Dystopie ( en projet )
Clip, clap, clop, clip, clap, clop, clip, clap, clop. Tel est le bruit des gouttes qui s'écrasent sur le sol. Le gris du ciel s'accorde à merveille avec le monde monotone dans lequel nous vivons à présent. Tout est triste : le temps, les gens. La pluie remplace les larmes de ceux quine peuvent plus pleurer. Et les sourires d'autrefois ont laissé place à des mines maussades, sans expression.
Pourquoi devrions-nous sourire ? Nous ne sommes pas heureux dans ce nouveau monde. Nous pourrions faire semblant mais pourquoi faire ? Nous pourrions pleurer, mais dans quel but ? A quoi cela nous mènerait-il? Nous pourrions protester contre le nouveau gouvernement mais nous finirions au bout d'une corde accrochés avec tous les malheureux qui ont voulu se faire entendre dans ce monde de sourds. Nous ne serions que des cadavres de plus dans ce monde de morts-vivants.
A travers la fenêtre entre-ouverte, j'observe les rues. L'air humide et frais du mois de novembre pénètre dans la pièce et me rafraîchit. L'odeur de l'humidité remplit mes narines. Les clapotis de la pluie se confondent avec le bruit coordonné des pas des soldats. Boum, boum,boum, boum. Un pied après l'autre, pied droit après pied gauche,enjambé après enjambé et toujours dans le même rythme, ils déambulent dans les rues l'arme à l'épaule par rangs de trois.Leurs visages sont cachés par une épaisse cagoule en laine noire qui laisse seulement entre apercevoir leurs grands yeux ronds. On dit que les yeux sont le miroir de l'âme. Ici, ce ne sont que deux orbites, sans aucun reflet. Habillés de noir en combinaison complète, ils sillonnent les alentours et font régner l'ordre. Ils peuvent ouvrir le feu quand bon leur chante; sans vraiment de raison.Leurs armures en acier noirs et leurs immenses gilets pare-balles les rend invincibles. En avant de la troupe, un peu en retrait, se trouve leur commandant. Grand et imposant, il est encore plus effrayant que les autres. Tel un berger, il conduit son troupeau de soldats vers la pâture qui, ici, n'est autre que les rues de la ville.
Les passants leur cèdent le passage et s'arrêtent parfois pour leurs laisser le trottoir. Il est impossible de ne pas les remarquer. Celui qui refuse de bouger ne bougera plus de toute sa vie.
Le clocher de l'Église sonne, c'est l'heure de la messe générale. Cinq coups pour une messe classique, sept coups pour une messe avec le Guide et treize coups pour une messe avec châtiment. Aujourd'hui, c'est treize. Nous allons devoir '' juger '' un traître au gouvernement.Aussitôt que les cloches s'arrêtent, Sœur Anna frappe à la porte et rentre immédiatement sans même avoir mon autorisation '' Rose,prépare-toi nous allons à la messe. '' Je ne prends pas la peine de me retourner et la laisse repartir sans effort.
Rose, peu de gens m'appellent ainsi. Rose est mon ancien prénom, celui que je portais dans l'ancien monde. Aujourd'hui je n'ai plus de nom, seulement un numéro. Celui qui est tatoué à l'intérieur de mon poignet gauche et sur ma carte d'identification. Inscrits à l'encre indélébile noire, les chiffres 7,6,3,9 se succèdent pour former le matricule 7639. Mon nombre d'identification. Mon identité. Il y a peu, le tatouage n'était pas obligatoire. Vous étiez identifié dans le registre grâce à votre carte. Mais le récent gouvernement avait quelques défaillances et le vol des cartes était courant pour passer la frontière clandestinement. Très vite, le tatouage est devenu un passage obligatoire pour tout le monde à partir de l'âge de dix ans. Les prénoms sont interdits. Seul une classe d'élite ale droit d'en porter un. Ils sont signes d'intelligence et de pensée.Et penser, c'est mal.
J'embue la vitre à l'aide de mon souffle et trace avec mes doigts quatre lettres distinctes R,O,S et E. J'observe le mot qu'elles forment et l'efface d'un revers de la manche. Comme un enfant qui a écrit une bêtise et ne veut pas se faire prendre, je fais disparaître mon prénom immédiatement. Il ne reste que des traces de doigts et des lignes sans continuité. Rose n'est plus qu'un fantôme parmi tant d'autre :Lindsay, Tess, Agathe, Dylan, James, tous des spectres du temps passé.
Je quitte ma chambre, ferme la porte et, sans me retourner, avance droit devant moi la tête baissée dans l'étroit couloir qui relie toutes les chambres entre elles. Chaque fille du bâtiment sorte de leur pièce et me rejoignent. Certaines marchent fièrement, la tête haute et d'autres comme moi préfèrent croiser le regard du sol plutôt que celui des Sœurs. Nous descendons à la file indienne l'escalier et nous nous rassemblons au rez-de-chaussée où nous attendent, droites comme des piquets, nos tutrices. Une fois que tout le monde est descendu, l'une d'entre elles prend la parole :
''- Comme le veut la loi, je veux voir les femmes pures en avant du cortège et les autres en arrières. Allez mesdames en rang de trois et qu'on se dépêche ! '' nous ordonne Sœur Giulia en tapant dans ses mains comme pour rythmer la cadence à suivre. Clap, clap, clap, clap, nous suivons la chorégraphie. Je me mets en arrière, à ma place respective avec trois autres femmes et le cortège démarre sa procession.
Dans les rues, on distingue deux troupeaux, celui des moutons blancs et celui des moutons noirs dont je fais partie. Ici,tout est noir ou blanc. Les personnes ayant commis des erreurs sont en noir pour être punies, les autres sont en blanc, signe de pureté.Il n'y aucune couleur. Il n'y a que du noir ou du blanc comme il n'y a rien entre le bien et le mal. Aucun juste milieu. Une chose est soit noire soit blanche, un acte est soit bien soit mal. Moi je porte du noir depuis trois jours, depuis que les Sœurs ont trouvé au fond d'un de mes tiroirs une revue interdite. Un magazine féminin. Je l'avais échangé sur un marché noir contre quinze tickets de rationnement. Cela faisait un mois que chaque nuit avant de m'endormir, je le feuilletais. Je connaissais chaque articles,chacun des noms des mannequins et étais capable de réciter de tête une phrase complète. Je lisais avec une grande attention chacune des pages du magazine comme si j'étais en pleine lecture d'un roman classique. Romans qui sont interdits à présent. Quand la fatigue me gagnait, je fermais les yeux et m'imaginai porter les mêmes vêtements que les femmes du magazine : les pulls en cachemire en couleurs unies, les blousons en cuirs noirs, les jeans troués aux genoux, les t-shirts avec des inscriptions amusantes... A chaque nuit, sa tenue. Une fois, je me suis imaginée portant une robe cocktail assez courte avec peu de tissu. Elle était bleue, oui bleue comme un ciel sans nuage, avec de jolies reflets violets à certains endroits d'ombre. Elle était en satin et glissait sur ma peau. Le décolleté n'était pas provocant mais assez plongeant pour plaire à la gente masculine. À la vue de ma peau, j'eus un frisson et un léger sentiment de dégoût.Comment pouvais-je m'imaginer dans une tenue interdite ?
Aujourd'hui, plus aucun centimètre de ma peau n'est visible. Mon corps entier est recouvert d'un tissu noir ou blanc. Ma robe noire ou blanche est à manche courte mais je dois constamment porter un gilet assortit, avec des manches longues pour ne pas laisser mes bras dénudés. Elle est longue et traîne sur le sol. Mes cheveux ne sont jamais détachés. '' Vous ne voudriez tout de même pas que les hommes vous prennent pour des filles faciles ? '' disait Sœur Morgane. Ils sont toujours rassemblés en une queue de cheval qui se balance le long de mon dos à chacun de mes déplacements.
Chaque matin, au réveil, après avoir défilé avec toutes sortes de tenue, je verse une larme à l'idée de voir la garde de robe simpliste qui s'offre à moi, sans aucune couleur.
On ne mélange pas les personnes en blanc et celles en noir. '' Sacrilège '' disait Sœur Lydia. Comme si les personnes en noir étaient porteuse d'une maladie contagieuse. Je ne pense pas comme elle. Ce ne sont que des coloris sur des bouts de tissus, rien qui prouve que les actes d'une personne sont bons ou mauvais. Et pourtant, c'est ainsi que résonne le nouveau gouvernement. Nous, les porteurs d'habits noirs sommes mis à l'écart du cortège, séparés seulement de deux mètres des ''bons '' citoyens. Si nous étions dans l'ancien monde, les gens penseraient que nous allons à un enterrement, mais dans ce nouveau monde, nous sommes simplement des '' brebis égarées ''.
Nous marchons la tête baissée dans le but de ne pas voir les regards agressifs des autres passants en blanc. Nous ne voyons pas leurs regards mais savons qu'ils existent. L'Homme est ainsi fait, il dévisage ce qui n'est pas comme lui et se moque de ceux qui sont différents.
Nous jetons tout de même quelques regards furtifs aux personnes qui nous entourent. A ma droite, il y a une jeune femme de mon âge environ, blonde aux cheveux longs, les yeux cernés de fatigue. Ses mains tremblent et sa démarche est celle d'une femme perdue. Devant moi, c'est une femme d'une cinquantaine d'années qui marche la tête baissée. Son dos est voûtée, signe de fatigue, et lui donne l'impression d'être plus âgée. Les habits noirs lui donnent l'illusion d'être une veuve déplorant la mort tragique de son défunt époux.
Parfois, je m'amuse à devinez à quoi ils pensent et qui ils étaient dans leur ancienne vie. La blonde devait sûrement être une secrétaire. Les mains tremblantes doivent sûrement signifier un geste habituel d'écriture disparu aujourd'hui. Je dirais qu'elle gagnait bien sa vie. Ses cernes doivent signifier un trouble du sommeil. Qu'est ce qui peut la tracasser ? La disparition d'un être cher, ses enfants ou bien son mari ? Ce n'est pas rare de voir des femmes pleurer la perte de leurs proches. Une nuit, alors que je n'arrivais pas à dormir, je me suis promenées dans le couloir de l'étage et j'ai entendu des pleurs étouffés provenant de l'une des chambres. A pas de loup, je m'avançai vers le lieu d'origine du bruit et vis que la porte était entre ouverte. Je la poussai légèrement et la jeune femme qui pleurait remarqua ma présence. Elle essuya ses larmes et fit des gros yeux. Elle avait peur que j'aille voir les Sœurs et tout leur dire. '' Pourquoi pleurer la perte de vos proches ? Pleurer ne les ramènera pas. Posez vous seulement une question, s'ils ont disparu, n'est ce pas pour une bonne raison ? Le Guide n'a retenu que les meilleurs et les plus purs des humains pour construire ce merveilleux monde dans lequel nous vivons. '' C'était le sermon que nous répétaient en boucle nos tutrices.
La jeune femme se leva et me fit comprendre qu'il fallait que je retourne dans ma chambre. Je ne résistais pas et retournais dans mon lit froid d'une place. Je m'allongeais, fermais les yeux et pleurais en silence la perte de mon petit-ami, Jaime. Perte n'est pas vraiment le mot approprié, disparition serait plus exacte. Nous avions essayé de fuir clandestinement mais alors que la liberté était proche, la milice nous interpella. Nous courrions dans les bois pour échapper à la milice. Les balles volaient dans les airs, les détonations résonnaient à travers la forêt. Jaime reçut une balle dans l'abdomen. Il chuta au sol et roula dans la descente comme une vulgaire pierre. Les tirs continuaient. Le sang coula partout sur les feuilles jaunes d'automne et ne fit qu'un avec les feuilles rouges.Il gémissait mais ne pleurait pas. Je ne l'ai jamais vu pleurer...J'essayai de stopper l'hémorragie en compressant mes mains sur la plaie ouverte. Il voulait que je continue le chemin sans lui, que je le laisse ici. Je refusai de l'abandonner dans ces bois. Nous avons commencé ensemble, nous finirons ensemble, lui dis-je et Jaime me répétait quelle têtue j'étais. Les tirs se rapprochaient et,paniquée, je me remis à courir, laissant mon petit-ami derrière moi. Je ne sais s'il est en vie.
Voilà le cauchemar qui me hantait chaque nuit.
La femme à ma droite me regarde. Elle aussi s'amuse à lire dans mes pensées. Tel un espion, elle scrute le moindre de mes mouvements avec une grande discrétion. Nous sommes tous des espions. J'en suis moi-même une.Agissez avec normalité, ne laissez jamais rien paraître, disait Sœur Alice. Ne crispez pas votre panier ni vos mains ensemble, laissez vos bras le long de votre corps. Contrôlez chacun de vos muscles et surtout ceux de votre visage. Ne souriez que lorsque tout le monde sourit, pleurez seulement quand c'est nécessaire et surtout ne parlez sous aucun prétexte. Le silence est la clé du paradis, la parole la chute vers l'Enfer.
C'est notre mission principale, surveillez les agissements d'une autre personne. C'est pour cette raison que nous ne quittions jamais l'immeuble sans notre partenaire. Imaginez la scène, vous êtes seule dans les rues et un impur s'approche dangereusement de vous.Que faites-vous ? Nous demandait Sœur Lydia. Ne sortez jamais seule,c'est pour votre sécurité. Le gouvernement fait tout son possible pour éliminer ces êtres mais en attendant que ces impurs ne soient plus, vous sortirez à deux.
En nous dirigeant vers le lieu où la messe sera prononcée, nous passons par le ''Pont des pendus ''. Telles des feuilles accrochées à des branches d'arbre se balançant au gré du vent, les corps flottent au dessus du vide, au-dessus de nous. Un sac blanc, recouvre leur tête.Visages inconnus, morts anonymes. Qui pourraient les regretter ? Une pancarte est accrochée autour de leur cou. On peut lire, écrit en lettres de sang, ce simple mot '' traître ''. Pendus pour trahison et exposés à la vue de tous, ces corps sont exhibés pour nous rappeler quel est le châtiment de ceux qui refusent le système.Quand je passe devant le pont, je me demande si finalement la mort ne serait pas la meilleure issue possible. S'il existe un paradis comme tout le monde le prétend, alors il n'y a aucune raison de rester dans ce monde. Pourquoi continuer dans un monde où nos libertés sont restreintes voire inexistantes alors que nous pouvons rejoindre le royaume des cieux où la liberté est le maître-mot. Notre marche est solennelle alors que nous franchissons les arcades du pont,aucune de nous n'ose lever la tête et faire face à ces cadavres.J'essaye de savoir pourquoi ils ont fini pendus, pourquoi sont-ils des '' traîtres ? ''
Qu'est ce qu'un traître aux yeux du gouvernement ? Dans les premiers jours qui ont suivi la mise en place du nouveau régime, des affiches listant les différents types de traître étaient placardées sur les murs des bâtiments, dans les abris de bus, dans les métros et même dans les hôpitaux. Aucun lieu public n'y a échappé. Les affiches avaient l'allure d'une déclaration de guerre. La liste était longue et, aujourd'hui elle ne cesse d'augmenter. Il était écrit en gros caractères gras ''Toute personne correspondant à ces critères sera jugée comme traître au gouvernement ''. Je me rappelle avoir esquissé un sourire quand j'ai vu le mot '' juger ''. Je savais bien que ce mot ne signifiait rien dans cette phrase, on pouvait le supprimer et le sens de la phrase restait le même. Simplement, c'était une convention, une expression. On disait '' sera jugé '' alors qu'on pouvait dire '' sera considéré '', mais la pilule était plus simple à avaler ainsi. On avait l'impression que derrière tout cela, se cachait une part de justice.
Au bout du compte, tout le monde est un traître pour le gouvernement, seul le Guide ne l'est pas. Quoi,que vous fassiez, il y aura toujours quelque chose qui sera '' jugé " contraire aux lois imposées par le gouvernement. Vous voyez à présent comment ce mot peut-être utile.J'ai dit '' juger '' alors que j'aurais pu dire '' estimer '', ''évaluer '' ou même '' qui vous rend coupable ''.
Coupable. C'est la raison pour laquelle ces Hommes sont pendus. '' Jugés coupable ''.Le sont-il vraiment ? Qu'ont-ils fait ?
Le Pont des Pendus passé, je me concentre de nouveau sur mon entourage. Au loin,j'entends le convoi. Les échos se rapprochent et je distingue les sons sortant des haut-parleurs. La bande son tourne en boucle et les mots se répètent. Les mêmes depuis le départ. Ils s'imprègnent dans votre cerveau et résonnent finalement comme une mélodie à vos oreilles. Chaque chanson a son refrain et celui-ci est des plus lyriques : '' Ceci est un message du ministère des affaires publiques et de l'harmonie sociale, toutes personnes surprises entrain de dire du mal du gouvernement et de la personne du Guide ou désobéissant à un ordre de l'Armée Suprême, sera accusée de haute trahison et sera exécutée immédiatement. Que la lumière du Guide vous inonde. '' La camionnette sillonne les rues et passe devant notre cortège. Je vois le chauffeur en blanc saluer nos tutrices. Elles ne répondent pas et continuent leur chemin. '' Si un homme vous salue, ne le saluez pas en retour ! Cela pourrait être mal vu '', nous expliquaient les Sœurs.
Je lève à peine la tête et remarque que nous approchons du lieu de rendez-vous. Le quartier entier s'est rassemblé dans un parc pour assister à la messe extérieure. 200 coussins sont disposés de manière linéaire, symétrique et également séparés sur l'herbe humide matinale. Comme dans un édifice religieux, les rangs sont divisés en deux par un couloir. 200, c'est le nombre d'habitants.200 espions. Le gouvernement avait décrété que les villes devraient se diviser en quartiers ne dépassant pas les 250 habitants, pour des raisons très simples, tout le monde a un œil sur tout le monde et tout le monde se connaît. Dans une petite ville, les nouvelles vont vite. Évidemment, ce n'est pas ce que le gouvernement nous a expliqué. Leur prétexte était de réduire les chances d'être contaminé par toute sorte de maladie. Nous sommes moins nombreux dans plus d'espace et l'air est plus respirable selon leurs scientifiques. C'est ainsi que la pilule est passée, comme avec le verbe '' juger ''. Ils ont jugé préférable de réduire les effectifs de la ville.
Les habitants se séparent en deux groupes, d'un côté les habitants en blanc et de l'autre, ceux en noir. Encore une fois, aucun mélange.Je me dirige vers la droite, avec les autres personnes comme moi et me trouve un coussin libre. Une fois que tout le monde a un coussin,nous nous asseyons sur l'herbe humide, les genoux posés sur les moelleux coussins. Je le tâte et remue mes genoux. J'essaye d'être stable malgré l'épaisseur du petit oreiller. Je me tiens droite et analyse la situation. A ma droite, se trouve une femme que je ne connais pas. Elle a les cheveux aussi noirs qu'une nuit sans lune et le teint mat. Elle fixe le néant et ses lèvres bougent.Récite-t-elle des prières ? Ou chantonne-t-elle ? Dans les deux cas, c'est interdit. J'essaye de suivre les mouvements de ses lèvres mais ces derniers sont beaucoup trop rapides pour moi. Je nem'attarde pas sur la femme et passe à la personne se trouvant à ma gauche. C'est un homme. Il doit avoir une vingtaine d'année, pas plus. Avec ses cernes et son teint pâle, on dirait un ancien junkie.L'est-il toujours ? C'est possible après tout. Peut-être se droguet-il pour ne pas faire face à la réalité et planer dans un monde meilleur qui rayonnerait de couleurs psychédéliques comme dans un ancien temps aujourd'hui révolu que l'on nommait les '' Seventies''. Il ne regarde pas devant lui. Il a les yeux rivés sur ses mains.Ils les frotte entre elles, les entremêle. Il a les mains moites. A-t-il peur ? Est-il stressé ? Nul ne le sait.
En face de moi, se tient une immense estrade, comme celle qui servait autre-fois pour les spectacles scolaires et les remises de diplômes.Au milieu, il a un pupitre avec un micro et sur le côté gauche,trois chaises occupées par les traîtres. Tous portent un sac sur leur tête avec seulement deux petits trous pour respirer et une tenue noire. Leurs mains sont derrière leurs dos et semblent liées entre elles par une corde. Il y a deux femmes et un homme. Sans visibilité, ils essayent de s'orienter aux bruits et bougent leur têtes avec incohérence. Des deux côtés de l'estrade, se tiennent en hauteur deux gigantesques écrans; les mêmes que l'on pouvait trouver dans l'ancien monde dans les stades de foot et dans les salles de spectacle. Car oui, les messes avec jugement sont devenues des spectacles pour tous. Des spectacles d'un nouveau genre avec toujours le même principe de mise en scène. Tout est calculé, rien n'est laissé au hasard. Ces messes deviennent des pièces de théâtre.
Le rideau se lève, une femme monte les escaliers sur le côté droit et rejoint le pupitre central. A en juger par les nombreuses rides présentes sur son visage, elle doit faire partie des doyennes de la ville. Ses cheveux gris sont réunis en un chignon et elle porte un chemisier d'un blanc éclatant assorti à sa jupe. Elles'avance et se place devant le pupitre. Elle tapote le micro et tousse taisent. Les trois coups retentissent et le public est attentif. La pièce commence :
'' - Bonjour à tous. J'aurais aimé que nous nous retrouvions pour une messe avec le Guide mais c'est avec tristesse que je vous annonce que ce matin nous devrons juger trois traîtres. ''
Un '' Oh '' général se fait entendre. La tension monte.
'' - Voici les traîtres ! '' dit-elle en désignant du doigt les trois personnes assises.
Trois soldats montent sur l'estrade et les amènent en avant de la scène. Tandis qu'on leur enlève les sacs qu'ils ont sur la tête, la doyenne prononce ces mots :
'' - Ces femmes et cet homme que vous voyez devant vous ont commis des atrocités contre le gouvernement et contre le Guide dont je ne vous parlerai pas. Des actes si horribles qu'ils sont difficiles à entendre. ''
A entendre ? Non. A digérer ? Oui. Mais évidemment, personne n'énonçait jamais les sois-disant crimes commis. C'est bien plus facile ainsi, il n'y a pas besoin de preuves ni de témoignages. Et puis après tout, ce n'est qu'une mise en scène. Une illusion de jugement :
'' - Comme vous le savez, la punition pour ce genre de crimes, est la peine de mort. ''
Les trois coupables paniquent et se regardent. Même eux ne saventpas quels crimes ils ont commis.
'' - Ils ne nous laissent pas le choix. N'ai-je pas raison ? '' dit la doyenne en élevant la voix.
Des '' oui '' sortent de la bouche de quelques spectateurs. Ces hommes ne représentent rien pour le gouvernement, seulement des parasites. Et que fait-on généralement des parasites, on les extermine.
Les trois gardes positionnent les coupables sur une même ligne horizontale et sont espacés les uns des autres par deux ou trois mètres. On les fait se mettre à genoux avec un garde derrière eux.Je lis sur le visage, la peur et la confusion. Ils transpirent à grosses gouttes et leurs cheveux sont plaqués contre leur cou humide. Leurs sourcils sont froncés et leurs yeux sont grand ouverts. Ils balayent la foule du regard, cherchant désespérément du secours, de l'aide. Mais en vain. Les gardes sortent leurs pistolets magnum 9 mm et les pointent en direction de la tête des femmes et de l'homme. Leurs gémissements et leurs pleurs se mélangent aux supplications de l'une des femmes. Entre deux sanglots, elle supplie le garde et l'assemblée de l'épargner ''Pitié, je vous en supplie, laissez-moi la vie sauve. Je jure d'être une honnête citoyenne et d'être fidèle au gouvernement et au Guide! '' Elle a les mains jointes comme si elle priait :
'' - Nous savons que l'erreur est humaine et le pardon, divin. Mais il est trop tard pour une rédemption. Réjouissez-vous, votre dépouille servirait d'exemple pour tous ! '' S'exclame la doyenne enjoignant ses mains ensemble.
La jeune femme supplie une dernière fois avant qu'une balle lui traverse la boite crânienne. Les gardes tirèrent simultanément si bien que l'on aurait cru qu'il n'y eu qu'une seule détonation. Les corps s'écroulent au sol et le sang se déverse sur la scène. Ils finiront au Pont des Pendus avec d'autre '' exemples ''. Ils ne seront que des feuilles de plus accrochées à l'arbre qui n'attendent que l'automne pour tomber. Des morts anonymes, des oubliés.
La foule se lève de manière synchronisée et hurle en chœur ''Pronus te, aut mori ''. C'est du latin, cela veut dire : ''prosterne-toi ou meurs ''. Très peu de gens parlent le latin. Transcrire cette phrase dans une langue morte que peu connaissent,assure au gouvernement une chose. Personne n'en connaîtra la signification exacte et le gouvernement peut donc inventer une traduction qui lui convient.
Nous avons une confiance aveugle envers le Guide. Nous ne sommes plus des humains. Nous sommes des Croyants.
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Coucou tout le monde ! Alors voilà, j'ai pour projet d'écrire une dystopie des plus réalistes possibles et ce long extrait est un essai. J'aimerais avoir votre avis sur ce dernier, sur ce que je pourrais modifier, garder ou supprimer.
Je me suis inspirée de la série et du roman The Handmaid's Tale de Margeret Atwood dont j'adore le style d'écrire. J'espère avoir été à la hauteur de son génie :)
Merci d'avoir pris le temps de lire jusqu'au bout et j'espère que vous ayez apprécié ce premier pas dans un futur proche où une secte de fanatique a pris le contrôle du pays tout entier....
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