Chapitre 3 : " Qui s'y frotte s'y pique "[ CO ]

Je m'installais sur une banquette rouge accolée à la fenêtre et commandais une assiette copieuse qu'on ne tarda pas à me servir. Je dévorais mes frites comme si je n'avais rien avalé depuis trois jours, souriant en constatant la satisfaction de l'animal qui partageait mon corps, et qui menaçait de ronronner bruyamment aux oreilles de tous.

 Le défaut majeur constituant mon étonnante capacité à prendre l'apparence d'une panthère noire, demeure en cette entité bestiale coexistant en parallèle de ma propre conscience. Cet être instinctif et sauvage est une partie intégrante de moi-même, tout en existant individuellement à l'intérieur même de mon esprit. 
Si ce micmac vous paraît compliqué, imaginez celle qui vit avec ce concept. Encore aujourd'hui, je ne comprends pas toutes les subtilités de cette relation, mais j'ai appris à vivre avec, à m'adapter et à en apprendre davantage chaque jour. 
Par exemple, lorsque j'ai faim, en général ma colocataire animale crève la dalle. Lorsque je me mets en colère, elle a tendance à s'échauffer avec moi. Et, étant donné que c'est un gros félin, elle emploi un style de communication radicalement opposé au mien et qui se présente à grand renfort de vocalises vibrantes et inhumaine.

Ça ne me dérangerait pas, si ces bruits n'émanaient pas de mon buste. Le ronronnement, c'est mignon chez un chat : chez un humain, c'est juste bizarre.

C'est avec cette étonnante réflexion que j'engloutissais mon repas en laissant mon esprit vadrouiller vers ma famille et mon enfance, examinant tout le chemin que j'avais parcouru depuis toutes ces années. Et, une fois n'est pas coutume, j'adressais même une pensée pour mon défunt père, regrettant qu'il ne puisse pas me dire combien il était fier de moi.
Mais en un sens, je n'avais jamais eu besoin de lui pour grandir, et ce n'était certainement pas maintenant que j'allais m'apitoyer sur mon sort. 

C'est en mangeant mon quatrième sandwich avec double portion de steak que je le croisais à nouveau. 

Je réfléchissais intensément à l'endroit exact où j'allais entreposer le canapé le plus confortable dans ma boutique, gribouillant mes idées au stylo bic sur la nappe en plastique, lorsqu'une personne s'installa machinalement en face de moi.  
Habituée à ne pas trop prêter attention aux bruits et aux odeurs qui m'agressent chaque jour, c'est dans un sursaut que je relevais vivement la tête après la secousse qui avait faite trembler la table.
J'ai tendance à me déconnecter assez brutalement du monde qui m'entoure, évitant ainsi d'être assaillie de tous les côtés par des stimulus non désirés. Avoir un bon odorat, une bonne ouïe et une excellente vue dans un milieu rural, autrement dit calme, c'est le top.
Mais en ville, ce n'est rien de plus qu'un véritable calvaire. 
Une des rares choses qui me manquait dans ma campagne.

Reconnaissant le punk de tout à l'heure, je fis exprès d'observer exagérément autour de moi, notamment dans mon dos, avant de reporter mon attention vers lui, la bouche pleine à craquer de mon hamburger. Peut-être même avais-je un cornichon qui dépassait.
Je haussais un sourcil à son encontre.

-Herchque choz pou'oi ? Ophrographe peur'tre ? fis-je la bouche pleine. 

Traduction : Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ? Un autographe peut-être ? 
Les gros poings de l'inconnu se joignirent sur la table, et j'avalais ma bouchée en les fixant. Il avait même d'adorables tatouages autour des doigts. Sur les deux mains, qui plus est. Trois sur la main droite et deux sur la gauche. 
Son corps était une toile artistique, ma parole !
Il me donnait presque pitié de mon pauvre tatouage de la Déesse Bastet sous forme féline, présente au creux de mes reins - je sais, j'ai beaucoup d'originalité, mais que voulez-vous ; c'est ma mère qui m'a éduquée.


- Tu ne t'es pas présenté à ton arrivée, fit-il avec un ton posé et une voix de crooner.

Bon. Pas seulement punk. Surement aussi un peu porté sur la drogue. Devais-je appeler les flics maintenant où juste le suivre dans son délire ? Je suivis la seconde option, me retenant de plisser le nez devant tant d'odeurs. 
C'est que c'est assez agressif d'être face à quelqu'un qui vit dans une ménagerie.
 Les animaux sont bourrés de phéromones assez perturbant pour mon côté animal. Pas facile de rester concentrer. 

- Ah ben, justement, je crois que j'ai oublié ton prénom. 

- Adiran, second Gàirdean. 

- Aaaah, oui, bien sûr, Adiran ! fis-je comme si j'avais compris autre chose que juste son prénom -bien que le dernier mot m'ait semblé familier, me rappelant la langue gaélique.

Normalement je suis une excellente actrice. Mais le stress commençait à poindre le bout de son nez et je sentais mon cœur s'emballer. En outre, une étrange pression sur mon crâne me donnait l'impression qu'un vers tentait de s'introduire dans ma cervelle, invitant rapidement un mal de tête dont je me serais bien passé.

- Et bien, Monsieur juste-Adiran, j'ouvre ma boutique lundi prochain, je serais très heureuse de vous y retrouver, mentis-je d'un sourire forcé. 

Mon ami punky fronça les sourcils et son dos ploya légèrement en avant. Sa carrure était impressionnante, et l'aura écrasante qu'il dégageait me coupait la respiration, comme s'il s'appropriait l'oxygène présente dans la pièce.  Sa façon de s'incliner vers moi avait un côté menaçant que je ne m'expliquais pas, mais qui me fit reculer dans mon dossier.
Distraitement, je sentis cette part animale en moi s'éveiller et prêter une attention toute particulière au nouveau venu. Je la repoussais, ressentant dans chacun de mes muscles la tension qui l'habitait : je ne craignais qu'elle se mette à grogner. Il ne manquerait plus que ça. 

- Nous ne savons pas d'où tu viens, mais nous apprécions moyennement les nouveaux qui ignorent sciemment les règles. Mets toi à jour, Minette, sinon c'est le Primum qui viendra lui-même t'actualiser.

Et sur ces belles paroles, Monsieur Odeur-Multiple se leva en s'appuyant sur la table, faisant ainsi saillir les veines de ses biceps et gonfler ces derniers. Il se détourna et quitta ensuite le restaurant sans plus de cérémonie.

A son départ, je parvins à respirer normalement.
J'eus un petit rictus. 

Frimeur. 

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