1. All Cats Are Grey In The Dark
La noirceur s'engouffre dans ma gorge, s'accumule dans mes poumons et me coupe la respiration. Des larmes sanglantes s'accrochent à mes cils et s'écoulent sur mes joues. Une tornade enneigée s'enroule autour de mon corps frigorifié et fiévreux tandis qu'un ricanement glaçant me perce les tympans.
J'ai envie de hurler. Mais mes cordes vocales refusent catégoriquement d'émettre le moindre son. Mon corps souffre atrocement ; il est tordu en une position inconfortable qui me broie les épaules et arque ma nuque.
S'il vous plaît. A l'aide.
Mais il n'y a personne. Rien de plus que le vide et ce monstre tapi qui me lacèrent les entrailles quand je pense que mon supplice est terminé.
- Je vais te faire mal jusqu'à te briser. Ensuite, tu me supplieras de te prendre, chuchote la voix criarde et malveillante au creux de ma nuque.
Une matière humide et molle vient lécher ma joue. Un long frisson hérisse mon corps nu. Je hoquette d'écœurement. Un haut-le-cœur me soulève l'estomac.
Pourquoi il n'y a personne ? Où es-tu, Petite Ombre ? Ne me laisse pas, s'il te plaît...
Ce rire discordant raisonne encore, et cette fois je me mets à hurler à pleins poumons, une atroce douleur me déchirant le bas-ventre.
Puis une chaleur étouffante me saisit, suivie par un éclair de lumière et un courant d'air frais. Un rugissement raisonne dans mon esprit et je m'éveille en sursaut.
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Je me redressais avec brusquerie dans mon lit, pantelante et paniquée. L'obscurité qui m'entourait était épaisse et le poids présent sur mon corps m'angoissa aussitôt. Je tâtonnais à l'aveuglette sur ma gauche et mes doigts entrèrent en contact avec ma lampe de chevet que je tentais d'allumer sans succès. L'angoisse m'étrangla tandis que ma Petite Ombre grognait sourdement dans mon esprit, essayant vaillamment de me rassurer de sa présence.
Mais je restais murée dans mon tourment, inaccessible à ses attentions. Mon cœur tambourinait comme un fou dans ma cage thoracique, prêt à s'extraire à tout instant.
Une moiteur incontrôlable s'empara de mes mains.
Je me levais avec précipitation, m'enchevêtrais dans mes draps et heurtais douloureusement le planché avant de me redresser comme une biche prise entre les feux d'une voiture. L'effluve musquée du tigre parvint à mes narines alors que l'esprit du Primum se tendait vers moi. Je le repoussais avec brusquerie.
Je me jetais sur mon mur à la recherche de interrupteur mural, et entraînais avec moi le fil de ma veilleuse. Ma lampe se brisa sur le sol au moment même où je parvenais à allumer mon plafonnier.
La luminosité explosa derrière mes pupilles, mais le soulagement de voir ma chambre dans son entièreté apaisa mes maux. Essoufflée, je pris le temps d'inspirer avec calme, comptant jusqu'à dix pour laisser les battements frénétiques de mon organe vitale s'amoindrir.
- Ça va ?
Je levais les yeux sur Ilona. Bien éveillée et en alerte, ses grands yeux noirs me fixaient avec compassion. Son Anam Cara se tendit vers ma Petite Ombre qui renifla la lycaon en roucoulant. Leur calme m'envahit peu à peu et je poussais un profond soupir.
Je hochais la tête.
- Désolée, marmonnais-je.
Les vestiges de mes terreurs nocturnes me quittèrent lentement mais surement, rassérénée comme je l'étais par la présence réconfortante de Ilona dans ma chambre.
Un rêve, ce n'est qu'un rêve, me rassurais-je.
Dés l'instant où je sentais un membre de la meute à mes côtés, mes angoisses se retiraient pour laisser place à une sensation doucereuse et sécurisante.
Bientôt, cet incident ne serait plus qu'un mauvais songe - sans jeu de mot.
- C'est moi qui m'excuse, dit-elle, ça faisait longtemps que tu n'avais pas fait de cauchemar, alors j'ai un peu pris ça pour acquis. Je ne t'ai pas assez accompagnée.
Ce fut à son tour d'expirer. Elle passa une main dans sa chevelure crépue qui lui faisait une auréole affriolante autour du visage. Même à cinq heures du matin - je venais de vérifier - elle parvenait à être plus belle que n'importe quelle mannequin africaine.
- C'est pas ta faute, protestais-je. Ma lampe de chevet a dû griller.
Ilona fit la moue en jetant un regard accusateur à la coupable.
- En tout cas, maintenant c'est certain qu'elle n'est pas prête de fonctionner, plaisanta-t-elle.
Son débardeur gris à moitié déchiré couvrait avec peine sa poitrine protubérante et je me fis la réflexion que si quelqu'un nous surprenait ainsi, on n'en aurait pas fini d'en entendre parler.
En même temps, il était difficile de s'attendre à autre chose lorsqu'on a besoin de garou pour s'endormir le soir.
Je passais une main dans mon épaisse chevelure ondulée. Ilona était rapidement devenue une amie incontestable en quelques semaines. Depuis que je lui avais sauvé la vie, un lien fort s'était construit entre nous ; par la suite, nous avions eu l'occasion de faire connaissance et elle n'avait eu de cesse de me surprendre. J'avais découvert récemment qu'elle était peut-être plus vieille que le Primum - qui avoisinait la centaine d'année, de ce que j'avais pu comprendre - mais cela ne nous empêchait en rien de bien nous entendre. Etant une amie de longue de date de Saulty, cette lycaon-garou s'avérait être sérieuse, serviable et follement attachante. Elle ne prononçait jamais une parole vulgaire mais restait parfaitement capable de rire à des blagues grossière. Ce qui était une qualité non négligeable lorsqu'on était forcé de vivre sous le même toit que Raad, le lion-garou dàrna de la meute - et accessoirement le grand frère de Saulty.
- Je demanderai à Lawrence de la changer dans la mâtiné, me rassura Ilona.
Je secouais la tête.
- Raad s'en occupera tout à l'heure. Il a esquivé ses tâches ménagères cette semaine, il trouvera bien le temps de changer l'ampoule, fis-je remarquer en allant chercher mon pantalon de pyjama abandonné dans mon armoire.
Elle parut amusée, avant de bailler à s'en décrocher la mâchoire. Elle se rallongea et tapa l'oreiller à côté d'elle.
- Tu viens te recoucher ? Cette fois je te promets de ne pas te laisser seule.
Elle sous-entendait par là qu'elle envahirait mes rêves pour qu'aucun salopard ne vienne les hanter. Après mon sauvetage, le contre-coup de mon kidnapping s'était rapidement fait sentir : chaque fois que je fermais les yeux, la hyène-garou venait me rendre une petite visite pour pourrir mes nuits. Je n'étais pour l'instant pas parvenue à trouver une solution à long terme pour interrompre cette peur inconditionnelle qui surgissait dans mes songes, mais je m'étais rendue compte que dormir avec un garou me gratifiait d'une nuit détendue et sans surprises.
Cela faisait donc deux bonnes semaines que je dormais en compagnie de Mirko, mon loup-garou préféré ; de Saulty, mon adorable Sang-Neuf et de Ilona, mon étonnante lycaon-garou. Chacun leur tour, ils avaient établi un tour de garde pour s'accorder sur les jours où venir me tenir compagnie.
Je ne leur en serais jamais assez reconnaissante.
Bien entendu, lorsque je me plaignis d'être aussi dépendante d'eux, ils me répondaient que de toute façon je faisais participer toute la meute lorsque je faisais un mauvais rêve.
C'est très rassurant, de savoir que tout le monde est au courant de vos angoisses.
- Je n'ai vraiment plus envie de dormir, avouais-je, presque penaude. Rendors-toi, je te préparerai le déjeuné pour me faire rembourser.
Son sourire ravie me fit lui répondre par un clin d'œil, et elle se lova en boule au milieu du lit comme si de rien n'était. Je ne la remercierai jamais assez pour sa flegme. Cette femme était un véritable pilier. Puissante et rassurante comme une louve veillant sur ses petits. Les membres du Clan Canidae étaient imbattable sur ce plan, rien à voir avec ceux du Clan Felidae, plus indépendants et distants.
Je pris une profonde inspiration et quittais la pièce après avoir récupéré mes affaires de sport. Je n'éprouvais plus aucun besoin de dormir. Mon corps, quant à lui, désirait une dépense physique immédiate et éprouvante.
Ces derniers temps, je ne me lassais pas de faire de l'exercice. J'avais débuté par de simples entraînements avec Raad et au fur et à mesure je m'étais prise au jeu. Je ressentais maintenant un besoin presque obsessionnel de renforcer mes muscles jusqu'à devenir une véritable muraille imparable. Mon nouvel hobby, après la lecture et le whisky : le sport.
Aussi surprenant soit-il, la Bastet mollassonne et atteinte de flemmingite aiguë réclamait maintenant des tractions et des pompes tous les jours.
Plus jamais.
Je ne voulais plus jamais me sentir faible et vulnérable comme j'avais pu l'être durant mon emprisonnement. Tout sauf ça.
Je descendis au rez-de-chaussé pour me préparer un bon thé, histoire de me préparer psychologiquement à la matinée sportive que je m'apprêtais à passer.
Minuit, ma chatte mau egyptien, vint me rejoindre quelques secondes plus tard, venant se frotter contre mes mollets en ronronnant bruyamment.
- Saleté, m'amusais-je. T'en as que pour la bouffe, pas vrai ?
Je m'accroupis à son niveau pour la caresser, et ma Petite Ombre se fit une joie de vrombir avec elle. Il n'y en avait pas une pour rattraper l'autre.
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