Chapitre 16


Mingan Logan n'a rien le temps de faire qu'Elisa s'interpose aussi sec entre la louve et le gamin monstrueux, bras écartés.

— Mingan, ce sont mes amies. Et tu n'es pas du genre à t'énerver pour si peu.

Ambre se décale avec une incroyable vivacité, mais se heurte au dos d'Ely.

— Ely, tire-toi de là !

— Non, Ambre, ça suffit ! tonne Elisa en faisant volte-face pour lui tenir tête.

Sa voix résonne et me file des frissons tandis que ses yeux brillent de l'éclat lupin et que son aura s'épaissit. Elisa laisse libre cours à la leader en elle, et Ambre fait de même. Les deux louves-garous s'affrontent avec la même férocité. Leurs énergies primaires me picotent la peau. J'ai toujours deviné qu'elles étaient toutes les deux des garous leaders. Les leaders sont ceux capable d'imposer leur volonté à certains garous plus faibles, ceux qui maîtrisent leur Anam Cara avec une précision de chirurgien. Le genre de garou qu'on ne veut surtout pas se mettre à dos.

Chez Ambre, ça se remarque au premier coup d'œil. Elle dégage ce je-ne-sais-quoi clamant « me fais pas chier ». Tandis que chez Elisa, c'est plus insidieux ; son autorité passe presque inaperçue avec sa douceur et cette discrétion qui la caractérise. Mais Elisa est la fille d'un Alpha Français et la nièce des garous à la tête de toute la France - rien que ça ! Elle descend d'une lignée d'une pureté exaspérante – si l'on écoute Ambre. En gros, Elisa est notre princesse. Une princesse avec des griffes effilées. Elles sont juste bien dissimulées les trois quarts du temps.

Je m'apprête à m'interposer physiquement entre les filles avant que ça ne dégénère – je n'ai aucune envie de savoir laquelle dominera l'autre dans leur bras de fer mental – quand Mingan se met à ricaner.

Son expression menaçante s'est volatilisée et c'est dorénavant de son air amusé qu'il nous observe. Je rêve ou il est carrément schizo le p'tiot ?

— Allons mesdames, je ne voudrais pas être responsable d'un bain de sang, surtout si je ne peux pas en profiter, sourit-il, et je constate que ses étranges dents ont disparues. Ely ma petite louve, je ne vais pas manger ton amie, et elle a raison : je vais vous aider.

Les deux lycanthropes se détendent manifestement, même si Ambre ne perd pas son regard de braise comme si elle s'apprêtait à tuer un dangereux serpent qui se serait glissé dans sa chambre.

— Mais tu connais mon prix et c'est non négociable. Ma dette t'offre le tarif ami.

Elisa soupire, puis hoche la tête. Elle nous jette un coup d'œil plein de dureté et nous préviens d'un ton sans appel :

— C'est moi qui gère, et ça ne me dérange pas, alors qu'aucune n'intervienne, c'est clair ?

Je hausse un sourcil et comprends presque aussitôt lorsqu'elle tend la main vers Mingan, paume vers le plafond.

— Fais vite, évite ton cinéma habituel, s'il te plaît.

Mingan sourit de toutes ses dents, et cette fois-ci, celles du prédateur réapparaissent. Il s'approche d'Elisa d'un pas glissant, mais plutôt que saisir son poignet, il le repousse.

— Ce n'est pas toi que je veux, dit-il avec l'air satisfait.

— Quoi ? s'étonne Ely en se tournant vers moi et Ambre. Non !

Un grondement de tonnerre s'arrache aussitôt de la poitrine d'Ambre. Elle s'amasse légèrement sur elle-même, prête à jaillir.

— Tu peux rêver, le môme, feule-t-elle.

— Rassure toi, ton sang ne m'intéresse pas, minaude le garçon avant de pivoter vers moi. Le sien, si.

Je m'immobilise net. Les informations montent à mon cerveau. Déjà, mon instinct a raison : ce garçon est bien un vampire, même s'il ne correspond en aucun cas à la description que je me suis faite de cette espèce. Ensuite, de nous trois, c'est MON sang qui l'intéresse ? Pourquoi, bordel ?

— Non, Mingan, attends, je ne suis pas d'accord, prends le mien, je...

Mais Mingan coupe Elisa sans même la regarder. Il m'observe. Avec une gourmandise qui se réverbère dans ses iris pas si noires que ça, d'une teinte un peu trop rouge...

— C'est son sang que je veux, petite louve. Je vous aide, mais je veux ce qu'elle a à m'offrir. Le sang de garou n'a pas de surprise pour moi. Et tu sais combien j'aime le bon sang.

Il a prononcé « le bon sang » comme on parlerait d'un bon vin, agrémentant sa remarque d'un mouvement de main vers les murs. Mon cœur cogne douloureusement contre mes côtes. Mon attention accroche les étagères de bouteilles sombres. Ce n'est pas du vin rouge.

C'est des putains de bouteilles de sang !

J'inspire profondément.

— D'accord, accepté-je.

— Ariel ! crient les filles en cœurs.

Je les fusille du regard.

— Vous me rappelez pour qui on est là exactement ?

Ma réflexion a le mérite de les faire taire. Alors je tends le poignet vers ce vampire des temps moderne.

— Pareil que Elly. Fais ça bien, vite, qu'on n'en parle plus.

— Oh, non, non, jamais la première fois, jubile le jeune garçon avec un air qui a tout du grand pervers. J'aime les préliminaires.

Ma respiration s'affole. Moi aussi j'aime ça, mais je ne suis pas certaine d'apprécier les siennes.

— Ariel, tu ne sais pas ce que tu fais, chuchote Elisa.

— Tu l'as déjà fait, non ? l'attaqué-je.

— Oui, répond-elle, presque timide.

— Y a des effets secondaires ?

— Pas sur le long terme...

— Des risques que je devrais connaître ?

— Je ne sais pas avec toi si c'est une bonne idée, avoue-t-elle en se dandinant. Ça peut causer une métamorphose sur un garou sans contrôle...

Mingan hausse les épaules.

— Rien qu'on ne puisse gérer, affirme-t-il en s'approchant de moi.

Ses yeux me brulent de leur intensité, son impatience débordant de ses prunelles. Je recule bien malgré moi de quelques pas, mais il s'arrête et indique d'un geste ample son canapé.

— Mets-toi à l'aise, la première fois ça coupe les jambes.

Je cherche Elisa du regard, prise de panique à l'idée que ce soit dans le sens littéral du terme. Elle me rassure du menton même s'il paraît évident que tout ça ne la réjouit pas. Ne parlons pas d'Ambre : ses paupières sont si écartées que son expression paraît absurde. Tous ses muscles sont prêts à céder, et j'imagine que la situation met ses nerfs à rude épreuve.

Les miens aussi le sont, si quelqu'un se le demande. Pourtant, je suis prête à tout. Donner mon sang à un vampire pour débusquer une créature irlandaise et essayer de briser un lien imbrisable, c'est totalement mon genre.

J'obtempère et me laisse donc finalement choir sur les coussins. Mingan vient s'installer sur le canapé, en tailleur. Il me sourit encore, et je jurerai qu'il essaie de me rassurer. Pourtant, ses quatre canines protubérantes me filent une froussent sans nom.

— Ca va faire mal ? couiné-je en interrogeant Elisa.

Elle secoue la tête avant de foudroyer Mingan de ses prunelles.

— Pas s'il fait ça bien.

— Je ne suis pas un de ces salauds qui prend plaisir à terroriser, tu sais bien.

Son ton est doucereux, mais dans sa bouche d'enfant, c'est juste trop bizarre. Je brandis mon poignet qu'il saisit avec une certaine forme d'admiration.

— Fais ton affaire, bébé vampire.

Son expression se ferme, devient presque cauchemardesque.

— Tu devrais éviter de traiter quelqu'un qui approche le demi-millénaire de bébé, gronde-t-il.

Il ouvre la bouche et plonge. Je pousse un cri avant même que sa mâchoire ne se referme sur la peau tendre de l'intérieur de mon coude. Passé la première seconde de surprise et l'élancement de douleur, un engourdissement s'empare de mon bras et remonte jusqu'à mon cou. Ma tête se met à dodeliner soudainement. Je m'affaisse sur le canapé avec l'impression que le salon se délite sous mes yeux. J'ai déjà fumé de la drogue douce et ce qu'il se passe me fait exactement le même effet. Je baisse les yeux sur garçonqui me suce le sang et remarque le pétrissage de sa main sur mon biceps. Ses yeux sont fixés sur moi et je remarque l'absence de pupilles. Ses iris paraissent deux puits profond vermillons qui cherchent à m'absorber.

La chaleur se repend dans mon corps à partir du point d'impact. J'halète. Je me sens bien, divinement bien... puis soudain mal, terriblement mal. Ma peau s'enflamme, mon cœur caracole à la manière d'un étalon sauvage cherchant à se rebeller. L'image prend vie devant mes yeux et l'espace d'un instant je vois un cheval se cabrer dans les airs. Un feulement lointain retentit. On aurait dit un très gros chat prêt à défendre son territoire. Je souris et pense à la lionne. Aussitôt, j'en visualise une se tourner vers moi au centre de la pièce.

Mes muscles se contractent. Le vampire prend une nouvelle grosse aspiration et c'est comme si je sentais mon sang quitter mon corps. Mon esprit fourmille, semble se dilater. Un brouhaha explose sous mon crâne et je reconnais ce son. C'est celui du Cosmos qui m'appelle. Je m'oriente vers ça.

La lionne est là et m'observe. Tout est sombre autour de nous. Pourtant des étincelles clignotent. Le silence est revenu. Elle retrousse les babines. Je m'accroupie.

— Aller, sois sympas Grincheuse.

Elle bondit et me heurte. Son esprit percute le mien et je prends une brusque inspiration hoquetante. Ma vision paraît se dédoubler quand je regarde le vampire, puis les couleurs changent. La lionne gronde dans mon esprit. Danger. Le grognement sort de ma gorge. Je montre les crocs. D'un coup, d'un seul tenant, je me propulse sur le vampire. Il me lâche et s'envole loin.

Mon corps frissonne. Une douleur lancinante me traverse de part en part. Attaquer. Tuer.

Nous nous propulsons en avons, tout crocs dehors.

— Ariel ! hurlent les humaines.

Nous bondissons sur le petit humain. Il se volatilise. Nous dérapons sur le sol et faisons demi-tour en rugissant.

— Bordel, fait une des humaines.

Pas humaine : Ambre.

Hé, doucement doux, grincheuse !

La lionne feule sous mon crâne.

Non mais ho, c'est qui la boss ici ?!

Elle feule de nouveau. OK, manifestement, pas moi !

Je force mon corps à s'arrêter. La frustration de Grincheuse me balance une sacrée migraine. Je secoue la tête.

Couché, vilaine fille !

L'esprit de la sauvageonne clignote, perd ses repères un instant. Ma vision se trouble. Le Cosmos brille à la manière d'une supernova en périphérie de ma conscience, pulse tel un appel à la lionne.

Nous chancelons. La lionne claque des dents mais son esprit se fait incertain. Puis, lentement, il s'effrite et me laisse seule sous mon crâne douloureux et dans un corps nu et frissonnant. Je m'assois par terre, à moitié sonné et les muscles pris de convulsions. Ambre dérape presque à mon niveau et son bras brulant s'enroule autour de mes épaules.

— Ça va ? s'enquiert-elle d'un ton alarmé.

— Ouaip, coassé-je avec la sensation de ne pas avoir prononcé un mot depuis des jours.

Un instant plus tard, Elisa nous rejoint en m'enveloppant d'une chemise hawaïenne. Tiens, j'en connais un qui a fini torse nu.

Je me mets à glousser. C'est irrépressible. Je me marre à m'en faire mal aux mâchoires, mes mains tressautant malgré tout l'effort pour les serrer autour du tissu me recouvrant.

— Ariel, murmure Elisa, le ton inquiet.

J'imagine qu'elle culpabilise.

— Ca va, fais-je en claquant des dents. Ca va. C'est juste que... c'est la première fois que j'ai un contact avec la lionne en étant réveillée. J'ai touché son esprit. Mieux, il a cohabité avec le mien l'espace d'une seconde...

— Ariel ? fait Ambre. Montre ton coude ?

Je baisse les yeux sur l'intérieur de mon coude où ne subsiste pas une seule trace du passage de canine aiguisées.

— La salive des vampires fait guérir ?

— Pas du tout, infirme Elisa.

Alors c'est l'intrusion de la lionne dans mon esprit qui m'a soigné. Whahou, trop cool !

J'affiche un immense sourire et cherche le vampire du regard. Je le trouve allongé sur le canapé, le regard perdu au plafond, une expression niaise flottant sur ses traits.

— Hé, le vampire, on peut recommencer ?

— Ariel ! s'exclament les filles en parfaite synchro.

Je grimace.

— Criez pas, j'ai la tête sciée en deux...

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