Vertigineux- The Smiths

Le bruit du clignotant résonnait fort. Clic, tic, clic, tic, clic, tic, clic... Stop.
A part ça, rien. De légers échos de la rue.

C'aurait pu paraitre assez angoissant. Lui et moi dans la même voiture. Ne s'adressant pas un mot. Quelqu'un d'extérieur aurait pu croire que nous étions en froid.

Mais c'était tout le contraire. C'était un silence de connivence, un silence qui montrait à quel point je lui faisais confiance. Un silence qui disait très fort que nous n'avions pas besoin de mots pour nous entendre.

J'étais bien dans cette voiture. Bien mieux qu'une heure auparavant. Je me sentais en sécurité, j'avais l'impression qu'il me protégeait et rien- ni le silence, ni la nuit noire, ni le souvenir de mes parents- ne parvenait à entacher cette quiétude.

Je pouvais voir de mon siège un bout de sa tête, sa boucle d'oreille qui brillait dès que la voiture roulait près d'un feu, ses cheveux rasés courts. Il ne bougeait vraiment que pour tourner ou tirer le frein ; le reste du temps, il mâchonnait son bâton de sucette en tapotant le volant.

Je n'avais jamais cru aux héros. Pour être honnête, je détestais l'archétype du personnage principal sauvant sa promise, et ce parce que je pensais que ce genre de personnes n'existait pas.

Mais d'un autre côté, j'avais l'impression qu'il venait tout juste de me sauver, et que peut être il me sauvait depuis un moment déjà. Je n'aurais su dire quand est ce que j'avais commencé à me raccrocher autant à lui.

J'aurais dû lui dire que je l'aimais, le lui dire plus tôt. Mais comment le prévenir d'une chose imprévisible ? J'aurais presque voulu en être averti à l'avance, lui dire "je ne dois pas te rencontrer, parce que je vais t'aimer". Maintenant c'était trop tard.

Peut être que j'aurais pu essayer de lui demander ce qu'il pensait de moi. Mais j'avais peur, soudainement. Je ne voulais pas perdre sa sécurité et son affection. Peut être qu'il m'aime, en ami, et qu'il m'aimera moins si je l'aime aussi, en amour.

Il s'arrêta à un feu rouge.

- Dis ?

- Mmh ? fit-il en faisant passer son bâton dans sa langue, tout en me jetant un regard par le rétroviseur.

- Si je te disais que je t'aimais, qu'est ce que tu dirais ?

Il me fixait par la glace, je le savais, je sentais son regard sur moi, mais je regardais par la fenêtre, les rares voitures amassées à côté de nous. Je n'avais pas du tout prévu de dire ça. Je voulais amener le sujet délicatement. Qu'est ce que tu penses de moi. Quel est ton genre de fille. Quel est ton genre de mec. T'as quelqu'un ? Je ne savais même pas s'il était avec quelqu'un. Oh, c'était...

Des klaxons retentirent derrière nous et nous nous aperçûmes que le feu était passé au vert. Il avança frénétiquement en faisant des signes d'excuse avec sa main. Il continua à rouler en fronçant les sourcils.

Et ne dit rien.

- Alors ? demandais-je.

Pourquoi diable est ce que j'insistais ? Je ne savais pas. Mais ne pas savoir me mettait mal à l'aise. Son silence n'était plus le même qu'auparavant. C'était un drôle de silence. Pas de tension, ni de colère n'émanaient de lui. Mais pour ma part, j'avais peur.

- Je ne sais pas, répondit-il finalement. Dis le moi, et tu verras.

Sa dernière phrase était un peu hésitante. J'attribuais cela aux cahots de la route. Tout en parlant, il s'était engagé sur une petite route mal éclairée. Les feux des rétroviseurs balayaient la rue.

J'ouvris la bouche pour m'exécuter, puis me ravisais. Une étrange peur m'avait serré le cœur, je suffoquais, je n'osais tout simplement pas. Je ne pouvais pas le dire, c'était vertigineux, "je t'aime". L'hypothèse était une chose, la pratique une autre.

Le silence continua. Je réfléchissais, à tant de choses que ça me paraissait être trop. C'était inquiétant de me sentir dépassé par tout ces amas de réflexions. Surtout qu'elles ne le concernaient qu'une personne. Que lui. Des milliers de petits bouts de lui. Qui tournoyaient dans ma tête.

- Tu as... commençais-je, sans aucune idée d'où je voulais en venir. Tu es...

Je voulais parler de lui. De lui tout entier. Mais je ne savais pas comment faire. J'avais envie de parler de lui, avec moi, de nous, mais je trouvais cela pire encore, impossible. J'avais en moi des papillons de mots qui parlaient de lui, avec instance, sans discontinuer, des voix confuses, mais multiples, si multiples que je n'entendais qu'elles. Je n'entendais que son être, que lui, tout le temps, c'était grandiose et terrifiant, c'était le rebord d'un puits de nuages. Infini, et terriblement doux.

La voiture tourna. Il était concentré sur une manœuvre. Je baissais mes yeux sur mes mains.

Les pneus crissèrent et je redressais la tête. Il garait la voiture, sur ce petit bord de route vide. Pourquoi ? Étions nous arrivés quelque part ? Il alluma les warnings.

Il détacha sa ceinture et je l'imitais. La bande élastique était toute emmêlée. Je m'attelais à la rendre droite, embêté. Je jetais un coup d'œil vers lui pour vérifier qu'il n'avait pas assisté à ce moment embarrassant.

Je m'interrompis d'un coup. Il s'était retourné et me fixait résolument. Je pus enfin détailler son visage. Son nez, sa mâchoire, ses yeux bleus, ses cheveux rasés et son unique boucle d'oreille. Magnifique, pensais-je.

Il avait l'air préoccupé. Il fronça les sourcils et approcha sa main de mon visage, sans pour autant me toucher.

- Tu disais la vérité ? demanda-t-il, avec une lueur d'inquiétude dans les yeux.

Je ne voyais que ses yeux bleus.

- Je ne sais pas mentir, répondis-je doucement.

- Ah, souffla-t-il en posant finalement sa main sur ma joue.

Sa paume enveloppait toute ma mâchoire. Il commença à faire de petits cercles hésitants avec son pouce. Il était tellement penché maintenant, et tellement proche. Sa main était grande et ses doigts effleuraient mes cheveux, et mon oreille.

Je me penchais d'un coup. Le tranchant de ma ceinture s'enfonça dans mes côtes, le plat de la lanière m'entrava brutalement la poitrine. Je m'en fichais. Mon nez toucha le sien, il sentait bon, ses lèvres étaient à quelques millimètres des miennes. Je le regardai. Il me fixait déjà, avec ses yeux tellement bleus, et je pris ma décision- je ne pouvais en effectuer une autre alors qu'il me regardait comme ça. Je plaquais ma bouche sur la sienne, ma ceinture me serra implacablement le torse, il me poussa et me plaqua contre le siège pour mieux m'embrasser. Son corps se plaqua contre le mien. Il s'assit sur moi, sa main agrippa mes cheveux. L'autre me détacha pendant qu'il m'embrassait toujours, avec passion, en tordant sa langue autour de la mienne.

*

inspiré de deux chansons des Smiths, dont une est en début de chapitre :

There is a light that never goes out : 

This charming man :


février 2024

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