23.

Thomas Grant se tenait debout, devant moi, les mains dans ses poches. Sa chemise à carreaux était roulée jusqu'à ses coudes, tandis que son jean délavé tombait droitement jusqu'à ses souliers. Il était aussi pâle que plus tôt ce matin, et avait toujours ses yeux cernés et son air épuisé. Grant avait un sourire en coin, mais il semblait plus que faux. À ce moment, je ne ressentais aucune haine à son égard. J'avais surtout pitié de lui.
C'était étrange à quel point la mort pouvait affectée quelqu'un. Je me souvenais très bien lorsque ma mère m'avait annoncé quel avait un cancer, pour la première fois. Je lui avais posé une question immédiate.

« Est-ce que ça veut dire que tu vas mourir? » avais-je demandé.

Ma mère avait pincé les lèvres, ses yeux s'humectant aussitôt. Ses longs cheveux blonds tombaient le long de ses épaules et ses yeux bleus étaient plein de vie. Ma mère avait l'air d'une personne rayonnante de santé. Qui aurait pu savoir qu'une partie d'elle était malade? Que son corps habitait une tumeur? Personne en apparence. Certes, ma mère avait été quelques peu malade ces dernières semaines, mais ce n'avait été que de simples rhumes.

« Peut-être que je vais mourir, Lucy. Mais je vais me battre pour survivre. Pour ton père et toi. » avait répondu ma mère, la voie tremblante.

J'avais très peur des prochaines semaines, à ce moment-là. Qu'est-ce qu'il m'arriverait si ma mère, mourrait? Comment pourrais-je vivre sans sa présence à mes côtés? C'était une personne essentielle pour une gamine de douze ans. On ne pouvait pas perdre sa mère si jeune. C'était injuste.
Ma mère n'était peut-être pas morte de ce cancer, mais c'était tout comme. Lorsqu'elle toussait, j'avais l'impression qu'elle allait recraché un de ses poumons. Lorsqu'elle marchait, j'avais l'impression qu'elle allait se briser, tant elle était squelettique. J'avais toujours peur que la mort vienne la chercher. Chacun de ces gestes semblaient pénibles.
Ma mère avait survécu à cette première vague du cancer, mais pourrait-elle survivre à la deuxième?
Je secouai la tête, ne souhaitant pas y penser. Mon regard dériva à nouveau vers Thomas Grant. Je décidai de me lever, histoire de ne pas me laisser intimider.

« Salut, Grant. » marmonnai-je.

« Je déteste qu'on m'appelle par mon nom de famille, tu sais? »

« De quoi veux-tu parler, Grant? T'as quelque chose d'important à me dire? »

Thomas Grant grimaça légèrement, mais j'eus la forte certitude que ce n'était pas parce que je l'avais appelé par son nom de famille. Je levai un sourcil, l'incitant à répondre.

« J'ai la preuve que Becca n'a pas tué Mary Ann. »

• • •

Mettant de côté mes problèmes familiaux, je suivis Grant jusqu'à la bibliothèque. Cette-dernière était plutôt énorme, mais pourtant déserte. Il y avait un bureau spacieux où se trouvait une drôle de petite femme aux grosses lunettes et à la fine bouche en forme de «o». Probablement la bibliothécaire. Celle-ci ne cilla même pas, lorsque Grant et moi passâmes devant elle. Elle fixait tout simplement le vide, l'air de songer à quelque chose d'important. Face à son bureau, se trouvait des dizaines d'étagères en mélanine, là où reposaient des milliers de livres. En plissant les yeux, j'arrivais à apercevoir une grande baie vitrée, de l'autre côté de la salle. Quelques tables pour les étudiants étaient entreposés à certains endroits dans la pièce. C'était splendide come bibliothèque. Je regrettais de ne pas y être venue plus souvent, auparavant. J'aurais très bien pu profiter de ce silence pour étudier certaines matières et y oublier les gaffes de Becca. J'aurais apprécié cet endroit autant que la radio étudiante. La radio étudiante... Conley et les autres.
Je secouai à nouveau la tête, ne souhaitant pas y penser. C'était suffisamment déroutant ainsi.

« Je suis désolée d'avoir porter plainte contre toi, Lucy Frances. J'ai fait ça sur un coup de tête, j'étais tellement en colère! » fit Grant en se tournant vers moi.

Je ne pu cacher ma surprise face à cet aveu. Thomas Grant s'excusant à moi c'était quelque chose auquel je n'avais jamais songé. Grant avait l'air suffisamment orgueilleux pour que les excuses ne lui viennent pas. Même si ce qu'il venait de dire n'expliquait pas vraiment le pourquoi du comment, je lui en était reconnaissante.
Le garçon aux cheveux blond cendré fit quelques pas vers moi, alors que je le dévisageais, mes yeux gris et fade analysant chaque parcelle de son corps. Son imposante carrure athlétique était l'une des choses qu'il y avait le plus à craindre chez lui. Il était beaucoup plus sculpté que Conley. Et malgré tout, mon copain avait réussi à le plaquer contre les cases, à notre première altercation.

« Et je suis désolé pour tout ce que je t'ai dit. Ce n'était pas bien, mais attends un peu, je vais t'expliquer. »

« Ça va... Bon, je ne te dirai pas que tes paroles ne m'ont pas blessées, mais c'est gentil de t'excuser. T'es peut-être pas le connard que j'imaginais. » assurai-je en le regardant droit dans les yeux.

Le blondinet m'adressa un regard de travers, en haussant les sourcils, comme s'il était surpris par mes paroles. Ou bien il me trouvait simplement très étrange.
Plusieurs étagères plus loin, on s'arrêta pour de bon. On était complètement dans l'aile Est de la bibliothèque, soit dans un petit coin isolée, où entre deux étagères se trouvaient deux tables de travail. L'une regroupait des tonnes de documents et je priais à cet instant pour qu'il s'agisse du Traité des Listes. Après tout, c'était ce que cherchais Grant.
Sur l'autre table, il n'y avait qu'un pot rempli de crayons entreposé au centre. Rien de plus. Le blond qui m'accompagnait pointa l'une des chaises qui se trouvait à cette table, m'invitant du regard à m'y installer. J'obéis sans demander plus d'explication. Je me doutais bien que Johnny Greene ne serait pas le seul à me faire des confidences aujourd'hui. Voyant que Thomas Grant restait silencieux, je décidai de commencer par une question plutôt simple.

« Donc, tu savais que j'écoutais lorsque tu t'entretenais avec May? »

« Oui. » répondit-il en appuyant les paumes de sa main contre la surface du meuble. « J'avais besoin de t'attirer ici. Je devais te parler, mais tu as mis plus de temps que prévu à te rendre à la bibliothèque. »

« À propos de ça, je m'entretenais avec Johnny Greene. Il m'a fait des révélations sur la relation entre May et le directeur ainsi que sur le plan de Becca pour son carnet de secrets. » avouai-je, sans détourner le regard de ses yeux verts.

« Ce crétin est carrément partout. » marmonna Grant en se grattant la nuque.

J'ignorai sa remarque sur Johnny Greene et poursuivit, sans laisser à Grant la moindre de chance de s'exprimer.

« Cette rencontre a été plutôt intéressante. Par exemple, j'ignorais que Becca avait droit à des privilèges parce qu'elle avait gardé le secret de May. Le directeur n'a jamais été au courant de la situation, n'est-ce-pas? C'est pour ça qu'il est toujours resté pareil avec Becca. »

« Exactement. Cependant, j'ai une petite question... Comment se fait-il que tu n'étais pas au courant de toute cette histoire de carnet de secrets? »

« Ma mère avait un cancer et j'ai donc arrêté l'école pendant plusieurs semaines pour pouvoir être à ces côtés. »

À cette pensée, je frémis. Je ne voulais pas revivre cette phase sombre de ma vie à nouveau. C'était trop horrible pour être vécue plus d'une fois.

« Oh. Donc tu n'as jamais lu le fameux carnet? »

« Non, mais Johnny Greene m'a informé de quelques secrets horribles qui ont été partagé. Dont celui de Dave Thompson... »

Grant baissa les yeux comme s'il venait de se rappeler de quelque chose qu'il aurait préféré oublié. Il grimaça, tout en tirant sur le bas de sa chemise, l'air franchement agacé de devoir y repenser. Le blond se dirigea vers l'autre table où se trouvait de nombreux documents, et revint avec un dossier à la main. C'était un gros dossier, fermé grâce à des épingles, tant il semblait plein de feuilles. Grant me le tendit et je le prit en soutenant son regard pour avoir une explication.

« C'est une photocopie du carnet. Les secrets de tous les élèves de cette école y sont. Fais gaffe à ce que personne ne te vois en sa possession. Les élèves ici croit que les copies du carnet de Becca ont été brûlées. C'est vrai, cependant il en reste une. Prends-en bien soin. »

« En quoi c'est censé innocenter Becca? » demandai-je en regardant le dossier comme s'il s'agissait d'un objet maléfique.

« Ce n'est pas ça qui va innocenter Becca. Ce dossier est simplement important. Et peut-être que tu meurs d'envie de connaître ton secret. »

« Pardon? »

« Tu n'as pas été exclu, Lucy. Becca y a aussi inscrit ton plus grand secret. » avoua Grant en joignant ses mains.

J'avais envie de gifler Becca pour avoir agit ainsi et pour cette connerie de carnet, mais en même temps, j'étais rongée par cette visite pacifique que m'avait rendu Becca à l'hôpital. Elle avait été si mature à ce moment que j'avais l'impression qu'elle avait changé ; mûri. Peut-être n'était ce qu'une illusion ou une nouvelle stratégie, mais je voulais bien jouer la naïve sur ce coup. J'étais prête à prendre ce risque.
Je me balançai sur la chaise, tout en m'agrippant au rebord de la table. Grant m'examina de fond en comble, comme s'il me jaugeait. Je rencontrai son regard histoire de comprendre ce qu'il faisait exactement. Il détourna le regard, comme s'il était gêné. Étrange.

« Et c'est quoi ton secret? » demandai-je en fronçant les sourcils.

« Je n'ai pas besoin de te le dire, il est inscrit dans le carnet. » répondit-il d'un ton beaucoup trop sec.

« Excuse-moi, je croyais bien faire, c'est tout. Si tu te sens plus à l'aise de m'en parler, avant... »

« Désolé, j'ai juste une horrible migraine qui me torture. » s'excusa-t-il en se massant le haut du crâne, « J'avais le béguin pour toi en première secondaire. C'était ça mon secret. »

Je déglutis n'en croyant pas mes yeux, par ce que Thomas Grant venait de dire. Moi, la blondinette qui s'était toujours caché derrière la froideur de Becca, j'avais attiré Grant. Il m'avait trouvé attirante. Ce n'était presque pas croyable.
Thomas Grant me regarda droit dans les yeux, atrocement pâle.

« Mais bon, je suis presque certain que tu ignorais mon nom jusqu'au début de cette histoire... Jusqu'à ce que j'étrangle, hum, Becca. » supposa-t-il, ses mâchoires se crispant.

« Je suis désolée, je... »

« Non, s'il-te-plait, ne t'excuse pas. Je ne veux pas te faire pitié. Et de toute manière, j'ai très vite passé par-dessus et j'ai rencontré Mary Ann... Sauf qu'elle est morte à présent... »

J'aperçus les yeux de Thomas Grant se remplir de larmes, mais je restais là, impuissante. À chaque fois qu'il énonçait le nom de Mary Ann, je revoyais son cadavre. Son visage pâle, ses yeux grand ouvert qui fixaient le plafonnier éteint, la marque rougeoyante qui faisait le tour de son coup, son chemisier blanc tâché (de sang?) et le message de haine qui y ressortait. Et puis il y avait moi dont les genoux tremblaient et promettaient de lâcher, moi qui m'écroule en état de choc et Conley qui m'enveloppe de ses larges bras. Ces effroyables images ne me quitteront jamais. Je serai toujours hanter par cette soirée. Tout ce que j'aurais pu faire pour empêcher cela d'arriver, tout ce que j'aurais pu dire, tout ce que j'aurais pu pensé, tout ce que je n'ai pas fait...
Je secouai la tête, me massant les tempes comme si ce simple geste allait pouvoir me permette d'oublier et je restai là, à fixer la table de bois. Chaque petite parcelle de moi désespérait, tant de choses me submergeaient et je commençais à prier pour que tout ceci s'arrête. Je voulais que ce cercle infernal s'arrête. J'en avais besoin.

« J'ai besoin de comprendre, Grant. J'ai besoin de comprendre... J'ai.. » bredouillai-je en enfouissant mon visage entre mes mains.

« C'est vrai que j'ai agit bizarrement ces derniers temps. Je veux dire, en première secondaire j'avais le béguin pour toi, et avec cette liste je t'ai fait plein de trucs horribles. Mais tu dois comprendre que j'étais si en colère. Pas uniquement après cette liste, mais également parce que je t'en voulais. Je t'en voulais de ne pas m'avoir remarqué, auparavant. C'était si gratuit et tu n'y était pour rien, je dois l'admettre. » admit Grant en me regardant droit dans les yeux, se retenant d'éclater en sanglot. « Je ne suis vraiment pas fier de ce que j'ai fait ; de ce que je t'ai fait subir. »

Je levai la tête vers le blond qui me fixait, jouant après les manches de son chandail qui était retombées à ses poignets. Thomas Grant s'excusait.

« Thomas, j'ai besoin de savoir ce que tu sais. J'ai besoin de savoir ce qui s'est vraiment passé la nuit du meurtre. » je déglutis avant de reprendre d'une voix plus convaincante, « Je dois savoir ce qui s'est passé lors de cette fête. »

L'effet de l'avoir appelé par son prénom le résonna. Ses yeux devinrent aussi sec que son âme lui même et son regard fut plus grave que jamais. J'y étais à ce fameux moment. Maintenant la vérité allait éclater.

« Ouvre bien grand tes oreilles et installe-toi confortablement sur ta chaise, parce que ce que je vais te raconter n'est pas joli-joli. »

Je jetai un coup d'œil à Thomas Grant qu'il me rendit, comme si nous étions en accord sur quelque chose.
Il ouvrit la bouche et se lança.

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C'EST LA FIN DE SEMAINE! Et devinez qui va se réveiller à 7h du mat' un samedi? Moi. -.-
Sinon, j'ai mis un peu de temps à écrire ce chapitre, mais j'aime bien le résultat. Je sais que certains d'entre vous vont m'en vouloir de finir le chap 23 comme ça. Mais bon, je suis sadique. Muhaha.

⇒ Que s'est-il réellement passé durant la nuit du meurtre?
⇒ Êtes-vous choqué(e) par le "secret" de Thomas Grant?
⇒ Quel secret de Lucy figure dans le carnet selon vous?
⇒ Que pensez-vous de ce chapitre?
⇒ Vos prédictions?

Merci pour les 21k de vues ce qui est franchement énorme. Merci de me supporter. Vous êtes géniaux. <3

~ Marianne ~

P.s.- Je vais voir La Visite, ou The Visit pour certains, ce dimanche... Je suis très excitée! ^^

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