6. Echar agua al mar


Contre toute attente – j'admets être partie un peu défaitiste – le médaillon sembla remplir son rôle à la perfection. Nous l'avions passé autour du cou de Jack-Jack-Girl – pardon, Macha – à la fin de notre appel téléphonique et la petite ne s'était plus affublée d'une seule flammèche. Nous l'avions donc extraite de sa bassine, ses adorables petits petons tout fripés, pour l'envelopper dans une serviette. Je la gardai dans mon giron, depuis, installée en tailleur sur le canapé présent à l'intérieur du cockpit. Le salon supérieur - donnant un accès direct à l'extérieur - s'était bien trop rafraîchi ; et même si en tant que garou j'étais loin d'être frileuse, un bambin tout nu et mouillé allait forcément attraper la mort.

Surveillées par le cerbère du Rey – avec Valentíno et ses deux frères, c'était un peu l'impression que j'avais ; comme si j'étais Perséphone, entraînée sur un radeau vers le monde des enfers –, je m'amusais avec la petite toujours de bonne humeur, qui aimait plus que tout me mettre des baffes molles de ses mignonnes patounes. Avec ses iris louchant, elle faisait fondre mon petit cœur à coup de sourire à deux dents. Si je ne l'avais pas déjà affublée du sobriquet de Jack-Jack-Girl, j'aurais pu la nommer Krokmou.

Je n'avais pas pensé à demander son âge et comme je n'y connaissais strictement rien en nourrisson, j'éprouvais bien du mal à déterminer où elle se situait. Pour moi, elle avait déjà les aptitudes pour vadrouiller à quatre pattes, mais je n'osais pas encore la poser par terre pour le vérifier.

Tandis qu'elle mâchouillait sa main potelée et me tirait les cheveux, je m'adressai au trio :

— On a des habits pour elle ? Des couches ? Du lait ?

Les trois garçons se dévisagèrent. Le Rey était quelque part sur le petit yacht, et plus il se tenait loin de moi, mieux je me portais. J'avais négocié un appel par jour pour prendre des nouvelles de ma sœur, mais j'avais dû céder à plusieurs exigences improbables : je dormirais avec lui la nuit, devrais passer chaque appel en haut-parleur et endurer la drogue sans m'y opposer. Personne ne me forcerait à partager son lit, mais dans la même pièce, je pouvais bien l'accepter. À côté, il avait validé que la petite Jack-Jack-Girl demeure près de moi tout le temps, et le Rey n'avait pas la gueule du type à tolérer un nouveau-né dans ses draps.

Rogelio s'était enfin débarrassé de son arme, admettant sans doute que lui non plus ne prendrait pas le risque de s'en servir sur le bateau en compagnie de Macha. En outre, il devait réaliser qu'il n'était pas dans mon intérêt de me révolter, et que tant que nous n'aurions pas mis un pied à terre, il n'aurait pas à se préoccuper d'une quelconque rébellion de ma part. Et, durant toute cette période où je l'habiturais à mes innocents airs de brebis, je pourrais peaufiner mon escapade, sans m'alarmer de recevoir des balles dans le dos au moindre faux pas.

Le dernier de la troupe du Rey, qui semblait aussi le plus jeune et le plus malaisant, ne nous avait pas encore fait part du son de sa voix, préférant communiquer à coup de regards apocalyptiques, qu'il me destinait en majorité. Avec son jean troué, son débardeur blanc et les nombreux colliers de cordes aux dents de requins autour de son cou, il possédait cet air de dur à cuire qui a vu trop de choses dans sa courte existence. Les filles devaient s'enchaîner à ses pieds, dans l'espoir d'illuminer un peu ces iris d'une lueur de bonheur.

Sauver les âmes noyées, c'était vraiment un truc de gonzesse, sans vouloir être sexiste.

Moi, ce qu'il m'inspirait, c'était de la crainte. Un jeune manifestement déjà brisé, ce n'était jamais bon signe pour acquérir une personnalité équilibrée. Ariel aurait été ravie de faire sa connaissance. Penser à elle me fila le bourdon, et mon corps se couvrit de chair de poule tandis que je me concentrais sur la réponse de mon cousin.

— On n'a pas eu le temps de faire escale, avoua-t-il, un brin lamenté.

— Donc, on n'a strictement rien ? Vous avez fait comment jusqu'à présent ?

Val rougit en jetant un coup d'œil à ses frères.

— On a bidouillé un truc avec nos t-shirts ... et on lui a donné de la purée. Elle adore. On a aussi de la compote parce que le Rey en raffole.

Le Rey aime la compote. En voilà une information capitale !

— Et vos t-shirt d'improvisation, ils sont où ?

— Poubelle, gronda Rogelio.

Je haussai un sourcil à son adresse, tentant vaillamment de retenir mon rire qui menaçait d'exploser à chaque instant.

— Ça marchait pas trop mal, tu sais, mais ça tenait pas longtemps... se justifia Val.

— Puis maintenant elle prend feu, termina Rogelio.

Je roulai des yeux, exaspérée, avant de poser mon regard sur le petit bout dont les paupières papillonnaient de fatigue.

— Génial, vraiment génial. On a des compresses ? Du coton ? Du scotch et une paire de ciseaux ?

Les trois frères réfléchirent à ce sujet et Valentíno s'empressa de partir à la recherche du matériel pendant que la petite s'endormait dans la serviette. Je l'installai confortablement contre mon ventre et quand ils revinrent avec les outils, la petite avait sombré au pays de Morphée, mon pouce enfermé dans son adorable main.

Étant physiquement coincée, je balançai mes directives au cerbère pour qu'il confectionne des couches improvisées et je dus avouer qu'il se débrouilla avec brio. Leur trio fonctionnait du feu de dieu. Ils me prouvèrent que, derrière leur air insensible de militaires, ils savaient faire preuve de qualités manuelles et d'investissement pour des tâches... inhabituelles. Val avait une manière étonnante de les commander en suivant mes propres instructions.

Le plus jeune, répondant au doux nom de Felis – ce qui ne lui allait absolument pas, ce prénom étant trop tendre à l'oreille pour convenir à ses traits durs – n'ouvrit la bouche au cours de cet exercice que pour grogner.

Lorsqu'une petite main humide me toucha le cou, je m'éveillai, engorgée dans une maladresse vaseuse. Je me redressai avec grande peine sous l'unique regard de mon cousin, assis sur le canapé d'en face. La nuit était tombée et la serviette avait disparu, Macha étant dorénavant parfaitement habillée. Mes souvenirs me revinrent en masse, mon anxiété pour Ariel aussi et une nausée remonta dans ma gorge. Sentant mes membres faibles et engourdis, je grimaçai en prenant des coussins pour cloîtrer Jack-Jack-G à l'abri de la chute sur le sofa et me levai, bancale sur mes pieds.

Valentíno n'émit aucune plainte lorsque je courus aux toilettes pour vider le maigre contenu de mon estomac.

Joder. J'étais mal comme un chien. Je n'étais JAMAIS malade ! Foutue drogue.

Je foudroyai Val du regard en remarquant qu'il était adossé à la porte de la salle de bain et arrachai du papier sans aucune délicatesse pour m'essuyer la bouche. La tête me tournait.

Voici donc la descente de cette substance. Si mon corps la dégueulait de manière aussi véhémente, il allait sans dire que c'était de la grosse mierda pour mon organisme. Je regrettai aussitôt d'avoir accepté d'en reprendre.

Mon cousin me remplit un verre d'eau et me le tendit, une expression piteuse peinte sur ses traits angéliques. Tout en buvant, ma Petite Ombre se révéla à moi et je constatai qu'à nouveau, elle se tenait en bien meilleure santé que je ne l'étais. Nous en profitâmes pour tâter les frontières de notre conscience et malgré la fatigue de nos muscles, nous découvrîmes que le chemin menant à la Lactea Via s'était affiné et embelli, comme si nous redécouvrions comment nous y rendre. Malheureusement, après avoir parcouru une certaine distance, nous dûmes nous rendre à l'évidence : nous ne nous étions pas encore débarrassées des effets de la drogue.

La Lactea Via se découpait au bout d'un long tunnel sombre, un peu comme une grande ville illuminée, plongée dans une sombre nuit, mais dont le chemin pour y accéder manquait cruellement de lampadaires. Pas de lune pour éclairer nos pas, et plus j'avais le sentiment que nous en approchions, plus la Lactea Via semblait prendre ses distances.

Je grognai.

— Il n'y a pas de ON/OFF, fit Val. Encore une ou deux heures et tu pourras te connecter à ta meute. On peut attendre un peu que tu te sentes mieux, mais le plus logique serait que tu en reprennes maintenant.

Je me figeai. Sa voix était bizarre. Toujours aussi désolée, puisqu'il avait l'air d'être le dieu de l'excuse, mais il y avait autre chose. Le verre d'eau qu'il m'avait filé était dégueulasse, mais je n'y avais pas prêté attention puisqu'il provenait du robinet.

— Joder !

Je me levai en arrachant une tige incandescente d'énergie à mon Anam Cara, et me jetai sur mon cousin. Nous nous écroulâmes contre le verre de la douche, puis contre la porcelaine du lavabo et je finis à califourchon sur lui, un poing rigide suspendu dans les airs, tremblant de toute la rage qui s'y accumulait.

Ce stupide cousin ne tenta même pas de m'en dissuader. Il se savait coupable.

— Hijo de p...

Je serrais les dents si fort que j'eus la sensation que ma mâchoire supérieure allait fusionner avec celle du bas.

— Raaah !

Je rugis avec tant de violence en abattant ma main dans le sol, que le son qui s'en extirpa passa inaperçu. J'haletais telle une humaine asthmatique, des larmes brouillonnes gondolant aux bords de mes cils.

— Plus jamais, Valentíno. Plus jamais tu ne me fais prendre cette merde sans mon consentement. Sinon, je te jure que lien de parenté ou pas, je te frapperai jusqu'à ne plus pouvoir bouger.

J'avais terriblement mal. Mais pas à la main. Celle-ci était le cadet de mes soucis. Non, j'avais mal parce que j'avais bêtement songé que me kidnapper était l'un des pires maux auquel mon cousin me confronterait. Nous n'étions pas dans le même camp, j'en avais maintenant conscience, mais ça faisait un mal de chien de le réaliser, joder !

Devoir me méfier de lui était une chose : ce sentiment de trahison allait bien au-delà. Il me savait docile et nous avions passé des deals réglos, bordel !

— Vous m'avez déjà arraché mon libre arbitre, chuchotai-je. J'aurais pu vous suivre avec joie si cela avait été gentiment proposé. Au lieu de quoi, vous avez sciemment décidé de faire de moi votre ennemie – ainsi que toute ma meute – en m'emprisonnant pour je ne sais quelle absurde raison. Tu viens de briser le peu de confiance que j'étais prête à vous accorder. Félicitations.

Je me levai et l'abandonnai là, où il ne bougea plus, comme tétanisé par mes paroles. Ma réaction ne l'avait pas surpris une seule micro-seconde. Il se doutait de la conséquence de son acte, sans en tenir compte pour autant.

Mon cousin s'avérait plus complexe que je ne l'imaginais.

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J'espère que ce chapitre vous a plu ?  
J'ai regardé rapidement les chapitres, et je pense qu'on s'arrêtera au chapitre 10 :) 


Alors savourez, il n'en reste plus que 4 en comptant celui-ci ^^' 

J'espère que vous vous éclatez ! ;) 

Besos ! 

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