24- Observations
Martial adore travailler et faire ses devoirs, il dessine de mieux en mieux.
Nous avons des réserves de ventoline partout dans la maison et dans l'immeuble.
Il faudrait que j'en donne aussi à Carla, mais depuis qu'elle m'a engueulé la semaine dernière je ne l'ai pas revue. Elle n'a pas changé ! J'aime son allure énergique, ses cheveux épais sombres. Pour la remercier, je pourrais lui proposer des soins esthétiques ou une coupe gratuite, mais je redoute qu'elle m'envoie promener. Ça coute cher les soins ! Ce serait pourtant un beau cadeau pour la remercier, mais mon instinct me dit que pour l'instant j'ai plutôt intérêt à me faire oublier.
J'appelle Miranda, qui ne s'étonne pas de mon appel tardif, je lui avais parlé de Carla et je lui raconte que je l'ai retrouvé. Elle en conclut d'elle-même que je veux arrêter pour l'instant.
Carla m'a fait honte et surtout, je ne veux pas qu'elle puisse me rappeler pour coucher avec elle. Je ne veux pas qu'elle me voit dans ma tenue, car elle devinerait sans mal ce que je compte faire. De façon je n'ai plus personne pour garder Martial. Si jamais je le laisse surtout pour une passe, elle risque de me dénoncer aux flics.
Le dimanche suivant, je me suis levé aux aurores pour vider le palier. J'ai descendu à la poubelle deux meubles que je comptais bricoler, mais je n'ai jamais eu le temps. C'est dommage, mais il me faut être raisonnable et c'est plus logique que je travaille meuble par meuble.
Cela me fait mal au cœur, mais je jette aussi ma vieille planche de surf, je n'ai vraiment pas la place d'en avoir trois, j'ai un défaut, j'ai horreur de jeter.
Elle a eu raison pour son coup de gueule. J'étais en train de me laisser envahir.
Le fait de ne pas savoir jeter... je suppose que cela doit remonter à mon enfance où j'ai manqué de tout. Puisque j'y suis, je vide aussi mon appartement encombré. Je jette la poussette de Martial, des tonnes d'objets inutiles, des meubles abimés que je stockais ici. Martial n'a jamais eu beaucoup de place pour jouer, en même temps il n'a jamais eu besoin de beaucoup de place, il ne bouge pas.
Mon appartement parait plus grand et le pallier est bien plus agréable comme cela. J'ai gardé une jolie console étroite qui me servira d'établi et je la couvre de plantes pour la camoufler un peu. Je passe l'aspirateur il est 10 heures quand Carla sort endormie, en tee shirt et short.
─ Je fais trop de bruit ? je demande embêtée.
─ Non c'est bon !
Elle regarde le pallier dégagé. Elle voulait de l'espace je lui en fais ! Je rends déjà ainsi la moitié du pallier j'espère que cela lui suffira !
Il ne reste qu'un meuble abimé, que je veux vraiment garder, pour le retaper. Je ne dis rien et elle non plus. Peu après elle rentre chez elle, sans avoir prononcé un mot et moi je commence à lui en vouloir et à me dire qu'elle est conne comme ces pieds. Je sens les larmes de rage qui coulent. C'est elle qui m'a appelé pas le contraire ! Si les putes sont des vilaines... leurs clients ...c'est quoi ? Des saints ?
Martial se réveille et je lui prépare un biberon. Il est trop grand pour cela mais il aime bien et cela le réconforte alors c'est notre petit secret.
C'est un petit garçon qui va déjà à l'école primaire mais a besoin de son biberon de bébé.
─ Dis mon chou j'ai besoin d'aller dans l'eau, de faire du kite ! Je te laisse tout seul une heure tu vas chez Madame Benchaoui à l'étage en dessous si il y a un problème ?
Il hoche la tête et prend son album de dessin.
Je suis tranquille il ne bougera pas.
***
Nous avons notre rendez-vous mensuel chez le pneumologue qui suit Martial.
Le con de toubib veut l'envoyer faire un séjour climatique en altitude, à Saillagouse dans les Pyrénées à 1500 mètres d'altitude mais surtout à l'autre bout de la France. Le climat serait idéal pour lui.
Le seul avantage c'est que même s'il loupe l'école un moment, ce ne sera jamais un souci.
Ils l'ont inscrit là-bas sans me demander et le médecin m'a prévenu qu'il part à la prochaine grosse crise.
Ce qui me tue, c'est que je n'arrive pas à savoir combien de temps ils veulent qu'il reste dans cet hôpital.
Le médecin rouspète aussi car Martial est trop maigre et trop petit, il est complétement en dessous de la courbe de poids des enfants. Et c'est reparti pour moi pour des rendez-vous psychologiques : Ils ont la trouille que je ne le nourrisse pas !
Il est marrant lui ! Je n'y peux rien moi Il ne mange rien ! Il n'a jamais faim !
Ils me reprochent de ne pas le nourrir, de le maltraiter. Je fais comment moi quand ce petit monstre ne veut rien avaler.
Des fois on se bat avec Martial pour qu'il avale une bouchée et cela finit en crise de larmes.
Le médecin me dit d'une voix compassée, une phrase qui me tue, que peut être que loin de moi, il ira mieux. Je vois bien que je ne le convaincrais pas de ma bonne foi.
Martial pleure qu'il ne veut pas partir et qu'il va manger plus.
Ca me fends le cœur de le voir se faire disputer pour cela. Paradoxalement je veux le protéger et en même temps, je dois me retenir de le secouer comme un prunier et de lui hurler que tout cela est de sa faute.
─ Maman me donne à manger mais je n'ai pas faim, intervient Martial qui me défend et qui a parfaitement compris qu'on me reproche de le martyriser.
─ Tu dois manger plus ! Sinon c'est vrai qu'on se demande ce qui se passer chez vous ! répond le docteur. Lui aussi a remarqué son exceptionnelle intelligente et il lui explique qu'on pourrait croire que je suis méchante.
Il se met à pleurer parce qu'il n'a que quatre ans et quelquefois sa seule solution c'est d'exprimer son chagrin.
─ Le séjour à Saillagouse cela ne sera que si tu fais une grosse crise, mais tu n'en fais plus donc ne t'inquiètes pas trop.
Martial hoche la tête.
─ Je suis trop petit ?
─ Un peu trop petit, mais quand tu seras au lycée, on te donnera un traitement pour te faire grandir.
Ils ont déjà prévu de lui faire prendre des hormones de croissance.
─ Ça marchera j'aurai une taille normale ? Martial a de l'espoir dans la voix. Je réalise que lui aussi doit souffrir de sa petite taille et de nos disputes et je me sens si minable.
─ Tu es un très beau petit garçon et tu seras un beau jeune homme. Surtout intelligent ce qui ne gâche rien !
Le médecin sait lui parler et ses larmes sèches miraculeusement.
Moi mon inquiétude persiste, la peur qu'il soit malade, qu'on me l'arrache pour l'envoyer à l'hôpital ou dans une école pour surdoué. J'ai parfois l'impression qu'ils vont me rendre folle.
L'hiver arrive à Cherbourg, ici ce sont des pluies et des tempêtes incessantes. Nous nous croisons avec Carla, comme deux voisines, sans rien nous dire.
Le matin quand j'emmène Martial à l'école, elle rentre du sport, elle a été courir et Martial l'interroge sur ses prouesses qu'elle lui donne avec plaisir.
Martial est dans mes bras. Je suis crevée de le descendre, mais je suis obligé de le faire, car les escaliers l'épuisent.
Ils se parlent et moi elle ne me parle pas et m'ignore.
C'est paradoxal tous les deux s'entendent bien. Je soupçonne Martial d'aller la voir tous les soirs quand je ne suis pas là.
Je la revois les soir quand je ramène Martial après l'école.
J'ai un arrangement avec ma patronne, je prends ma pause déjeuner entre 16 et 17 heures, ce qui me permet de récupérer Martial à la sortie de l'école et de le ramener chez nous. La garderie l'épuise et il tombe malade dans le préau glacial. Le souci c'est qu'il n'y a plus mon gentil voisin pour garder un œil sur lui en même temps, il est tellement raisonnable, que j'ai l'impression que c'est lui qui a vingt-deux ans et moi quatre ans.
Tous les voisins de l'immeuble peuvent le dépanner et s'occuper de lui si besoin comme il me l'a dit et chez nous il peut se laver et se reposer.
En théorie il est censé aller voir la voisine du dessous Madame Benchaoui est à la maison, il ne l'aime pas trop, mais il sait qu'elle peut l'aider en cas de besoin. A mon avis, à la place, il va voir Carla. Ils ont l'air proches et complices tous les deux.
Carla rentre à la même heure, couverte de poussière de bois. Martial m'a expliqué quel apprend à bricoler pour réparer sa boutique.
Pour la boutique il m'a expliqué que c'était une boutique de bonheur, elle serait marchande de bonheur. Cela me rassure quand il ne comprend pas des choses, cela le ramène à son âge normal.
Au début elle me regardait monter les escaliers avec Martial dans mes bras, dédaigneuse. Quand j'arrive en haut je suis épuisé. Arrivé chez nous, je ne traine pas, je lui prépare son repas et son bain.
Je lance une lessive et range un peu.
Je ne m'occupe pas des devoirs, limite il faudrait lui interdire de les faire. Dans son cartable il a toujours des livres et pas des livres de bébé. Il lit déjà des livres pour adulte. Lui un manuel scolaire il le lit de A à Z, dire que je ne sais pas lire.
Puis je retourne bosser en prévenant ma voisine du dessous qui sait qu'elle peut avoir la visite de Martial.
Il se garde seul comme l'a dit Carla c'est limite.
Une semaine plus tard alors que je monte avec Martial, je croise Carla. Elle me prend Martial des bras pour me le monter. Je veux protester, mais j'en suis encore à récupérer mon souffle alors que je les entends bavarder tous les deux. Puis elle fait la même chose les matins, elle me le descend. Au début elle allait porter ces poubelles puis très vite, elle n'a plus besoin de prétexte. Elle ne me dit rien, mais le fait en parlant à mon bonhomme. Je sens une énorme complicité entre eux deux. Ensuite tous les jours après cela elle me le monte et me le descends mais sans me dire un mot toujours en ne parlant qu'a Martial.
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