Chapitre 20
Quand une main touche mon épaule, c'est à peine si je réagis.
— Ariel, chuchote avec douceur mon amie.
Elle me soutient pour que je me redresse dans ses bras, et je la sens passer un tissu autour de moi. Ambre me colle contre sa poitrine et lentement, la chaleur m'enrobe. Je me mets à claquer des dents violemment.
— Ça va ? demande-t-elle, l'inquiétude perçant sa voix.
— Comment tu m'as trouvée ?
— C'est pas moi, c'est lui. Grace à ton sang.
Elle se tord un peu pour m'indiquer du menton une silhouette reconnaissable non loin de nous. Logan. Son ombre est projetée par un lampadaire un peu plus loin. Je sors de ma léthargie lentement et regarde où on est. De l'herbe dans mon dos, des bancs en ribambelle devant moi, des lumières qui illuminent l'eau par-delà les gardes fous et, sur notre droite, un pont large et reconnaissable entre mille : Brooklyn Bridge. On n'est pas du tout du même côté que là où on a embarqué. Je suppose que je me suis fait tracter sur quelques kilomètres jusqu'à ce que le boss me tire les fesses de l'eau.
— Tu peux te lever ?
Je ne réponds pas, mais m'appuie sur elle tandis qu'elle utilise sa super force pour me remettre debout. Je tremble dans ses bras et marche à la vitesse d'un zombie au régime. On s'approche du Vampire qui fait demi-tour sans nous attendre et s'éloigne des quais pour rejoindre la rue passante. Je ne sais pas où j'étais fourrée avant qu'Ambre n'arrive, mais on croise quelques touristes, des couples et des amis, dont certains me lancent des regards étranges. J'ai eu de la chance de ne pas me faire enquiquiner. Maintenant que j'y pense, j'ai dû m'évanouir car je ne sais absolument pas combien de temps je suis resté prostrée sur le sol. Si quelqu'un avait cherché à me venir en aide, j'aurais eu du mal à expliquer pourquoi je suis nue et couverte de sang.
Le sang, d'ailleurs, a séché sur mes mains. J'écarte vaguement le tissu entourant mes épaules et m'aperçois qu'il s'agit d'un genre de plaid rugueux, ou peut-être un poncho. Dessous, des plaies éparses barbouillées de traces rouges tracent des lignes sur mon ventre plat. Je n'ai curieusement pas mal. Peut-être que je suis toujours en état de choc. Ou en hypothermie, vu comment je claque des dents et ne sens plus mes pieds.
— On est arrivé, courage, murmure Ambre.
Je réalise que je suis complètement avachie sur elle. Je racle presque le sol et mon amie supporte tout mon poids. Quelques secondes plus tard, l'esprit embrumé, je comprends qu'Ambre m'aide à m'engouffrer dans une voiture en me baissant la tête. Elle m'installe sur la banquette où m'attend un plaid divinement douillet. Je m'y enroule. Il est chaud. Je pousse un soupir d'extase. Le sang paraît affluer dans mes membres endoloris et glacés, et tout mon corps commence à me faire mal. Mes dents continuent de claquer un long moment.
Ambre m'enveloppe dans ses bras et je finis la tête sur ses genoux et le nez dans la couverture. Une porte se claque et je sens vaguement que la voiture se met en branle. Mes yeux papillonnent. Logan le vampire s'est installé face à nous. On est dans une limousine. Evidemment qu'on est dans une limousine.
— On va où ? demande Ambre d'un ton que j'ai du mal à discerner.
Mais je n'ai pas l'énergie d'y penser. Mon cerveau est aussi engourdi que mon corps.
— Où veux-tu qu'on aille ? fait la voix juvénile du vampire. Chez moi, dans une résidence que la Garde d'Alabaster ne trouvera pas.
Mon amie garde le silence et j'ai l'impression de plonger aussitôt dans les bras de morphée, jusqu'à ce que ses propos ne m'en extirpe :
— Je... dois récupérer mes chiens. Chez Elisa.
Elisa... Elisa !
Je sursaute mais n'ai pas la force de me redresser. J'ouvre les yeux en grands. Dans mon esprit, je demande à Ambre où est notre amie.
— On ne peut pas s'y rendre, ils y sont forcément à vous attendre, gronde le vampire.
— Je dois y aller, je ne peux pas les laisser seuls. Allons d'abord chez toi, puis j'irai seule.
Mingan Logan grogne. Je m'agite malgré l'épuisement et essaie à nouveau de parler. Ambre me caresse les cheveux.
— Chut, tout va bien, tu es en sécurité.
— Ely... chuchoté-je.
Ambre ne répond pas, pourtant cette fois je suis certaine d'avoir parlé à voix haute.
— Ils l'ont embarqué.
— Qui ?
— Les Albatros, qui d'autre ? marmonne le vampire.
— Comment... ?
— Ils vous ont suivi, répond hargneusement l'adolescent. Si vous m'aviez dit qu'ils vous collaient déjà au cul, j'aurais jamais accepté. J'ai perdu ma Demoiselle, je venais à peine de l'acquérir !
Il a de la chance que je sois dans cet état déplorable, sinon je lui aurais fait bouffer ses dents vampiriques pour s'inquiéter de son bateau plutôt que de mon amie !
— On n'imaginait pas du tout... commence Ambre.
— Ils pistent les émergences magiques de la ville. Chaque signal émis assez fort pour être perçu par leur radars suffit à envoyer une troupe !
— Si tu le savais, pourquoi tu nous as accompagné ? l'accuse Ambre.
Un marteau s'acharne derrière mon crâne si fort que je ferme les yeux pour me concentrer sur leurs paroles.
— Parce que la magie sourcière qu'à utiliser votre wiccan est trop faible. Et en étant sur l'eau, ils n'auraient pas dû nous sentir, encore moins nous trouver ! Mais ils n'ont pas eu besoin de la magie pour vous trouver, ils ont juste sagement attendu qu'on l'utilise pour nous coincer sous prétexte d'utilisation illégale. Vous vous êtes fourré dans ce merdier comme des grandes filles.
Je ne le vois pas, mais je perçois à son ton de voix qu'il se calme tout seul. À ma grande surprise, Ambre ne sort pas les griffes. Ses mains me caressent le front et les cheveux mécaniquement, par à-coups, exprimant ainsi le stress qui la parcourt.
— On ne savait pas, se contente-t-elle de répondre.
— Bon, maintenant qu'on a retrouvé ton amie, dis-moi pourquoi ils vous cherchent.
La louve-garou bouge sous ma tête et je la devine avoir haussé les épaules.
— On ne sait pas.
Ce n'est pas tout à fait vrai, Ambre suspecte forcément les activités illégales d'Ely d'être en cause.
Le vampire soupire. Le silence se réinstalle. Au moment où je me sens partir dans un sommeil profond, je me force à rester éveillé pour demander :
— Et Yasmin ?
— Ne t'inquiète pas, on s'est séparé pour gagner du temps mais elle ne s'est pas faite attraper, il n'y a que Ely qui est restée derrière pour nous couvrir...
— Qu'est-ce qu'il... ?
Je n'ai pas besoin d'en dire plus qu'Ambre m'explique ce que j'ai loupé. Quand ce saligaud de vampire m'a foutu à la flotte, elle et Elisa ont accouru. Ambre a sauté pour me rejoindre et Ely s'en est pris à Mingan. Quand Ambre est ressorti de l'eau en affirmant qu'elle n'arrivait pas à me trouver, un bateau est apparu comme par magie à coté de la Demoiselle et des projecteurs les ont braqués. On leur a ordonné de lever les mains et de se rendre, mais plutôt que de capituler, Ely a ordonné à Ambre de me retrouver et Mingan en a profité pour se carapater. Plutôt que de fuir, il a cependant aidé Ambre à sortir de l'eau sur le quai de Manhattan, puis ils sont partis à ma recherche, en utilisant le flair du vampire pour me pister comme un limier.
— Quelle idée foireuse j'ai eu, chuchoté-je.
La culpabilité me fait serrer les dents, et je dois prendre sur moi pour ne pas laisser éclater un sanglot de fatigue.
— C'est pas ta faute, on était toute d'accord pour t'aider. Endors-toi, va, on trouvera une solution pour Ely, j'en suis sure. En attendant on a besoin que tu sois au mieux de ta forme, alors dors.
Je me recroqueville un peu plus. Une pensée pour Volk me rattrape, puis l'image de notre princesse louve-garou en mauvaise posture traverse mes paupières. Putain, cette soirée est un fiasco total. Rien ne s'est passé comme prévu.
Ambre pose ses mains chaudes sur mon front et je la sens tenter de me transmettre un peu d'apaisement via son aura therianthropique. Une technique de garou qui, malheureusement, ne peut pas vraiment marcher sur moi étant donné que je n'en suis pas vraiment une.
Les larmes perlent à mes paupières et ma poitrine palpite. Je me sens mal. J'aimerais oublier la soirée ou remonter le temps avant notre fichue expédition. J'ai peut-être tué Volk avec mes conneries, et si ça se trouve, Ely est en train de se faire torturer pour je ne sais quel crime.
— Arrête Ariel, tu te fais du mal pour rien.
La louve-garou se penche sur moi pour déposer des baisers légers sur ma tempe et ma joue, pleins de tendresse, et je me retourne dans ses bras pour m'agripper à elle et me coller contre son ventre.
— Vous ne pouvez rien faire pour l'aider ? l'entends-je dire.
— Si.
Des pas légers me parviennent, puis un froissement attire mon attention sur le vampire qui se tient juste dans mon dos. Il se saisit de mon visage avec une certaine douceur qui me surprend de sa part. Quand il plante son regard rougeoyant dans le mien, ses pupilles se dilatent jusqu'à faire disparaître l'iris. Sa peau contre la mienne m'envoie des décharges. Elles cascadent dans mon corps et trouvent écho dans mes organes lorsqu'il dit :
— Dors.
Je jurerai qu'il ne l'a pas dit en anglais. Que c'est une langue étrangère que je ne connais pas et que j'ai pourtant réussi à traduire. Mais je n'ai pas le temps de me pencher sur cette étrangeté que déjà, ma conscience s'éteint.
J'ouvre des yeux ensommeillés sur un environnement sombre. La douleur irradie de chaque parcelle de mon corps. J'imagine qu'on ressent la même chose quand on se fait piétiner par un éléphant. Je me redresse et mon mouvement en provoque un autre : quelque chose vient soudain barbouiller mon visage d'humidité, ce qui a pour effet de finir de me réveiller.
— Beurk ! Loki !
Loki ?
Je m'assoie sur le siège de la limousine et laisse le lévrier mettre ses deux pattes sur mes genoux pour tenter une nouvelle attaque de léchouille. Je le repousse comme je peux jusqu'à ce qu'Ambre vienne à mon secours et ne s'en charge, sans déloger Rescue, la deuxième chienne, de ses propres jambes.
— Tu te sens mieux ? m'interroge mon amie.
— Mon cerveau semble à l'endroit, est-ce que ça compte ?
— J'aurais tendance à paniquer alors, puisqu'en règle général il est plutôt à l'envers.
Je cligne des yeux le temps que sa blague monte jusqu'à ledit cerveau. Puis je ricane et mime de lui porter un coup à l'épaule. La savoir prête à faire de l'humour me fait un bien fou.
— On est où ? Je ne vois pas Mingan.
— Il est dehors. Il vérifie que la voie est libre.
— Pourquoi ?
Ambre me regarde étrangement.
— Tu ne te souviens pas ?
— Me souvenir de quoi ? De la soirée bordélique ? Qu'Elisa s'est faite kidnapper et que mon boss est sans doute mort ? Je n'ai rien oublié.
— Non, je veux dire que tu t'es réveillée à plusieurs reprises pour nous supplier d'aller à la galerie.
— Oh.
Aucun souvenir ne me revient en mémoire. Je baisse les yeux sur ses chiens.
— Tu as pu les récupérer ?
— Oui, Mingan m'a aidé à faire diversion pendant que je les récupérais.
J'écarquille les yeux.
— Il a fait quoi ?
Elle hoche la tête avec une expression compréhensive.
— Oui, hein ? Finalement ce n'est pas un mauvais bougre, il n'arrête pas de nous venir en aide alors que ça ne lui apporte rien.
Je fronce les sourcils.
— Il a l'air d'être du genre à tout faire payer pourtant.
— Je suis d'accord avec toi, soupire-t-elle. Pour le moment, cela dit, je suis contente qu'on l'ait de notre côté, et je suis prête à en payer le prix plus tard.
— Tu as raison, il nous faut des alliés, surtout si on veut trouver une solution pour Ely.
Je me détourne et essaie de regarder au travers des vitres teintés de la limousine. Je crois reconnaître le quartier de la galerie de Volk. Mon cœur se serre. Il faut que j'aille voir. Je dois vérifier qu'il va bien. Seulement... je ne suis pas sure d'en avoir le courage.
Quand Mingan ouvre la portière pour passer la tête, son expression est sombre, tendu, presque sage. Il ne paraît pas le même qu'à notre première rencontre, avec son air sarcastique qui ne prend rien au sérieux.
— Tu peux y aller, à priori il n'y a personne. On monte la garde, mais je te laisse cinq minutes, après on s'en va sans toi.
J'acquiesce et me tourne vers Ambre, dont le mouvement a aussitôt attiré mon attention.
— Tu restes là, lui ordonné-je.
— Pas question, tu es encore faible.
— Non, je vais mieux que bien, et tu le sais. J'y vais seule, je reviens, promis.
Nous nous affrontons du regard, aussi farouche l'une que l'autre, mais Ambre capitule plus vite qu'avec Ely. Ely. Elle me manque déjà. Mais chaque chose en son temps ! D'abord, vérifier que Volk est vivant.
— Ariel... m'appelle Ambre d'un ton exaspéré tandis que je m'apprete à quitter la voiture.
— Quoi ?
— Tu sors comme ça ?
Je baisse les yeux pour comprendre ce que signifie le « comme ça ». En effet, sans doute pas à poil. J'attrape le plaid qui m'a rechauffé et m'en drape.
— ça fera l'affaire, je n'en ai pas pour longtemps.
La louve grogne pour montrer son désaccord mais me laisse partir. Je passe devant un Mingan stoïque traverse vite les quelques mètres me séparant de la boutique. À peine devant la porte, je réalise ne pas avoir les clefs pour rentrer.
Je jure à voix haute en donnant un coup rageur dans la porte qui s'entrebaille sur le coup. Je tire la poignée et la porte s'ouvre sans résistance. Il ne me faut qu'un instant pour constater que quelqu'un a pété le mécanisme. Un instant, j'imagine que les Albatros sont venu terminé le travail, puis mon regard est attiré par la silhouette de Mingan resté auprès de la voiture. J'arque un sourcil à son encontre et, comprenant où je veux en venir, il hausse les épaules avec un sourire et fait semblant de siffler en mettant les mains dans les poches.
Bah ! Ca m'arrange, s'il ne s'en était pas occupé, j'aurai dû le faire. Au moins, j'aurai une excuse pour accuser un autre quand Volk me demandera qui est le coupable.
Sans perdre plus de temps, je traverse la galerie plongée dans le noir sans prendre la peine d'allumer les lumières, puis passe la cour en coup de vent. Parvenue devant la porte de mon patron, je prends une grande inspiration en repoussant mon angoisse et entre.
Cette fois, je suis plus prudente et tend l'oreille, comme si un fantôme pouvait vraiment surgir pour me dévorer. En l'occurrence, je m'inquiète bien plus de me faire agresser par un chien noir pas content.
— Volk ? Patron ? Boss ? Allôôôô ? Vous êtes là ?!
Evidemment, rien ne répond. Je ne m'attendais pas au contraire, donc je m'empresse d'atteindre les escaliers. J'ignore pourquoi je snobe le rez-de-chaussée. Ni pourquoi la première chose que je vérifie se trouve le fameux tableau.
Le cœur battant la chamade et l'œil en alerte pour m'assurer qu'aucun regard luisant ne me guette de l'étage, je m'approche au plus près de la peinture plongée dans l'obscurité. J'aurais quand même pu allumer la lumière, je suppose, mais cette maison hantée me donne l'impression qu'il ne vaut mieux pas que je l'observe dans ses moindres détails.
Un soupire s'échappe de mes poumons en emportant toute la tension accumulée.
J'en étais sûre.
Le tableau est vide. Il n'y a ni chien ni homme. Rien qu'en décors au style gothique, un genre de salon, ou peut-être de boudoir d'un ancien temps. Je crois discerner un âtre vide – ou alors le feu et si abimé qu'on n'en voit plus ses flammes – et un bout de lit aux tentures rouges l'encadrant. En son centre, pourtant, je ne vois aucune silhouette.
C'est complètement improbable, sauf si le tableau est magique. Et magique, ça, j'en mettrais ma main à couper. L'inquiètude sourde qui me prend aux tripes m'encourage à me détourner de l'œuvre, et je termine de monter les escaliers jusqu'à l'étage pour en faire le tour. La maison est si vieille que le parquet grince à chacun de mes pas et que je sursaute à chaque ombre. En haut, je ne trouve qu'une salle de bain, une chambre tirée à quatre épingle et un bureau faisant office de biblithèque. Je n'ai pas le temps de fouiller les lieux pour en apprendre plus, mais tout est impersonnel et une épaisse couche de poussière recouvre presque tout ce que je vois, y compris la salle de bain. Pourtant, la porcelaine est impeccable, c'est à croire que Volk ne s'en sert jamais !
Cette fois, je ne tombe pas nez à nez avec le chien-fantôme. Je finis par redescendre – sans manquer de me planter une ou deux échardes dans la plante des pieds – et fais le tour du propriétaire d'en bas. Il y a aussi peu de pièces qu'à l'étage et la cuisine paraît aussi peu employée que la salle de bain. Avant de partir, consciente qu'il ne me reste que peu de temps, j'ouvre les placards : rien. Vide. Je trouve vaguement une boîte de café en poudre et du sucre, mais rien de plus. J'ouvre le frigo : vide. Après l'avoir contourné, je constate même qu'il est débranché.
C'est quoi ce bordel ? Volk m'a assuré qu'il n'est pas un vampire. Malgré tout, ce que je vois semble prouver le contraire. Quelle créature n'as le besoin ni de boire ni de manger ? À moins... À moins qu'il n'ait une armoire dans sa maison qui lui permet de traverser un portail ? Et de l'autre côté, se tient sa vraie maison ?
Je grogne de frustration en piétinant dans l'entrée. Une part de moi est soulagée de ne pas avoir trouvé le cadavre de mon patron, l'autre se demande si le contraire n'aurait pas été préférable. Et s'il a besoin d'aide mais qu'il me faut son corps pour l'aider ?
Prise d'une soudaine idée, je fonce aussi vite que je cours pour décrocher le tableau du mur. Je dois m'y reprendre à plusieurs reprises car l'accroche n'est pas habituelle, et qu'il paraît littéralement soudé au mur. Je commence à m'énerver dessus, me débarrasse de mon plaid, le saisi à deux mains et pose un pied contre le mur.
— À nous deux, fichu tableau. Un. Deux... trois !
Je tire de toute mes forces avec la croyance d'y parvenir. Dans un bruit sinistre de tissu qui se déchire et sous mon rugissement acharné, le tableau se détache d'un coup. Je pousse un cri et bascule dans les escaliers avec le tableau.
Entre les marches qui manquent de me briser des côtes et l'angle du bois qui m'entaille l'arcade sourcilière, je me sens tout de suite bien con. Je me redresse avec difficultés et lève les bras. J'ai détruit le cadre, mais la toile est intacte. Bon, espérons que Volk ne tient pas TANT que ça à cette œuvre...
— T'en as mis du temps ! s'écrit Ambre à l'instant où j'arrive dans le hall de la galerie. Mingan s'impatiente, il veut qu'on décampe maintenant.
Elle me rejoint en quelques grandes enjambée et m'entraine d'un bras passé autour de mes épaules.
— Qu'est-ce que t'as dans les mains ? Et ton patron, il est où ?
— Pas là en tout cas, soupiré-je sans opposer de résistance. Et ça c'est un tableau que je viens d'exploser en essayant de l'enlever de son mur.
— Et pourquoi tu voles ton patron pendant qu'il n'est pas là ?
Je garde le silence pendant que ses paroles me montent au cerveau.
— Bonne question, admis-je sans autres explications à lui fournir. J'ai juste eu le sentiment que je devais le prendre... c'est un tableau magique. La dernière fois que je l'ai vu, il y a avait le portrait de Volk, mais là il a disparu et...
— Tu penses que ça a quelque chose à voir avec ton boss, termine Ambre.
Je hoche la tête. On sort de la galerie sous le regard clairement agacé du vampire, qui nous ouvre pourtant la porte de son immense limousine pour qu'on s'y engouffre. Les chiens nous font immédiatement la fête et je me love sur la banquette en resserant les pans du plaid. Je ne m'étais pas rendue compte que j'avais froid.
— Explique moi pourquoi on est venu chercher ton patron, m'encourage Ambre, sa voix à peine accompagnée par le moteur silencieux de la berline.
Je soupire pour relâcher mon stress et lui relate tout ce qui s'est passé depuis le moment où j'ai percuté l'eau. Je ne manque pas de fusiller le vampire du regard au moment où je parle du risque encouru à cause de lui, mais il se contente de sourire en étendant ses bras sur le dossier des sièges.
— Conclusion, t'as failli me tuer avec tes conneries, accusé-je Mingan.
— On en aurait eu pour la nuit si je faisais votre méthode. Vous pensiez franchement qu'un Kelpie allait venir discuter avez-vous de votre problème ? Il n'a sans doute plus aucun contact avec les humains depuis des décennies, ou bien ceux qu'il a, c'est pour se nourrir. Les Kelpies ne sortent pas de l'eau car ils sont vulnérables dehors. Et qu'un Kelpie vulnérable est un Kelpie contrôlable. Votre wiccan m'a expliqué son histoire : s'il était vraiment au service d'une famille qui l'a abandonné ici, il ne doit pas être près à négocier.
— Et donc me balancer, moi l'humaine sans pouvoirs, pour l'affronter, c'était ça ta solution ?
— Tu as bien réussi à communiquer, non ? sourit-il de toute ses dents.
— Si tu appelles communiquer le fait qu'il a presque réussi à me bouffer, je suppose que oui, sifflé-je.
— Il t'a répondu, non ?
— Non, il a voulu ME BOUFFER, et j'ai failli y laisser ma peau ! me répété-je en hurlant presque. Qu'est-ce que tu ne comprends pas là-dedans ??
— Tu n'es pas une faible humaine, répond-il avec calme. Tu as accès au Cosmos et dans ton sang coule la magie sidhe. Ce n'est pas rien.
Je cesse de respirer.
— Elle a quoi ? demande Ambre à ma place.
— Comment tu sais pour le cosmos ? froncé-je les sourcils.
Les iris du vampire s'embrasent. Il pointe un doigt vers son visage, les dents étincelant dans l'espace sombre de l'habitacle.
— À votre avis, je suis de quelle origine ?
— Amérindienne, répond la lycanthrope du tac au tac.
— Exact, s'amuse le vampire. Et qui peut s'aventurer dans le Cosmos ?
Cette fois, mes sourcils doivent se toucher tant je réfléchis en plissant mon front.
— Les Therians, dis-je lentement. Et... les chamans ?
Mingan claque des mains plusieurs fois, les yeux pétillants, mimant un amusement que je suis certaine qu'il ne ressent pas. Il exprime ses émotions de façon si exacerbée ! Je me demande si ce n'est pas le fait d'être très vieux qui le pousse à se comportement de manière exagérée pour se fondre parmi les humains.
— Et les chamans, d'où viennent-ils à la base ?
— Des tribus indiennes, devine Ambre.
— Voilà comment je connais le Cosmos. Mon cerveau a beau être plus vieux que ce corps, je n'ai absolument rien oublié de ma première vie.
— Quand t'étais vivant, tu veux dire ? interrogé-je.
Il fixe son attention sur moi. Ben quoi ? Je n'allais pas louper cette occasion de me renseigner sur son espèce.
— Quand j'étais humain, réplique-t-il. Mon cœur bat. J'ai une âme – n'en déplaise à certains – et le sang coule dans mes veines. Je ne suis pas plus mort que vous ne l'êtes.
— Et du coup, l'interrompt Ambre. Qu'est-ce que t'as voulu dire par magie sidhe ?
Ah, oui, ça aussi c'est intéressant.
— Et ben, qu'elle a de la magie sidhe.
— Mais c'est QUOI ? m'énervé-je.
— C'est de la magie charnelle, une des premières sources de magie connue, celle qui coule en tout être vivant.
— Ben du coup, elle a quoi de particulier si elle coule en tout être ? dis-je, perplexe.
— En tout être primaire. La magie sidhe était la avant que l'humain n'existe, avant que ce monde n'existe, d'ailleurs.
J'écarquille les yeux.
— Wha, en gros j'ai supposément une magie ultra puissante en moi, mais je suis aussi forte qu'un poisson rouge ?
— C'est pas totalement vrai, me fait remarquer Ambre.
Le vampire se masse la nuque comme si la conversation commençait à l'ennuyer.
— Il n'y a que des traces, rien d'incroyable, ânonne-t-il avec désinterêt. Au mieux ça te rend sensible à la magie, et d'autres qui partagent ce type de sang peuvent être attiré par toi.
— Comme toi ? répliqué-je.
Son sourire refait son apparition dans son visage poupin :
— J'admets que j'ai beaucoup aimé te goûter, ce n'est pas souvent que je peux boire un breuvage aussi original.
— Ce que je retiens de ton blabla, c'est que tu as balancé mon amie sans être sûre qu'elle puisse se défendre contre le Kelpie, gronde Ambre, nous ramenant au sujet initial.
— Elle a accès au Cosmos et s'est transformé quand je l'ai mordue, autrement dit au moment où ses instincts magiques lui ont dit qu'elle était en danger. C'était évident qu'elle ne se contenterait pas de se faire manger par le Kelpie.
— T'avais aucune assurance !
— Promis, je ne l'aurais pas laissé mourir si les Albatros ne nous avaient pas interrompu, affirme Mingan en prenant une expression débordante de suffisance.
— En l'occurrence c'est ce qu'il s'est passé, et on n'est pas près de l'oublier.
— En l'occurrence, je vous aide, là, tout de suite, vous devriez ne pas l'oublier, répond-il sèchement en insistant sur les mots qu'il répète.
Ambre et lui se dévisagent en chien de faïence et mon regard alterne de l'un à l'autre. Je finis par soupirer en m'étirant de fatigue.
— Bon, tout ça ne règle pas notre gros souci. Mon boss a disparu – s'il n'est pas mort – et Ely est dans la merde. Sans compter qu'on n'a plus d'appartement. Alors, la question est : qu'est-ce qu'on fait ?
— On attend que le jour se lève et que mes indics nous disent où la Garde d'Albâtre à enfermé Ely, si toutefois ils l'ont enfermée. Et pourquoi.
Bien. Décidemment, on avait beau le détester, j'était bien heureuse qu'il soit de notre camp, ce satané Mingan. Ambre doit se faire la même réflexion, parce qu'elle se détend à son tour.
— Je propose aussi qu'on appelle ta meute, Ariel.
— Non ! sursauté-je. Hors de question qu'on les mette au courant de ce bordel !
Puis mon subconscient me souffle que la meute risque déjà d'être au courant d'un paquet de chose, étant donné que j'étais CERTAINE d'avoir eu la visite de Raad lors de mon agression.
Joder, on est dans la merde jusqu'au cou !
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