Chapitre unique
(avant de commencer, je vous invite à écouter la musique ci-dessus, Lips on you de Maroon 5, qui est la musique sur laquelle j'ai imaginé Jimin danser et qui est (par conséquent) la chanson qui a tourné en boucle pendant l'écriture de ce One Shot. Bonne écoute et bonne lecture)
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Je m'installe au milieu de la scène, lève les bras et attache le ruban autour de ma tête, me privant alors de la vue. Les premières notes commencent à résonner dans l'amphithéâtre et je me laisse porter par elles. Je sais absolument ce que je dois faire, où poser mon pied, à quel moment me laisser tomber sur le sol, quand sauter.
Lorsque je me relève, je sais parfaitement où je suis. Tout est millimétré. Au moindre faux pas, je peux tomber de scène. Mais cela n'arrivera pas. Je répète depuis des jours.
Des semaines même.
Depuis bien trop longtemps pour avoir encore le droit à une erreur.
Mais vient la partie qui me donne le plus de mal. Un saut papillon pendant lequel je dois faire un demi-tour parfait si je ne veux pas me retrouver totalement hors de mon axe. Le moindre quart de tour supplémentaire me fait perdre toute orientation et j'ai une chance sur trois pour ne plus être dans la bonne direction. Une chance sur trois alors pour tomber de scène.
Je saute.
Je touche le sol, avance de deux pas avant de sentir le bord de la scène sous mon pied. Mes yeux s'écarquillent sous le ruban et je les ferme par réflexe, en attendant que l'impact arrive.
Mais il ne vient pas.
Parce qu'une paire de bras entoure ma taille et m'attire contre un torse. Je suis tétanisé par ce qu'il vient de se passer et ne réagit pas plus que ça quand je me sens tiré en arrière. Et la musique continue alors que je me laisse entrainer.
Les bras glissent le long de ma taille et je me retourne pour faire face à mon sauveur. Mes mains viennent toucher le tissu qui m'aveugle toujours mais je suis stoppé dans mon mouvement. Ses doigts viennent s'entremêler aux miens et je suis porté dans une danse que je connais. La mienne. Les balancements, les tours, les pas sont les mêmes que ceux que je pratique tous les jours depuis des semaines. Mais malgré tout, c'est comme si, désormais, c'était lui qui me guidait.
Ses mouvements semblent identiques aux miens. Je sens ses bras me suivre, j'entends ses pas résonner en même temps que les miens.
Alors je me laisse porter.
Et surtout, je n'ai pas peur.
Je ne sais pas qui est avec moi mais j'ai l'intime intuition que si je devais me rapprocher du bord, il serait à nouveau là pour m'empêcher de tomber. Et cette simple constatation m'aide à me sentir libre. Beaucoup plus libre. Quand je tourne, quand je saute, je sais qu'il est juste à côté de moi. Parfois, je sens même ses mains venir réajuster ma position lorsque je ne suis plus dans le bon sens.
Puis la musique s'arrête.
J'enlève le ruban autour de ma tête. La lumière des projecteurs m'éblouit et j'essaye difficilement de reprendre ma respiration avant de me retourner. Je veux savoir qui m'a sauvé, qui a dansé avec moi, qui vient de me faire vivre un des moments les plus troublants de mon existence.
Mais mes yeux ne rencontrent que le vide de la scène.
Je me laisse glisser jusqu'au sol. Je suis seul et peu à peu ce que je viens de vivre ressemble à un rêve. J'observe le plafond et tenter de revenir à la réalité. Je suis perdu. Quelqu'un était là, il y a quelques minutes. J'en suis sûr. Comment j'aurais pu imaginer sa présence ? Ses mains sur ma taille, ses pas qui suivaient les miens. C'était réel.
La musique a eu le temps de tourner en boucle une bonne dizaine de fois avant que je ne décide de me lever. Ce sera tout pour aujourd'hui. J'avais décidé de rester ici jusqu'à la fermeture de l'amphithéâtre mais je ne me sens plus capable de quoi que ce soit. Mon esprit est trop obnubilé par ce qu'il vient de se passer. Et lorsque je rentre chez moi et me jette dans mon lit, mes pensées sont toujours tournées vers cette danse que m'a accordée cet inconnu.
Le lendemain matin, je suis prêt de bonne heure pour aller au conservatoire. J'ai très peu dormi et les seules fois où j'ai pu fermer les yeux, c'était pour imaginer une silhouette sans visage bouger au rythme d'une musique qui n'existe pas.
J'entre en salle de musique et m'installe dans un coin. La fatigue commence à s'abattre sur moi et je sens que la journée va être longue.
— Salut Jimin. Oh toi, tu t'es entraîné toute la nuit!
Je lève la tête et voit Nam Joon et Tae Hyung, mes deux meilleurs amis, arriver et se mettre à côté de moi. Les cours de musique sont les seuls que nous ayons en commun tous les trois et je dois avouer que cela me fait du bien de les avoir avec moi en cette première heure. Il faut que je leur raconte ce qu'il m'est arrivé.
— Non, j'ai raccourci mon entraînement d'au moins une heure et demie.
— Comment ça se fait ? demande Nam Joon. Normalement, il faut une corde pour t'arracher de tes répèt' ?
— J'ai ... Il s'est passé un truc.
Et je leur raconte. Je n'omets aucun détail. Ni le sauvetage, ni la manière qu'a eu cette personne de danser avec moi et pour finir sa disparition.
— Et il est parti, comme ça ? s'étonne Tae.
— Comme ça. T'en penses quoi hyung ?
— Ce qui m'étonne, c'est plutôt qu'il connaissait ta chorégraphie. Un stalker ?
Je frissonne à cette idée. J'avoue ne pas y avoir pensé. Mais maintenant que Namjoon le dit ...
— Qu'est-ce que tu vas faire ? Hyung a raison. C'est peut-être un psychopathe !
— Je n'sais pas ... si ça se trouve, il ne reviendra plus.
— Espérons-le alors.
Oui ... espérons-le.
La journée passe et j'arrive tant bien que mal à ne plus penser à cet inconnu. Enfin, c'est ce que j'essaye de me faire croire. Jusqu'à ce que je prenne le chemin de l'amphithéâtre pour un soi-disant entraînement.
J'entre dans le bâtiment et passe par les coulisses pour déposer mes affaires. Je m'approche du rideau de la scène lorsque j'entends de la musique. Je passe doucement la tête et y vois quelqu'un danser. Jeon Jung Kook. De deux ans plus jeunes que moi, major de sa promotion, spécialisé en danse, comme moi, il est un jeune prodige et la coqueluche du conservatoire. Je ne pensais pas le voir ici ce soir. Il me semble qu'il a une salle privée à quelques rues d'ici.
— On joue les voyeurs ?
Je sursaute et me retourne vivement pour voir Hoseok m'observer.
— Oh hyung, je ... j'étais surpris c'est tout. Je pensais pas voir quelqu'un ici et encore moins Jung Kook.
— Sa salle a un problème. Il vient ici depuis quelques jours. Et toi ? Je peux t'aider d'une quelconque manière ?
Hoseok est aussi élève du conservatoire, spécialisé en rap et composition, et partage la plupart des cours de Namjoon. Il m'arrive de le croiser, de temps à autre quand je viens à l'amphithéâtre. Il aide Seok Jin-shi, le prof d'art dramatique, et le club qu'il supervise à préparer la scène pour les performances de fin d'année. Ils sont quelques-uns comme ça à prêter main forte. Namjoon le fait aussi quelques fois. Il dit que ça lui permet de remplir son dossier. Moi je pense que c'est plutôt pour passer un peu plus de temps avec Yoongi, un autre gars du conservatoire. Hyung passe son temps à vanter ses mérites. Beaucoup trop pour que ce soit anodin.
— Jimin ?
— Oh ! Oui ... Je voulais m'entraîner mais c'est pas grave. Je reviendrai plus tard.
— Tu peux rester. Je pense qu'il est à la fin de sa répétition. Normalement, il devrait libérer l'amphi dans, continue-t-il en regardant la grande horloge de la loge, dix minutes. Ça te laisse le temps de t'échauffer.
— Merci ! Je vais faire ça.
Je retourne mon attention vers Jungkook, laissant Hoseok repartir à son travail. C'est vrai qu'il est plutôt doué. Je sais qu'il participe lui aussi aux auditions des compagnies. Si je ne savais pas qu'il ne convoite pas la même que moi, j'aurais du soucis à me faire bien que je ne démérite pas. Nous n'avons simplement pas le même style.
Comme Hoseok me l'a dit, dix minutes plus tard, le silence se fait sur la scène et Jungkook passe le rideau, se retrouvant à quelques petits mètres de moi.
— Bonjour Jimin-shii. Bonne répétition, me souhaite-t-il en souriant avant de partir.
Je n'ai pas eu le temps de dire quoi que ce soit qu'il est déjà hors de ma vue. Tant pis pour la politesse. J'entre sur la scène et m'approche d'une des enceintes utilisables de l'espace pour y connecter mon téléphone. Pour cette fois-ci, je danserai les yeux découverts. Je ne me sens pas d'humeur à mettre le ruban. Ou plutôt, j'ai peur de le faire.
Est-ce que si je danse à nouveau à l'aveugle, l'inconnu sera là ? Et je ne sais pas ce qui me fait le plus peur. Qu'il soit là ou au contraire, qu'il ne le soit pas ?
Et les quelques jours suivants, je continue de danser en voyant. Mes journées se répètent et mes craintes subsistent. Je passe mes journées avec Tae et Namjoon, lorsque je vais à l'amphithéâtre Jungkook est déjà là pour s'entraîner, alors je discute avec Hoseok et parfois Yoongi se joint à notre discussion avant que Namjoon ne vienne nous interrompre sous prétexte qu'ils ont du boulot. Puis je danse.
Mais toujours à découvert.
Sauf ce soir. Parce que j'en ai assez de me mettre martel en tête. Parce que j'ai besoin de m'entrainer sérieusement et surtout, j'ai besoin d'avoir les idées claires. Et il n'y a qu'une seule solution pour cela : danser comme cette fois-là.
Je me déchausse, viens au centre de la scène et comme un geste qui m'avait manqué, je noue le ruban autour de ma tête.
La musique commence et je laisse mon corps mouvoir comme il sait si bien le faire. Pourtant, je me sens presque hésitant. J'ai laissé cette cécité imposée de côté depuis trop longtemps. C'est comme si je dois réapprendre à ne plus voir. Alors la première danse se fait doucement. Puis la chanson se répète plus mes mouvements se libèrent.
Et j'oublie tout.
Je ne me suis pas senti aussi libre depuis cette fois-là. Alors je danse. Encore et encore et encore. La musique tourne en boucle et je suis incapable de dire combien de fois elle est passée. C'est lorsque j'entends la pendule des coulisses sonner que je me rends compte que la nuit est déjà tombée. Alors quand la chanson se termine une nouvelle fois, je décide qu'il est temps pour moi d'arrêter.
Mais avant que je ne vienne retirer le tissu qui m'aveugle, j'entends des bruits de pas qui se rapprochent de moi. Mes mains se figent à quelques centimètres de mon visage et je sens mon cœur battre un peu plus fort.
Les premières notes de ma chanson se mettent à nouveau à résonner dans l'amphithéâtre alors que des mains se posent sur les miennes. Et nous repartons dans une danse. Dans ma danse. Il guide à nouveau mes pas, me remet dans le bon sens lorsqu'il le faut. Tout est comme la dernière fois à l'exception d'une chose.
C'est comme s'il rajoutait à ce moment une nouvelle proximité. Je sens plus facilement son torse contre mon dos, son souffle près de mon visage. Et ça me trouble. Je ne sais plus dans quel sens je suis et je manque de tomber. Mais comme la dernière fois, il me rattrape. Il m'emmène vers le centre de la scène.
Puis plus rien. Je ne le sens plus. La musique s'éteint et je suis juste seul. Enfin je le crois. Je lève les mains pour enlever le ruban mais je suis arrêté par les siennes. Il m'oblige à les baisser et je le sens tapoter deux fois sur elle. Est-ce qu'il me demande d'attendre ? Est-ce que je dois lui obéir ?
Dans le doute et surtout pour ne pas mettre fin à ce moment, je reste immobile et aveugle au centre de la scène.
J'aperçois une lueur un peu plus vive près de moi et comprends qu'il a allumé d'autres projecteurs. Puis quelques secondes plus tard, une main attrape la mienne et je me sens tiré sur le côté. J'approche quelque chose qui m'éblouit, même au travers du tissu. Une lumière. Il lève ma main et me la rapproche d'elle. Je le sens plus que je ne le vois. C'est chaud contre ma main, contre mon visage.
Puis il me recule. Et avant que je n'aie le temps de dire quoi que ce soit, il me fait tourner sur moi-même. Je suis désorienté et surtout, je n'ai à nouveau plus aucun contact avec lui. Je suis perdu et je n'ose même pas bouger de peur de chuter. J'entends finalement ses pas qui se rapprochent. Il attrape ma main, me tire derrière lui et sent qu'on s'arrête encore une fois près d'un projecteur.
Il en approche ma main. Je ne comprends pas ce qu'il veut.
Il en approche une nouvelle fois ma main. Je sais qu'il essaye de dire quelque chose mais s'il utilisait sa voix, ce serait tellement plus simple.
Il approche une dernière fois ma main avant de la poser sur ma joue.
Projecteur. Joue. Projecteur. Joue.
Et lorsqu'il me traîne pour la seconde fois vers le centre de la scène pour me faire tourner sur moi-même, je comprends. Je dois le rejoindre. Il est près du projecteur. Et celui-ci éclaire assez pour que je sente la chaleur qu'il dégage. Je me tourne jusqu'à être sûr qu'il se trouve face à moi et avance.
Je suis accueilli par une paire de bras qui me récupère avant que je ne cogne le projecteur. Je n'arrive pas à cacher mon excitation mais n'ai pas le temps de dire quoi que ce soit qu'il m'attrape à nouveau la main et me tire dans un autre coin de la scène. Cette fois-ci, je ne sens plus de lumière. Il n'y a rien du tout.
J'entends un clac et finalement, une nouvelle lueur passe légèrement à travers le tissu autour de ma tête. Mais elle ne semble pas aussi vive que la première. Elle a même l'air coloré. Bleu je pense. Une de celles que je prévois d'utiliser pendant ma performance. Est-ce qu'il l'a choisie consciemment ? Si c'est le cas, il fait forcément partie du cours de danse. La seule fois où j'en ai parlé à une personne autre que Namjoon ou Taehyung, c'est lorsque nous avons chacun dû annoncer la mise en scène que nous souhaitions pour nos performances. Tous les danseurs participant à l'audition étaient présents.
Il est donc l'un d'entre eux.
Il attrape ma main et la tend vers la lumière. Ce n'est pas aussi chaud que tout à l'heure. Puis il me remet au centre de la scène, m'oblige à tourner et me laisse seul, jusqu'à ce que je le rejoigne par moi-même. Il recommence plusieurs fois, alternant entre la lumière bleue et le gros projecteur. Il me fait traverser en long et en large la scène jusqu'à ce que je n'ai plus aucun doute sur l'endroit où je me trouve.
Il rallume les deux lumières.
J'entends la musique redémarrer, sa présence à mes côtés et je me mets à danser.
Quelque chose a changé dans ma manière de bouger, je le sens. Dès que je saute, je sais pertinemment où je suis, dans quel sens je me trouve et je vois les dernières craintes qui m'habitaient s'envoler. Il a dû le sentir lui aussi parce que ses mouvements se font moins directifs. Il ne me guide plus. Il danse avec moi.
Il se meut autour de moi. Devant. Derrière. Il est comme un courant d'air qui vient valser entre mes pas. Et lorsque les dernières notes viennent s'échouer dans nos oreilles, je sais qu'il est face à moi. Juste à quelques centimètres de moi.
J'entends vaguement son souffle haletant. J'ai envie de lui dire quelque chose, au moins un merci, mais sa main me coupe dans mon élan. Ses doigts qui se posent sur ma joue, son pouce qui vient doucement caresser le haut de ma pommette.
Puis il n'y a plus rien.
Je reste figé quelques secondes avant de porter mes mains à mon visage pour descendre le tissu qui me cachait la vue. Je cligne des yeux pour me réhabituer à la lumière et regarde autour de moi, dans l'espoir d'avoir une trace de mon inconnu. Mais rien ... encore une fois. Alors je récupère mes affaires et je pars.
Et les jours qui suivent, il est à nouveau absent lorsque je vais m'entraîner. J'en deviens fou. J'en suis parano. La moindre personne que je croise peut être mon inconnu. Et dès que cette personne s'approche un peu trop près de l'amphithéâtre et surtout vient pour danser, je ne peux m'empêcher de l'observer en détail dans l'espoir de reconnaître sa manière de bouger. Mais jusque-là, personne ne m'a laissé ce sentiment de déjà-vu que j'attends.
Je suis dans les coulisses, mon sac posé à côté de moi, tandis que je suis assis à même le sol. Ce soir, je ne m'entraîne pas, je n'ai pas la tête à ça. J'attends Namjoon avec qui je vais manger ce soir. Taehyung devrait nous rejoindre un peu plus tard au restaurant qu'il a lui-même choisi.
Je suis dans mes pensées quand je sens quelque chose de chaud toucher ma joue. Je sursaute et découvre un gobelet rempli d'un café fumant, tenu par une main elle-même reliée à un bras, un buste et un visage qui me fait un petit sourire.
— Oh. Jungkook. Tu es là pour t'entrainer ?
— Oui. J'avais envie de conditions réelles pour ce soir. Mais la scène est prise pour le prochain quart d'heure alors en te voyant là comme un chat abandonné, je me suis dit que j'allais venir te parler.
— Tu n'étais pas obligé. J'attends Namjoon hyung.
— J'avais envie.
Son sourire semble vouloir dire quelque chose. Je ne sais pas de quoi il s'agit mais j'ai l'impression que ce n'est pas un simple sourire que l'on adresse par politesse. J'attrape le gobelet de café, presque suspicieux. On ne sait jamais. Des coups bas entre danseurs pour les éliminer de la course, ce ne serait pas un événement isolé. Je sens la boisson. Elle a l'air normal. J'y trempe doucement mes lèvres et à part d'être brûlant, je ne vois rien d'anormal.
— Je vais pas t'empoisonner Hyung ! me dit-il en riant.
— Désolé. C'est juste que ... pourquoi tu as décidé de venir me parler ? On s'est déjà croisé plusieurs fois, surtout en tant que major de promo, mais c'est tout !
— Eh bien ... il se pourrait que je ...
— C'est l'heure du café ? nous interrompt une voix sur le côté.
Hoseok arrive vers nous, me sourit avant de se tourner vers Jungkook.
— La scène est bientôt libérée. J'ai vu avec le prof, tu pourras l'utiliser jusqu'à sa fermeture ce soir.
— Génial hyung ! Qu'est-ce que je ferais sans toi dans ma vie ?
J'observe Hoseok et Jungkook ensembles. C'est vrai qu'ils sont amis. En tout cas, c'est ce que les ragots du conservatoire racontent depuis l'entrée du plus jeune dans l'école. Avant de venir ici, je pensais que ce genre de choses n'arrivait que dans les séries télévisées américaines, mais il m'a fallu me rendre à l'évidence. Dans ce conservatoire, il y a des clans, des populaires, des potins, des rumeurs, des fangirls aussi _ argh _ et des guéguerres pour les premiers rôles. C'est à la fois divertissant, effrayant et effarant.
Pendant qu'ils discutent, je me relève. Je vais aller voir ce que fait Namjoon qui commence à mettre du temps. Et moi, je n'ai plus vraiment envie de me retrouver ici. Mais je me lève trop vite. Je ne vois pas la lanière de mon sac autour de mon pied et je trébuche. J'attends le choc mais il ne vient pas, ce qui fait remonter en moi un souvenir pas si lointain que ça. A la place, deux bras me retiennent autour de ma taille.
— Jimin ça va ? me demande Hoseok.
— Tu t'es fait mal quelque part ? s'inquiète Jungkook.
Mais je ne leur réponds pas.
Mon esprit a pris la fuite. Ou plutôt, il est resté bloqué sur les dernières secondes qui viennent de s'écouler. Sur ces bras qui m'ont étreint pour m'empêcher de chuter. Sur un d'entre eux plus particulièrement. Un dont le toucher m'a paru bien trop familier pour être un simple hasard. J'inspire un grand coup et reviens à la réalité lorsque je me rends compte que j'étais resté en apnée toutes ces dernières secondes. Je ne peux m'empêcher de le regarder avant de rapidement détourner le regard.
— Tu te sens bien ? demande Jungkook en s'approchant à nouveau.
— Oui ... tout va bien ! je réponds avec un mouvement de recul.
Je ne veux plus qu'on me touche. Je veux partir avant de faire n'importe quoi. Je Le regarde à nouveau à la sauvette avant de m'excuser. Je tourne les talons et pars dans le dédale des coulisses à la recherche de mon meilleur ami. Je le retrouve en très bonne compagnie et crains même de les déranger dans ce qui ressemble étrangement à une parade nuptiale.
— Oh, Jimin ! dit Yoongi en me souriant. Tu es venu chercher Namjoonie ?
Namjoonie ?
— C'est ça. Namjoonie et moi, on doit rejoindre Tae, je réponds en essayant de retenir mon sourire.
Je vois mon ami lever les yeux au ciel avant de prendre congé de son ...ami. Il part prendre ses affaires, lui fait un signe de la main et me tire à sa suite pour sortir d'ici.
— Un seul mot sort de ta bouche et je te renie ad vitam aeternam de mon cercle d'amis.
Je fais mine de verrouiller ma bouche avec une clé mais ne peux m'empêcher de rire en même temps. Namjoon est quelqu'un , non pas de secret, mais d'assez pudique dans ses relations. Il a toujours aimé garder ce qu'il aime pour lui, comme un jardin secret qu'il chérie. Et surtout, je pense qu'il craint qu'en dévoilant tout au grand jour, cela ne fasse qu'accélérer la fin de cette chose. Comme si l'exposer au monde était un défi lancé au destin.
Finalement, quand on arrive devant le restaurant, Taehyung nous attend déjà avec beaucoup d'impatience. Il nous demande ce qui nous a retardé aussi longtemps et je sens le regard de Namjoon m'intimer de me taire. Cela me fait doucement sourire même si, pour être honnête, j'ai hâte qu'il nous parle enfin de la nature de sa relation avec Yoongi.
On parle de tout pendant le repas. Enfin, peut-être pas de tout. Ils ont beau connaître l'existence de mon inconnu, quelque chose m'empêche de leur en dire plus. Ils ne savent même pas que je l'ai revu. Façon de parler. J'en ai pourtant envie. Je crois. Mais je veux aussi garder ceci pour moi. La manière dont il m'a aidé sur la scène pour que je puisse me repérer facilement. La façon qu'il a de danser avec moi comme si nous l'avions toujours fait. Sa caresse sur ma joue.
J'inspire un grand coup pour me couper de mes pensées. Je ...
Je mets ma main sur mon cœur pour le sentir battre un peu plus vite qu'il ne le devrait. Je ne le connais pas mais il provoque en moi des sentiments qui me dérangent. Si je listais ce que je ressens, la conclusion coulerait de source. Mais on parle d'un gars que je ne connais pas, dont je n'ai jamais vu le visage, entendu la voix ou quoi que ce soit d'autre.
Enfin ... dans la théorie.
Parce que tout à l'heure, à l'amphithéâtre, lorsqu'il m'a retenu ... Je suis sûr qu'il s'agit de lui. Et c'est ça le problème. J'en suis persuadé. Mais que se passerait-il si je laissais mes sentiments prendre plus de place pour finalement découvrir que la personne que je pense être mon inconnu n'est tout simplement pas lui ? Est-ce que je dois lui demander ? Est-ce que je devrais le piéger la prochaine fois qu'il viendra à mes répétitions ? Encore faut-il qu'il revienne. Après tout, il doit se dire qu'il n'a peut-être plus rien à m'apprendre et qu'il n'y a plus d'intérêt à ce qu'il soit là.
Mais si par hasard il vient ... devrais-je y voir un signe ?
— Les gars, je commence en les coupant dans leur conversation. Imaginez, vous rencontrez une personne, le courant a l'air de bien passer. Vous vous voyez une seconde fois et le courant passe encore mieux. Qu'est-ce que cela signifie si cette personne vient vous voir une troisième fois ?
— T'es amoureux Jimin ? me demande Taehyung en haussant de manière suggestive les sourcils.
— Raconte pas de connerie. C'est juste ... une question que je me posais ... pour les cours. Pour représenter mieux certains ... sentiments ... voilà.
On fait mieux comme mensonge, mais ils devront se contenter de ça pour aujourd'hui.
— Si cette personne revient, répond finalement Namjoon, c'est qu'il y a au moins un lien qui s'est créé entre vous deux. Un lien assez fort pour vous pousser à vous revoir de manière consciente et consentante, pas juste par accident. Pas comme une improvisation que tu ferais sur une chanson quelconque, mais plutôt comme une chorégraphie que tu destinerais à une chanson précise.
Son regard me transperce et j'ai comme l'impression qu'il sait très bien de quoi je parle. Sa métaphore est bien trop précise pour être anodine. J'espère simplement qu'il ne m'obligera pas à en parler plus que ça, ce qu'il ne fera pas, je le sais bien, au risque que cela se retourne contre lui et son jardin secret. Par contre, si Taehyung relie les paroles de Nam à mon histoire d'inconnu dont je leur ai parlé la première fois, je ne pourrais pas cacher ça plus longtemps.
— Hyung ... des fois je comprends vraiment pas ce que tu dis, fait remarquer Tae provoquant en moi un soupir de soulagement.
Heureusement pour moi, Tae est parfois long à la détente et aujourd'hui, ça m'arrange grandement. J'essaye de détourner la conversation sans que cela ne soit trop flagrant. Et surtout, j'essaye de ne plus penser à tout ça pour ce soir et même jusqu'à ma prochaine répétition.
Prochaine répétition qui arrive beaucoup trop vite puisque dès le lendemain, je suis sur la scène de l'amphithéâtre, le ruban dans ma main. Je le regarde comme s'il avait la réponse à mon dilemme actuel : le mettre ou non pour danser. Bien entendu, la réponse est simple et dix secondes plus tard, je suis à nouveau privé de ma vue.
Je me mets au centre de la scène et attends que la chanson revienne au début tout en essayant de me calmer et de souffler calmement. Je ne dois pas oublier qu'à l'origine de cette chorégraphie, il y a mon envie de rentrer dans une compagnie de danse et non pas de gigoter avec un pseudo inconnu.
La musique arrive enfin à ses dernières notes avant de reprendre du début. Les premières notes résonnent et je me mets à bouger. Je laisse mon corps se mettre en pilote automatique et fais le vide dans mon esprit. J'essaye. Mais vers le milieu de la chanson, je sens un corps se coller contre le mien et je perds ma concentration l'espace d'une nanoseconde. Et lorsqu'une de ses mains vient encercler ma taille, mes certitudes grandissent. C'est lui. Ca ne peut être que lui. Et je dois lui parler.
Mais je ne le fais pas à la fin de la première écoute.
Ni à la fin de la deuxième, troisième, cinquième écoute.
Je suis à bout de souffle et je crois que lui aussi parce que lorsque la musique redémarre, il m'entraîne dans une danse qui n'est pas la mienne. Une chorégraphie que je n'ai pas inventée. Alors je me laisse guider et j'ai l'impression de revenir aux premières fois où nous avons dansé ensemble. Je ne peux m'empêcher de sourire à cette pensée et je ne sais pas pourquoi, je suis persuadé que lui aussi.
Le rythme se fait de plus en plus lent et j'y vois là un signe qu'il va bientôt disparaître. Je dois trouver un moyen de le faire rester ici, pour qu'il m'avoue qui il est. Mon cerveau tourne à toute allure et je perds contact avec la réalité. Il n'y a que mes pensées hasardeuses et son corps qui me guide au gré de la musique. Je fais à peine attention lorsque les dernières notes disparaissent dans l'air, remplacées par nos respirations.
Je ne me rends compte de tout cela que lorsqu'un souffle vient frapper mes lèvres. Nous avons beau avoir dansé des dizaines de fois, je me sens intimidé par cette nouvelle proximité. Je lève mes mains et essaye d'atteindre son visage. Je les pose sur ses joues et le touche tout doucement, comme pour le dessiner dans mon visage. Je tente de me représenter son nez, ses lèvres, tout ce qui me prouverait son identité. Mais il me coupe dans mon exploration.
Il attrape mes mains. Juste ça. Et finit par caresser mes doigts. Son front se colle au mien et lorsque la musique démarre une nouvelle fois, il recommence à bouger. Mais cette fois-ci, il ne me lâche pas. Au contraire, je sens une de ses mains se placer derrière ma nuque alors que l'autre prend place sur ma taille. Ne brisant jamais le contact entre nos fronts, il me fait avancer, reculer, tourner, onduler ...
et m'embrasse.
C'est comme si ce baiser faisait partie de notre chorégraphie. Et c'est le cas.
Cette danse, c'est nous. C'est ce rapprochement qu'il y a eu entre nous bien qu'il ne soit censé être pour moi qu'un inconnu. Est-ce que lui ressent la même chose ? Est-ce que c'est ce qui l'a motivé à venir pendant que je dansais ?
Il se recule, délaissant ma nuque, mes hanches et mes lèvres. Mais un pulsion me pousse à mettre mes mains en avant pour le rattraper. J'affirme ma prise sur son haut et le tire jusqu'à moi. Je prends son visage en coupe et fonds sur ses lèvres. Je sens ses bras reprendre leurs places autour de ma taille avant de m'attirer tout contre lui.
Je ne sais pas combien de temps nous restons comme ça. Dix secondes. Dix minutes. On ne se sépare que pour respirer, restant, malgré tout, tout contre la bouche l'un de l'autre. La musique qui nous entoure n'a même plus d'importance.
Rien en a à part ce baiser.
Mais bien trop vite, il finit par cesser de m'embrasser et recule assez loin pour que je ne parvienne pas à le rattraper.
— Attends, je crie.
Je tourne autour de moi, essayant de repérer par où il a bien pu partir.
— Je ne sais pas si tu es encore là et si tu m'écoutes mais ... je veux te voir. Je veux savoir exactement qui tu es. Je veux ... s'il te plait. J'en ai besoin. Tu ne peux pas me faire vivre tout ça, foutre le bordel dans ma tête, dans mon cœur, pour finalement disparaître encore une fois. Alors je te laisse un ultimatum.
C'est tout ce que je peux faire.
— A la fin de la semaine, j'auditionne pour une grande compagnie. Danse avec moi. Si tu le fais, cela voudra dire que tu acceptes que notre relation passe au-delà de ce ruban que je porte. Si tu ne viens pas ... c'est que tu mets un terme à tout ceci. Si tu ne viens pas à l'audition, tu dois me jurer que plus jamais tu ne viendras lors de mes répétitions. Plus jamais ce qu'il vient de se passer ne se reproduira. Tu dois me le promettre.
Je n'obtiens aucune réponse. Je ne sais même pas s'il m'a entendu. Mais les mots sont dits désormais et ils me sont tout aussi bien destinés qu'à lui. S'il n'est pas là à l'audition, ou plutôt, s'il ne danse pas avec moi _ parce que je sais qu'il sera là __ je l'oublierais. Je ferais comme si rien de tout cela n'avait existé et je passerais à autre chose.
Il ne sera même pas un simple souvenir.
Viennent alors les jours les plus longs de ma vie.
L'approche de l'audition a été un enfer à vivre, ce jour arrivant bien trop vite et lentement à la fois. J'ai dû être exécrable avec Namjoon et Taehyung et heureusement pour moi, ils ne m'en tiennent pas rigueur, mettant mon comportement sur le compte du stress. Et oui, je suis stressé mais pas forcément pour la raison qu'ils ont en tête.
J'ai peur qu'il ne vienne pas.
J'ai peur qu'il soit là.
Mon cerveau et mon cœur sont en conflit et je ne sais plus quoi penser. S'ajoute à cela l'angoisse de la performance que je ressens quand même. J'ai l'estomac serré et les nausées ne vont pas tarder à faire leur apparition.
J'ai passé une nuit horrible et je n'ai rien mangé ce midi. Je tourne en rond et j'ai même hésité, l'espace d'une demi-seconde, à aller là-bas, ce qui est bien entendu la pensée la plus idiote que j'ai pu avoir ces dernières semaines. Quoi qu'il advienne de ma relation avec mon « inconnu », mon rêve ne doit pas être influencé par celle-ci. Je veux danser. Je veux entrer dans la meilleure compagnie du pays et performer sur les plus belles scènes du monde. Et personne n'a le droit de m'en empêcher. Mon talent et mes entraînements m'emmèneront là où je veux aller et mes échecs n'auront rien à voir avec un quelconque garçon.
Et c'est sur ces belles paroles que j'ai pris la route jusqu'à l'amphithéâtre. J'arrive avec une bonne heure d'avance, de quoi m'étirer suffisamment. J'y ai croisé Namjoon qui se charge de l'installation de certains décors. Il m'a glissé une orange entre les mains, m'obligeant à la manger pour être sûr de ne pas faire de malaise pendant ma performance, se doutant que mon dernier repas n'était pas d'aujourd'hui.
Je me mets dans un coin tranquille, mangeant le fruit et étirant mes jambes en même temps. Je me suis isolé du mieux possible pour ne pas voir qui entre dans l'amphithéâtre. J'ai peur de le voir. Je préfère penser qu'il n'est pas là plutôt que de découvrir qu'il est présent et qu'il ne viendra pas sur scène.
J'en viens presque à me fustiger. Pourquoi lui avoir posé cet ultimatum et pas un autre ? J'aurais simplement pu lui dire qu'après l'audition, une fois que je serais sorti de l'amphithéâtre, il n'y aurait plus de nous _ faut-il encore qu'il y en ait eu un. J'aurais pu faire en sorte qu'il vienne me parler à la fin de mon passage.
Je suis idiot.
Et en même temps, j'ai envie de savoir.
Cela fait des semaines et des mois que l'on crée une relation chorégraphiée ensemble et je veux savoir comment il estime tout cela. Jusqu'où il peut porter ce lien aux yeux des gens. Parce que j'ai besoin de quelqu'un qui n'aura pas peur d'être avoir moi, de dire aux gens que nous sommes ensemble tout simplement et que l'opinion des autres n'aura aucune importance pour lui. Et tout cela, il le dira forcément en venant danser avec moi.
J'entends qu'on commence à appeler les noms des candidats et tout le calme qu'ont pu m'apporter ces dernières minutes disparaît en un éclair. Mon cœur recommence à battre à tout rompre et je suis à deux doigts d'hyperventiler. Je pose ma tête contre mes genoux remontés et entreprends lors des dix minutes qui suivent de contrôler ma respiration.
Lorsque je sens mon corps se détendre, je me relève et reviens vers la population qui grouille dans les coulisses de l'amphithéâtre. Je le cherche inconsciemment du regard. J'ai beau ne pas vouloir le voir avant ma performance, je ne peux m'en empêcher.
Et c'est lui qui me trouve.
Une main sur mon épaule, je tombe nez à nez avec lui, un sourire aux lèvres. Il a l'air un peu crispé, comme s'il essayait de paraître le plus naturel possible. Il a sûrement peur de se dévoiler, que je sache qui il est réellement. Sauf que je le sais déjà et que j'ai envie de le lui hurler à la figure tandis qu'il m'adresse un simple mot de courage. Mais au moment où je veux ouvrir la bouche, j'entends mon nom résonner plus loin dans les coulisses.
C'est à mon tour.
Et étrangement, cette petite rencontre dans les coulisses a juste décuplé mon envie de tout déchirer. Je n'ai pas besoin de lui pour réussir. Son absence n'aura aucune conséquence sur mon futur et je vais le lui prouver.
Une nouvelle force grandit en moi. Celle de lui prouver que je suis indifférent à notre histoire et que je me fiche de sa décision. Je n'y crois pas personnellement, mais si lui peut y croire, ce serait une grande victoire.
Je donne ma musique à l'ingénieur du son qui s'occupe des auditions, me place au milieu de la scène et salue les personnes qui me jugeront. Ce sont des grands noms de la danse et ils sont des plus intimidants. Je sens leurs regards m'analyser centimètre par centimètre alors que je n'ai même pas commencé à danser. Je me présente, leur annonce le type de chorégraphie que je vais leur présenter et me mets en plus.
Je souffle un grand coup, sors le ruban de ma poche pour le nouer autour de ma tête et plonge dans ce monde obscure que je connais si bien désormais. Je bouge légèrement, dénouant les dernières traces de tension qui se trouvent dans mes membres et lorsque les premières notes de la chanson commencent, j'oublie tout ce qui n'est pas l'instant présent.
J'oublie que je suis seul sur scène.
J'oublie qu'il doit être quelque part dans les coulisses à simplement me regarder.
J'oublie aussi qu'il y a un jury de professionnels face à moi.
Là, maintenant, il n'y a plus que moi, ces notes que j'ai entendues des milliers de fois et cette scène.
Et je danse.
Je me laisse porter. Je sens la lumière qui chauffe contre mon visage et ne peux m'empêcher de sourire. Je sais exactement où je suis, où je saute, où j'atterris. C'était comme si la scène apparaissait devant moi, comme si je n'avais pas les yeux bandés. La sensation est incroyable et je me sens si libre que j'ai l'impression qu'à chaque saut, je pourrais m'envoler.
Puis j'entends une exclamation pas très loin de moi. Je n'y fais pas attention, de peur de me déconcentrer, jusqu'à ce que je le sente.
Il est là.
Il est derrière moi. Devant moi. Autour de moi. Il redevient ce courant d'air qui danse entre mes pas. Ce voile qui vient caresser mes bras avant de les accompagner dans leur mouvement. J'entends le bruit de ses sauts qui font écho aux miens. Même sans le voir, je sais que notre synchronisation est parfaite. Depuis la première fois, c'est comme s'il me connaissait sur le bout des doigts et cette chorégraphie est le résultat de nos quelques rencontres.
Et lorsque les dernières notes résonnent, j'espère. J'espère qu'il reste à mes côtés. Après tout il est là, il a dansé avec moi. C'est le signe qu'il veut que notre histoire ait une suite.
Pourtant, lorsque je retire le ruban et tourne la tête, je ne rencontre que le vide. Je lève le regard vers les coulisses et vois Namjoon, les yeux écarquillés par ce qu'il vient de se passer. J'ai au moins là, la preuve de ne pas avoir imaginé sa présence. Mais il s'est quand même enfui et je sens en moi une envie intense de l'insulter et de l'étriper.
Mes pensées sont interrompues par des applaudissements. Je sursaute et tourne mon attention vers le jury.
— C'était magnifique monsieur Park, me félicite l'un d'entre eux. Vous et votre camarade nous avez offert une incroyable prouesse. Cependant, je ne vois que votre nom sur ma liste.
Je ris doucement. Bien sûr qu'il n'était pas sur la liste. Je n'étais pas sûr moi-même de sa présence et je suis censé ne pas savoir qui il est.
— Pourriez-vous nous le présenter ? me demande un autre membre. Nous aimerions vous faire un retour sur votre performance. Si au moins nous avions son nom, ce serait parfait pour le contacter.
— Hoseok. Il s'appelle Jung Hoseok. Et si vous me le permettez, même si c'est par la peau du cul, je vais vous le ramener ici.
Une petite courbette et me voilà maintenant en train de courir dans les couloirs de l'amphithéâtre. Je le maudis d'être parti aussi vite et espère surtout réussir à le rattraper. Je manque de glisser une paire de fois, ayant oublié de remettre mes chaussures avant de pourchasser Hoseok.
Finalement, alors que je m'approche de la sortie, je vois une silhouette que je reconnais sans mal.
— Jung Hoseok, je me mets à hurler. Je te jure que si tu ne t'arrêtes pas tout de suite, je te bannis de ma vie illico presto sans le moindre remord !
Je vois ses épaules se tendre. Il s'arrête et se retourne doucement vers moi, me laissant le temps d'arriver à son niveau.
— Ils te l'ont dit ? me demande-t-il.
— Crétin ! Je le savais déjà la dernière fois que tu es venu.
— Comment ... ?
Je ne peux m'empêcher de soupirer.
— Plus tard. Là je pense qu'on a beaucoup mieux à faire tu ne penses pas ? Par exemple, tu pourrais m'expliquer pourquoi tu as dansé avec moi avant de t'enfuir ? Ou pourquoi avoir fait tout ça ? Les répétitions, les conseils, les baisers, tout ça pour ne jamais me dire qui tu es ?
— Jimin ...
— Non. Pas de Jimin qui soit ! Je veux la vérité. Maintenant.
Je suis face à lui, un doigt frappant contre son torse et les yeux levés vers les siens. Il me regarde, désespéré. Pourtant, ce n'est pas moi qui suis à l'origine de tout cela alors qu'il prenne ses responsabilités et se comporte en grand garçon.
On reste comme ça pendant ce qui semble être une éternité mais il doit voir dans mon regard que je ne vais pas lâcher l'affaire parce qu'il finit par m'attraper la main et me mène jusqu'à une banquette de l'entrée sur laquelle il nous fait nous asseoir. Il ne l'a peut-être pas remarqué, mais alors qu'il est dans ses pensées, ma main se trouve toujours dans la sienne. Son pouce caresse le dos de ma main, comme il l'a souvent fait lorsque nous répétions. La familiarité de son geste me fait doucement sourire.
— Je t'ai observé.
Je lève la tête pour le regarder alors qu'il fixe un point qui paraît si loin de nous.
— Je travaillais sur les décors et je t'ai vu venir t'entrainer. Je ne sais pas si tu t'es déjà vu danser mais ta manière de bouger est captivante. Je n'arrivais pas à détacher mes yeux de toi. Puis j'ai remarqué que tu avais un problème pour t'orienter sur scène et je voulais t'aider.
— C'est là que tu es venu ?
— Non. C'était bien avant. Pendant tes premières répétitions.
Ça faisait donc déjà plusieurs semaines qu'il me regardait ?
— Je comptais pas t'approcher plus que ça. On se parlait vite fait quand on se croisait, comme deux camarades d'école et en vrai, je m'en contentait. J'avais juste envie de te voir danser. C'était suffisant pour moi. Puis un jour, en t'observant, j'ai vu que tu n'étais pas au bon endroit sur la scène et que tu risquais de tomber lors de ton prochain saut.
— Mais pourquoi tu ne m'as juste pas sauvé et disparu ? Ou alors juste dit que tu passais par là et que tu m'as vu ? Pourquoi avoir dansé avec moi ?
Il aurait très bien pu m'aider et ne plus faire parler de lui. Dans ce cas-là, rien de tout cela ne serait arrivé.
— Je ne sais pas ... Je pense qu'inconsciemment, j'ai vu là l'occasion de me rapprocher de toi et de t'aider. En t'expliquant comment te repérer grâce aux lumières, je trouvais un moyen de te protéger des chutes même lorsque je ne pouvais pas être là.
— Comment tu savais tout ça d'ailleurs. Les lampes, la danse ...
— J'ai longtemps dansé, mais je n'avais plus cette étincelle qui me faisait vibrer comme le rap le fait. Enfin, jusqu'à toi bien entendu. Tu as réveillé en moi cet amour de la danse que j'avais caché au fond de moi et que je ne pensais plus jamais ressentir.
Il m'énerve ... tout ce qu'il me dit m'empêche de lui en vouloir plus que ça. Pourtant, je sens encore une rancœur en moi.
— Et pourquoi le baiser ?
Cette fois-ci, il me regarde sans pour autant me répondre.
— Là aussi, tu aurais pu juste partir. Mais tu m'as embrassé. Pourquoi ?
Il lâche ma main et se lève. L'espace d'un instant, j'ai l'impression qu'il va se mettre à fuir. Une nouvelle fois.
— Je suis amoureux de toi, ça paraît logique. A force de te voir, de te croiser, de danser avec toi, j'ai fini par ressentir des choses beaucoup trop fortes que je voulais garder pour moi. J'avais pas l'intention de t'embrasser ce jour-là, mais tu aurais dû te voir quand on dansait. Tu étais ... tu es magnifique.
— Mais tu t'es quand même enfui après ça !
— Parce que j'ai regretté ce baiser ...
— Mais va te faire foutre !
Je me lève, hors de moi. J'en ai marre qu'il me souffle le chaud et le froid. Un coup il avoue m'aimer, la seconde d'après, il regrette de m'avoir embrassé.
— Tu sais quoi ? Moi je le regrette pas ce baiser ! Parce que tu l'as voulu et moi aussi ! Il est un moment incroyable que l'on a vécu et tu es en train de l'écraser. De quel droit tu oses le regretter !
— Ce n'est pas ça Jimin, me dit-il en s'approchant de moi et attrapant mes mains. Je ne regrette pas de t'aimer. Je ne regrette pas ce qu'il s'est passé mais je t'ai embrassé sans que tu puisses m'en empêcher.
— Mais j'ai répondu à ton baiser.
— Oui. Sauf que tu aurais pu ne pas en vouloir et dans ce cas-là, le mal aurait été fait. J'aurais dû te parler, j'aurais dû te demander si je pouvais t'embrasser. Mais j'ai été trop lâche pour ça. J'avais peur qu'après tout ce qu'on ait vécu tu sois déçu d'apprendre que depuis le début, il ne s'agissait que de moi.
Quel imbécile ... Un parfait gentleman, mais d'une idiotie sans nom. Je l'observe regarder nos mains liées sans oser à un seul moment lever le regard vers le mien. Je ne sais pas quoi lui répondre. Ou plutôt, j'ai une tonne de réponses en tête mais j'ai peur de l'insulter à la fin de chaque phrase pour lui mettre du plomb dans la cervelle. Ne croit-il pas que si j'avais été déçu, je l'aurais frappé depuis que j'ai compris qui il était ? Enfin, frapper ... je ne suis pas quelqu'un de violent, mais dans cette situation, j'aurais peut-être pu le devenir.
— Demande le moi, je finis pas lui dire.
— Demander quoi ?
— Si tu peux m'embrasser.
Cette fois-ci, il me regarde, les yeux écarquillés. Il ne s'attendait sûrement pas à cette réponse et moi non plus à vrai dire, mais elle me semble la plus censée en ce moment même. Je lui donne un deuxième ultimatum et j'espère qu'il en est parfaitement conscient. Parce que cette fois-ci, s'il s'enfuit, je ne courrais pas derrière lui pour le retenir.
Alors j'attends cette question qui tarde à venir. Beaucoup trop à mon goût.
Cette question qui ne vient pas tandis que les minutes passent sans discontinuité.
— Ok, j'ai compris.
Je retire mes mains des siennes et fais demi-tour. Il a fait son choix, j'ai donc fait le mien. L'affaire est désormais clause.
Je prends le chemin pour revenir sur la scène de l'amphithéâtre. D'autres étudiants ont dû passer entre-temps et j'espère qu'il n'est pas trop tard pour obtenir les commentaires du jury. J'ai froid aux pieds. J'avais oublié que j'étais pieds nus. Maudit Hoseok. Si j'attrape une pneumonie, ce sera totalement de sa faute.
Lorsque je reviens dans les coulisses, un danseur finit tout juste de recevoir les appréciations du jury. Je vérifie auprès de la personne appelant les candidats si je peux revenir sur scène et après avoir reçu le feu vert, je me dirige vers cet endroit où tant de choses se sont déroulées et finalement pas pour le meilleur.
— Est-ce que je peux t'embrasser? hurle quelqu'un derrière moi.
Quoi que ... Le meilleur reste peut-être à venir.
Je me retourne et vois Hoseok, essoufflé, se tenir à quelques mètres de là. Le regard déterminé, il s'avance d'un pas volontaire vers moi.
— Est-ce que je peux t'embrasser? répète-t-il.
— J'ai vraiment cru que tu me le demanderais jamais.
Et là, je n'ai vraiment plus envie de faire traîner les choses. Je l'attrape par l'avant de son sweat et le tire jusqu'à moi pour l'embrasser. J'entends des exclamations autour de nous mais je n'en ai rien à faire. Plus rien n'a d'importance actuellement que ce baiser qui a tant tardé à arriver. Je passe mes mains derrière sa nuque et les noue ensemble, empêchant Hoseok de s'éloigner de trop à la fin de notre baiser.
— Je te jure que si là, tu essayes de fuir, je fais de ta vie un enfer.
— Heureusement que je ne compte plus partir alors.
Même si le baiser en était une preuve, sa phrase provoque en moi un élan d'intense soulagement. Je pose mon front contre son épaule et me permets un soupir trahissant toutes les émotions qui se sont succédées lors de cette dernière heure.
— Je suis désolé, j'entends près de mon oreille. Il m'a fallu quelques minutes pour réaliser la connerie que j'étais en train de faire. Pardon de ne pas t'avoir retenu plus tôt.
— Merci d'être revenu quand même, je lui chuchote simplement. On est d'accord qu'on est ensemble maintenant.
— Bien sûr. Je n'ai rêvé que de ça ces dernières semaines.
Je me redresse doucement et m'autorise un dernier baiser, plus chaste que le précédent, plus rapide aussi, mais qui provoque en moi un sentiment de joie qui m'électrifie. Je lui attrape alors la main et le tire derrière moi.
— Il nous reste une chose à faire avant de pouvoir en profiter, je lui explique avant d'entrer sur scène. Veuillez nous excuser pour cet énorme retard, mais nous voilà enfin de retour. Je vous présente Jung Hoseok, mon compagnon de danse.
Compagnon de danse.
Inconnu de l'amphithéâtre.
Et accessoirement petit ami.
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