Chapitre 11

— Et là, PAF, j'ai senti la louve !

Elisa écarquille les yeux.

— Nooon ?

— Si, je te jure !

— Donc t'as réussi à te connecter au Cosmos ? me demande Ambre, faisant tourner son bock de bière entre ses longs doigts tatoués.

Je grimace.

— Ben non, en fait, juste la louve s'est ramenée, comme ça.

— Mais t'as eu une super force l'espace d'un instant ? me relance Elisa.

— Ouais, j'ai fait voler mon patron, haha.

— Et il n'a rien ?

— Non, mais tu sais, il est chelou, juste après il a fait un bond dans les airs digne de Thor, juste comme ça, propulsé par ses jambes. Je sais même pas si un garou sait sauter aussi haut sans élan.

— Mais c'est un garou, ton boss ?

Je hausse les épaules, bien incapable de répondre, puisque monsieur toujours ignoré mes questions concernant sa nature.

— Etrange. Peut-être que Yasmin le sait ? On n'aura qu'à lui demander quand elle arrivera.

Nous sommes toutes les trois installées au Old Rabbit Club, dans l'attente que la fameuse sorcière nous rejoigne, conviée par Elisa. Depuis qu'elle est revenue trouée par balle, Elisa se tient à carreau et nous a assuré que c'était fini pour un moment, les soirées extrémistes. La tension entre elle et Ambre est redescendue, et ça fait du bien.

Les filles continuent à émettre des hypothèses sur la brusque apparition de mon Anam Cara – si l'on peut l'appeler comme ça – quand Yaya débarque enfin. Elle nous rejoint avec un grand sourire et se débarrasse de sa petite veste en faux daim, se glissant aux côtés d'Elisa sur sa portion de banquette.

— Désolée du retard, j'ai un client qui m'a pris la tête à la fermeture. Mais hé, merci pour l'invitation !

Yasmin est fabuleusement belle et je me perds un instant dans sa contemplation tandis qu'elle fait voler le coussin molletonné de bouclettes lui servant de chevelure pour s'installer sans les avoir devant sa bouche.

— Quel genre de client ? s'étonne Elisa. Tes charmes marchent pourtant bien normalement ?

— Je n'avais pas eu le temps de les activer, soupire Yaya. Et puis, je doute que ça aurait marché, le gars était un garou. Enfin les gars.

Elisa fronce aussitôt son nez et son amie grimace.

— Attend, je commande ma boisson, j'allais justement te raconter l'histoire.

La wiccan se détourne de la table et lève la main pour faire signe au barman, à l'autre bout de la pièce. Je n'ai toujours pas compris comme il fait pour nous apercevoir dans l'entrebâillement des cloisons, vu l'obscurité des lieux, mais chaque fois il se ramène en quelques minutes. Une fois son verre en main, la jolie pakistanaise se penche vers nous en baissant le ton :

— Il te cherchait le gars, figure-toi. Un grand blond, baraqué, bien foutu, gueule de militaire, physique de tank, habillé comme pour un mariage... ça te parle ?

— Il avait un accent des pays de l'Est ? demandé-je.

Sait-on jamais. Mais Yaya se tourne dans ma direction et médite une seconde avant de secouer la tête.

— Non, non. Mais de toute façon, il s'est présenté comme... attend, il a dit genre, « Colonel Alabast »... ?

Elisa devint aussi blanche qu'un linge.

— Un Albatros ?

La bouche de Yaya forme un O de surprise tandis que les yeux d'Ambre l'imitent. Je suis à la seule à me trouver comme une con, alors je prend une mine éberluée et m'écris :

— Oh zut, les Albatros nous ont trouvées, fuyions avant qu'ils ne nous trouent de leur bec infâme !

— C'est pas drôle du tout, Ariel, répond sèchement Ambre, ce qui a le mérite de me faire taire.

Aouch, je suis blessée.

— C'est pas sa faute, je ne lui ai pas expliquée, intervient Elisa en posant sa main sur le bras d'Ambre. La Garde Alabaster est l'unité en charge des créatures à New York. C'est un peu la police des surnat' du coin, puisque les grandes villes sont souvent des plaques tournantes des non humain.

— Ouais, des garous quoi, fais-je mollement en jetant un œil exagéré autour de moi, rassemblant garou et quelques rares sorciers.

— Détrompe toi, ce n'est pas parce qu'ont ne les voient pas qu'il n'y a pas plus de créatures dans le coin. Mais bref, la Garde Alabaster se charge de réguler les entrées et sorties et c'est aussi elle qui est appelée pour régler les gros problèmes et éviter un coming out impromptus. Et les agents ont les appelles les Albatros, parce que leurs uniformes sont toujours en noir et blanc. Et aussi parce que leur sigle ressemble à un oiseau.

— Maintenant que tu le dis, je me sens encore plus bête de ne pas les avoir reconnus de suite, s'apitoie Yaya.

— C'est pas plus mal, tu aurais pu stresser et dire des choses que tu n'aurais pas dû, la rassure Ambre d'un ton morose. Ils ont dit ce qu'ils voulaient ?

— Non, juste qu'ils voulaient discuter avec elle et que je ferais mieux de transmettre le message pour qu'ils ne lui courent pas après...

Pas flippant les gars, je me demande ce que j'aurais fait à la place de Yasmin. Peut-être proposé une potion contre la constipation ?

— C'est étrange qu'il vienne à la boutique et pas chez nous, non ? relève Ambre. Il doivent avoir ton adresse.

— Ils sont peut-être passés quand on n'était pas là... répond distraitement Elisa, son expression s'assombrissant de minutes en minutes.

— Et du coup, éclairez ma lanterne, pourquoi on panique ?

— La Garde Alabaster ne cherche pas n'importe qui sans raison, me répond Elisa, toujours plus lugubre. En plus, le lendemain de notre altercation au hangar ?

— Vous avez laissé un garou derrière vous ? s'horrifie Ambre.

— Mais non !

Je lève les yeux au plafond. Ah, c'est bon, ça ne va pas recommencer !

— Bon, les filles, pas besoin de se prendre le Polochon, hein ? On verra bien quand ils nous tomberont dessus. En attendant, Ely, fais peut-être en sorte de ne pas sortir seule ? Ne sait-on jamais qu'ils te fourguent dans une cave pour te torturer et t'extraire des infos que tu n'as...

Je me tais. Elisa devient verdâtre et son regard est délavé. À côté, Ambre me fait signe de couper le son en faisant la moue.

— ... pas. OK, c'est le genre de chose que cette organisation peut faire ? deviné-je en grimaçant.

— Et encore, il paraît qu'ils déconnent encore moins avec les étrangers, rajoute Yaya en poussant un long soupire qui se veut compatissant.

Elisa s'éclaire la gorge :

— Bon, Ariel a raison, on va pas en pondre un œuf avant même de savoir ce qu'il retourne, alors changeons de sujet ! Parlons de Volk, tiens...

Et elle embraye aussitôt sur ma petite altercation avec mon patron, prenant Yaya à partie pour obtenir des informations. Pas de bol pour notre curiosité, Yaya ne sait rien du tout si ce n'est qu'il appartient bien à la Meute Scarlatti et qu'il se murmure à son sujet qu'il n'a pas le droit de quitter sa boutique. Ce dernier point fait tilt dans mon esprit, et je me promets de vérifier cette légende urbaine dès le lendemain. J'en profite pour lui faire part de la vision de ce chien dans la galerie. Mais son explication est plus foireuse que mes idées :

— Peut-être que tu es devenue sensible aux ectoplasmes ?

— Genre, tu penses que je vois des fantômes ? ricané-je. Et du coup, le seul que je vois est un chien dans une galerie, qui paraît plus vrai que nature. Je vais méditer sur cette probabilité.

— Désolée, je ne sais pas ce que ça peut être d'autre. Ah ! J'y pense, j'ai réfléchi à ce qu'on se disait l'autre fois, concernant ton... petit problème ?

Je me redresse sur mon siège, toute ouïe.

— J'ai eu une idée, poursuit Yasmin. Cette histoire comme quoi c'est d'un dieu dont tu avais besoin pour exécuter un miracle, ça n'a pas arrêté de me tourner dans la tête. Bon alors, je pense qu'il n'existe pas de dieu avec lequel on puisse communiquer, mais ça m'a rappelé des légendes de créatures très anciennes qu'on pourrait trouver dans le coin. J'ai donc appelé mon père, un grand féru d'histoire, pour lui demander conseil.

Mes coudes cognent contre la table pour supporter le poids de ma tête installée sur mes mains croisées, toute absorbée par ses paroles que je suis.

— Figurez vous que dans la communauté irlandaise installée dans les parages, ils aiment bien se raconter de vieilles histoires. Le fait que certains garous soient encore en vie pour en parler doit jouer, mais bref, quand je lui ai demandé s'il ne connaîtrait pas des êtres magiques anciens et puissants, il a pensé au kelpie. Il se murmure qu'au 19e siècle, une famille irlandaise immigrée aurait réussi à ramener un kelpie capturé avec eux lorsqu'ils ont fui leur ferme à cause de la famine. Un kelpie qui aurait recouvert sa liberté lorsque la famille est décédée sur Ellis Island.

— Quand tu parles de kelpie, je suppose que tu parles pas du chien, mais du cheval aquatique du folklore gaélique ?

Yaya opine du chef.

— D'accord, et à quel moment un cheval magique peut m'aider avec mon problème de lien de vie ?

— Les kelpies sont supposés être des Faes, ils ne viennent pas de notre monde, mais certains sont restés coincés ici. Ils sont immortels : plus magique et ancien, je ne vois pas.

— Oui enfin là, tu nous parle d'une légende urbaine, soupire Ambre, clairement sceptique. Et de mémoire, les kelpies noient les gens, ils ne les aident pas à régler leurs problèmes.

— Je suis d'accord avec vous, mais à moins d'avaler les kilomètres et de parcourir l'Amérique à la recherche de créatures plus puissantes, autant commencer par-là, non ?

J'échange un regard avec Ambre et Elisa, consciente qu'aucune de nous ne semble trop croire à cette histoire.

— Et ton kelpie, on le trouve où ?

— Dans la baie, sans doute autour d'Ellis Island... je ne sais pas, il n'a pas été aperçu depuis longtemps.

Ah, ben ça commence bien si on ne sait pas où chercher.

— Par contre, même en sachant où chercher, ça risque d'être compliqué, expose Yasmin en s'agitant sur le siège. Il y a plusieurs critères pour réussir à l'attirer. Déjà, on doit aller sur l'eau, et pour ça il nous faut un bateau et un pilote. Personnellement, je ne sais pas naviguer, et je n'ai surtout pas les moyens de louer un truc assez grand. Donc, il nous faut de l'argent, beaucoup d'argent.

Ambre et moi nous tournons de concert vers Elisa.

— Quoi ? Non mais, vous me prenez pour une poule aux œuf d'or ?

— Une poule je sais pas, se moque Ambre. Mais pour une poulette friquée, carrément.

— Non mais ma fortune familiale ne me... bon d'accord, grogne-t-elle en apercevant mon expression avec mon sourcil arqué sur mon front. J'ai compris, je m'occupe du blé. Mais je ne sais pas non plus naviguer.

Moi non plus, et au vu de la tronche d'Ambre, il en va de même pour elle.

— Votre chauffeur sera le dernier de vos soucis si vous voulez mon avis, reprend Yaya. Si je pense pouvoir concocter un sort qui l'attire, à en croire les légendes, les kelpies s'approchent davantage des enfants dont ils se méfient moins.

— Ouais, c'est plus facile à bouffer, remarqué-je.

— On ne peut pas prendre un enfant avec nous, c'est trop dangereux ! s'offusque Elisa comme si je venais de proposer qu'on en embroche un sur l'avant du bateau.

— Bien sur qu'on ne le fera pas, l'apaise Ambre. On va déjà essayer avec les moyens du bord. Par contre, je suis la seule à penser au fait qu'on cherche à invoquer une créature en plein milieu d'une baie envahie par les touristes alors qu'on a vos fameux Albatros au cul ?

Le silence plane au-dessus de notre petite tablée, et je constate tristement qu'il ne me reste plus rien dans mon verre pour agrémenter cette pertinente réflexion. Une idée surgit soudain dans mon esprit.

— À quel point t'es douée pour les sorts ? demandé-je à Yaya. Tu pourrais nous rendre invisibles ?

Yasmin se tourne vers moi et me détaille de ses yeux ronds, sans doute pour déterminer si je suis sérieuse.

— Ben quoi, la sorcière de ma meute, elle sait faire...

— Et si on y va la nuit ? propose Ambre.

— On sait pas ce qu'on va trouver, retorque Elisa. Imagine que ce soit un cheval immense et lumineux ?

— Les gens croiraient avoir vu un patronus, sourit Yasmin en m'éblouissant de sa beauté l'espace d'un instant. On pourrait prétendre à des effets spéciaux...

— Yasmin, la coupe Ambre, tu devrais pouvoir créer de la vapeur d'eau, non ?

— Bien sûr, l'eau est un élément et c'est assez simple à...

— Avec toute l'eau de la baie, il suffit de nous plonger dans le brouillard, affirme Ambre. Si on attend une nuit bien nuageuse, en ajoutant de la brume, on devrait pouvoir passer inaperçue même en cas de bazar magique.

— Ambre, si belle et si intelligente, épouse-moi, badiné-je en m'accrochant à son cou pour tendre exagérément mes lèvres vers sa joue..

— ça peut se faire, réfléchit Yaya. Mais ça ne règle pas le souci de l'enfant.

— Ariel fera bien l'affaire, on n'y verra que du feu.

— Hé ! m'offusqué-je en donnant un coup dans l'épaule d'Ambre. Je retire ma demande en mariage.

Elle m'offre un sourire en coin.

— Qu'est-ce qu'elle a, la gamine, elle cherche les ennuis ?

Je lui tire la langue, un instant avant qu'Elisa n'attire notre attention en levant la main à la manière d'une élève en classe.

— J'ai une idée pour l'enfant et le chauffeur, fait-elle lentement, prudemment, en évitant notre regard. Mais ça va pas vous plaire.

Miam, j'adore quand on fini une phrase par ce genre de chose.

[1] En Français.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top