire qu'il s'agit de ma Lactea Via étant donné que je n'en ai pas. Est-ce le Cosmos ? Je m'y pencherais bien dessus si seulement je ne devais pas rester concentrée sur le présent.
— Au cas où ça vous aura échappé, on est posées, entre filles, et surtout entre copines, susurre Elisa avec toute son amabilité. Et votre présence n'est ni souhaitée, ni recherchée. Merci d'aller voir ailleurs si on y est.
— Ooooh, allez quoi, les filles, on papote juste ! On vous tient un peu compagnie, c'est quand même plus sympa à plusieurs, hein ?
Et là, il fait l'impensable. Il met sa main sur mon épaule et me secoue pour me prendre à partie. IL ME TOUCHE ET ME SECOUE. Le con. En plus, il ne me regarde pas. Moi je le regarde bien, par contre. Ses joues couvertes de cratères me laissent penser qu'il n'est pas né garou. Les garous de naissances n'ont pas de boutons. C'est génétique, ils ont une peau parfaite. Sauf quand ils se battent et récoltent des cicatrices, bien sûr. Mais bref, pour obtenir un visage constellé de marque d'acné sévère, il faut avoir été transformé au cours de sa vie. Ce détail aurait pu me le rendre plus sympathique à mes yeux. Ce n'est pas le cas. Je n'ai qu'une envie : lui sauter à la gorge, le vider de son sang, le...
Une minute, c'est pas un peu violent pour moi, ça ?
Une bouffée de panique me saisit. Le temps que je braque mon radar interne pour repérer d'où vient cette envie de meurtre, la brume de conscience venue d'ailleurs a disparu. Sans emporter la trace de son passage. Raad.
Joder. Joder ! HOSTIA !
C'est définitif : la distance ne fait plus de miracle. Notre fichu lien se renforce de jour en jour.
— Sérieusement, on ne rit plus là, foutez le camp avant qu'on perde notre politesse, continue Elisa en me jetant un air si horrifié que je comprends qu'elle se fait des films sur mon expression faciale.
La grande gueule ne prend pas peur pour autant. Après un temps de réflexion, il carre les épaules - qu'il a si larges qu'elles m'avalent presque -, imité par ses deux acolytes, et l'ambiance électrique se transforme presque en champ de bataille. L'atmosphère devient difficile à respirer. Toute trace d'amabilité déserte les traits de nos sangsues ; le regard du type qui me tient se fait de glace et il me serre compulsivement contre lui – toujours sans me regarder, preuve que je suis une tapisserie...
Ah, ça y est, on se débarrasse des masques ?
— Bon. OK les filles, on ne joue plus.
— Ah parce qu'on jouait là ? ricané-je. Joder, vos jeux sont moisis les gars, vous étiez les seuls à vous marrer. D'ailleurs, tant qu'on parle de jeux, tu veux bien me lâcher ? Avant que je t'explose les dents pour rigoler ?
Le gars sursaute. Je rêve ou ce con vient de se souvenir de ma présence ? Je ne crois pas qu'il m'ait seulement écoutée, j'aurais aussi bien pu japper. Il me jette à peine un regard et lance d'un ton qui aurait fait fureur auprès d'un pauvre chiot :
— Tu n'es pas concernée par la discussion, on s'adresse aux grandes personnes là, aux vrais.
Intérieurement, je me visualise lui fourrer mon dessous de verre dans le gosier. En réalité, je me contente de pleurnicher :
— Pas une vraie personne ? Vous entendez ça, les filles ? Mais je suis faite en quoi, alors, en pâte à modeler ?
— Si c'était le cas, on t'aurait déjà enlevé la bouche pour obtenir le silence, lance Elisa, mielleuse.
— Tu t'ennuierais et serais obligée d'acheter un hamster pour lui faire la causette, réplique Ambre du tac au tac en ouvrant la bouche pour la première fois depuis plusieurs minutes.
Je la suspecte de se retenir pour ne pas faire de meurtre. Un, passe encore. Trois ? Impossible à camoufler.
Je gonfle la poitrine et fais un clin d'œil à Élisa qui secoue la tête en souriant.
— Ça suffit, gronde le loup-garou à côté de moi. Je crois que vous avez pas bien saisi à qui vous avez à faire. On n'est pas là pour vous proposer un rendez-vous galant...
Encore heureux.
— ... mais un job. Alors écoutez-nous bien...
Et là, il commet son énième erreur. Il tente une attaque frontale en se servant de ses capacités psychiques. Je le sais, je le sens. L'air paraît onduler entre lui et les filles. Cet idiot m'ignore encore, persuadé de mon inoffensivité.
Ambre se raidit. Ses yeux deviennent luminescents, faisant écho à ceux, d'un bleu éclatant, d'Elisa. Un rictus plus tard d'Ambre et c'est la pagaille. Elle saute sur la table à une vitesse incroyable, choppe le type à côté de moi par le col et lui balance un coup de poing dans les gencives. Le mouvement arrache le bras passé autour de mes épaules et je manque de me manger la table. Un cri retentit du côté d'Elisa, qui a frappé de son coude le garou proche d'elle.
Un branlebas de combat plus tard et la scène se retrouve figée, Ambre à quatre pattes sur la table, un couteau miraculeusement apparu dans sa main dont la lame est collée à la gorge du bourrin, et les deux comparses immobilisés dans la poigne de Charles. Charles, c'est le loup-garou à l'allure d'ours qui sert autant de barman que de videur. Le genre de gars qu'on ne veut pas froisser, avec sa tronche de hipster et son aura foisonnante de Leader. Je sais que c'en est un parce que ceux de la Meute Magister en ont une semblable. Enfin pas tous, certains savent parfaitement contenir leur puissance fourmillante sous leur épiderme. Mais chez Charles, je le soupçonne de s'en servir justement à des fins d'intimidation. Quand la clientèle est composée en grande majorité de garous, ça peut servir.
— M'sieurs, si vous voulez pas qu'vos visas de visiteurs sautent dans l'minute, j'vous conseille de laissez ces d'moiselles. Et d'quitter les lieux. Fissa.
Il termine sa phrase en balançant le premier type dans l'embrasure de notre carré et en tirant le second au nez ensanglanté, explosé par Elisa, hors de la banquette. Celui qu'Ambre tient en respect avec son canif hésite. Une seconde de trop pour Charles. Il tend son bras d'ours, attrape le gars par le col et parvient à l'extirper de sa place en le faisant voler par-dessus la table. Il rejoint ses comparses à la manière d'un pingouin sur la banquise. Quand il se redresse en sifflant, c'est pour se confronter à la muraille de Chine que forme Charles entre nous. Je ne vois pas l'expression de ce dernier, mais ressent bien les picotements de sa magie thérianthropique sur mes joues, à la manière d'un brasier en plein hiver.
— Dehors, les garçons. Soyez sur qu'vot' laissé passé ici vient d'êt' atomisé. R'foutez plus une patte dans mon pub ou j'vous dégage par les joyeuses.
Incapable de filer sans tartiner les lieux de leur égo surdimensionné, mon cher voisin nous invective de sa langue indubitablement natale :
— My vernemsya*.
— Mec, quand tu menaces les gens, assure-toi d'être compris, bouffon va, répliqué-je avant qu'il ne batte en retraite, contraint par le pas en avant de Charles.
Les trois types filent la queue entre les jambes sous le regard curieux des autres attablés. Ambre se laisse glisser de la table, reprenant la place du sale gars dans un soupir.
— Tu te balades avec un couteau, toi ?
— Quand ton style vestimentaire semble être une invitation à l'agression par les ratés que les villes se coltinent, t'apprends à t'équiper en toutes circonstances, répond Ambre en rangeant son canif dans la doublure de sa bottine.
Je grimace. S'il existait une politique Licorne et pets fleuris, je voterais pour elle à 300%.
— Ça va les filles ? demande Charles en coinçant sa carrure entre les pans de paroies insonorisées.
— Oui, merci d'être intervenu, lui sourit Elise.
— Pas d'quoi, la prochaine fois, hésitez pas à m'appeler, j'suis là pour ça.
— Tu les connais ? relance Elise, bien plus intime avec lui qu'Ambre ou moi qui le connaissons depuis tout récemment.
— No', mais leurs profils dans l'registre indiquent qu'ils sont p'tet en contact avec la pègre Russe. Donc j'les ai à l'œil quand y' viennent là. Y' ont d'jà enquiquiner des nanas une fois, j'sais pas trop ce qu'y cherchent au juste, mais qu'y aillent ailleurs pour ça.
Les thérianthropes en Amérique sont tellement modernes qu'on écope d'une application sur notre smartphone avec nos infos de surnat' à l'instant où on pose un pied à la douane. Si on se rend dans des lieux dédiés aux nôtres, on scanne un QR code, ce qu'on n'a pas manqué de faire à notre première venue au Old Rabbit Club. Un code barre qui m'a donné la sensation d'être une pestiférée dans un pays d'extrémistes. Elise m'a rassurée sur l'utilisation très limitée de mes infos personnelles, équivalente à celles qu'on retrouve dans le Registre thérianthropique Européen qui répertorie tous les garous. Bref, pas de quoi fouetter un chat.
— Ils comptent revenir nous voir, déclare Ambre, l'air de rien.
— Hein ? fais-je en cœur avec Elise. Comment tu sais ?
— C'est ce qu'il a dit avant de se barrer. «Nous reviendrons ».
— Tu parles Russe, toi ?
— Père Allemand, mère Polonaise... j'ai grandi à Berlin pendant l'occupation de l'URSS, prend-elle la peine de me rappeler. Tu dois savoir combien être polyglotte est une passion chez les garous.
— Ah.
Difficile d'ajouter autre chose.
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